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Au vu de la diversité des appréciations du temps de lecture d’un message audiovisuel (allant de 2 minutes 45 à plus de 5 minutes), l’insertion forcée d’un droit de réponse à la Télévision est difficilement recevable en référé.
Le droit de réponse est un droit personnel, qui n’appartient qu’à la personne visée par des imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur et à sa réputation. Général et absolu, il est destiné à assurer la protection de la personnalité, mais, alors qu’il constitue une limite à la liberté d’expression puisqu’il conduit un média à une publication contre sa volonté, il doit, en application de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, être strictement limité à ce qui est nécessaire à la défense de cette personnalité. Ainsi, si celui qui en use est seul juge de la teneur, de l’étendue, de l’utilité et de la forme de la réponse dont il requiert l’insertion, le refus d’insérer se justifie si la réponse est contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à l’intérêt légitime des tiers ou à l’honneur du journaliste ou si elle porte sur un objet différent de celui qui a été traité dans l’article étant rappelé que la réponse est indivisible et que le directeur de la publication ne peut en retrancher le moindre élément. L’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoit, dans son I : I. Toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans le cas où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle. Le demandeur doit préciser les imputations sur lesquelles il souhaite répondre et la teneur de la réponse qu’il se propose d’y faire. La réponse doit être diffusée dans des conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusé le message contenant l’imputation invoquée. Elle doit également être diffusée de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle du message précité. En cas de refus ou de silence gardé sur la demande par son destinataire dans les huit jours suivant celui de sa réception, le demandeur peut saisir le président du tribunal judiciaire, statuant en référé, par la mise en cause de la personne visée au neuvième alinéa du présent article. En outre, l’article 6 du décret n°87-246 du 6 avril 1987 relatif à l’exercice du droit de réponse dans les services de communication audiovisuelle prévoit que Le texte de la réponse ne peut être supérieur à trente lignes dactylographiées. La durée totale du message ne peut excéder deux minutes. |
→ Résumé de l’affaireL’association [6] a assigné le directeur de publication de la chaine BFM TV, [J] [D], afin qu’il diffuse une réponse que le conseil de l’association lui a adressée par lettre recommandée. L’association demande également des dommages et intérêts ainsi que le remboursement de ses frais de justice. [J] [D] a contesté ces demandes et a demandé au juge des référés de ne pas faire droit à la demande de l’association. L’affaire a été mise en délibéré pour le 26 avril 2024.
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→ Les points essentielsSur la publication litigieuseL’[6] est une association ayant pour but de propager l’évangile en éditant des ouvrages, des contenus audiovisuels, en s’exprimant par différents médias et en organisant des séminaires et des conférences. Suite à un reportage diffusé sur BFM TV le 12 septembre 2023, des accusations d’escroqueries et de violences physiques ont été portées à l’encontre de l’église évangélique [6]. Sur la non-insertion de la réponseL’[6] a demandé le droit de réponse suite aux accusations diffusées sur BFM TV, mais le directeur de publication a refusé de l’insérer. Le droit de réponse est un droit personnel visant à protéger l’honneur et la réputation d’une personne ou d’une entité. En l’espèce, le refus d’insertion du droit de réponse a été justifié par la longueur excessive du texte demandé, dépassant la durée maximale autorisée de deux minutes. Demandes accessoiresLa demande d’insertion forcée du droit de réponse a été rejetée, et l’[6] a été condamnée aux dépens de l’instance. De plus, elle devra verser au défendeur la somme de 2000 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens. Les montants alloués dans cette affaire: – Somme de 2000 € allouée à [J] [D] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Somme non précisée allouée à [J] [D] pour les dépens |
→ Réglementation applicable– Article 6 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle
– Article 6 du décret n°87-246 du 6 avril 1987 relatif à l’exercice du droit de réponse dans les services de communication audiovisuelle – Article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme – Article 696 du code de procédure civile – Article 700 du code de procédure civile Texte de l’Article 6 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle: Texte de l’Article 6 du décret n°87-246 du 6 avril 1987 relatif à l’exercice du droit de réponse dans les services de communication audiovisuelle: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Sadry PORLON
– Maître Laurent MERLET |
→ Mots clefs associés & définitions– Motifs
– Eglise évangélique – Enquête – Dérive sectaire – Témoignages – Pressions financières – Recrutement de mineurs – Abus de faiblesse – Droit de réponse – Atteinte à l’honneur et à la réputation – Refus d’insertion – Taille du texte de réponse – Durée du message – Dépens – Frais exposés – Motifs: Raisons ou justifications qui expliquent un comportement ou une décision.
