Droit de rétractation : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/00647

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Droit de rétractation : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/00647
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N° RG 21/00647

N° Portalis DBVX – V – B7F – NLZO

Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BOURG-EN-BRESSE

Au fond du 07 janvier 2021

RG : 19/01671

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 14 Septembre 2023

APPELANTS :

Mme [N] [D] épouse [I]

née le 03 Janvier 1954 à [Localité 7] (ALGÉRIE)

[Adresse 4]

[Localité 1]

M. [V] [I], représenté par sa curatrice Mme [P] [I] épouse [S], en suite de sa désignation par le tribunal de proximité de Trévoux

né le 10 Janvier 1951 à [Localité 7] (Algérie)

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentés par la SELARL BARLATIER, avocat au barreau de LYON, toque : 41

INTIMES :

M. [L] [C]

né le 09 Décembre 1984 à [Localité 8] (SAONE ET LOIRE)

[Adresse 5]

[Localité 2]

Mme [U] [B]

née le 13 Décembre 1982 à [Localité 9] (YONNE)

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentés par Maître Alexandre BECAUD, avocat au barreau de LYON, toque : 1994

S.A.R.L. LYON CONSEIL IMMOBILIER exerçant sous l’enseigne ERA IMMOBILIER

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée par Maître Juliette CLARY, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, toque : 641

et pour avocat plaidant l’AARPI KLP AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 25 Janvier 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 Avril 2023

Date de mise à disposition : 14 Septembre 2023

Audience tenue par Anne WYON, président, et Julien SEITZ, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier

A l’audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

– Anne WYON, président

– Julien SEITZ, conseiller

– Raphaële FAIVRE, vice présidente placée

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

M et Mme [I] ont confié la vente de leur maison individuelle située à [Localité 1] (01) à la société Lyon Conseil Immobilier exerçant sous l’enseigne Era Immobilier, à laquelle ils ont consenti deux mandats exclusifs de vente,

– le premier du 18 octobre 2018 au prix de 462’000 euros frais d’agence inclus, soit 440’000 euros net vendeur

– le second du 22 novembre 2018 au prix de 441’000 euros frais d’agence inclus soit 420’000 euros net vendeur.

Le 11 février 2019, M. [C] et Mme [B] ont formé par courriel adressé à l’agence une offre d’achat au prix de 420’000 euros. Sous ce courriel qui a été imprimé M. et Mme [I] ont formé une contre-proposition manuscrite de 430’000 euros qui a été acceptée par les acquéreurs selon mention manuscrite.

Par lettre du 20 février 2019 adressée à l’agence, M et Mme [I] se sont rétractés ; celle-ci leur a rappelé les conséquences de leur décision et M et Mme se sont ravisés, à la condition que l’agence réduise sa commission de 5 000 euros, la ramenant à 15’000 euros, ce que l’agence a accepté.

M et Mme [I] se sont à nouveau rétractés et ont renoncé à vendre leur bien.

Par acte d’huissier de justice du 6 mai 2019, M. [C] et Mme [B] ont fait assigner M et Mme [I] afin d’obtenir leur condamnation sous astreinte de 500 euros par jour de retard à signer un compromis de vente par acte authentique. La société Lyon Conseil Immobilier est volontairement intervenue à la procédure afin d’obtenir le paiement de 15’000 euros au titre de sa commission.

Par jugement du 7 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a :

– déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Lyon Conseil Immobilier,

– déclaré irrecevables les exceptions de procédure (nullité de l’assignation et demande de sursis à statuer) soulevées par M. et Mme [I],

– condamné M. et Mme [I] à signer devant le notaire choisi d’un commun accord avec M. [C] et Mme [B] ou à défaut d’accord sur l’identité du notaire trouvé dans le mois du présent jugement, devant celui choisi par les demandeurs, une promesse de vente portant sur leur maison individuelle située [Adresse 4] à [Localité 1] (Ain), moyennant le prix de 430 000 euros, frais d’agence inclus,

– assorti la condamnation prononcée d’une astreinte de 100 euros passé le délai d’ un mois après le jour de la signification du présent jugement,

– limité l’astreinte à une durée de quatre mois,

– condamné M. et Mme [I] à payer à la société Lyon Conseil Immobilier Lyon conseil immobilier la somme de 15 000 euros à titre de rémunération de l’agent immobilier,

– débouté M. et Mme [I] de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts compensatoires,

– dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire du jugement,

– condamné M. et Mme [I] aux dépens et au paiement, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, des sommes de 3 000 euros à M. [C] et Mme [B] et 1 500 euros à la société Lyon Conseil Immobilier Lyon conseil immobilier.

