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La société Hekipia a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge de son obligation solidaire au paiement, en droits et pénalités, d’une fraction des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2016 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur la période du 1er janvier 2016 au 25 juillet 2017 mis à la charge de son sous-traitant, la société Ghizonace, pour un montant de 74 725 euros.
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Cour administrative d’appel de Lyon, 5ème chambre, 16 mars 2023, 21LY02640
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Hekipia a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge de son obligation solidaire au paiement, en droits et pénalités, d’une fraction des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2016 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur la période du 1er janvier 2016 au 25 juillet 2017 mis à la charge de son sous-traitant, la société Ghizonace, pour un montant de 74 725 euros.
Par un jugement n° 1905273 du 8 juin 2021, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 30 juillet 2021, la société Hekipia, représentée par Me Brisson, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 8 juin 2021 ;
2°) de prononcer la décharge de son obligation solidaire au paiement des impositions et pénalités susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice.
Elle soutient que :
– les textes relatifs aux manquements à l’obligation de vigilance ne s’appliquent pas en l’espèce, le sous-traitant étant établi hors de France ;
– le manquement à son obligation de vigilance conduisant à la solidarité n’est pas caractérisé ;
– la procédure d’audition prévue par l’article L. 10 0 AB du livre des procédures fiscales a été détournée de son objet ;
– les garanties afférentes à la mise en œuvre de la solidarité n’ont pas été respectées ;
– le fait d’exercer une activité quasi exclusivement en France ne saurait permettre de qualifier le siège de l’activité économique de la société Ghizonace en France à défaut d’avoir démontré, par des éléments de fait, que le lieu d’administration centrale de la société se trouvait en réalité en France alors même que son siège statutaire se situe en Roumanie ;
– en matière de taxe sur la valeur ajoutée, le seul fait que la société Ghizonace exerce matériellement une activité en France ne permet pas de qualifier le siège de son activité économique en France ;
– sa quote-part concernant l’obligation de paiement a été surévaluée ;
– l’administration ne pouvait globaliser 1’ensemble des prestations pour déterminer le quantum de la solidarité mais était tenue de ne retenir que les facturations supérieures à 5 000 euros hors taxes.
Par des mémoires enregistrés le 21 juillet 2022 et le 5 août 2022, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
– la requérante entre bien dans le champ d’application du dispositif institué en cas de défaut de vigilance et elle n’a pas produit les documents A1 qui devaient lui être remis lors de la conclusion du contrat, puis tous les six mois, pour établir qu’elle avait bien procédé aux vérifications imposées ;
– le service n’a pas utilisé des éléments issus de l’audition pour caractériser sa solidarité financière ;
– la requérante qui a été mise en possession de tous les documents de nature à lui permettre de présenter un recours effectif, n’a été privée d’aucune garantie fondamentale quant à la mise en œuvre de sa solidarité financière ;
– l’administration a relevé des éléments permettant de caractériser la localisation du siège de direction effective et de l’activité économique de la société ; la passation des contrats et les décisions concernant la conduite des travaux de la société Ghizonace étant de fait prises au sein de l’établissement du donneur d’ordre, situé en France, c’est en conséquence à bon droit que les résultats de la société Ghizonace ont été soumis à l’impôt sur les sociétés en France ;
– le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant la direction générale de la société étant basé en France, elle est donc redevable de la taxe sur la valeur ajoutée en France ;
– la société Ghizonace travaillant exclusivement pour la société Hekipia, c’est à bon droit que l’administration a considéré que cette dernière n’avait pas respecté l’obligation de vigilance qui s’imposait à elle au regard de l’ensemble des prestations réalisées et qu’elle a globalisé l’ensemble des prestations pour déterminer le quantum de la solidarité.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la convention fiscale du 27 septembre 1974 conclue entre la France et la Roumanie ;
– la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code du travail ;
– la décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015 du Conseil constitutionnel ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure,
– et les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
:
1. La société Hekipia qui exerce une activité d’achat-revente de chalets pour les campings a eu recours, à partir de septembre 2015 aux prestations de la société de droit roumain Ghizonace, en vue du montage de ces chalets. La société Ghizonace a fait l’objet d’une vérification de comptabilité sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, étendue au 31 août 2017 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l’issue de laquelle, par une proposition de rectification du 19 octobre 2018, l’administration lui a notifié des rappels d’impositions en matière d’impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée qui ont été mis en recouvrement le 14 janvier 2019 et dont la société Hekipia a été constituée débitrice solidaire en application de l’article 1724 quater du code général des impôts, par un avis de mise en recouvrement du 26 mars 2019, à proportion de sa part dans le chiffre d’affaires de la société Ghizonace, pour un montant total de 74 725 euros en droits et pénalités. La société Hekipia relève appel du jugement du 8 juin 2021, par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de l’obligation de payer cette somme.
