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L’article 4.4.3 du règlement national du Notariat permet au notaire nouvellement installé de faire, à ses frais, une communication suivant un formulaire établi par la chambre, dénommé avis dans deux organes de presse. Le caractère onéreux ou non de ces avis n’est cependant pas déterminant et le fait qu’ils soient gratuits ne permet pas d’en augmenter le nombre. En revanche, toute publicité à caractère personnel est interdite au notaire.
Seuls les organismes professionnels nationaux, régionaux et départementaux peuvent faire, par tout moyen à leur convenance, une publicité informative générale sur le notariat, les services qu’il peut offrir et les moyens dont il dispose pour répondre aux besoins de la clientèle.
Toute autre communication à l’attention du public peut faire l’objet d’un contrôle a posteriori par la chambre des notaires en vue de vérifier sa conformité aux règles déontologiques. Dans les trois mois de la survenance d’un changement de titulaire d’un office, de l’accueil d’un nouvel associé, du transfert des locaux, de l’ouverture ou de la fermeture d’un bureau annexe, le notaire est autorisé à faire paraître à ses frais deux avis de presse suivant une formule agréée par la chambre.
Pour expliciter ces dispositions, le Conseil supérieur du Notariat a diffusé aux notaires un guide pratique de la communication dans lequel il distingue la publicité personnelle (vantant les qualités subjectives ou supposées du bénéficiaire ou ses talents présumés éventuellement en s’appuyant sur de images et des commentaires flatteurs), la communication informative (dont l’objet est de transmettre une information objective au public) et la sollicitation personnalisée (qui tend, dans le cadre d’un formalisme strict à promouvoir les services d’un notaire à l’attention d’une personne physique ou morale déterminée ou d’un groupe de personnes déterminées).
En effet, si la loi permet aux notaires de recourir à la sollicitation personnalisée, par essence adressée à une personne déterminée et dans un cadre strictement défini, celle-ci ne se confond nullement avec une communication générale, constituant une publicité, destinée à tous lecteurs telle qu’elle peut résulter d’un «’communiqué de presse’» ou d’une annonce payante.
Ces dispositions ne sont pas non plus contraires à l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui s’il énonce que «’toute personne a droit à la liberté d’expression’», celle-ci n’est pas sans limite ainsi qu’il résulte de l’alinéa 2 de cet article, et peut donc être encadrée notamment lorsque cette liberté est exercée, à titre professionnel (et non à titre personnel), par une personne exerçant une profession réglementée qui se trouve de ce fait dépositaire d’une parcelle de l’autorité publique, et donc soumise à une certaine réserve et à une certaine éthique.
Si la loi précitée a autorisé le recours à la sollicitation personnalisée, l’alinéa 2 de l’article 3 précise que «’les conditions d’application du présent III, notamment les adaptations nécessaires aux règles déontologiques applicables à ces professions dans le respect des principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse, sont fixées par décret en Conseil d’Etat ». Or, les articles 42 et 43 du décret (précité) pris pour son application encadre le contenu et les formes de la sollicitation personnalisée, seule forme de publicité autorisée.
La publicité prohibée se distingue des autres modes de communication en ce qu’elle s’adresse à un public indifférencié et a pour objet de vanter de manière subjective à l’aide de commentaires flatteurs les talents prétendus du bénéficiaire.
