Redressement fiscal : la responsabilité du cabinet d’audit
Redressement fiscal : la responsabilité du cabinet d’audit
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L’expert-comptable est tenu d’une obligation d’information et de conseil à l’égard de ses clients. Il commet une faute et engage sa responsabilité en appliquant un régime de TVA auquel son client n’était pas éligible.

 

Régime d’auto-liquidation de la TVA

En l’espèce, la société n’était pas éligible au régime d’auto-liquidation de la TVA mis en place à partir de janvier 2014 pour la sous-traitance dans les travaux du bâtiment. La société DBF Audit a manqué à l’obligation de conseil et d’information à laquelle elle était tenue envers son client et engage donc sa responsabilité à l’égard de la société TLMS. C’est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont retenu que la responsabilité de la société DBF Audit était engagée.

Manquements du cabinet d’audit

Deux manquements sont reprochés à la société DBF Audit: la mise en place d’un systéme d’auto-liquidation de la TVA qui ne trouvait pas à s’appliquer et l’absence de garantie d’actif et de passif à l’occasion de l’acquisition des parts de la société TLMS par M.[V] auprès de M. [L].

Ce dernier manquement n’a pas été discuté devant les premiers juges et la société TLMS, qui demande uniquement la confirmation du jugement, ne présente pas de demande d’indemnisation de ce chef. La cour n’examinera donc pas la faute tirée de l’absence de convention de garantie d’actif et de passif lors de la cession des parts de la société TLMS.

Le mécanisme fiscal d’auto-liquidation de la TVA

Le mécanisme fiscal d’auto-liquidation de la TVA permet depuis 2014 aux entreprises travaillant en sous-traitance dans le secteur du bâtiment d’établir des factures sans la TVA à l’entrepreneur principal, la TVA étant due par ce dernier. Ce mécanisme est cependant réservé dans le secteur du bâtiment aux prestations portant sur des travaux immobiliers.

Dans le cadre de ses opérations de contrôle , l’administration fiscale, après avoir analysé l’activité de la société TLMS, a considéré que les prestations facturées n’avaient pas la nature de travaux immobiliers et a donc rétabli la TVA de ce chef. Elle a également retenu que la société TLMS avait déduit de la TVA à hauteur de 29. 797,05 euros, alors qu’elle n’avait pas encore perçu le réglement des prestations de service motivant la déduction et ce en violation de l’article 271-1-2 du code général des impôts.


 

6 juin 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/06175

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 6 JUIN 2023

(n° / 2023, 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06175 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDNFO

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Mars 2021 -Tribunal de Commerce de MEAUX – RG n° 2019005966

APPELANTE

S.A. DBF AUDIT, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre de commerce et des sociétés de CRÉTEIL sous le numéro 328 297 072,

Dont le siège social est situé [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Benjamin PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G450,

Assistée de Me Marine COURTAUT, avocate au barreau de PARIS, toque : G450, substituant Me Benjamin PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G450,

INTIMÉE

S.A.R.L. TLMS, prise en la personne de son gérant, Monsieur [W] [V], domicilié audit siège en cette qualité,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 509 059 259,

Dont le siège social est situé [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Alain BARBIER de la SELARL BARBIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : J042,

Assistée de Me Elisabeth LEONARD de la SELARL LEONARD-LE PIVERT ELISABETH, avocate au barreau de COMPIEGNE,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et de Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE:

La SARL TLMS, créée en 2008, a pour activité le montage de structures métalliques / le levage, la manutention, l’héliportage, le portage pour l’industrie, le bâtiment, le tertiaire, le négoce et le stockage.

Par lettre de mission du 28 novembre 2008, la société DBF Audit s’est vu confier par la société TLMS une mission de présentation des comptes susceptible d’être étendue, sur demande, à des interventions complémentaires et à une assistance spécifique en matière fiscale notamment.Au titre de sa mission d’établissement des comptes annuels, la société DBF Audit a établi les bilans de la société TLMS pour les exercices de 2009 à 2017 inclus.

Le 30 juin 2017, l’administration fiscale a adressé à la société TLMS un avis de vérification des déclarations fiscales portant sur la période du 1er octobre 2013 au

31 décembre 2015.