– Eglise évangélique: Communauté religieuse chrétienne qui met l’accent sur l’évangélisation et la conversion des individus. – Enquête: Processus d’investigation visant à recueillir des informations ou des preuves sur un sujet donné. – Dérive sectaire: Processus par lequel un groupe ou une organisation adopte des pratiques abusives ou extrémistes. – Témoignages: Déclarations écrites ou orales fournies par des personnes pour attester de faits ou d’événements. – Pressions financières: Contraintes exercées sur une personne ou une organisation en matière d’argent ou de ressources financières. – Recrutement de mineurs: Action de recruter des personnes de moins de 18 ans pour rejoindre un groupe ou une organisation. – Abus de faiblesse: Exploitation de la vulnérabilité ou de la fragilité d’une personne pour obtenir un avantage personnel. – Droit de réponse: Droit reconnu à une personne ou une organisation de répondre à des accusations ou des critiques qui lui sont adressées. – Atteinte à l’honneur et à la réputation: Action ou propos portant préjudice à la réputation ou à l’intégrité morale d’une personne. – Refus d’insertion: Rejet d’une contribution ou d’un message dans un contexte donné. – Taille du texte de réponse: Longueur maximale autorisée pour une réponse écrite dans un cadre spécifique. – Durée du message: Temps imparti pour la transmission d’un message oral ou écrit. – Dépens: Somme d’argent dépensée pour couvrir des frais ou des dépenses. – Frais exposés: Coûts engagés ou supportés dans le cadre d’une activité ou d’un projet. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
■
N° RG 24/51445 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4C75
N° : 2/MC
Assignation du :
20 Février 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 26 avril 2024
par Delphine CHAUFFAUT, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Marion COBOS, Greffier.
DEMANDERESSE
Association [6], [6], représentée par son président Monsieur [I] [N] [R] [R]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Maître Sadry PORLON, avocat au barreau de PARIS – #E2010
DEFENDEUR
Monsieur [J] [D], en qualité de directeur de la publication de BFMTV
domicilié au siège de la société ALTICE MEDIA
[Adresse 2]
[Localité 5]
Pour signification [Adresse 1]
représenté par Maître Laurent MERLET de la SELARL MERLET PARENT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS – #P0327
Assignation dénoncée à Madame La Procureure de la République du Tribunal Judiciaire de Paris le 23 février 2024
DÉBATS
A l’audience du 22 Mars 2024, tenue publiquement, présidée par Delphine CHAUFFAUT, Juge, assistée de Marion COBOS, Greffier,
Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,
Vu l’assignation délivrée par acte d’huissier du 20 février 2024, à la requête de l’association [6] ([6]) à [J] [D], directeur de publication de la chaine BFM TV, au visa de l’article 6, I de la loi du 29 juillet 1982 et de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, devant le juge des référés de ce tribunal auquel il demande de :
– Ordonner à [J] [D], en sa qualité de directeur de la publication, de diffuser à 14h40 sur BFM TV la réponse que le conseil de l’[6] lui a adressée par lettre recommandée et reçue le 25 septembre 2023, en des termes précisés ;
– Dire que cette diffusion devra intervenir au plus tard dans le délai de 15 jours de la signification de la présente décision sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard passé ce délai ;
– Condamner [J] [D], en sa qualité de directeur de la publication, à payer à l’[6] la somme de 4 250 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner [J] [D], en sa qualité de directeur de la publication, aux entiers dépens, en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
Vu l’acte de dénonciation de ladite assignation au ministère public en date du 23 février 2024 ;
Vu les conclusions déposées à l’audience du 22 mars 2024, par la demanderesse, qui y réitère ses demandes dans les termes de l’assignation ;
Vu les conclusions signifiées le 20 mars 2024, par lesquelles [J] [D] demande au juge des référés, au visa de l’article 6, I de la loi du 29 juillet 1982, de :
– Dire n’y avoir lieu à référé ;
– Débouter l’association [6] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– Condamner l’association [6] à verser à [J] [D] la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Lors de l’audience du 22 mars 2024, les conseils des parties ont oralement soutenu leurs écritures.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 26 avril 2024, par mise à disposition au greffe.