En l’occurrence, si le communiqué de presse fait état de l’office notarial Cheuvreux [Localité 2], reproduit quelques mots anodins de Me [Z] ainsi que son parcours universitaire et professionnel, ce communiqué a, en fait, pour principale finalité de promouvoir le Groupe Cheuvreux (son logo est reproduit à trois reprises), dont on rappelle au début comme à la fin l’expansion géographique avec mention de chacune des sept villes où il est présent, et qui fait état de ses domaines d’interventions, de sa puissance (350 collaborateurs), de ses ambitions (promotion d’un notariat sans frontière et développement à l’international), de son modèle unique, et de ses talents (savoir-faire de spécialiste dans cinq domaines d’expertise reconnus, expertise notariale, conseil et créativité juridique, acteur responsable et engagé dans sa profession), tous éléments caractéristiques d’une publicité. Il sera relevé que la seule adresse de messagerie qui y figure n’est pas celle de la société Cheuvreux [Localité 2], mais celle de l’entité «’Cheuvreux’», le mention légale du site étant la suivante’: «’le présent site, accessible à partir de l’adresse URL www.cheuvreux.fr (ci-après le “Site”) est édité par Cheuvreux, exerçant à [Localité 10] sous forme de SAS, située [Adresse 3]. Téléphone : +33 (0)1 44 90 14 14’». Sa diffusion par le truchement de sites Internet majoritairement installés à [Localité 10] confirme, s’il en était besoin, que ce communiqué constitue bien un message à vocation publicitaire au sens de l’article 4.4.1 du règlement national mais au profit du seul Groupe Cheuvreux et non de Me [Z].
* * *
ARRÊT N°88/2023
N° RG 22/02237 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SUML
Me [N] [P] [Z]
C/
M. DE DISCIPLINE DES NOTAIRES LE PRESIDENT DE LA CHAMBRE REGIONALE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 21 MARS 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
MINISTÈRE PUBLIC :
M. Yves DELPERIE, Avocat Général
DÉBATS :
A l’audience publique du 24 janvier 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 21 mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Maître [N] [P] [Z]
notaire associé, Cheuvreux [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Comparant en personne assisté de Me Alexandre DE KONN de la SELAS LPA CGR, avocat au barreau de PARIS
EN PRÉSENCE DE :
Monsieur le Président de la Chambre Régionale de Discipline, en la personne de Me Olivier ARENS, entendu en ses observations
EXPOSÉ DU LITIGE ET PROCÉDURE :
L’audience devant la cour s’est tenue publiquement conformément au souhait exprimé par Me [N] [Z]. Interrogé ce dernier a précisé avoir reçu les observations écrites du président de la chambre régionale de discipline et les réquisitions écrites du procureur général en temps utile pour en prendre connaissance et y répondre.
Ont été entendus le président de chambre en son rapport, Me [Z] assisté de son conseil, Me Alexandre de Konn, appelant, le président de la Chambre de régionale de discipline et le procureur général en ses réquisitions.
Me [Z] a eu la parole en dernier.
———————
Me [N] [Z], jusqu’alors notaire salarié de la société Cheuvreux à [Localité 10], a été nommé, par arrêté du Garde des Sceaux du 25 août 2021 publié au journal officiel le 2 septembre 2021, notaire associé membre de la Selarl [O] [E]-[G], titulaire d’un office de notaire à la résidence de [Localité 2] (Ille et Vilaine). Simultanément, Me [E] [G] s’est retirée et la dénomination de la société a été modifiée en Selarl Cheuvreux [Localité 2].
Suivant acte sous seing privé des 11 et 12 décembre 2021 emportant modification des statuts, la Selarl Cheuvreux [Localité 2] (RCS 753 600 824) est devenue une société par actions simplifiée dont le capital (100’000 euros) est réparti entre’:
– la société par actions simplifiée Cheuvreux (RCS [Localité 10] 327 948 113) dont la présidente est la société Cheuvreux Holding (RCS [Localité 10] 888 479 128) représentée par Me [C] [V] épouse [A], notaire à [Localité 10], détenant 95 % du capital,
– la société de participations financières de profession libérale de notaires Cheuvreux Développement (RCS Paris 834 380 117) dont le président est Me [Y] [R], notaire à [Localité 10], détenant 4,70 % du capital,
– M. [N] [Z], notaire à [Localité 2], détenant 0,30 % du capital.