A la suite du contrôle fiscal opéré du 2 août au 21 novembre 2017, l’administration fiscale a notifié le 5 décembre 2017 à la société TLMS un redressement à hauteur de :

– 163. 587 euros au titre du rappel de TVA pour l’exercice 2014 ;

– 362. 334 euros au titre du rappel de TVA pour l’exercice 2015 ;

– 63. 180 euros d’intérêts de retard.

soit un total de 619. 059 euros.

En 2018, la société TLMS a conclu une transaction avec l’administration fiscale aux termes de laquelle elle a réglé 100.000 euros au titre de rappel en principal de la TVA collectée et 29.958 euros au titre de la TVA déductible, soit un total de 129.958 euros.

Le 12 septembre 2018, la société TLMS a adressé un courrier recommandé à la société DBF Audit en vue d’obtenir l’indemnisation de son préjudice financier. Le

19 septembre 2018, la société DBF Audit a indiqué à la société TLMS qu’elle avait actionné son assureur et procédé à une déclaration de sinistre le 18 septembre, et lui a également notifié l’interruption de ses prestations à compter du 31 décembre 2018.

Le 16 juillet 2019, la société TLMS a fait assigner la société DBF Audit devant le tribunal de commerce de Meaux afin qu’il soit jugé qu’elle avait manqué à ses obligations d’information et de conseil dans ses relations contractuelles et de la condamner en conséquence à lui verser la somme de 129.958 euros au titre de son préjudice financier, outre la somme de 7.440 euros au titre des honoraires de l’avocat en charge du contentieux fiscal.

Par jugement du 23 mars 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Meaux a condamné la société DBF Audit à payer à la société TLMS les sommes de :

– 129.958 euros en principal, au titre du préjudice financier subi,

– 7.440 euros au titre des frais de remboursement d’honoraires d’avocat

– 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que l’application du système d’auto-liquidation de la TVA aux sous-traitants de la société TLMS relevait de la responsabilité du cabinet DBF Audit, que dans le cadre d’un recours hiérachique, et d’un entretien avec l’administration fiscale, l’expert comptable qui représentait le cabinet DBF Audit,

M. [N] [B], n’avait pas contesté le fait que la société TLMS, en raison de son activité ne pouvait prétendre bénéficier du système d’auto-liquidation mis en oeuvre pour les travaux immobiliers à compter du 1er janvier 2014, qu’il avait proposé d’assujettir à la TVA l’intégralité du chiffre d’affaires de la société TLMS à compter de la prochaine déclaration et demandé à l’administration fiscale de ne pas notifier les éventuels rappels de TVA pour l’application erronée du dispositif d’auto-liquidation encadrant la sous-traitance dans le secteur du bâtiment et qu’il convenait donc de constater que la société DBF Audit avait manqué à ses obligations d’information et de conseil dans ses relations contractuelles vis à vis de la société TLMS .

La SAS DBF Audit a relevé appel de ce jugement le 31 mars 2021.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 août 2022, la société DBF Audit demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel et d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– à titre principal, juger qu’elle n’a commis aucune faute dans la réalisation de sa mission et débouter la société TLMS de l’ensemble de ses prétentions,

– à titre subsidiaire, débouter la société TLMS de sa demande de condamnation au titre du montant de la rectification fiscale s’élevant à la somme de 100.000 euros et de sa demande au titre de la TVA déductible s’élevant à la somme de 29.958 euros et de sa demande au titre des frais de remboursement des honoraires d’avocat s’élevant à la somme de 7 440 euros,

– si par extraordinaire, une condamnation était prononcée à son encontre, juger que la condamnation devra s’élever à hauteur de la chance perdue.

– à titre très subsidiaire, juger que la société TLMS ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice sollicité, débouter la société TLMS de l’ensemble de ses prétentions en ce qu’elles sont dirigées contre la société DBF Audit,

– en tout état de cause, débouter la société TLMS de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens et la condamner au paiement de 4.000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi quaux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 juillet 2021, la société TLMS demande à la cour de la juger recevable et bien fondée en son action, constater que la société DBF Audit a manqué à ses obligations d’information et de conseil dans ses relations contractuelles, constater l’existence du lien causal entre le manquement de la société DBF Audit à ses obligations et le préjudice financier subi par elle, confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et condamner la société DBF Audit à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

SUR CE

– Sur la responsabilité de la société DBF Audit

La société d’expertise comptable DBF Audit a procédé à une mission de présentation des comptes annuels de la société TLMS pour les exercices des années 2009 à 2017, établi les bilans et effectué les déclarations fiscales et sociales ainsi que les paies pour l’entreprise.