Sur la publication litigieuse
L’[6] (dite [6]) indique avoir pour but de propager l’évangile en éditant ou produisant des ouvrages, des contenus audiovisuels, en s’exprimant par différents médias et en organisant des séminaires et des conférences.
[J] [D] est le directeur de publication de BFM TV.
Le 12 septembre 2023 vers 14h40, la chaine BFM TV a diffusé un reportage intitulé « Dérive sectaire : une église évangélique visée par une enquête », ainsi présenté par les journalistes [A] [K] et [C] [O] :
« [A] [K] : Oui, parce que ça concerne beaucoup plus de monde qu’on ne le pense. Un rapport parlementaire il y a quelques années avait évoqué un demi-million de Français touchés directement ou indirectement, des centaines de milliers de personnes, confirme la Miviludes. Certains qui se retrouvent complètement sous emprise, manipulés et j’ai reçu beaucoup de réactions sur l’église [6], c’est une église évangélique qui est accusée en fait d’en vouloir à l’argent de ses fidèles. C’est [C] [O] de « RMC s’engage avec vous » qui est à l’origine de ces révélations. Elle nous raconte l’histoire et surtout les réactions, vous allez voir, que ça suscite…
[C] [O] : Oui on a commencé en fait à enquêter avec [P] [L], comme on le fait beaucoup dans notre service, après le signalement d’une ancienne fidèle tout simplement, nous l’appellerons [M]. D’ailleurs, vous ne verrez ni son visage, ni n’entendrez sa voix qu’on a modifiée pour préserver son anonymat parce qu’elle a peur des représailles. Elle nous a écrit cet été pour dénoncer des abus au sein de cette église évangélique [6] qui l’aurait ruinée. Ecoutez.
[M] : En 4 ans, j’ai donné plus de 9.000 €. Ils vous mettent tellement la pression, ils vous appellent même sur la scène pour vous dire « mais vous, vous pouvez donner… » devant tout le monde. On vient chez vous, en bas de chez vous, on vous appelle, on vous harcèle, c’est jamais assez, c’est jamais suffisant, donc en gros on donne tout. On a eu aussi beaucoup de parents qui sont venus dans les bureaux avec des gendarmes pour retirer leurs enfants qui avaient vidé leur Livret A, beaucoup de familles qui s’endettent au nom de guérisons, au nom de donner pour le pasteur qui va poser les mains sur nous pour nous guérir, pour nous libérer, ce genre de choses…
[C] [O] : Voilà, ce témoignage il nous a beaucoup choqués. Alors on a continué d’enquêter. [M] a ailleurs, elle nous a aussi expliqué avoir été victime de violences physiques. Elle a porté plainte et a ailleurs la direction du culte aussi pour ces violences. L’enquête est en cours. L’église dont parle [M], vous l’avez dit, [A], elle s’appelle [6] pour [6]. Elle est implantée partout en France depuis 20 ans mais sa vitrine, on va dire, c’est vraiment à [Localité 7], donc c’est en banlieue parisienne, en Seine Saint Denis. C’est là, dans une grande salle avec sono et lumières dignes d’une boîte de nuit que se déroulent de très grandes messes autour d’un personnage central qui se fait appeler l’Apôtre et au fil de notre enquête, on a pu discuter avec deux autres ex-responsables de cette église. Ils nous ont décrit les mêmes dérives que ce que raconte [M], à savoir des pressions exercées pour récolter le plus d’argent possible et puis aussi pour recruter le plus de monde possible, s’ils sont mineurs c’est encore mieux, c’est ce que nous a raconté [B], il a quitté l’église en 2021 après avoir encadré un groupe de jeunes pendant trois ans, écoutez…
[B] : Ils étaient vraiment axés sur les chiffres. Ça fonctionnait véritablement comme une entreprise. En fait, on nous réprimandait lorsqu’on n’atteignait pas les objectifs, ça marche vraiment à la carotte en fait. Je m’étais tellement investi dans cette église au final j’ai fini par tout perdre.