Sur la régularité de la procédure suivie à l’encontre de la société Hekipia :
En ce qui concerne les manquements de la société Hekipia à son obligation de vigilance :
2. D’une part, il résulte des dispositions de l’article L. 8222-1 du code du travail que toute personne qui conclut un contrat dont l’objet porte sur une obligation d’un montant minimum en vue de l’exécution d’un travail, de la fourniture d’une prestation de services ou de l’accomplissement d’un acte de commerce est tenue de vérifier, lors de la conclusion de ce contrat et périodiquement jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte de certaines obligations déclaratives et formalités exigées par la législation du travail. Aux termes de l’article L. 8222-2 du même code : ” Toute personne qui méconnaît les dispositions de l’article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l’objet d’un procès-verbal pour délit de travail dissimulé : / 1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ; / […] “. L’article L. 8222-4 du même code dispose que : ” Lorsque le cocontractant intervenant sur le territoire national est établi ou domicilié à l’étranger, les obligations dont le respect fait l’objet de vérifications sont celles qui résultent de la réglementation d’effet équivalent de son pays d’origine et celles qui lui sont applicables au titre de son activité en France. “. Aux termes de l’article D. 8222-7 du code du travail : ” La personne qui contracte, lorsqu’elle n’est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l’article D. 8222-6, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l’article L. 8222-4 si elle se fait remettre par son cocontractant établi ou domicilié à l’étranger, lors de la conclusion du contrat et tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution : 1° Dans tous les cas, les documents suivants: a) Un document mentionnant son numéro individuel d’identification attribué en application de l’article 286 ter du code général des impôts. Si le cocontractant n’est pas tenu d’avoir un tel numéro, un document mentionnant son identité et son adresse ou, le cas échéant, les coordonnées de son représentant fiscal ponctuel en France; b) Un document attestant de la régularité de la situation sociale du cocontractant au regard du règlement (CE) no 883/2004 du 29 avril 2004 ou d’une convention internationale de sécurité sociale et, lorsque la législation du pays de domiciliation le prévoit, un document émanant de l’organisme gérant le régime social obligatoire et mentionnant que le cocontractant est à jour de ses déclarations sociales et du paiement des cotisations afférentes, ou un document équivalent ou, à défaut, une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l’article L. 243-15 du code de la sécurité sociale. Dans ce dernier cas, elle doit s’assurer de l’authenticité de cette attestation auprès de l’organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions sociales; 2° Lorsque l’immatriculation du cocontractant à un registre professionnel est obligatoire dans le pays d’établissement ou de domiciliation, l’un des documents suivants : a) Un document émanant des autorités tenant le registre professionnel ou un document équivalent certifiant cette inscription ; b) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu’y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l’adresse complète et la nature de l’inscription au registre professionnel ;(…) ” et aux termes de l’article D. 8222-8 de ce code : ” Les documents et attestations énumérés à l’article D. 8222-7 sont rédigés en langue française ou accompagnés d’une traduction en langue française. “
3. D’autre part, aux termes de l’article 1724 quater du code général des impôts : ” Toute personne qui ne procède pas aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail ou qui a été condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé est, conformément à l’article L. 8222-2 du même code, tenue solidairement au paiement des sommes mentionnées à ce même article dans les conditions prévues à l’article L. 8222-3 du code précité ” et aux termes de l’article 1724 quater C de ce code : ” Conformément à l’article L. 8222-4 du code du travail, lorsque le cocontractant est établi ou domicilié à l’étranger, les obligations dont le respect fait l’objet de vérifications sont celles qui résultent de la réglementation de son pays d’origine et celles qui lui sont applicables au titre de son activité en France. “
4. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il résulte des dispositions précitées et notamment de l’article L. 8222-4 du code du travail que les obligations qu’elles imposent au donneur d’ordre, s’appliquent également lorsque le sous-traitant est établi ou domicilié à l’étranger.