Le Groupe Cheuvreux a rédigé un communiqué de presse annonçant l’ouverture d’une étude à [Localité 2] et présentant son responsable, Me [N] [Z], notaire associé, paru’:
– le 14 septembre 2021, dans Bretagne Économique, site de la Chambre de commerce et d’Industrie de Bretagne’; CFNews Immo, newsletter spécialisée dans l’immobilier d’entreprise dont le siège est à [Localité 10]’; Les Affiches Parisiennes, journal d’annonces légales dont le siège est à [Localité 10]’; Opéra News, site d’information dailyadvent.com dont le siège est à [Localité 9] ‘ Norvège,
– le 16 septembre 2021, dans Le Monde du Droit, Magazine des professions juridiques dont le siège est à [Localité 10], et sur le site Agence API, site dématérialisé dépendant du Groupe Ouest France,
– le 17 septembre 2021, dans Le Journal des Entreprises, média économique dont le siège est à [Localité 7] avec agence à [Localité 2],
– et le 22 septembre 2021, dans Décideurs Magazine, média d’entreprises dont le siège est à [Localité 10].
Après audition le 20 septembre 2021 de Me [Z] par le président de la Chambre des notaire d’Ille et Vilaine, le syndic régional l’a, par lettre recommandée du 20 décembre 2021, fait citer devant la Chambre régionale de discipline du conseil régional des notaires de la cour d’appel de Rennes, lui reprochant d’avoir contrevenu aux dispositions des articles 4.4.1 et 4.4.3 du règlement national des notaires en transmettant un communiqué de presse annonçant sa nomination à [Localité 2].
L’audience devant la chambre régionale de discipline s’est déroulée, après un renvoi, le 24’février 2022.
Par décision du 10 mars 2022, la chambre a prononcé au fond, à l’encontre de Me [Z], la sanction de rappel à l’ordre, retenant que ce dernier :
– avait eu connaissance du communiqué de presse litigieux bien qu’il n’en fût pas l’auteur,
– n’avait rien fait pour en empêcher ou en limiter la diffusion à deux avis,
– avait, ce faisant, enfreint les dispositions des articles 4.4.1 et 4.4.3 du règlement national de la profession de notaire.
Par déclaration postée le 7 avril 2022, Me [N] [Z] a interjeté appel de cette décision.
PRÉTENTIONS, MOYENS ET OBSERVATIONS :
Aux termes de ses dernières écritures (24 juin 2022) développées lors de l’audience, Me'[N] [Z] demande à la cour de :
– déclarer son recours recevable,
– infirmer la décision de la chambre de discipline du Conseil régional des notaires du 10 mars 2022,
– relaxer Me [N] [Z],
– condamner le Conseil régional des notaires à payer à Me [N] [Z] une somme de 3’000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Me. [Z] soutient que la décision de la chambre de discipline est illégale comme étant fondée sur une disposition, l’article 4.4.1 du règlement national, contraire tant à la loi du 18’novembre 2016 qu’au décret du 29 mars 2019 qui n’interdisent pas la publicité personnelle aux notaires mais, au contraire, l’autorisent implicitement, qu’à l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Il ajoute que la décision est nulle, Me Richard Levionnois, président de la chambre départementale d’Ille et Vilaine qui l’a convoqué et entendu sur les faits, faisant partie de la composition qui a statué sur son cas, ce qui permet de douter de son impartialité. Il ajoute que l’on ne sait si la chambre a statué à la majorité des voix et à huit clos et hors la présence du syndic, de sorte que la nullité est également encourue de ce chef.
Au fond, il soutient que le communiqué de presse du Groupe Cheuvreux ne constitue pas une publicité personnelle au sens de l’article 4.4.1, mais une communication informative objective et qui répond aux conditions fixées au point 1.1 du guide pratique de la communication édité par le Conseil Supérieur du Notariat.
Il prétend que ce communiqué de presse ne constitue pas davantage l’avis de presse prévu par l’article 4.4.3 du règlement national puisqu’il n’en a fait paraître aucun.
Il rappelle qu’il n’est pas à l’origine de ce communiqué dont l’auteur est la société Cheuvreux Développement pour le Groupe Cheuvreux et qu’il ne peut répondre, au plan disciplinaire, des fautes commises par un autre associé. Il ajoute qu’il ne pouvait empêcher de diffuser le communiqué.
