Droit de réponse : décision du 9 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02410

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Droit de réponse : décision du 9 novembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02410
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 NOVEMBRE 2023

N° RG 21/02410 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UVE5

AFFAIRE :

[B] [Z]

C/

S.A. EUROPENNE DE COURTAGE D’ASSURANCES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 30 Juin 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 18/02867

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Agnès CITTADINI de

la AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI

Me [U] [E] de

la SELEURL SELARLU [U] [E]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [B] [Z]

née le 14 Octobre 1986 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Agnès CITTADINI de l’AARPI Cabinet Lanes & CITTADINI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2185

APPELANTE

****************

S.A. EUROPENNE DE COURTAGE D’ASSURANCES

N° SIRET : 402 430 276

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentant : Me Johann SULTAN de la SELEURL SELARLU JOHANN SULTAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P490 substitué par Me Natacha MEYER avocate au barreau de PARIS.

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Septembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique PITE, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [B] [Z] a été engagée par contrat à durée indéterminée, à compter du 16 mars 2016, en qualité de juriste, statut cadre, par la société anonyme européenne de courtage d’assurances (ECA), qui a pour activité le courtage en assurances, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des cabinets de courtage d’assurances et/ou de réassurances.

Convoquée le 13 décembre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 22 décembre suivant, lequel n’a pas eu lieu, la salariée ne s’y étant pas rendue, Mme [Z] a été licenciée par lettre datée du 3 janvier 2018 énonçant une faute simple.

Mme [Z] a saisi, le 29 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Nanterre aux fins de demander la nullité de son licenciement sur le fondement de la convention n° 158 de l’organisation internationale du travail (OIT) et de l’article L.1152-3 du code du travail et en tout état de cause, qu’il soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, de demander que soit écarté le plafonnement prévu par l’article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, et de condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi l’employeur s’opposait.

Par jugement rendu le 30 juin 2021, notifié le 1er juillet 2021, le conseil a statué comme suit :

Déboute Mme [Z] de l’intégralité de ses demandes comme étant non fondées.

Condamne Mme [Z] à payer à la société ECA la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La condamne aux éventuels dépens.

Le 22 juillet 2021, Mme [Z] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 26 juin 2023, Mme [Z] demande à la cour de la déclarer bien fondée en son appel et de :

Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement nul sur le fondement des dispositions de l’article L.1152-1 et suivants du code du travail, et en tout état de cause pour licenciement sans cause réelle, de dommages et intérêts en réparation de l’entier préjudice de carrière, financier et moral subi par la perte de son emploi et par les circonstances brutales et vexatoires entourant la rupture du contrat de travail (demande subsidiaire), d’indemnité pour exécution déloyale de la convention de forfait, d’indemnité pour exécution déloyale du contrat de travail, d’article 700 du code de procédure civile, de condamnation aux dépens, aux intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, avec capitalisation des intérêts, et qui l’a condamnée à verser à la société européenne de courtage d’assurances la somme de 300 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Et, statuant à nouveau,

Dire et juger son licenciement nul sur le fondement de la convention n°158 de l’OIT et de l’article L. 1152-3 du code du travail et, en tout état de cause, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Dire et juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable.

Condamner la société européenne de courtage d’assurances à lui payer les sommes suivantes :

– 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul sur le fondement des dispositions de l’article L.1152-1 et suivants du code du travail et, en tout état de cause, pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où, la Cour jugerait son licenciement non pas nul, mais dépourvu de motif réel et sérieux, et ne retiendrait pas l’inconventionnalité du plafond d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail aux règles de droit international du travail qui priment sur le droit interne :

Condamner la société européenne de courtage d’assurances à lui verser les sommes de :

– 5.833,34 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

– 14.000 euros en réparation de l’entier préjudice de carrière, financier (comprenant notamment un préjudice retraite) et moral subi par la perte de son emploi et par les circonstances brutales et vexatoires entourant la rupture du contrat de travail

En tout état de cause,

Condamner la société européenne de courtage d’assurances à lui verser les sommes suivantes :

– 9.000 euros pour exécution déloyale de la convention de forfait

– 9.000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail

– 2.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner la société européenne de courtage d’assurances aux entiers dépens qui comprendront les éventuels frais de signification et d’exécution du jugement à intervenir.

Dire que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud’hommes.