5. En second lieu, il résulte de l’instruction et notamment du procès-verbal n°058/2017 du 5 juillet 2017 établi par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) d’Auvergne-Rhône-Alpes que la société Hekipia a omis de demander à la société Ghizonace, dès le 15 janvier 2016, lors de son premier recours à cette société, la totalité des pièces exigées par la règlementation citée au point 2 au regard du contrôle de l’activité exercée par son sous-traitant et en particulier, le ” formulaire A1 “, document permettant d’attester de la régularité de la situation sociale de son cocontractant au regard de l’emploi des salariés occupés en France. En se bornant à faire valoir comme en première instance que le ” formulaire A1 ” n’est pas mentionné par les dispositions précitées alors que le b) du 1° de l’article D. 8222-7 du code du travail impose la remise au donneur d’ordre d’un ” document attestant de la régularité de la situation sociale du cocontractant au regard du règlement (CE) no 883/2004 du 29 avril 2004 “, la requérante n’établit pas qu’elle se serait suffisamment conformée à ses obligations de vérification, alors même qu’elle aurait ultérieurement transmis à l’administration plusieurs documents pouvant permettre de répondre en partie aux exigences des dispositions du a) du 1° de l’article D 222-7 du code du travail et du a) du 2° du même article. En tout état de cause, il est constant que la requérante n’a pas réitéré sa demande de transmission des documents requis auprès de son sous-traitant, tous les six mois. Dès lors, l’administration a pu regarder à bon droit la société requérante comme ayant manqué à son obligation de vigilance vis-à-vis de la société Ghizonace et mettre en jeu à son égard la solidarité de paiement prévue par l’article 1724 quater du code général des impôts.
En ce qui concerne l’audition de la société Hekipia :
6. Aux termes de l’article L. 10-0 AB du livre des procédures fiscales : ” Pour rechercher les manquements aux règles fixées à l’article 4 B, au 2 bis de l’article 39, aux articles 57, 123 bis, 155 A, 209, 209 B ou 238 A du code général des impôts, les agents de la direction générale des finances publiques des catégories A et B peuvent entendre toute personne, à l’exception du contribuable concerné, susceptible de leur fournir des informations utiles à l’accomplissement de leur mission. (…) “.
7. Il résulte de l’instruction que le 15 mai 2018, la société requérante a été auditionnée par l’administration sur ses relations commerciales avec la société Ghizonace. Il ressort du procès-verbal de cette audition que la société requérante n’a été interrogée que dans le but d’obtenir des informations complémentaires permettant d’établir les manquements de la société Ghizonace en matière de fraude fiscale internationale. La seule circonstance que l’administration n’a pas jugé utile d’utiliser les éléments recueillis lors de cette audition pour caractériser l’infraction commise par la société Ghizonace ne permet pas d’établir que l’administration aurait utilisé cette procédure dans le seul but de l’interroger en sa qualité de contribuable potentiel, en méconnaissance des dispositions précitées qui se limitent à la recherche d’informations afférentes à des infractions strictement énumérées par le texte en matière de fraude internationale et qui ne peuvent concerner que des tiers à 1’exclusion du contribuable concerné.
En ce qui concerne les garanties afférentes à la mise en œuvre de la solidarité :
8. Par la décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, citées ci-dessus, sous la réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que les pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.
9. Aux termes de l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales : ” L’avis de mise en recouvrement prévu à l’article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l’objet de cet avis. (…) / Lorsque l’avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l’article L. 57 ou à la notification prévue à l’article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l’informant d’une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications. / (…) “. Aux termes de l’article R. 256-2 du même livre : ” Lorsque le comptable poursuit le recouvrement d’une créance à l’égard de débiteurs tenus conjointement ou solidairement au paiement de celle-ci, il notifie préalablement à chacun d’eux un avis de mise en recouvrement “.
10. Il résulte de ces dispositions que lorsque l’administration adresse un avis de mise en recouvrement par lequel elle met en œuvre une solidarité de paiement, telle que celle qui est prévue par l’article 1724 quater du code général des impôts à l’encontre d’une société qui n’a pas procédé aux vérifications prévues à l’article L. 8222-1 du code du travail, elle est tenue de lui adresser un avis de mise en recouvrement individuel qui doit comporter les indications prescrites par l’article R. 256-1 du livre des procédures fiscales. Ces mentions permettent au débiteur solidaire d’obtenir, à sa demande, la communication des documents mentionnés dans cet avis de mise en recouvrement ainsi que de tout document utile à la contestation de la régularité de la procédure, du bien-fondé et de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations correspondantes au paiement solidaire desquels il est tenu. Il suit de là qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à l’administration de communiquer au codébiteur solidaire, préalablement à l’avis de mise en recouvrement qui lui est adressé en vertu de l’article R. 256-2 du livre des procédures fiscales, les éléments de la procédure d’imposition menée à l’encontre du débiteur principal.