[C] [O] : Il dit qu’il a tout perdu parce qu’en fait il a perdu son emploi, il passait tout son temps à l’église, et il a aussi perdu 4.000 € donnés sous la pression, dit-il, d’une église qui a profité de sa faiblesse en fait.
[A] [K] : Ce que vous décrivez là, ce sont des dérives sectaires.
[C] [O] : Oui, et ce n’est pas moi qui le dit, c’est la Miviludes, vous savez l’organisme d’Etat chargé des dérives sectaires, c’est une information qu’on a révélée hier sur RMC. Cet organisme a reçu à ce jour une vingtaine de signalements qui décrivent tous : isolement, périodes de jeûne imposées, importants investissements financiers forcés, vous l’avez entendu, et puis aussi rupture familiale parce que la Miviludes précise bien que le groupe ciblerait des jeunes et des mineurs.
[A] [K] : D’ailleurs, vous avez reçu depuis hier de très nombreux témoignages qui font tous confirmer la même chose.
[C] [O] : Absolument, une dizaine de personnes au total qui nous ont contactés en moins de 24 heures quand même : un papa qui raconte avoir sorti sa fille des griffes de l’église, un frère qui dit être inquiet en ce moment pour sa sœur, on nous parle aussi de guérison en direct contre des dons. Ils nous disaient de semer beaucoup d’argent pour récolter des virements surnaturels, voici ce qu’on nous a écrit. On a aussi reçu, il faut bien le dire, des messages de soutien à l’église mais qui sont tous tombés à la même heure hier soir, vous en penserez ce que vous voudrez. En tout cas, nous, on a pu joindre évidemment le responsable de cette église qui se fait appeler donc l’Apôtre. Lui, il nie catégoriquement les accusations. On a longuement parlé avec lui, [P] [L] en particulier. Il dénonce une campagne de dénigrement, il a d’ailleurs porté plainte contre une ancienne fidèle pour diffamation. On a quand même découvert que la CEAF qui est l’Association d’église dont dépend [6], est au courant de ces soupçons de dérive, que l’Apôtre a d’ailleurs été convoqué et rappelé à l’ordre, la Fédération protestante de France est même au courant et explique collaborer pleinement avec la Miviludes et invite d’ailleurs ceux qui nous écoutent et qui se penseraient victimes à évidemment porter plainte.
[A] [K] : Qu’est-ce qu’elle risque l’église, en un mot ?
[C] [O] : Pour le moment, à ce stade, pas grand-chose, pas de manière collective en tout cas puisque ça se fonde uniquement sur des plaintes individuelles et à l’heure où l’on se parle, il n’y a pas de définition juridique de la secte en France donc évidemment la lutte contre les dérives elle est très compliquée parce qu’elle est difficile à prouver. D’ailleurs [M], elle avait porté plainte une première fois en mars et elle a été déboutée, classée sans suite faute de preuve donc ça prouve bien que c’est très compliqué mais, les associations nous le disent bien, il est très important d’insister, de continuer à faire des signalements à la Miviludes et surtout de porter plainte si vous pensez être concernés ».
A la suite de ce reportage, l’[6] a adressé un courrier recommandé à [J] [D], directeur de publication de BFM TV, en date du 8 décembre 2023, reçu le 12 décembre 2023 (pièces 3 à 5 en demande).