Deux manquements sont reprochés à la société DBF Audit: la mise en place d’un systéme d’auto-liquidation de la TVA qui ne trouvait pas à s’appliquer et l’absence de garantie d’actif et de passif à l’occasion de l’acquisition des parts de la société TLMS par M.[V] auprès de M. [L].

Ce dernier manquement n’a pas été discuté devant les premiers juges et la société TLMS, qui demande uniquement la confirmation du jugement, ne présente pas de demande d’indemnisation de ce chef. La cour n’examinera donc pas la faute tirée de l’absence de convention de garantie d’actif et de passif lors de la cession des parts de la société TLMS.

La société TLMS soutient que le cabinet DBF Audit a commis un manquement à son obligation de conseil et d’information en recourant au dispositif d’auto-liquidation de la TVA, alors qu’eu égard à son activité, elle ne pouvait y prétendre puisqu’elle n’effectue pas de travaux immobiliers, qu’il est faux comme le fait l’expert-comptable de prétendre qu’elle a pour activité le montage de structures métalliques et que cette erreur sur l’application du régime de TVA est à l’origine du redressement fiscal dont elle a fait l’objet. Elle fait valoir que l’expert-comptable était tenu d’une obligation de résultat s’agissant de son devoir de conseil, et ce, d’autant plus qu’il procédait chaque mois aux déclarations de TVA. Elle évalue son préjudice économique à la somme de 129.958 euros, montant de la transaction conclue avec l’administration fiscale à la suite du redressement, auquel il y a lieu d’ajouter le coût des honoraires de l’avocat fiscaliste soit la somme de 7.440,00 euros HT, qui a permis de réduire de façon substantielle le montant du redressement. Elle ajoute que le cabinet DBF Audit n’a jamais contesté sa faute ni lors de la réunion du 2 octobre 2017, ni lors de la mise en demeure adressée par son conseil et qu’il ne peut lui être reproché d’avoir conclu une transaction avec l’administration dès lors que la contestation du redressement n’avait aucune chance d’aboutir et que le lien entre la faute contractuelle du cabinet DBF Audit et le préjudice financier qu’elle subit est indiscutable.

La société DBF Audit conteste toute reconnaissance de responsabilité et soutient qu’elle n’a commis aucune faute dans l’accomplissement de sa mission en ce que le régime d’auto-liquidation de la TVA avait bien vocation à s’appliquer à la société TLMS, dès lors que depuis le 1er janvier 2014, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), l’auto-liquidation de la TVA s’applique lorsque des travaux sont effectués par un sous-traitant pour le compte d’un donneur d’ordre assujetti à la TVA, que la taxe due pour les travaux de construction réalisés par le sous-traitant doit alors être acquittée par le donneur d’ordre, que le sous-traitant n’a plus à déclarer ni à payer la TVA pour ces opérations, et que la société TLMS a appliqué ce régime dès l’origine dans ses relations avec certains de ses clients dont elle était sous-traitante. Elle considère que les contrats de sous-traitance de la société TLMS versés aux débats démontrent que les prestations effectuées par cette dernière relevaient de la catégorie des travaux immobiliers et donc de l’auto-liquidation de la TVA, les travaux mis en ‘uvre par la société TLMS consistant à participer à la réalisation pour le compte du donneur d’ordre à des travaux immobiliers permettant d’incorporer à des constructions immobilières des appareils ou des canalisations, et qu’au terme des travaux les éléments perdaient leur caractère mobilier en raison de leur incorporation à un ensemble immobilier. Elle souligne que selon les codes NAF et 4399B, l’INSEE définit l’activité de la société TLMS comme ‘comprenant les activités de construction spécialisées qui concernent un aspect commun à différents ouvrages et requièrent des compétences ou du matériel spécialisés:

– montage d’éléments de structures métalliques- cintrage d’ossatures métalliques- montage et démontage d’échafaudages et de plates-formes de travail, à l’exclusion de la location de matériels d’échafaudages et de plates-formes de travail-montage de murs-rideaux’, de sorte que l’activité de la société TLMS se rapporte bien à une activité de montage de structure métallique.