11. Si la requérante soutient qu’en ne lui communiquant pas les pièces de la procédure de rectification dont a fait l’objet la société Ghizonace, dès l’émission du procès-verbal pour défaut de vigilance reçu le 25 octobre 2018, l’administration l’a privée de la possibilité de contester la procédure de solidarité de paiement engagée à son encontre, ainsi que le bien-fondé et le montant des impositions mises à sa charge en application des dispositions de l’article 1724 quater du code général des impôts, il résulte toutefois de ce qui a été dit au point précédent que le service n’y était pas tenu. Au demeurant, il résulte de l’instruction que la requérante a été destinataire de toutes les pièces dont elle a demandé communication, les dernières ayant été transmises le 18 juillet 2019. La société requérante a ainsi été mise en mesure de contester les impositions dont le paiement lui est réclamé. Elle n’est par suite pas fondée à soutenir qu’elle a été privée de la faculté de les contester.
Sur l’étendue de la solidarité financière de la société Hekipia :
12. En premier lieu, aux termes de l’article L. 8222-3 du code du travail : ” Les sommes dont le paiement est exigible en application de l’article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession. “
13. Il résulte de l’instruction que l’administration a déterminé l’étendue de la solidarité de paiement de la société Hekipia avec la société Ghizonace en prenant pour base, à l’exception, en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, de l’encaissement émanant de la société Maria Theresa Llopis Benavent, relatif à un chantier réalisé en Espagne, l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé par le sous-traitant au titre de l’exercice clos en 2016 en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés et de la période du 1er janvier 2016 au 31 août 2017, en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée. Alors que le ministre fait valoir que la prise en compte de ce chiffre d’affaires résulte des auditions réalisées lors du contrôle effectué par la DIRECCTE, ayant révélé que la société Ghizonace avait réalisé son chiffre d’affaires uniquement en France sur la période considérée et que la société Hekipia y était son unique donneur d’ordre, la requérante qui ne conteste pas utilement que la société Ghizonace a pu encaisser directement des sommes alors qu’elle effectuait des prestations de sous-traitance pour le compte de la requérante ne produit pas plus en appel qu’en première instance d’élément de nature à établir que sa quote-part aurait ainsi été surévaluée.
14. En second lieu, aux termes de l’article R. 8222-1 du code du travail : ” Les vérifications à la charge de la personne qui conclut un contrat, prévues à l’article L. 8222-1, sont obligatoires pour toute opération d’un montant au moins égal à 5 000 euros hors taxes “.
15. La société Hekipia reprend en appel le moyen tiré de ce que l’administration fiscale a méconnu les dispositions de l’article R. 8222-1 du code du travail en mettant à sa charge solidaire les redressements issus d’opérations d’un montant de moins de 5 000 euros pour lesquelles le défaut de vigilance ne peut pas lui être reproché. Ce moyen a été écarté à bon droit par les premiers juges au point 20 de leur jugement par des motifs qu’il convient pour la cour d’adopter.
Sur le bien-fondé des impositions réclamées à la société Ghizonace :
En ce qui concerne l’impôt sur les sociétés :
S’agissant de l’application de la loi fiscale :
16. Aux termes du I de l’article 209 du code général des impôts, applicable au présent litige : ” (…) les bénéfices passibles de l’impôt sur les sociétés sont déterminés (…) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que de ceux dont l’imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions “.
17. Le ministre fait valoir tout d’abord, qu’à l’exception d’un chantier réalisé en Espagne, au cours de la période vérifiée, la société Ghizonace n’a travaillé qu’en France, qu’elle est intervenue en France sur treize chantiers en 2015, seize en 2016, quinze de janvier à mai 2017, pour des durées variant de deux jours à un mois, qu’elle a acheté en France tout le matériel nécessaire aux chantiers qui n’était pas fourni par le donneur d’ordre, que les salariés intervenant sur les chantiers en France étaient des travailleurs roumains faisant l’objet de détachements temporaires, gérés depuis 2017 par la représentante sociale de la société en France établie dans l’Ain. Le ministre fait ensuite valoir que le représentant de cette société ayant déclaré qu’aucun chiffre d’affaire n’était réalisé en Roumanie, qu’elle ne disposait d’aucune clientèle dans ce pays, ni d’aucun moyen de production, la société Ghizonace ne dispose ainsi d’aucun moyen d’exploitation en Roumanie permettant la réalisation de son activité économique. Enfin, le ministre fait valoir que la société Ghizonace se trouvait dans une situation de dépendance à l’égard du donneur d’ordre français, qui constituait son unique client et auquel elle était liée par des contrats soumettant les prestations à des obligations strictes en termes de respect de la charge de montage annexée au contrat, des délais fixés par le donneur d’ordre et des tarifs forfaitaires fixés à l’avance. Il en déduit que ces éléments permettent de caractériser la localisation du siège de direction effective et de l’activité économique de la société ainsi que la passation des contrats et les décisions concernant la conduite des travaux comme étant de fait prises au sein de l’établissement du donneur d’ordre, situé en France.
