Le CNC dispose d’un large pouvoir pour apprécier les caractéristiques spécifiques du projet qui lui est soumis et vérifier si les programmes au titre desquels le versement d’une aide est demandé présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique afin de qualifier une œuvre de » documentaire de création.
Refus d’aide à un documentaire
Pour refuser de faire droit à la demande de la société KM, le CNC a considéré que le projet » Recherche héritiers « , qui a pour but de suivre cinq généalogistes successoraux dans leur métier, ne peut être qualifié de documentaire de création aux motifs d’une part qu’il s’apparente à un programme répondant à un cahier des charges d’un concept d’émission sans point de vue approfondi d’auteur et d’autre part qu’il est dépourvu d’écriture documentaire. Il ressort des pièces du dossier, notamment du synopsis des notes du producteur, de l’auteur et du réalisateur, que le métier de généalogiste successoral est essentiellement présenté de façon descriptive et la façon dont les différents enjeux notamment sociologiques, historiques et métaphysiques seront mis en perspective dans le projet par la présentation de ce métier n’est pas suffisamment précisée. En outre, aucun projet de traitement relatif aux héritiers n’est présenté dans le dossier. Enfin, les seuls éléments relatifs au traitement formel et artistique de l’œuvre qui ressortent des pièces du dossier concernent les aspects esthétiques, les différents plans, la lumière ainsi que la musique. Dans ces conditions, ces éléments ne sont pas suffisants pour caractériser l’existence d’un point de vue approfondi d’auteur et d’une écriture documentaire. La circonstance que d’autres œuvres sur des sujets proches aient précédemment bénéficié du soutien financier du CNC ne permet pas davantage d’en caractériser l’existence.Demande de documents complémentaires
Par ailleurs, le CNC pouvait, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation dans l’attribution des aides, exiger la production d’éléments suffisamment précis afin d’apprécier si l’œuvre pouvait être qualifiée de » documentaire de création « . En estimant, dans la décision attaquée que, au stade de la demande d’autorisation préalable, la société n’était pas suffisamment convaincante pour démontrer qu’à ce stade, elle remplissait l’ensemble des conditions requises pour obtenir l’aide, faute de faire état d’éléments suffisamment détaillés relatifs aux personnages, à l’histoire et aux enjeux, et en exigeant des indications supplémentaires sur la manière dont l’œuvre serait réalisée et dont le propos documentaire serait développé, le président du CNC n’a pas, contrairement à ce qu’elle soutient, exigé des éléments que la société n’est pas en mesure de produire au stade de la demande d’autorisation préalable.Conditions générales d’attribution des aides financières
Pour rappel, aux termes de l’article D. 311-1 du code du cinéma et de l’image animée : » Les conditions générales d’attribution des aides financières sont fixées par délibérations du conseil d’administration du Centre national du cinéma et de l’image animée dans un document consolidé et dénommé » règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée « . « Aux termes de l’article 311-1 du règlement général des aides financières du CNC, dans sa rédaction alors applicable : » Des aides financières sont attribuées sous forme automatique et sous forme sélective au sens des articles D. 311-2 et D. 311-3 du code du cinéma et de l’image animée, afin de soutenir la production et la préparation des œuvres audiovisuelles. « Aux termes de l’article 311-26 du même règlement : » Pour l’attribution des aides financières automatiques à la production et à la préparation des œuvres audiovisuelles appartenant aux genres fiction, animation, documentaire de création et adaptation audiovisuelle de spectacle vivant, sous forme d’allocations d’investissement, il est ouvert dans les écritures du Centre national du cinéma et de l’image animée, au nom de chaque entreprise de production, un compte dénommé » compte automatique » () « . Aux termes de l’article 311-6 du même règlement : » Les œuvres audiovisuelles éligibles aux aides financières à la production et à la préparation sont des œuvres à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique. / Elles doivent faire l’objet, par les entreprises de production, d’une exploitation durable en cohérence avec leur vocation patrimoniale « . Aux termes de l’article 311-56 du même règlement : » Les entreprises de production ont la faculté d’investir les sommes inscrites sur leur compte automatique pour la production et la préparation des œuvres audiovisuelles qui appartiennent à l’un des genres suivants : /()/ 3° Documentaire de création () « . * * * Tribunal administratif de Paris, 5e Section – 4e Chambre, 14 avril 2023, 2108144 Vu la procédure suivante : Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 avril 2021, le 1er octobre 2021 et le 16 mars 2022, la société KM, représentée par Me Briard, demande au tribunal : 1°) d’annuler la décision du 12 février 2021 par laquelle le centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) lui a refusé le bénéfice d’une aide automatique pour l’œuvre » Recherche héritiers » ; 2°) d’enjoindre au CNC de lui accorder l’aide automatique demandée, ou, à défaut, de réexaminer sa demande, et de lui permettre d’investir les sommes octroyées dans la production et la préparation d’autres œuvres audiovisuelles librement