Elle ajoute que dans le cadre de son assistance lors du contrôle fiscal, elle avait préparé une réponse pour démontrer que le régime de l’auto-liquidation de la TVA était bien applicable, contrairement à ce qu’avait estimé l’administration fiscale et que cette réponse n’a jamais pu être envoyée, la société TLMS ayant préféré saisir un avocat fiscaliste qui n’a pas essayé de contester le bien fondé du redressement et conclure une transaction. Elle relève que pour accepter de transiger dans de telles proportions, l’administration fiscale ne croyait manifestement pas au bienfondé de sa rectification.

Le mécanisme fiscal d’auto-liquidation de la TVA permet depuis 2014 aux entreprises travaillant en sous-traitance dans le secteur du bâtiment d’établir des factures sans la TVA à l’entrepreneur principal, la TVA étant due par ce dernier. Ce mécanisme est cependant réservé dans le secteur du bâtiment aux prestations portant sur des travaux immobiliers.

La société TLMS a appliqué le systéme d’auto-liquidation de la TVA dans la cadre de ses prestations en tant que sous-traitant, à compter du 1er janvier 2014.

Dans le cadre de ses opérations de contrôle , l’administration fiscale, après avoir analysé l’activité de la société TLMS, a considéré que les prestations facturées n’avaient pas la nature de travaux immobiliers et a donc rétabli la TVA de ce chef. Elle a également retenu que la société TLMS avait déduit de la TVA à hauteur de 29. 797,05 euros, alors qu’elle n’avait pas encore perçu le réglement des prestations de service motivant la déduction,et ce en violation de l’article 271-1-2 du code général des impôts.

La société DBF Audit contestant les propos que lui attribue l’administration fiscale dans son rapport et avoir reconnu lors des opérations de contrôle que le régime d’auto-liquidation de la TVA n’était pas applicable et la déclaration de sinistre effectuée auprès de son assureur après réclamation de la société TLMC ne valant pas elle-même reconnaissance de responsabilité, il n’est pas établi que l’expert-comptable a reconnu avoir commis des manquements s’agissant de l’éligibilité de la société TLMS au mécanisme de l’auto-liquidation de la TVA.

Il résulte toutefois de la proposition de rectification du 5 décembre 2017, que l’administration fiscale a exclu que la société TLMS puisse prétendre au dispositif d’auto-liquidation applicable aux travaux de sous-traitance dans le BTP. A cet effet, l’administration a relevé que la SARL TLMS, dont l’acronyme signifie ‘ Transport Logistique Maintenance Service’, exerçait une activité dans le domaine du transport et de la manutention pour des clients travaillant dans le secteur du bâtiment, qu’en pratique, la société réalisait la réception, le transport, le stockage et la livraison, au moyen d’appareils de levage, de biens meubles corporels destinés à l’équipement des immeubles (systèmes de climatisation, chaudières, armoires électriques’), que ces prestations de services étaient celles détaillées sur la plaquette publicitaire que la société TLMS mettait à la disposition de ses clients potentiels, que le personnel de la société se composait exclusivement de chauffeurs et de manutentionnaires et que son actif comprenait principalement du matériel de transport équipé de moyens de levage. L’administration fiscale en a déduit que si l’entreprise effectuait des prestations de service pour des clients travaillant principalement dans le bâtiment, en aucun cas elle ne réalisait de travaux immobiliers, de sorte que ses prestations de service étaient soumises au taux de TVA normal de 19,6% en 2013 et au taux de 20% au titre de 2014 et de 2015, conformément aux dispositions de l’article 278 du CGI, la totalité du chiffre d’affaires encaissé se trouvant soumise à TVA sur l’ensemble de la période vérifiée.