Dans le courrier, l’association demande la publication d’une réponse suite aux propos tenus le 12 septembre 2023 sur la chaine BFM TV, dans les termes suivants :
« Dans le cadre de l’exercice du droit de réponse, l'[6] prend note des différentes accusations portées contre elle lors de l’émission « Dérive sectaire : une église évangélique visée par une enquête » du 12 septembre 2023 diffusée sur BFM TV et tient à diffuser le message suivant. J’ai pu répondre en détails et par écrit chacune des accusations dont vous avez fait état avant diffusion de votre reportage sans que la précision de mes réponses n’ait été restituée avec justesse, ce que je regrette pour de simples questions du respect du contradictoire. J’estime que les journalistes sont libres de faire état de ce qu’on leur confie, mais il est et il sera de notre devoir de ne pas laisser des personnes, qu’elles soient à visage cachés ou découverts, porter des accusations graves sur une église comprenant 2 000 fidèles qui pour leur très grande majorité ont découvert un portrait de leur église qu’ils ne reconnaissent en rien. Pour votre parfaite information l’une des personnes apparaissant à visage caché dans le reportage a porté plainte contre l'[6], plainte classée sans suite après que l'[6] a eu à s’en expliquer devant un officiel de police judiciaire et cette personne a été poursuivie par notre association pour dénonciation calomnieuse devant la chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris. Le procès est en cours et prendra fin en mars 2024. L'[6] souhaite indiquer qu’elle réfute les accusations dont elle fait l’objet et qu’elle sera en mesure de le démontrer à l’ensemble des autorités qui pourraient être saisies sur la base desdites accusations. Parce que l'[6] croit aux institutions judiciaires de notre pays, c’est principalement par ce biais qu’elle fera désormais valoir ses droits et elle laissera la question visant à s’épancher dans les médias à ceux qui confondent justement tribunal médiatique et justice. La seule exception à cette règle tient dans la présente demande d’insertion que je vous demande de bien vouloir lire à vos téléspectateurs afin qu’ils puissent connaitre la détermination de l’association que je préside à ce que la probité et l’honnêteté de l'[6] puissent être établis judiciairement concernant les faits graves dont vous avez fait état dans votre reportage. »
[J] [D] n’a donné suite à ce courrier, refusant l’insertion sollicitée, que le 21 décembre 2023 (pièce n°6 en demande).
C’est dans ces circonstances que la présente instance a été engagée.
Sur la non-insertion de la réponse
L’article 6 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoit, dans son I : I. Toute personne physique ou morale dispose d’un droit de réponse dans le cas où les imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation auraient été diffusées dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle.
Le demandeur doit préciser les imputations sur lesquelles il souhaite répondre et la teneur de la réponse qu’il se propose d’y faire.
La réponse doit être diffusée dans des conditions techniques équivalentes à celles dans lesquelles a été diffusé le message contenant l’imputation invoquée.
Elle doit également être diffusée de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle du message précité.
(…)
En cas de refus ou de silence gardé sur la demande par son destinataire dans les huit jours suivant celui de sa réception, le demandeur peut saisir le président du tribunal judiciaire, statuant en référé, par la mise en cause de la personne visée au neuvième alinéa du présent article.
En outre, l’article 6 du décret n°87-246 du 6 avril 1987 relatif à l’exercice du droit de réponse dans les services de communication audiovisuelle prévoit que Le texte de la réponse ne peut être supérieur à trente lignes dactylographiées. La durée totale du message ne peut excéder deux minutes.
Il résulte de ces textes que le droit de réponse est un droit personnel, qui n’appartient qu’à la personne visée par des imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur et à sa réputation. Général et absolu, il est destiné à assurer la protection de la personnalité, mais, alors qu’il constitue une limite à la liberté d’expression puisqu’il conduit un média à une publication contre sa volonté, il doit, en application de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, être strictement limité à ce qui est nécessaire à la défense de cette personnalité. Ainsi, si celui qui en use est seul juge de la teneur, de l’étendue, de l’utilité et de la forme de la réponse dont il requiert l’insertion, le refus d’insérer se justifie si la réponse est contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à l’intérêt légitime des tiers ou à l’honneur du journaliste ou si elle porte sur un objet différent de celui qui a été traité dans l’article étant rappelé que la réponse est indivisible et que le directeur de la publication ne peut en retrancher le moindre élément.
Soutenant la recevabilité de son action, l’[6], au visa de l’article 6 I de la loi du 29 juillet 1982, soutient que la publication litigieuse lui impute d’être à l’origine d’escroqueries et d’être l’auteure de violences physiques et d’abus de faiblesse, imputations susceptibles de porter atteinte à l’honneur et à la réputation de l’association. Elle rappelle que la transmission de sa part d’éléments de réponse à la partie défenderesse préalablement à la diffusion des propos litigieux ne la prive pas a posteriori de son droit de réponse. La demanderesse fait valoir qu’elle a respecté les conditions de forme de la demande de réponse, adressée en temps utile au directeur de publication, en indiquant précisément la localisation requise de l’insertion. Elle indique que la réponse demandée respecte la taille exigée par le texte, de moins de 30 lignes et d’une durée de lecture inférieure à deux minutes. L’[6] estime également que les références faites aux tiers ayant témoigné dans les émissions ne portent pas atteinte à leur réputation mais évoquent seulement les différentes procédures ouvertes à leur encontre. Aussi, l’association soutient que, ne remettant pas en cause les compétences des journalistes, le droit de réponse ne peut être considéré comme portant atteinte à leur honneur ou leur réputation. Enfin, l’[6] fait valoir que le droit de réponse formulé apporte des précisions en corrélation avec les propos litigieux, la référence aux actions que mène l’association permettant de récuser les accusations proférées.