choisies ; 3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : – la décision attaquée est insuffisamment motivée ; – elle est entachée d’une erreur de droit, le CNC ayant exigé le résumé détaillé des épisodes alors qu’un tel document n’est pas exigé par le règlement général des aides ; – le CNC a entaché la décision attaquée d’une erreur d’appréciation en considérant que les éléments relatifs à l’œuvre étaient insuffisamment précis ; au stade de la demande d’autorisation préalable, elle ne pouvait faire état d’éléments qui ne peuvent pas être déterminés à ce stade mais ne se révèlent que lors du tournage ; les documentaires de création font l’objet de variations importantes de sorte qu’elle ne pouvait pas préciser certains aspects du projet s’agissant en particulier de la présentation des cinq généalogistes et des héritiers ; – elle est entachée d’une erreur d’appréciation, le documentaire pour lequel l’aide est demandée constituant un documentaire de création ; il présente un point de vue approfondi de l’auteur du programme visant à faire connaître la profession de généalogiste successoral et développe un propos documentaire touchant à la sociologie, à l’histoire et à certaines questions métaphysiques ; d’autres documentaires qu’elle a réalisés portant sur le même sujet et présentant un degré de réflexion moins abouti ont déjà bénéficié du soutien financier du CNC ; le dossier artistique présente les cinq généalogistes ainsi que les raisons qui ont conduit à les choisir de manière suffisamment détaillée et si les personnalités de ces cinq généalogistes constituent le fil directeur du propos, elles ne sont pas le seul élément de l’œuvre, qui traite d’un sujet plus large ; les professionnels choisis ne sont pas héroïsés, le projet cherchant à s’appuyer sur les codes de la fiction et le réalisateur souhaitant donner une esthétique cinématographique ce qui n’empêche pas que le programme s’appuie sur un travail de recherche, d’analyse et d’écriture ; la place donnée aux héritiers n’est pas uniquement illustrative ou informative, leur histoire est placée dans une démarche documentariste et ils ne représentent qu’un aspect du programme de sorte que l’administration leur a accordé une place disproportionnée ; le traitement artistique de l’œuvre est suffisamment décrit dans le dossier, la société ayant fait le choix d’emprunter aux codes de la fiction et de conférer au projet une esthétique dramaturgique et cinématographique dans une démarche de vulgarisation ; un soin particulier a été apporté à la préparation et au tournage ; – en cas d’annulation, le tribunal sera à même de constater que toutes les conditions d’obtention de l’aide sont remplies. Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 janvier 2022 et le 28 avril 2022, le CNC conclut au rejet de la requête. Il soutient que : – les moyens invoqués ne sont pas fondés ; – à titre subsidiaire, l’annulation de la décision entraînerait seulement le réexamen de la demande. Vu les pièces du dossier. Vu : – le code des relations entre le public et l’administration ; – le code du cinéma et de l’image animée ; – le règlement général des aides financières du centre national du cinéma et de l’image animée ; – le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. A ; – les conclusions de M. Degand, rapporteur public ; – et les observations de Me de Dreuzy pour la société KM.Considérant ce qui suit
: 1. La société KM a demandé au centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) la délivrance d’une allocation d’investissement pour la production de son projet documentaire intitulé » Recherche héritiers « . Par une décision du 12 février 2021, le CNC a refusé de faire droit à sa demande. La société KM demande au tribunal l’annulation de cette décision. En ce qui concerne la légalité externe : 2. Aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : » Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : /()/ 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir () « . Aux termes de l’article L. 211-5 du même code : » La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision « . 3. La décision attaquée énonce les dispositions dont il est fait application et les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, elle expose qu’elle a soumis pour avis la qualification du programme » Recherche héritiers » à la commission spécialisée compétente pour l’attribution des aides sélectives qui a émis un avis défavorable à la qualification de ce programme en tant que documentaire de création. Il ressort des termes mêmes de cette décision que l’autorité administrative a repris les motifs de cet avis en se les réappropriant. Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté. En ce qui concerne la légalité interne : 4. Aux termes de l’article D. 311-1 du code du cinéma et de l’image animée : » Les conditions générales d’attribution des aides financières sont fixées par délibérations du conseil d’administration du Centre national du cinéma et de l’image animée dans un document consolidé et dénommé » règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée « . « . Aux termes de l’article 311-1 du règlement général des aides financières du CNC, dans sa rédaction alors applicable : » Des aides financières sont attribuées sous forme automatique et sous forme sélective au sens des articles D. 311-2 et D. 311-3 du code du cinéma et de l’image animée, afin de soutenir la production et la préparation des œuvres audiovisuelles. « . Aux termes de l’article 311-26 du même règlement : » Pour l’attribution des aides financières automatiques à la production et à la préparation des œuvres audiovisuelles appartenant aux genres fiction, animation, documentaire de création et adaptation audiovisuelle de spectacle vivant, sous forme d’allocations d’investissement, il est ouvert dans les écritures du Centre national du cinéma et de l’image animée, au nom de chaque entreprise de production, un compte dénommé » compte automatique » () « . 