La société TLMS a bien tenté dans un premier temps de contester le redressement par l’intermédiaire d’un courrier de son avocat fiscaliste du 2 février 2018 et de soutenir qu’elle était éligible au régime de l’auto-liquidation de la TVA en relevant que d’après les textes fiscaux, la notion de travaux immobiliers recouvrait notamment’les travaux d’équipement des immeubles ayant pour effet d’incorporer, à titre définitif, aux constructions les appareils ou matériels installés’ et ‘ les travaux de réparation ou de réfection pour la remise en état d’un immeuble ou d’une installation de caractère immobilier’ et en faisant valoir que les dossiers dans lesquels la société TLMS avait facturé sans application de la TVA, correspondaient d’une part, à des travaux qui entraient dans la première définition et qu’il en était ainsi, à titre d’exemple, quand elle procédait à l’installation de groupes d’alimentation, centrales thermiques, conditionnement d’air, de ventilation, de réfrigération, et, d’autre part, à des travaux de remplacement d’éléments usagés d’une installation de caractère immobilier et à ce titre procédait au remplacement de chaudières industrielles par exemple.

La société TLMS ne pouvait toutefois maintenir cette position, au regard des constatations précises de l’administration, la société ne réalisant pas de travaux de bâtiment, son personnel étant composé de chauffeurs/manutentionnaires ou de manutentionnaires, son activité étant assurée au titre des prestations de levage et de manutention pouvant comprendre le démontage/montage d’unités ou de matériels, de la mise à disposition de véhicules et de matériel de transport, d’engins, de matériel BTP, y compris de levage, du transfert d’unités, d’usines et de déménagements industriels, de commissionnaire de transport, de vente et note pour son propre compte de matériels ou d’équipements en relation avec les activités assurées. Si elle a pour clients des entreprises du bâtiment, il n’en résulte pas pour autant qu’elle- même réalise en sous-traitance des travaux du bâtiment. Les factures versées aux débats évoquent pour l’essentiel des travaux de livraison et de manutention de matériel (pose/dépose) ne correspondant pas à des travaux du bâtiment. Quant au code NAF dont se prévaut la société DBF Audit, il n’est pas en lui-même de nature à établir la nature des prestations réellement exécutées et facturées par la société TLMS.

La société DBF Audit manque en conséquence à établir que la société TLMS était éligible au régime d’auto-liquidation de la TVA.

C’est dans ce contexte que la société TLMS a conclu une transaction avec l’administration fiscale, qui a permis une réduction substantielle du montant du redressement. Contrairement à ce que soutient la société DBF Audit l’acceptation d’une telle transaction par l’administration fiscale ne traduit pas l’absence de fondement du redressement, cette transaction permettant à l’administration, qui avait par ailleurs obtenu le cautionnement du dirigeant de TLMS, d’avoir l’assurance de recouvrer rapidement la somme de 100.000 euros en évitant les délais inhérents à un contentieux ainsi que les aléas d’un recouvrement auprès de la société, sachant que la société TLMS a dû recourir à un emprunt pour régler le montant de la transaction et qu’elle n’était vraisemblablement pas en mesure de faire face à un redressement de plus de 600.000 euros avec les intérêts de retard.

L’expert-comptable est tenu d’une obligation d’information et de conseil à l’égard de ses clients. En l’espèce, la société DBF Audit accompagnait la société TLMS depuis quasiment sa création. Elle avait une mission de présentation des comptes, et s’était contractuellement engagée à établir les déclarations fiscales de la société, notamment ses déclarations en matière de TVA. Elle établissait également les fiches de paie des salariés et avait donc connaissance de la nature de leur poste.

En considérant à tort que la société était éligible au régime d’auto-liquidation de la TVA mis en place à partir de janvier 2014 pour la sous-traitance dans les travaux du bâtiment, la société DBF Audit a manqué à l’obligation de conseil et d’information à laquelle elle était tenue envers son client et engage donc sa responsabilité à l’égard de la société TLMS. C’est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont retenu que la responsabilité de la société DBF Audit était engagée.

– Sur le préjudice

La société TLMS soutient qu’en exécution de la transaction conclue avec l’administration fiscale, elle a subi un préjudice d’un montant de 129.958 euros, auquel s’ajoutent les honoraires de son avocat fiscaliste.

Il sera toutefois relevé, à la suite de la société DBF Audit, que si la société TLMS a bien réglé une somme de 129.958 euros au fisc, le montant de la transaction ne porte que sur la somme de 100.000 euros. L’administration fiscale a en effet expressément indiqué que la transaction ne se rapportait qu’au régime d’auto-liquidation de la TVA, et ne portait pas sur le montant de TVA de 29.958 euros que la société TLMS au titre d’autres factures avait déduit par anticipation, les droits notifiés à ce titre étant maintenus.