18. Au regard de l’ensemble de ces constatations, qui ne sont pas contestées par la requérante, l’administration démontre l’existence d’un établissement autonome en France et justifie ainsi de l’existence d’un établissement exploité en France au sens du I de l’article 209 du code général des impôts.
S’agissant de l’application de la convention fiscale conclue entre la France et la Roumanie :
19. Aux termes de l’article 4 de la convention fiscale franco roumaine du 27 septembre 1974 tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune, applicable à l’impôt sur les sociétés en vertu des dispositions de son article 2 : ” 1. Au sens de la présente Convention, l’expression ” résident d’un Etat contractant ” désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l’impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège statutaire, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. (…) 3. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne autre qu’une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, elle est réputée résident de l’Etat contractant où se trouve son siège de direction effective “. Aux termes de l’article 5 de ladite convention : ” Etablissement stable – 1. Au sens de la présente Convention, l’expression ” établissement stable ” désigne une installation fixe d’affaires où l’entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L’expression ” établissement stable ” comprend notamment : a) Un siège de direction (…) “. Aux termes de l’article 7 de cette convention : ” 1. Les bénéfices d’une entreprise d’un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l’entreprise n’exerce son activité dans l’autre Etat contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. Si l’entreprise exerce son activité d’une telle façon, les bénéfices de l’entreprise sont imposables dans l’autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable (…) “.
20. Il résulte de l’instruction que pour exercer son activité telle que décrite au point 13, la société Ghizonace a disposé en France, sur le site des chantiers concernés, de la présence de ses trois associés intervenant en qualité de chefs d’équipe, que l’épouse de l’un de ces associés était la représentante sociale de la société en France et qu’elle gérait les déclarations préalables de détachement des travailleurs roumains intervenant sur les chantiers, que toutes les décisions concernant la passation des contrats, l’organisation et la conduite des travaux étaient prises en France et que les actes de gestion et de direction de la société Ghizonace y étaient ainsi réalisés. Si la requérante fait valoir que les comptes bancaires de la société Ghizonace et son siège social, ainsi que les fonctions support de secrétariat et comptabilité de cette société se trouvaient en Roumanie, elle n’apporte aucun élément de nature à établir l’existence d’une équipe dirigeante dans ce pays. Dès lors, le siège de la direction effective de la société Ghizonace doit être regardé comme situé en France pour l’application de la convention franco-roumaine et non en Roumanie.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :
21. En vertu du 1° de l’article 259 du code général des impôts, le lieu des prestations de services est situé en France, pour l’application des règles relatives à la taxe sur la valeur ajoutée, lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel ayant en France le siège de son activité économique. Aux termes du 2 de l’article 283 de ce code : ” Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l’article 259 sont fournies par un assujetti qui n’est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur. “
22. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, transposant en droit interne les articles 194 et 196 de la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu’elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l’article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s’il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies, c’est-à-dire un établissement qui présente un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l’équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées. Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n’y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu’un rattachement au siège de l’activité économique du prestataire.
23. Il résulte de l’instruction que le preneur des prestations de services rendues par la société Ghizonace est une société dont le siège est situé en France et dont il n’est pas contesté qu’elle constitue un assujetti agissant en tant que tel et qu’elle a le siège de son activité économique en France. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit aux points 13 et 14 que la société Ghizonace a un établissement stable en France, qui constitue également son centre de direction effective. Par suite, c’est à bon droit que l’administration a assujetti les prestations en cause à la taxe sur la valeur ajoutée en France.
24. Il résulte de ce qui précède que la société Hekipia n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant à ce qu’il soit mis à la charge de l’État le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La requête de la société Hekipia est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hekipia et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l’audience du 23 février 2023 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mars 2023.
La rapporteure,
P. DècheLe président,
F. Bourrachot
La greffière,
A-C. Ponnelle
La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 21LY02640
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