Selon déclaration du 27 janvier 2021, M. et Mme [I] ont formé appel à l’encontre de ce jugement.

Par conclusions déposées au greffe le 3 janvier 2022, M. et Mme [I] demandent à la cour de :

Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse en date du 7 janvier 2021 en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

A titre principal :

– déclarer recevables leurs demandes au titre de la nullité du mandat,

– annuler les mandats exclusifs de vente en date des 18 octobre 2018 et 22 novembre 2018 car portant le même numéro d’enregistrement au registre des mandats ;

– déclarer qu’en conséquence ils ne peuvent être engagés par l’offre formulée en leur nom par l’agence immobilière en application d’un mandat irrégulier ;

– déclarer qu’en conséquence la vente entre M. et Mme [I] avec M. [C] et Mme [B] concernant la maison n’est pas conclue ;

A titre subsidiaire :

– annuler la vente intervenue entre eux avec M. [C] et Mme [B] en raison de leur incapacité de contracter ;

– condamner la société Lyon Conseil Immobilier à leur verser la somme de 120.000 euros à titre de dommages et intérêts,

Si par extraordinaire la cour ne s’estimait pas suffisamment informée, ordonner avant-dire droit une expertise de M. [I],

désigner tout expert qu’il plaira à la cour ayant pour mission de :

– se faire remettre tous les documents utiles à l’accomplissement de sa mission, notamment les certificats médicaux versés aux débats, les attestations et le dossier médical de M. [I];

– donner à la cour tous les éléments de fait lui permettant de déterminer si les troubles psychiques ou psychiatriques et l’état de santé mental fragile de M. [I] existaient déjà à l’époque de la signature des mandats de vente des 18 octobre 2018 et 22 novembre 2018 ainsi que le 13 février 2019 date de signature de la contre-proposition d’achat ;

– déterminer si cet état de santé avait une incidence sur sa lucidité mentale, s’il était vulnérable et influençable ;

– donner à la cour tous renseignements utiles permettant de statuer sur la sanité d’esprit de M. [I], lors de la signature des mandats de vente des 18 octobre 2018 et 22 novembre 2018 ainsi que lors de la signature de la contre-proposition d’achat le 13 février 2019, et dire notamment s’il a pu connaître des intervalles de lucidité ;

– analyser les dispositions de la personnalité de M. [I] dans les registres de l’intelligence, de l’affectivité et de la sociabilité et apprécier leurs dimensions pathologiques éventuelles ; – déterminer l’intelligence, le niveau d’attention ;

– déterminer si depuis octobre 2018, M. [I] avait les capacités cognitives nécessaires lui permettant de consentir à un acte de disposition, et d’en comprendre la portée.

A titre infiniment subsidiaire :

– annuler la vente intervenue entre M. et Mme [I] avec M. [C] et Mme [B] concernant la maison située à [Localité 1] en raison du consentement vicié M. et Mme [I] ; – condamner la société Lyon Conseil Immobilier à leur verser la somme de 120.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

A titre infiniment infiniment (sic) subsidiaire, si par extraordinaire, la cour confirmait le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré la vente parfaite, condamner la société Lyon Conseil Immobilier à leur verser la somme de 120.000,00 euros à titre de dommages et intérêts,

En tout état de cause :

– débouter M. [C] et Mme [B] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

– débouter la société Lyon Conseil Immobilier de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge des époux [I] la rémunération de l’agent immobilier,

– condamner la société Lyon Conseil Immobilier à verser à M. et Mme [I] la somme de 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;

– condamner M. [C] et Mme [B] à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Lyon Conseil Immobilier à leur payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner solidairement les mêmes aux entiers dépens.