Ordonner la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du code civil.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 15 novembre 2021, la société ECA, devenue société par actions simplifiée, demande à la cour de :

À titre principal :

Dire et juger que le licenciement pour faute de Mme [Z] est fondé ;

Constater l’opposabilité de la clause de forfait-jours à Mme [Z], ou à tout le moins l’absence de préjudice subi par Mme [Z] ;

Constater l’absence de caractère brutal et vexatoire du licenciement de Mme [Z], ou à tout le moins l’absence de préjudice subi par Mme [Z] ;

Constater l’absence d’exécution déloyale du contrat de travail de Mme [Z], ou à tout le moins l’absence de préjudice subi par Mme [Z].

Par conséquent,

Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 30 juin 2021 ;

Débouter Mme [Z] de l’ensemble de ses demandes.

À titre subsidiaire :

Dire et juger que la demande de dommage et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de Mme [Z] est abusive ;

Réduire le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sollicités par Mme [Z] à un maximum de deux mois de salaire, soit 5.833 euros bruts eu égard à son faible préjudice ;

Condamner Mme [Z] au paiement de 2.175,47 euros bruts au titre du remboursement des jours de réduction du temps de travail (RTT) octroyés dans le cadre de sa convention individuelle de forfait-jours.

En tout état de cause :

Condamner Mme [Z] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

Par ordonnance rendue le 5 juillet 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 12 septembre 2023.

MOTIFS

Sur le licenciement

La lettre de licenciement est ainsi libellée :

« Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d’une faute.

Les règles de l’entreprise applicables au collaborateur cadre en matière de temps de travail, et régulièrement rappelées lors de nos réunions avec la délégation unique du personnel, sont les suivantes :

Les cadres non responsables de service doivent arriver entre 8h30 et 9h30 et partir entre 18 h 30 et 19h30.

J’ai dû personnellement vous rappeler ce fonctionnement, d’abord oralement à de multiples reprises, puis par un mail en date du 3 août 2017, car vous persistiez à ne pas respecter ces horaires, arrivant régulièrement après 10h, mais également en négligeant les horaires des réunions auxquelles vous avez été conviée.

Ces règles ont été mises en place pour permettre 1e bon fonctionnement de 1’entreprise à laquelle vous appartenez, mais également pour ne pas pénaliser les interlocuteurs qui travaillent en collaboration avec vous, qu’i1s soient internes ou externes.

Votre statut de collaborateur cadre, mais également votre poste de juriste, vous confère des responsabilités nécessitant notamment le strict respect de la réglementation de l’entreprise.

Malheureusement, nous n’avons observé aucune amélioration de votre comportement.

En effet, 1e 8 novembre 2017, vous êtes arrivée au-delà de 10h.

Le 9 novembre, vous étiez conviée à une réunion protocole courtage à 9h, mais vous ne vous êtes présentée à votre poste qu’à 9h15, pénalisant les autres participants à cette réunion.

Cette conduite met en cause la bonne marche du service.

Par la suite, vous ne vous êtes pas présentée à l’entretien préalable au licenciement auquel vous étiez convoquée le vendredi 22 décembre 2017 à 11 heures au sein de notre établissement principal situé [Adresse 4]. Vous n’avez donc pas pu répondre aux faits qui vous sont reprochés; nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute.

[‘] »

Sur la nullité du licenciement pour violation d’une liberté fondamentale

Mme [Z] reproche d’abord à son contradicteur la violation des droits de la défense protégés par l’article 7 de la convention n°158 de l’OIT et ainsi du droit de recevoir communication des griefs dans un délai utile avant l’entretien préalable au licenciement, dans la mesure où elle fut convoquée par l’employeur à une adresse où elle n’était pas joignable quand elle lui avait communiqué ses coordonnées temporaires durant son arrêt de travail. S’agissant, selon elle, d’une liberté fondamentale et donc d’une garantie de fond, elle en déduit la nullité du licenciement par application de l’article L.1235-3-1 du code du travail.

L’employeur, qui dément qu’une irrégularité de l’entretien puisse emporter la nullité du licenciement ensuite prononcé, conteste avoir eu la connaissance d’une nouvelle adresse permanente de l’intéressée par un échange de mails des 2 octobre et 13 décembre 2017 relatifs à la transmission de ses bulletins de paie.

L’article 7 de la convention de l’Organisation internationale du travail n°158, d’effet direct dans un litige entre deux particuliers dit que « un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l’on ne puisse pas raisonnablement attendre de l’employeur qu’il lui offre cette possibilité. »

Ainsi, l’article L.1232-2 du code du travail prévoit la convocation du salarié dont le licenciement est envisagé, préalablement à toute décision de l’employeur, et Mme [Z] a été convoquée en application de cette disposition par courrier du 13 décembre 2017.