[J] [D] souligne une absence de corrélation entre le droit de réponse et les propos litigieux, estimant qu’il se contente de mettre en cause le travail des journalistes et des personnes ayant témoigné. Ainsi, il allègue une atteinte à l’honneur et à la considération des journalistes et une atteinte aux intérêts des personnes ayant témoigné. Enfin, sur le fondement de l’article 6 du décret susvisé, [J] [D] souligne la durée excessive des droits de réponse.
Les parties s’opposent sur l’adéquation de la réponse dont il est demandé l’insertion à la taille maximale requise. Il sera précisé que l’article 6 du décret 87-246 sus mentionné prévoyant : “Le texte de la réponse ne peut être supérieur à trente lignes dactylographiées. La durée totale du message ne peut excéder deux minutes.”, ces deux critères doivent être considérés comme cumulatifs. Il n’est pas contesté que la taille de la réponse sollicitée est inférieure au nombre de lignes requis. Est en revanche débattu la durée du message.
Au soutien de leur position respective concernant la longueur du texte soumis à titre de droit de réponse, les deux parties apportent plusieurs pièces. La demanderesse, en pièce n°16, produit un article de “Communication et langage” de 1999, qui explicite que les différents types de discours supportent une vitesse très variable, allant de 100 à plus de 200 mots par minute, cette dernière norme étant celle à laquelle tendent à se rapprocher les émissions radiophoniques et télévisées. Les pièces n° 18 à 19 tendent à démontrer qu’à différentes vitesses d’élocution, y compris bien inférieures, le texte dont il est demandé la lecture ne prend pas plus de 2 minutes ; la pièce n°18 prévoit ainsi un temps de lecture de 1 minute 32, tout en indiquant par ailleurs un temps d’élocution de 2 minutes 34, la pièce n°19 un temps de 1 minute 44 à 1 minute 55 selon le nombre de mots / minutes prévu (150 ou 140).
Se fondant sur une autre application, le défendeur, en pièce n°3, produit différentes estimations du temps de lecture, selon qu’elle corresponde à un “discours” ou une “voix off”, et que le rythme de lecture requis soit “en pause”, “normal” ou “rapide”. Aucune de ces simulations ne propose un temps de lecture inférieur à 2 minutes, allant de 2 minutes 45 à plus de 5 minutes.
Il résulte de l’ensemble de ces développements que, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens, qu’au vu de la diversité des appréciations du temps de lecture du message, y compris au sein des pièces de la demanderesse, n’est pas établi, avec l’évidence requise en référé, que le droit de réponse dont il est demandé l’insertion remplit les conditions exigées par le texte, s’agissant de la durée de sa lecture.
Dès lors, il y a lieu de dire n’y avoir lieu à référé et à débouter l’[6] de sa demande d’insertion forcée du droit de réponse, ainsi que de ses demandes subséquentes.
Demandes accessoires
La solution du litige impose, en application de l’article 696 du code de procédure civile, la condamnation de l’[6] aux dépens de l’instance.
En outre, elle sera condamnée à payer au défendeur, en application de l’article 700 du même code, la somme de 2000 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
DISONS n’y avoir lieu à référé ;
REJETTONS la demande d’insertion forcée de droit de réponse, formée auprès d’[J] [D] par l’[6] et ses demandes subséquentes ;
CONDAMNONS l’[6] à payer à [J] [D] la somme de 2000 € (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS l’[6] aux dépens ;
RAPPELONS que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.
Fait à Paris le 26 avril 2024
Le Greffier,Le Président,
Marion COBOSDelphine CHAUFFAUT