Par conclusions déposées au greffe le 3 janvier 2022, M. [C] et Mme [B] demandent à la cour de confirmer le jugement critiqué, et de :

– déclarer irrecevable la demande nouvelle des époux [I] portant sur la nullité des mandats exclusifs de vente conformément aux dispositions de l’article 564 du code de procédure civile ;

– juger qu’un contrat de vente a été conclu entre M et Mme [I] et M. [C] et Mme [B] conformément aux dispositions des articles 1121 et 1583 du code civil,

par conséquent,

– juger que M et Mme [I] ont engagé leur responsabilité civile contractuelle en s’abstenant d’exécuter ce contrat de vente ;

– juger que M. [C] et Mme [B] sont fondés à solliciter l’exécution forcée de la vente ;

– condamner sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir M et Mme [I] à signer devant le notaire choisi d’un commun accord avec M. [C] et Mme [B] ou à défaut d’accord sur l’identité du notaire trouvé dans le mois du présent arrêt, devant celui choisi par les demandeurs (en réalité les intimés), une promesse de vente portant sur leur maison individuelle située [Adresse 4] à [Localité 1] (Ain), moyennant le prix de 430’000 euros, frais d’agence inclus ;

– débouter M et Mme [I] de l’ensemble de leurs demandes, moyen, fins et prétentions ;

– condamner M et Mme [I] à payer à M. [C] et Mme [B] la somme de 10’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par conclusions déposées au greffe le 6 janvier 2022, la société Lyon Conseil Immobilier exerçant sous l’enseigne Era Immobilier demande à la cour de :

– confirmer le jugement dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

– condamner solidairement M et Mme [I] à lui régler la somme de 3500 euros à titre de dommages et intérêts,

Et en tout état de cause,

– débouter M et Mme [I] de leurs demandes, fins et prétentions formées à son encontre,

– condamner solidairement M et Mme [I] à lui verser 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2022.

MOTIVATION

A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » qui ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.

La cour relève que M et Mme [I] ont fait figurer dans leur déclaration d’appel les chefs du jugement qui ont déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Lyon Conseil Immobilier et déclaré irrecevables les exceptions de procédure qu’ils ont soulevées, mais qu’ils ne forment aucune demande de ces chefs dans le dispositif de leurs conclusions qui seul saisit la cour, de sorte que ceux-ci ne seront pas examinés par la cour.

– sur la recevabilité de la demande en annulation des mandats :

La demande tendant à faire déclarer nuls les mandats de vente qui ne figure pas dans le dispositif des conclusions des époux [I] en première instance, qui seul saisit la juridiction de jugement, n’a en conséquence pas été soumise au premier juge, ainsi que le font justement observer M. [C] et Mme [B]. Toutefois, la demande tendant à faire déclarer nuls les deux mandats de vente visant à faire écarter les prétentions adverses, elle est recevable en application de l’article 564 du code de procédure civile.

– sur la nullité des mandats de vente

Les époux [I] s’appuient sur les articles 6 de la loi du 2 janvier 1970 et 72 du décret du 20 juillet 1972 et rappellent que tous les mandats de vente confiés à un agent immobilier doivent être mentionnés par ordre chronologique sur un registre des mandats, à peine de nullité. Ils font observer que mes mandats des 18 octobre et 22 novembre 2018 portent le même numér et sont en conséquence entachés de nullité et que la vente n’a pas été conclue.

La société Lyon Conseil Immobilier répond que la jurisprudence dont se prévalent les époux [I] ne postule pas que deux mandats qui portent le même numéro sont nuls, tout dépendant des circonstances de fait, et qu’en l’espèce, le premier mandat est régulier pour avoir été signé par des personnes ayant capacité et pouvoir de vendre le bien, comporter toutes les mentions requises et avoir des dates de signature et d’enregistrement précisées. Elle ajoute que le second mandat est identique, sauf en ce qui concerne le prix de vente qui a été réduit, et que son enregistrement sous un numéro différent ne constitue nullement un manquement aux règles applicables.

M. [C] et Mme [B] font observer qu’à supposer les mandats nuls, cette nullité serait sans incidence sur la vente qui a bien été conclue.