Aux termes de ses observations écrites (12 novembre 2021) développées à l’audience, le président de la chambre régionale de discipline a rappelé que toute publicité à caractère personnel était interdite aux notaires (article 4.4.1) et que ceux-ci peuvent seulement faire paraître deux avis de presse dans les trois mois d’un événement tel que le changement de titulaire d’un office ou l’accueil d’un nouvel associé. Il ajoute que les définitions des termes sont précisées dans le guide de la communication édité par le notariat qui indique les cinq critères permettant de distinguer les communications autorisées de celles qui ne le sont pas. Il relève que le contenu de la communication autorisée y est également mentionné.
Il rappelle que le contrôle est effectué a posteriori par la chambre.
Aux termes de ses réquisitions écrites (20 décembre 2021) réitérées lors de l’audience, le procureur général près la cour d’appel de [Localité 2] demande à la cour de déclarer le recours de Me [Z] recevable et, sur le fond, de confirmer la décision attaquée.
Il conclut au rejet des moyens de procédure soulevés, soutenant que les exceptions d’illégalité et d’inconventionnalité sont irrecevables pour être soulevées pour la première fois en instance d’appel, qu’aucune disposition n’interdit au président de la chambre départementale dont relève le notaire poursuivi de siéger dans la chambre régionale de discipline et qu’il appartenait à celui-ci de le récuser avant la clôture des débats, qu’enfin la décision est régulière, le syndic n’ayant pas participé au délibéré, que la mention de la majorité n’est pas requise et que le huit clos n’a pas été réclamé.
Il estime la violation des articles 4.4.1 et 4.4.3 caractérisée, relevant notamment que le nombre d’avis parus excède le chiffre de deux.
Il considère que les faits peuvent lui être imputés quand bien même son autonomie de gestion est-elle très limitée.
Il sollicite la confirmation de la sanction prononcée qui est la plus faible.
À la demande de la cour, il a été précisé qu’aucune poursuite disciplinaire n’avait été engagée devant la Chambre régionale de discipline de [Localité 10] contre les notaires dirigeants les sociétés du Groupe Cheuvreux.
M. [Z] a eu la parole en dernier. Il a rappelé qu’il n’était pas l’auteur du communiqué litigieux et a souligné les conséquences d’une éventuelle sanction sur son avenir au sein de l’ordre.
SUR CE’:
Sur la nullité de la décision de la chambre de discipline :
Si Me [U], président de la chambre des notaires d’Ille et Vilaine, a effectivement convoqué en cette qualité et entendu son confrère le 15 septembre 2021 en présence du syndic sur les parutions litigieuses, ce n’est pas lui qui a engagé les poursuites devant la chambre de discipline mais le syndic, conformément aux dispositions des articles 6 de l’ordonnance du 28 juin 1945 et 4 du décret du 28 décembre 1973.
Juridiquement rien n’interdisait au président de la chambre d’Ille et Vilaine de siéger à la chambre de discipline dont il est membre de droit et il appartenait à Me [Z] de le récuser s’il suspectait un quelconque risque de partialité ce qu’il n’a pas fait.
Aucune nullité n’est encourue de ce chef.
Le document notifié à Me [Z] intitulé «’Chambre Régionale de Discipline» mentionne en première page sa date (10 mars 2022), l’identité des dix membres qui la composaient lors des débats et du délibéré ainsi que celle du syndic. Elle relate ensuite les débats qui ont eu lieu le 24 février précédent, les réquisitions du syndic et enfin la plaidoirie du conseil de Me [Z]. Après que celui-ci ait eu la parole en dernier, il est noté, en page 5, «’…les débats sont ainsi terminés et Monsieur le Président invite le syndic, Me [N] [Z] et son conseil. M. le Président de la chambre déclare que la décision est mise en délibéré au 10 mars prochain’». Suit de la page 5 à la page 7 la décision stricto sensu.
Si cette dernière phrase est évidemment ambiguë puisque les termes «’à quitter la salle’» ont manifestement été omis, il résulte toutefois de ce document que lors des débats et du délibéré, la chambre était composée de dix membres à savoir’: Me Arens, Me Fercocq-Le Guen, Me O’Reilly, Me Levionnois, Me Rogeon, Me Komaroff-Boulch, Me Riou, Me Boucher et Me Guihard. Il s’ensuit que conformément aux dispositions de l’article 9 du décret précité le syndic n’a pas pris part à la délibération et au vote. Par ailleurs, il se déduit de la décision qui a reconnu un manquement déontologique, qu’elle a été prise à la majorité de ses membres.