5. Aux termes de l’article 311-6 du même règlement : » Les œuvres audiovisuelles éligibles aux aides financières à la production et à la préparation sont des œuvres à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique. / Elles doivent faire l’objet, par les entreprises de production, d’une exploitation durable en cohérence avec leur vocation patrimoniale « . Aux termes de l’article 311-56 du même règlement : » Les entreprises de production ont la faculté d’investir les sommes inscrites sur leur compte automatique pour la production et la préparation des œuvres audiovisuelles qui appartiennent à l’un des genres suivants : /()/ 3° Documentaire de création () « . 6. En premier lieu, il ressort de la décision attaquée que, pour estimer que la société n’a pas apporté suffisamment d’éléments lui permettant de retenir la qualification de documentaire de création, le président du CNC a notamment relevé que le dossier ne comporte aucun résumé détaillé des épisodes et des histoires et enjeux qui doivent être développés. Ce seul constat, qui n’a constitué qu’un élément de son appréciation globale, ne signifie pas qu’il a entendu faire de ces résumés un critère de qualification du projet en documentaire de création. Par suite, le moyen tiré de l’erreur de droit qu’il aurait ainsi commise doit être écarté. 7. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées du code du cinéma et de l’image animée et du règlement général des aides financières que le CNC dispose d’un large pouvoir pour apprécier les caractéristiques spécifiques du projet qui lui est soumis et vérifier si les programmes au titre desquels le versement d’une aide est demandé présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique afin de qualifier une œuvre de » documentaire de création « . 8. D’une part, pour refuser de faire droit à la demande de la société KM, le CNC a considéré que le projet » Recherche héritiers « , qui a pour but de suivre cinq généalogistes successoraux dans leur métier, ne peut être qualifié de documentaire de création aux motifs d’une part qu’il s’apparente à un programme répondant à un cahier des charges d’un concept d’émission sans point de vue approfondi d’auteur et d’autre part qu’il est dépourvu d’écriture documentaire. Il ressort des pièces du dossier, notamment du synopsis des notes du producteur, de l’auteur et du réalisateur, que le métier de généalogiste successoral est essentiellement présenté de façon descriptive et la façon dont les différents enjeux notamment sociologiques, historiques et métaphysiques seront mis en perspective dans le projet par la présentation de ce métier n’est pas suffisamment précisée. En outre, aucun projet de traitement relatif aux héritiers n’est présenté dans le dossier. Enfin, les seuls éléments relatifs au traitement formel et artistique de l’œuvre qui ressortent des pièces du dossier concernent les aspects esthétiques, les différents plans, la lumière ainsi que la musique. Dans ces conditions, ces éléments ne sont pas suffisants pour caractériser l’existence d’un point de vue approfondi d’auteur et d’une écriture documentaire. La circonstance que d’autres œuvres sur des sujets proches aient précédemment bénéficié du soutien financier du CNC ne permet pas davantage d’en caractériser l’existence. 9. D’autre part, le CNC pouvait, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation dans l’attribution des aides, exiger la production d’éléments suffisamment précis afin d’apprécier si l’œuvre pouvait être qualifiée de » documentaire de création « . En estimant, dans la décision attaquée que, au stade de la demande d’autorisation préalable, la société n’était pas suffisamment convaincante pour démontrer qu’à ce stade, elle remplissait l’ensemble des conditions requises pour obtenir l’aide, faute de faire état d’éléments suffisamment détaillés relatifs aux personnages, à l’histoire et aux enjeux, et en exigeant des indications supplémentaires sur la manière dont l’œuvre serait réalisée et dont le propos documentaire serait développé, le président du CNC n’a pas, contrairement à ce qu’elle soutient, exigé des éléments que la société n’est pas en mesure de produire au stade de la demande d’autorisation préalable. 10. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. 11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation de la société KM doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d’injonction et celles tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société KM est rejetée. Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société KM et au président du centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Délibéré après l’audience du 31 mars 2023, à laquelle siégeaient : Mme Aubert, présidente, M. Julinet, premier conseiller, M. Blusseau, conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 avril 2023. Le rapporteur, A. A La présidente, S. AUBERT La greffière, A. LOUART La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.