Sur ce :

La cour ne répondra pas à la demande de sommation de communiquer qui ne figure pas dans le dispositif des conclusions des époux [I], et dont elle n’est en conséquence pas saisie.

Au fond, les époux [I] ne contestent pas qu’à l’exception de leur numérotation, les mandats sont réguliers en la forme. Ils ne contestent pas davantage que la seule différence entre les deux actes consiste en la baisse du prix de vente qu’ils ont acceptée en signant le second mandat. Les deux mandats sont strictement identiques, sauf en ce qui concerne le prix de vente. Ainsi que le fait pertinemment observer la société Lyon Conseil Immobilier, le second mandat aurait pu être conclu sous forme d’un avenant dont l’enregistrement n’est nullement obligatoire en l’état des textes et de la jurisprudence. C’est pourquoi, en l’absence de toute irrégularité qui justifierait l’annulation de l’un quelconque des mandats, la demande sur ce point ne peut être que rejetée.

– sur la nullité de la vente en raison de l’incapacité de contracter des époux [I] :

M. et Mme [I] font valoir qu’ils sont originaires d’Algérie, parlent et comprennent très mal le français et ne savent ni le lire ni l’écrire, que M. [I] était âgé de 70 ans et Mme [I] de 67 ans, qu’ils sont de santé fragile, que M. [I] ne dispose pas de toutes les capacités cognitives lui permettant de prendre la mesure de ses engagements et a été placé sous le régime de la curatelle simple par le tribunal de proximité de Trévoux le 30 août 2021. Ils ajoutent qu’ils sont habituellement assistés de leurs enfants, ce qui n’était pas le cas lorsqu’ils ont rédigé la contre-proposition de vente, de sorte que la vente doit être déclarée nulle en raison de leur défaut de capacité à contracter.

M. [C] et Mme [B] répondent que comme en première instance, les époux [I] ne rapportent aucunement la preuve de leurs allégations, s’appuyant sur deux certificats médicaux établis très postérieurement aux faits et sur une attestation de leur fils [W] dont la valeur probante est relative en raison du lien de parenté. Ils font observer que la demande d’expertise psychiatrique qu’ils forment devant la cour a été rejetée par le conseiller de la mise en état le 15 juin 2021 par des motifs éclairants et ne sert qu’à suppléer leur carence dans l’administration de la preuve.

La société Lyon Conseil Immobilier fait observer que les époux [I] sont de nationalité française et résident en France depuis 1967, soit depuis plus de 50 ans, qu’ils comprennent et parlent suffisamment le français comme le démontrent les pièces produites, que leur fils qui maîtrise le français était présent le 13 février 2019, contrairement à ce qu’il affirme dans une attestation qui ne respecte pas les formes prévues par l’article 202 du code de procédure civile, et qu’ils étaient assistés par leur notaire tout au long du processus de vente. Elle indique que M. [I] n’est pas privé de ses capacités cognitives.

Sur ce :

M. et Mme [I] se prévalent des pièces suivantes :

– un certificat médical établi par un médecin psychiatre le 22 janvier 2021 qui fait état chez M. [I] d’une pathologie déficitaire du vieillissement avec symptômes dépressifs, le rendant plutôt vulnérable en raison de l’atteinte des moyens intellectuels, l’intéressé apparaissant très peu capable d’agir au mieux de ses intérêts et ne prenant pas la mesure des décisions à prendre le concernant.

– le compte rendu d’une IRM du 2 mars 2021 évoquant essentiellement une atrophie cortico-sous corticale évoluée et une atrophie hippocampique bilatérale de grade 2,

– le jugement du 30 août 2021 plaçant M. [I] sous le régime de la curatelle simple.

– un certificat médical du 2 juin 2021 émanant d’un neurologue selon lequel la pathologie neurodégénérative de M. [I] évolue depuis plus de deux ans au vu de l’IRM, énonçant en outre que la barrière de la langue permet pas une évaluation objective des test cognitifs.

Cependant, ces pièces médicales ont été établies deux ans après la signature des mandats de vente et de la contre-proposition, et il n’est pas possible de déduire du certificat du 2 juin 2021 que les facultés cognitives de M. [I] étaient diminuées à la date du 13 février 2019, au point qu’il ne puisse comprendre la portée de son engagement.