La demande de nullité de cette décision doit, en conséquence, être rejetée.
Sur l’infraction reprochée à Me [Z]’:
L’article 2 de l’ordonnance du 28 juin 1945 (aujourd’hui abrogée mais applicable à la procédure dont la cour est saisie au regard de la date à laquelle les poursuites ont été engagées devant le chambre de discipline) dispose que «’Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout fait contraire à la probité, à l’honneur ou à la délicatesse commis par un officier public ou ministériel, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, donne lieu à sanction disciplinaire’».
Les articles 4.4.1 et 4.4.3 du règlement national du Notariat, au visa desquels des poursuites disciplinaires ont été engagées contre Me [Z], énoncent que’:
– article 4.4.1′:
«’Toute publicité à caractère personnel est interdite au notaire.
Seuls les organismes professionnels nationaux, régionaux et départementaux peuvent faire, par tout moyen à leur convenance, une publicité informative générale sur le notariat, les services qu’il peut offrir et les moyens dont il dispose pour répondre aux besoins de la clientèle.
Toute autre communication à l’attention du public peut faire l’objet d’un contrôle a posteriori par la chambre des notaires en vue de vérifier sa conformité aux règles déontologiques’»,
– article 4.4.3′:
«’Dans les trois mois de la survenance d’un changement de titulaire d’un office, de l’accueil d’un nouvel associé, du transfert des locaux, de l’ouverture ou de la fermeture d’un bureau annexe, le notaire est autorisé à faire paraître à ses frais deux avis de presse suivant une formule agréée par la chambre’».
Pour expliciter ces dispositions, le Conseil supérieur du Notariat a diffusé aux notaires un guide pratique de la communication dans lequel il distingue la publicité personnelle (vantant les qualités subjectives ou supposées du bénéficiaire ou ses talents présumés éventuellement en s’appuyant sur de images et des commentaires flatteurs), la communication informative (dont l’objet est de transmettre une information objective au public) et la sollicitation personnalisée (qui tend, dans le cadre d’un formalisme strict à promouvoir les services d’un notaire à l’attention d’une personne physique ou morale déterminée ou d’un groupe de personnes déterminées).
Pour solliciter sa relaxe, Me [Z] conteste, en premier lieu, la légalité (au sens large) de l’article 4.4.1 précité au visa duquel il est notamment poursuivi.
En premier lieu et contrairement à ce que prétend Me [Z], la première de ces dispositions n’est pas illégale faute d’être contraire aux articles 3 de la loi du 18 novembre 2016 («’III ‘ Les professions mentionnées au I (au nombre desquelles figurent les notaires) peuvent recourir à la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique, et proposer des services en ligne’») et 42 à 44 du décret du 28’décembre 1973 dans leur rédaction issue du décret du 29 mars 2019 (art. 42’: «’Toute sollicitation personnalisée et toute proposition de services en ligne procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées par les notaires, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires et leur mise en ‘uvre respecte les règles déontologiques applicables à la profession, notamment les principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse. Elles excluent tout élément comparatif ou dénigrant’»’; art.43′: «’La sollicitation personnalisée ne peut être effectuée que sous la forme d’un envoi postal ou d’un courrier électronique adressé à une personne physique ou morale déterminée, destinataire de l’offre de service. Est en particulier exclu tout démarchage physique ou téléphonique, de même que tout message textuel envoyé sur un terminal téléphonique mobile. Toute sollicitation personnalisée en rapport avec une affaire particulière est interdite. Cette interdiction ne fait pas obstacle à la diffusion de catalogues et autres documents de publicité spécifiques à des ventes de meubles aux enchères publiques prescrites par la loi ou par décision de justice. Lorsqu’elle porte sur une prestation non soumise à un tarif réglementé, la sollicitation personnalisée précise les modalités de détermination des honoraires du professionnel, lesquels feront l’objet d’une convention. Lorsqu’elle porte sur une prestation soumise à un tarif réglementé, la sollicitation personnalisée le précise et mentionne les remises pratiquées, leur taux et les conditions dans lesquelles elles sont octroyées’»).