Elle était en arrêt de travail du 28 août au 3 novembre 2017 puis dès le 10 novembre suivant, de manière continue.

Cela étant, alors qu’elle était domiciliée à [Localité 7], elle adressa deux mails les 2 et 9 octobre 2017 à sa supérieure, qui était directrice juridique et des ressources humaines, disant, à l’occasion de l’envoi de bulletins de paie, puis de la contre-visite médicale, « veuillez noter que je suis joignable au [Adresse 2] [Localité 3] », et « je vous rappelle que si vous souhaitez réaliser un contrôle, je suis joignable au[Adresse 2]n [Localité 3] ».

Etant précisé que son argument d’avoir communiqué cette adresse temporaire à d’autres est inopérant, il ne ressort pas de ces correspondances, l’information claire de nouvelles coordonnées hormis durant son premier arrêt maladie, et ce, alors qu’elle avait repris ses fonctions le 3 novembre 2017, et fut placée une seconde fois en arrêt maladie, durant lequel elle ne se manifesta pas.

Mme [Z] ne saurait pas ainsi faire grief à l’employeur de l’envoi de la lettre recommandée préalable au licenciement à son domicile déclaré.

Son moyen manque en fait.

Sur la nullité du licenciement par refus de subir le harcèlement moral

Mme [Z] estime ensuite avoir subi un harcèlement moral de sa supérieure hiérarchique, Mme [P], qu’elle dénonçait le 27 décembre 2017 et avoir été licenciée pour avoir refusé de le subir, en sorte que cette décision encourt la nullité par application de l’article L.1152-3 du code du travail. Elle voit dans la missive de l’employeur en réponse à ses doléances la cause manifeste de son licenciement, à savoir sa rupture complète avec sa supérieure hiérarchique animant une équipe de 2 personnes, qui s’analyse en son refus de subir ce harcèlement.

L’employeur, qui souligne l’opportunisme du courrier du 27 décembre 2017 rédigé après l’engagement de la procédure de licenciement, fait égard à la carence probatoire de son contradicteur sous de nombreux aspects, tout en reconnaissant les relations difficiles ayant existé entre les intéressées, et qui ne s’assimilent pas à du harcèlement.

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L.1154-1 du même code, dans sa rédaction antérieure ou issue de la loi du 8 août 2016, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le salarié présente des faits qui permettent de présumer ou des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

A l’appui de ses allégations d’un harcèlement moral, Mme [Z] établit :

Les cris ou reproches même publics de Mme [P], d’une part à travers l’attestation de sa collègue en alternance jusqu’en août 2016, Mme [W], dont la critique adverse n’est pas sérieusement étayée, relatant : « (Mme [P]) est arrivée dans le bureau comme une furie, a commencé à hurler sur [B] [[Z]], elle ne lui a même pas laissé le droit de réponse ni même de s’expliquer, elle a continué à hurler tout en se dirigeant vers son bureau (‘) tout l’étage avait entendu les cris de Mme [P] », après avoir dénoncé l’altération de l’ambiance du fait de Mme [P], usant de traitement inégalitaire, tatillonne sur l’horaire, faisant la morale, par ailleurs « particulièrement mauvaise et odieuse envers [B] [Z] », d’autre part, à travers leurs échanges du 8 novembre 2017, ou après que l’intéressée répondit à sa supérieure n’avoir préparé qu’une feuille de présence pour la réunion du lendemain, cette dernière répliqua « avez-vous vu le [compte-rendu] ‘ et éventuellement des points à préparer suite à la précédente réunion ‘ avez-vous sollicité de [I] les chiffres ‘ et réserver la salle de réunion, enfin tous les éléments nécessaires pour un bon suivi du dossier. Je vous remercie de prendre en charge ce dossier d’une importance capitale avec beaucoup plus de rigueur », ou du 1er mars 2017 « j’ai bien eu votre note sur la loi Sapin par contre je vous avais demandé la communication de vos recherches. Je suis donc contrainte de ne pas adresser un retour ce soir comme je m’y étais engagée, cela est regrettable de ne pouvoir m’appuyer sur votre rigueur » ;

Les propos désobligeants ou humiliants de Mme [P] : « [B], je ne compte pas continuer ces échanges stériles » pour clore la contestation élevée par l’intéressée sur le strict respect, d’elle exigé, de certains horaires alors qu’elle est employée en forfait jour, et reste souvent, selon ses dires d’ailleurs non contredits, tard le soir ;