Le fait que M. [I] ait été placé sous le régime de la curatelle simple en août 2021 ne démontre pas davantage que ses facultés étaient altérées deux ans et demi plus tôt.

Surtout, le dépôt de plainte qu’il a effectué à la gendarmerie seul, le 31 mars 2019 contient des déclarations circonstanciées et précises, ainsi que l’a souligné le conseiller de la mise en état, et ne révèle aucun élément laissant penser que l’intéressé souffrait alors du moindre signe de déficience intellectuelle, l’agent de police judiciaire qui a recueilli ses déclarations ayant pris soin de préciser en début de procès-verbal qu’au regard de l’évaluation personnalisée de la victime qu’il avait réalisée, aucune mesure particulière de protection ne nécessitait d’être mise en ‘uvre. Les déclarations de M. [I] témoignent en outre d’un langage de bon niveau. Ce document, parfaitement contemporain de la contre-proposition formée par les époux [I], démontre que M. [I] était alors en parfaite possession de ses capacités intellectuelles, de sorte qu’en l’absence de tout élément datant de la période des faits démontrant la moindre insuffisance de M. [I] sur ce point, la demande d’expertise ne peut qu’être à nouveau rejetée.

Enfin, il résulte du témoignage de Mme [Y] que Mme [I] éprouve des difficultés à comprendre le français dans le cadre des discussions et qu’il est nécessaire de lui expliquer plusieurs fois afin qu’elle comprenne. Or, il ressort des pièces produites que tant les préposés de l’agence immobilière que le notaire (pièce 15 de la société Lyon Conseil Immobilier) ont pris le temps de préciser aux époux quelles étaient les conditions de la vente ; en outre, la contre-proposition de M. et Mme [I] a été formée par écrit, de sorte qu’il ne peut être considéré que les difficultés de compréhension du français que rencontre Mme [I] à l’oral l’ont empêchée de comprendre la portée de son engagement.

L’acte n’encourt donc pas l’annulation à ce titre.

– sur la nullité de la vente pour violence :

M. et Mme [I] font valoir que deux agents immobiliers se sont déplacés à plusieurs reprises à leur domicile et que leur nombre démontre qu’ils avaient pour but d’exercer sur eux des pressions à l’abri des regards, ce qui n’aurait pas été possible dans les locaux de l’agence. Ils ajoutent que des arguments menaçants leur ont été opposés ainsi que l’a indiqué M. [I] dans sa plainte et affirment avoir signé sous la contrainte.

La société Lyon Conseil Immobilier répond que le mandat de vente liant les parties prévoyait une rencontre mensuelle en personne, que les époux [I] ne démontrent pas avoir reçu ses deux représentants à leur domicile contre leur gré et fait observer qu’il n’étayent leurs déclarations par aucun élément objectif.

Les époux [I] ne rapportent en effet aucune preuve objective des pressions dont ils auraient fait l’objet, qui ne peuvent être déduites du seul fait que deux représentants de l’agence se trouvaient à leur domicile lorsqu’ils ont signé la contre-proposition au prix de 430.000 euros le 13 février 2019. Ils ne justifient pas non plus de la suite qui a été donnée à la plainte pour abus de faiblesse déposée par M. [I] le 31 mars 2019 à l’encontre du personnel de l’agence immobilière.

C’est pourquoi la demande d’annulation de l’acte de vente pour vice du consentement sera rejetée.

– sur la vente :

Aux termes de l’article 1121 du code civil, le contrat est conclu dès que l’acceptation parvient à l’offrant. Aux termes de l’article 1583 du même code, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé.

En l’espèce, sous le courriel de M. [C] qui avait formulé une proposition d’achat de l’immeuble au prix de 420’000 euros, figure une contre-proposition des époux [I] au prix de 430’000 euros frais d’agence inclus dont les parties précisent toutes qu’elle a été formée le 13 février 2019. Cette contre-proposition a été acceptée le 16 février 2019 par M. [C] et Mme [B]. Les parties étant d’accord sur la chose et le prix, la vente est dès lors parfaite, ainsi que l’a indiqué le premier juge dans le corps de sa décision.