En effet, si la loi permet aux notaires de recourir à la sollicitation personnalisée, par essence adressée à une personne déterminée et dans un cadre strictement défini, celle-ci ne se confond nullement avec une communication générale, constituant une publicité, destinée à tous lecteurs telle qu’elle peut résulter d’un «’communiqué de presse’» ou d’une annonce payante.
Ces dispositions ne sont pas non plus contraires à l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui s’il énonce que «’toute personne a droit à la liberté d’expression’», celle-ci n’est pas sans limite ainsi qu’il résulte de l’alinéa 2 de cet article, et peut donc être encadrée notamment lorsque cette liberté est exercée, à titre professionnel (et non à titre personnel), par une personne exerçant une profession réglementée qui se trouve de ce fait dépositaire d’une parcelle de l’autorité publique, et donc soumise à une certaine réserve et à une certaine éthique. Si la loi précitée a autorisé le recours à la sollicitation personnalisée, l’alinéa 2 de l’article 3 précise que «’les conditions d’application du présent III, notamment les adaptations nécessaires aux règles déontologiques applicables à ces professions dans le respect des principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse, sont fixées par décret en Conseil d’Etat ». Or, les articles 42 et 43 du décret (précité) pris pour son application encadre le contenu et les formes de la sollicitation personnalisée, seule forme de publicité autorisée.
En second lieu, Me [Z] sollicite sa relaxe au motif que le communiqué litigieux ne constitue ni une publicité au sens de l’article 4.4.1 ni un avis au sens de l’article 4.4.3, mais une simple communication informative, enfin au motif qu’il n’en est pas l’auteur.
Il n’est pas contesté que le Groupe Cheuvreux a rédigé et diffusé le 14 septembre 2021 par le truchement de la société de participations financières de profession libérale de notaires Cheuvreux Développement un communiqué de presse ainsi rédigé, comportant la reproduction à trois reprises du logo du Groupe et une photographie de Me'[N] [Z]’ :
«’LE GROUPE CHEUVREUX ANNONCE L’OUVERTURE DE L’ÉTUDE CHEUVREUX [Localité 2]
Le Goupe Cheuvreux est heureux d’annoncer son implantation en région Bretagne, à [Localité 2] et la nomination de [N] [Z] en tant que Notaire Associé de cette nouvelle étude. Déjà présent à [Localité 10], [Localité 12], [Localité 5], [Localité 6], [Localité 15] et [Localité 8], le Groupe poursuit son développement national et se rapproche ainsi toujours plus de ses clients.
Située au c’ur du centre d’affaires rennais, l’étude Cheuvreux [Localité 2] a pour ambition de proposer à ses clients, professionnels et particuliers, un accompagnement de proximité couvrant l’ensemble des domaines d’expertise du Groupe’: développement immobilier, investissement et arbitrage, financement immobilier, immobilier résidentiel et patrimonial.
“Au sein de l’équipe Cheuvreux à [Localité 10] depuis 2005, je suis ravi de créer l’étude Cheuvreux [Localité 2]. Originaire de [Localité 14], j’ai toujours eu pour ambition de me rapprocher de ma région natale. Cette opportunité me permet donc de concilier mon projet professionnel et la Stratégie du Groupe’: proposer à nos clients son savoir faire, notamment en matière de conseil, partout sur le territoire national”. [N] [Z], Notaire Associé Cheuvreux [Localité 2].
” Suite aux ouvertures de [Localité 8] et [Localité 15] en mars dernier, je suis fier d’annoncer aujourd’hui, la création de l’étude Cheuvreux [Localité 2]. Nous nous appuyons sur la solide expérience de [N] acquise après plus de six ans de compagnonnage au sein de l’étude parisienne du Groupe. Son expérience au sein de Cheuvreux, sa connaissance fine du tissu local et sa culture entrepreneuriale en font le candidat naturel de la croissance du Groupe”. Jean-Félix Ferrus-Sicurani, président du Groupe Cheuvreux.