La surveillance de Mme [P], sur les heures d’arrivée, qui traversent plusieurs de leurs échanges lui reprochant une fois le 1er mars 2017, d’être partie à 18 heures, et arrivée le lendemain à 10 heures, une autre fois le 3 août 2017 « je suis très étonnée de n’avoir pas eu de vos nouvelles alors qu’il est 10 h 46 » et qui est au reste, pour les journées des 8 et 9 novembre 2017, la cause énoncée dans la lettre du licenciement ;

Les menaces de sanctions pécuniaires par mail du 3 août 2017 de Mme [P] « pour rappel (‘) les cadres non responsables de service doivent arriver entre 8 h 30 et 9 h 30 et partir entre 18 h 30 et 19 h 30. Je vous rappelle que le non-respect des règles évoquées dans ce présent mail vous expose à des rappels à l’ordre pouvant aller jusqu’aux sanctions disciplinaires, ainsi qu’à des retenues sur salaire », et la suspension de son maintien de salaire, qui est avérée du 20 au 29 septembre 2017,

Le changement de position de son bureau, dont la matérialité n’est pas contestée,

Les dossiers confiés sans directives, dont elle produit quelques exemples de mails adressés par Mme [P] avec la mention « pour traitement », « à voir merci », « pouvez-vous voir » ;

Sa souffrance au travail, au travers des SMS adressés à ses amis, les 9 juin, 5 juillet et 14 novembre 2017 au travers desquels elle se plaint et se désole ;

La dégradation de son état de santé, au travers d’une part de ses arrêts de travail, dont la matérialité n’est pas disputée, du 28 août au 3 novembre 2017 puis dès le 10 novembre suivant, aux motifs de son état dépressif « majeur », « insomnie », « angoisse, phobies, troubles somatiques » repris dans le certificat médical du psychiatre du 26 septembre 2017, qui les met en lien avec ses dires d’une souffrance au travail, d’autre part de l’attestation de Mme [W] : « [B] était à son arrivée très joyeuse », « peu à peu j’ai senti [B] et sa joie de vivre s’éteindre » « je l’ai sentie changer en présence d'[T] [[P]] » ;

Sa dénonciation à l’employeur par lettre du 27 décembre 2017, imputant à Mme [P] des « agissements dégradants et préjudiciables » à son égard, en reprenant ces précédents griefs, dont copies furent adressées au médecin du travail et à l’inspection du travail.

S’il est vrai, comme le relève l’employeur, qu’elle ne justifie pas de certains propos ou d’attitudes qui sont imputés à sa supérieure, ou de ses intrusions pendant ses temps de pause, ou de ses sollicitations pour la réalisation de tâches d’assistance ou de secrétariat, il n’en demeure pas moins que les éléments matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent présumer la survenance d’un harcèlement moral.

La société européenne de courtage y oppose utilement :

– sans être contredite, le réaménagement global du service juridique ayant conduit au déplacement du bureau de Mme [Z], fondant sa décision par des éléments étrangers à tout harcèlement ;

– son absence durant la contre-visite médicale ayant conduit à la suspension de son maintien de salaire en septembre 2017, et les parties restant imprécises sur sa date et ses modalités, sa décision doit être considérée justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement ;

– ses arrivées tardives, non contestées, alors qu’il tient de son pouvoir de direction la prérogative de fixer, même pour un cadre soumis au forfait en jours, des plages horaires de présence, et ces reproches, dans cette limite, doivent être tenus pour justifiés.

Pour le surplus, l’employeur n’établit ni la qualité insuffisante de son travail, ni sa négligence, ni son attitude inadaptée envers sa supérieure hiérarchique après, selon lui, son refus opposé à sa demande d’une augmentation de salaire, qui ne transparaissent pas des mails échangés versés aux débats, et qu’il lui objecte, de manière générale.

Il ne démontre ainsi par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement les reproches et les cris à l’occasion publics de Mme [P], une fois en « furie », à l’égard de Mme [Z] dans le contexte de tâches confiées de manière parfois sibylline, son propos désobligeant, sa surveillance aiguë des horaires d’une salariée soumise au forfait en jours, matin et soir, et dans ce contexte, ses menaces de sanctions pécuniaires au reste illicites, et au contraire, comme le souligne l’appelante, il admet dans sa lettre du 30 janvier 2018, en réponse de la dénonciation que : « l’étude de votre cas fait apparaître une démotivation de votre part à l’issue de votre demande d’augmentation qui a découlé sur une rupture complète entre votre responsable hiérarchique et vous », et en dépit des termes de l’article L.1152-4 du code du travail, obligeant l’employeur à prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n’a mené nulle enquête à sa suite, poursuivant au contraire, la procédure de licenciement dont elle pouvait, pourtant, ruiner la cause.

Il suit de cela que l’intimée ne renverse qu’à la marge de certains éléments la présomption de harcèlement moral dérivant des faits matériellement établis par la salariée, et qu’ainsi celui-ci doit être tenu pour acquis.

La futilité du motif de la rupture, fondée sur son retard supposé deux matins, une fois d’un quart d’heure, au reste dès son retour d’une maladie ayant duré plusieurs mois, force à déduire que la cause du licenciement se trouvait dans son refus de subir le harcèlement de Mme [P], à laquelle elle s’opposa ainsi que leurs correspondances en témoignent.

Or, il ressort de la combinaison des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail que toute rupture du contrat de travail pour avoir refusé de subir un harcèlement moral est nulle.

Dès lors, le licenciement litigieux est nécessairement nul. Le jugement sera infirmé dans son expression contraire tant sur le principe que ses conséquences.

Sur les conséquences

Mme [Z] justifiant de n’avoir pas retrouvé d’emploi et de percevoir à ce jour le revenu de solidarité active, sera justement indemnisée de la perte de son emploi par l’allocation de 20.000 euros, au paiement desquels l’intimée sera condamnée.

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur l’exécution déloyale de la convention de forfait

Mme [Z] considère que l’employeur a manqué aux dispositions de l’article L.3121-65 du code du travail et n’a assuré aucun suivi de sa convention de forfait en jours, dans le contexte d’une surcharge et d’une souffrance au travail.

En réplique, l’employeur souligne l’absence de doléances de la salariée notamment sur la charge de son travail que ne corrobore aucune demande d’heures supplémentaires, et l’insuffisance de sa présence, pour organiser un entretien annuel. Si la convention devait être privée d’effet, il réclame paiement des jours de réduction du temps de travail.

L’article L.3121-46 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008, dit qu’« un entretien annuel individuel est organisé par l’employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié. »

L’article L.3121-65 du code du travail, issue de la loi du 8 août 2016, dit que « I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l’article L.3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. »

Cela étant, contrairement à ce qu’énonce la société européenne de courtage, Mme [Z] a été embauchée à compter du 16 mars 2016, et s’est absentée pour maladie dès le mois d’août 2017, de sorte qu’elle a travaillé pendant plus d’un an, sans qu’il ne soit prétendu qu’elle ait bénéficié d’un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail. C’est donc à tort que le conseil de prud’hommes a cru pouvoir juger que ses absences pour maladie justifiaient la non-tenue de cet entretien impératif.

Dès lors, l’employeur a manqué à ses obligations fondées successivement par les articles L.3121-46 puis L.3121-65 précités.

Dans la mesure où sa souffrance au travail, qui en dérive en partie vu ce qui précède, est acquise, Mme [Z] en sera justement indemnisée par l’allocation de 3.000 euros. Le jugement sera infirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

En revanche, aucune demande de voir dire inopposable la convention n’étant formée, il n’y a pas de cause dans la restitution réclamée par la société européenne de courtage des jours alloués au titre de la réduction du temps de travail.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail

Mme [Z] fait valoir le manquement de l’employeur à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail au visa des articles L.1222-1 et L.4121-1 du code du travail au regard de ses mauvaises conditions de travail et l’employeur plaide la carence probatoire, tant sur le manquement que sur le dommage.

Il est patent que la société européenne de courtage poursuivit la procédure de licenciement après avoir été avisée des faits dénoncés par la salariée, alors qu’elle était tenue de procéder à une enquête.

Elle a donc manqué à ses obligations, et le préjudice moral s’ensuivant sera justement indemnisé par l’allocation de 1.000 euros. Le jugement sera infirmé dans son expression contraire.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau ;

Prononce la nullité du licenciement ;

Condamne la société par actions simplifiée européenne de courtage d’assurance à payer à Mme [B] [Z] :

20.000 euros en réparation de la perte injustifiée de son emploi ;

3.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral lié au non-respect des obligations liées au temps de travail ;

1.000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral né du non-respect de l’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail ;

2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les créances de nature contractuelle sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation pour les créances échues à cette date, et à compter de chaque échéance devenue exigible, s’agissant des échéances postérieures à cette date, et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Ordonne, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail le remboursement par l’employeur aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes ;

Condamne la société par actions simplifiée européenne de courtage d’assurance aux dépens, non compris les frais d’exécution réglés par des textes ad hoc.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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