En conséquence, la demande tendant obtenir la condamnation des vendeurs à régulariser une promesse authentique de vente est sans objet, un tel acte n’étant pas exigé préalablement à l’établissement de l’acte authentique de vente ; elle sera rejetée, et le jugement infirmé sur ce point, les parties étant renvoyées à passer l’acte authentique de vente devant le notaire de leur choix.

– sur les sommes dues à la société Lyon Conseil Immobilier :

Vu l’article 1104 du code civil ;

La société Lyon Conseil Immobilier excipe des mandats de vente de l’immeuble appartenant aux époux [I] qui stipulent à son profit une commission de 5 % du montant de la vente, et réclame la somme de 15.000 euros en précisant qu’à la demande des vendeurs, elle a réduit sa commission de 5.000 euros.

Les époux font valoir que l’agence ne saurait exiger une quelconque rémunération puisqu’elle n’a pas présenté d’acquéreur au prix, charges et conditions convenus dans le mandat de vente du 22 novembre 2018. Toutefois, il est établi que la contre-proposition des vendeurs transmise à M. [C] et Mme [B] par les soins de la la société Lyon Conseil Immobilier a été acceptée par ces derniers, et que le montant de la commission de l’agence a alors été négocié entre les époux [I] et la société Lyon Conseil Immobilier au prix de 15.000 euros.

Les conditions générales du mandat liant les parties stipulent que ‘la rémunération du mandataire deviendra exigible le jour ou l’opération sera effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit signé par l’acquéreur et le vendeur. Le mandataire, titulaire de la carte professionnelle, perçoit sans délai sa rémunération ou ses honoraires une fois constatée par acte authentique l’opération conclue par son intermédiaire’.

En l’absence de régularisation en bonne et due forme d’un compromis de vente, cette somme doit en conséquence être versée à la société Lyon Conseil Immobilier par les époux lors de la signature de l’acte authentique de vente.

L’acte authentique de vente n’étant pas régularisé, la somme due à la société Lyon Conseil Immobilier n’est pas encore exigible. Sa rémunération sera acquise lors de la réitération de la vente par acte authentique ; c’est pourquoi, en l’état de la cause, la cour, infirmant le jugement sur ce point, rejettera la demande et dira que le paiement de la somme de 15.000 euros due au titre du mandat devra être prévu dans l’acte authentique de vente.

– sur les demandes de dommages et intérêts formée par M. et Mme [I] :

M. et Mme [I] reprochent à la société Lyon Conseil Immobilier d’avoir sous-évalué la valeur de leur bien immobilier en leur faisant signer un premier mandat pour un prix de 462.000 euros puis un second au prix de 441.000 euros alors que cette baisse de prix n’était pas justifiée. Ils produisent un avis de valeur de l’agence Safti qui a évalué la maison entre 450’000 à 550’000 euros le 10 juin 2019, une estimation de l’agence Keymex du 26 juin 2020 au prix de 543’608 euros et une autre de l’agence A2C non datée qui donne une fourchette de 530’000 à 540’000 euros. Ils font valoir que la société Lyon Conseil Immobilier a précipité la baisse du prix de vente alors qu’elle n’a jamais justifié des diligences qu’elle a entreprises pour trouver des acquéreurs au prix fixé dans le premier mandat. Ils en déduisent la faute de la société qui leur a occasionné un préjudice qu’ils évaluent à 120’000 euros.

La société Lyon Conseil Immobilier répond que seul un rapport d’expertise immobilière permet de justifier de la valeur d’un bien immobilier, les documents produits donnant une simple indication de prix, faute pour les agences qui les ont établis de posséder tous les documents et paramètres relatifs à l’immeuble. Elle ajoute qu’ils sont postérieurs aux faits de plusieurs mois et confirment une évolution à la hausse du marché, rappelant que le troisième avis n’est pas daté. Elle fait valoir qu’elle a effectué des démarches afin de vendre le bien, ce que reconnaissent les vendeurs qui évoquent plusieurs visites. Elle conclut au rejet des demandes de dommages et intérêts.