À propos de [N] [Z], Notaire Associé Cheuvreux [Localité 2] :
Titulaire du diplôme supérieur du Notariat qu’il a obtenu à la suite de ses études menées au sein des universités de [13] et [11] Panthéon [Localité 4], [N] [Z] a débuté sa carrière chez Cheuvreux à [Localité 10]. Il a eu l’opportunité d’accompagner des clients particuliers comme professionnels dans leurs projets. Dans le pôle immobilier de l’étude, il a également pu développer des compétences en droit de la promotion immobilière et de l’aménagement. Un goût prononcé pour le droit public lui permet de conseiller les personnes publiques dans le cadre de leurs opérations immobilières.
À propos du Groupe Cheuvreux’:
Acteur majeur du notariat, le Groupe Cheuvreux est composé aujourd’hui de six études, l’Étude Cheuvreux à [Localité 10], ainsi que Cheuvreux [Localité 5], Cheuvreux [Localité 12], Cheuvreux [Localité 6], Cheuvreux [Localité 8] et Cheuvreux [Localité 15]. Entrepreneur dans l’âme et promoteur du notariat sans frontière, le Groupe se développe aussi à l’international. Avec près de 350 collaborateurs (78 notaires dont 38 associés), Cheuvreux accompagne ses clients en les plaçant au c’ur de sa réflexion. S’appuyant sur un modèle unique, le Groupe a développé des savoir-faire de spécialiste dans cinq domaines d’expertise reconnus : développement immobilier, investissement & arbitrage, financement immobilier, immobilier résidentiel et patrimoine. Conjuguant expertise notariale, conseil et créativité juridique, le Groupe Cheuvreux a la volonté d’être un acteur responsable et engagé dans sa profession. À ce titre, ses membres participent à de nombreux groupes de travail et de réflexion sur l’évolution de leur environnement et les évolutions juridiques qui doivent en découler.
www.cheuvreux.fr’»
Si le mode de diffusion de ce communiqué est ignoré de même que le nombre de destinataires, il est, en revanche, acquis qu’il a été publié en tout ou partie (voire réécrit) sur huit sites Internet ainsi qu’il résulte des extraits versés aux débats (en général seules les premières lignes avec, le cas échéant, la photographie de Me [Z], sont accessibles librement et produites, la totalité de l’article ne l’étant que sous réserve d’abonnement de sorte que l’intégralité des articles publiés ne figure pas au dossier) dont trois appartenant à des sociétés ayant leur siège dans le ressort de la cour d’appel de [Localité 2], les cinq autres sociétés ayant leur siège à [Localité 10], voire, pour l’une d’entre elles à [Localité 9].
Il sera relevé que Me [Z] ne conteste pas avoir reçu avant sa diffusion une copie de ce communiqué et ne pas s’être opposé à sa diffusion. Il convient enfin de rappeler que s’il est associé de la société Cheuvreux [Localité 2] (à hauteur de 0,3 %) et qu’il en est le gérant, il n’est, en revanche, nullement associé des structures parisiennes’: société Cheuvreux, société Cheuvreux Holding et société Cheuvreux Développement (qui détiennent directement ou indirectement 99,7 % du capital de la société Cheuvreux [Localité 2]).
Ainsi qu’il a été précisé plus haut, la publicité prohibée se distingue des autres modes de communication en ce qu’elle s’adresse à un public indifférencié et a pour objet de vanter de manière subjective à l’aide de commentaires flatteurs les talents prétendus du bénéficiaire.