La demande d’indemnisation à hauteur de 29.958 euros, indépendante du redressement au titre de l’auto-liquidation de la TVA sera donc examinée distinctement.

S’agissant du montant de 100.000 euros transigé avec l’administration fiscale, il est en rapport direct avec l’absence d’éligibilité des prestations de la société TLMS au régime de l’auto-liquidation de la TVA et découle donc directement de la faute de la société DBF Audit. Ainsi qu’il a été dit, la transaction conclue a permis de réduire substantiellement le montant du redressement et ne saurait donc être reprochée à la société TLMS.

Si la société DBF Audit n’avait pas manqué à son obligation de conseil et d’information, la société TLMS aurait facturé la TVA à ses clients et aurait pu reverser à l’administration fiscale la TVA ainsi collectée. La société DBF Audit a ainsi fait perdre une chance à la société TLMS de recouvrer la TVA à reverser. La facturation de la TVA au donneur d’ordre aurait de façon quasi certaine permis à la société TLMS de ne pas avoir à supporter personnellement le montant de la TVA éludée. Le préjudice découlant de cette perte de chance sera évalué à 95% du montant de la transaction. La société DBF Audit sera en conséquence condamnée à payer 95.000 euros à la société TLMS.

S’agissant de la somme de 29.958 euros, la société DBF Audit soutient qu’il ne s’agit pas d’un préjudice indemnisable dès lors que la société TLMS a pu récupérer cette TVA au titre des prestations qu’elle a effectuées, de sorte que la rectification opérée par l’administration fiscale sur ce poste n’a conduit qu’à un décalage dans le temps de la TVA déductible.

Lors des opérations de contrôle, l’administration a reproché à la société TLMS d’avoir porté en déduction des montants de TVA afférents à des facturations de prestations de service non encore acquittées au 31 décembre 2015, et a considéré que la société ne pouvait récupérer sur ses déclarations CA3, la TVA afférente aux achats de services qu’à la date de leur règlement, de sorte que la TVA grevant ces dépenses n’était pas récupérable à la clôture de l’exercice 2015.

Si cette TVA n’était pas déductible au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2015, la société TLMS ne démontre, ni même n’allègue qu’elle n’a pu être déduite au titre d’un exercice ultérieur, de sorte qu’elle ne justifie pas avoir subi un préjudice. Ce poste de réclamation sera en conséquence rejeté, le jugement étant infirmé de ce chef.

S’agissant des honoraires de l’avocat fiscaliste d’un montant de 7.440 euros que la société TLMS entend voir prendre en charge par la société DBF Audit, ils sont justifiés par les factures versées aux débats. Les prestations de conseil ainsi facturées sont en lien direct avec le redressement fiscal refusant l’application du régime d’auto-liquidation de la TVA, dès lors que sans le manquement de l’expert-comptable à son obligation de conseil et d’information la société TLMS n’aurait pas eu besoin de recourir aux services d’un avocat fiscaliste. Ces prestations ont en outre permis d’aboutir à une transaction réduisant notablement le montant du redressement. La société TLMS est en conséquence fondée à obtenir réparation des frais exposés à hauteur de 7.440 euros. Le jugement sera confirmé de ce chef.

– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

La solution donnée au litige commande de laisser les entiers dépens à la charge de la société DBF Audit, partie perdante pour l’essentiel. La société DBF Audit ne peut en conséquence prétendre au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elle sera en revanche condamnée à verser à la société TLMS une indemnité procédurale de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel, s’ajoutant à l’indemnité de 4.000 euros allouée par les premiers juges et qui sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement sauf sur le montant de la condamnation de la société DBF Audit au titre du préjudice financier subi (129.958 euros),

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la société DBF Audit à payer à la société TLMS la somme de 95.000 euros en réparation de son préjudice financier,

Déboute la société TLMS de sa demande en paiement de la somme de 29.958 euros,

Condamne la société DBF Audit à payer à la société TLMS une indemnité procédurale de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel,

Condamne la société DBF Audit aux dépens d’appel.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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