M. et Mme [I] qui ont voulu anéantir l’accord noué avec M. [C] et Mme [B] en exerçant un droit de rétractation dont ils ne disposaient pas ne démontrent pas qu’ils auraient vendu l’immeuble si un meilleur prix leur en avait été proposé. Ils ne démontrent pas davantage, en justifiant de ventes de biens similaires réalisées en 2019 dans les environs qu’ils auraient pu céder leur maison entre 450.000 et 543.608 euros.

C’est pourquoi, leur préjudice n’étant pas justifié, ils seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

Les époux [I] se prévalent également d’un préjudice moral au titre duquel ils réclament la condamnation de la société Lyon Conseil Immobilier à leur verser une somme de 10’000 euros mais ne versent aux débats aucun justificatif du dit préjudice. Leur demande sur ce point sera également rejetée.

– sur la demande de dommages et intérêts formée par la société Lyon Conseil Immobilier :

Elle fait valoir qu’elle a subi un préjudice important résultant du comportement des époux [I] qui, bien qu’assistés par un notaire, ont tenté par tout moyen de se désengager de la vente et de s’abstenir de l’indemniser pour le travail accompli, en multipliant les fausses déclarations, en accusant leur notaire de complicité frauduleuse avec elle, et en déposant plainte pour tenter de donner corps à l’état de faiblesse allégué et à l’existence de violences alors qu’aucun commencement de preuve n’est produit.

M. [H], responsable de l’agence, a été entendu par la gendarmerie à la suite de la plainte déposée par M. [I] pour abus de faiblesse. La probité des agents immobiliers a été mise en cause par les époux [I] dans des courriels échangés entre les parties et le notaire dans le cadre de la procédure. Le préjudice moral qui en est résulté pour la société Lyon Conseil Immobilier dont la réputation a été mise en cause devant des tiers justifie la condamnation de M. [I] à lui payer une somme de 500 euros.

M. et Mme [I], partie perdante, supporteront les dépens d’appel, et seront condamnés à verser à M. [C] et Mme [B] une somme de 5.000 euros et à la société Lyon Conseil Immobilier une autre de 3.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, leur demande sur ce point étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse 7 janvier 2021 en ce qu’il a :

– condamné les époux [I] à signer devant le notaire choisi d’un commun accord avec M. et Mme ou, à défaut d’accord sur l’identité du notaire trouvé dans le mois du présent jugement, devant celui choisi par les demandeurs, une promesse de vente portant sur leur maison individuelle située [Adresse 4] à [Localité 1] (Ain), moyennant le prix de 430’000 euros, frais d’agence inclus ;

– assorti la condamnation prononcée d’une astreinte de 100 € passés le délai de un mois après le jour de la signification du présent jugement,

– limité l’astreinte à une durée de quatre mois ;

– condamné M. et Mme [I] à payer à la société Lyon Conseil Immobilier la somme de 15.000 euros à titre de rémunération de l’agent immobilier;

Le confirme sur le surplus ;

Et statuant à nouveau des chefs infirmés :

Rejette la demande d’expertise ;

Déclare recevable la demande d’annulation des mandats de vente et la rejette ;

Rejette les demandes d’annulation de la vente conclue le 16 février 2019 entre M et Mme [I] et M. [C] et Mme [B] portant sur l’immeuble situé [Adresse 4] à [Localité 1] (Ain), au prix de 430’000 euros, frais d’agence inclus et dit la vente parfaite ;

Renvoie M. [C] et Mme [B], d’une part, et M. et Mme [I] d’autre part, devant le notaire de leur choix pour passer l’acte authentique de vente ;

Déclare sans objet la demande de M. [C] et Mme [B] afin d’obtenir la condamnation de M. et Mme [I] à régulariser une promesse authentique de vente ;

Rejette en l’état de la cause la demande en paiement de la société Lyon Conseil Immobilier et dit que sa rémunération devra être prévue à l’acte authentique de vente à hauteur de 15.000 euros ;

Condamne M. [I] à payer à la société Lyon Conseil Immobilier la somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral ;

Condamne M et Mme [I] aux dépens, et à verser à M. [C] et Mme [B] une somme de 5.000 euros et à la société Lyon Conseil Immobilier une somme de 3.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et rejette leur demande sur ce point.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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