En l’occurrence, si le communiqué de presse fait état de l’office notarial Cheuvreux [Localité 2], reproduit quelques mots anodins de Me [Z] ainsi que son parcours universitaire et professionnel, ce communiqué a, en fait, pour principale finalité de promouvoir le Groupe Cheuvreux (son logo est reproduit à trois reprises), dont on rappelle au début comme à la fin l’expansion géographique avec mention de chacune des sept villes où il est présent, et qui fait état de ses domaines d’interventions, de sa puissance (350 collaborateurs), de ses ambitions (promotion d’un notariat sans frontière et développement à l’international), de son modèle unique, et de ses talents (savoir-faire de spécialiste dans cinq domaines d’expertise reconnus, expertise notariale, conseil et créativité juridique, acteur responsable et engagé dans sa profession), tous éléments caractéristiques d’une publicité. Il sera relevé que la seule adresse de messagerie qui y figure n’est pas celle de la société Cheuvreux [Localité 2], mais celle de l’entité «’Cheuvreux’», le mention légale du site étant la suivante’: «’le présent site, accessible à partir de l’adresse URL www.cheuvreux.fr (ci-après le “Site”) est édité par Cheuvreux, exerçant à [Localité 10] sous forme de SAS, située [Adresse 3]. Téléphone : +33 (0)1 44 90 14 14’». Sa diffusion par le truchement de sites Internet majoritairement installés à [Localité 10] confirme, s’il en était besoin, que ce communiqué constitue bien un message à vocation publicitaire au sens de l’article 4.4.1 du règlement national mais au profit du seul Groupe Cheuvreux et non de Me [Z].
Cette analyse corrobore celle effectuée par Me [I] [T], directrice éthique et déontologie au Conseil supérieur du Notariat, en ce qu’elle considère qu’il s’agit bien d’une publicité effectuée au profit du groupe Cheuvreux (dont le siège est à [Localité 10] et qui relève donc des instances parisiennes).
Me [Z] n’étant associé au sein ni de la société Cheuvreux ([Localité 10]) ni de la société Holding Cheuvreux ni encore de la société Cheuvreux Promotion, n’ayant de surcroît pas rédigé ce communiqué ni assuré sa diffusion, dont il n’est pas le bénéficiaire direct, ne peut être poursuivi sur le fondement de l’article 4.4.1., étant, en outre, précisé qu’en sa qualité d’associé ultra minoritaire de la dernière filiale créée, il n’avait aucun moyen de s’opposer à sa diffusion.
L’article 4.4.3 permet au notaire nouvellement installé de faire, à ses frais, une communication suivant un formulaire établi par la chambre, dénommé avis dans deux organes de presse. Le caractère onéreux ou non de ces avis n’est cependant pas déterminant et le fait qu’ils soient gratuits ne permet pas d’en augmenter le nombre.
Pour condamner Me [Z] sur le fondement de ce texte, la chambre régionale de discipline a nécessairement considéré que le communiqué de presse du Groupe Cheuvreux constituait un avis au sens de ce texte dont la diffusion excédait le chiffre de deux qui constitue le plafond autorisé.
En premier lieu, il ne peut être considéré sans contradiction qu’un communiqué de presse constitue simultanément une publicité personnelle (par nature prohibée) et un avis (par nature autorisé).
Abstraction faite de ce que l’appelant n’en est pas l’auteur ni à l’origine de sa diffusion, force est de constater que le communiqué litigieux ne comporte pas l’adresse de l’office de Me [Z] ni son numéro de téléphone ni même son adresse de messagerie. Dès lors le communiqué litigieux qui constituait une publicité interdite ne peut constituer simultanément un avis autorisé diffusé en méconnaissance de l’article susvisé.
Il s’ensuit que l’infraction disciplinaire n’est pas constituée et que Me [N] [Z] doit être relaxé, la décision de la Chambre régionale de discipline étant infirmée.
Chaque partie conservera à sa charge les frais compris ou non dans les dépens qu’elle a pu exposer.
:
Statuant par arrêt rendu publiquement, Me [Z] ayant eu la parole en dernier.
Vu les articles 10 du décret du 26 novembre 1971, 12.2 et 4.1 du règlement national de la profession notariale,
Déboute Me [N] [Z] de sa demande d’annulation de la décision de la Chambre de discipline des notaires du ressort de la cour d’appel de Rennes en date du 10 mars 2022.
Infirme cette décision.
Relaxe Me [N] [Z].
Dit que chaque partie supportera la charge des frais par elle exposés.
Rejette la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT