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En application du principe général selon lequel la fraude corrompt tout, le dépôt d’une marque peut être annulé s’il est effectué de mauvaise foi .
Il en est ainsi quand il est établi que le titulaire de la marque avait connaissance de l’existence des droits antérieurs auxquels il a porté atteinte et que par ce dépôt, il avait l’intention de nuire au propriétaire de ces droits antérieurs en le privant de manière illégitime d’un signe nécessaire à son activité.
Selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), la mauvaise foi s’apprécie en fonction de tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce, appréciés globalement au moment du dépôt de la demande d’enregistrement et notamment de l’intention du déposant dans les circonstances de l’espèce.
La mauvaise foi peut ainsi résulter ‘d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers ‘ (CJUE 12 sept.2019. C104/18).
L’un de ces facteurs est constitué lorsque le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise un signe identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires, prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est contesté (CJUE 11 juin 2009 Lindt C-529/07).
6 juin 2023
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
22/02442
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 06 JUIN 2023
RP
N° de rôle : N° RG 22/02442 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MWVS
S.A.S. E. REMY MARTIN & C°
c/
S.A.R.L. CONSULTING GESTION PRIVEE INGENIERIE
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : décision rendue le 20 avril 2022 par le Directeur Général de l’Institut National de la Propriété Industrielle de COURBEVOIE (NL21-0108) suivant recours en date du 19 mai 2022
DEMANDERESSE :
S.A.S. E. REMY MARTIN & C°, inscrite au registre du commerce et des sociétés d’Angoulême sous le numéro 775 563 323 agissant en la personne de son Président, Monsieur [V] [N] [Y], domicilié en cette qualité au siége sis [Adresse 2]
représentée par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Annette SION de l’ASSOCIATION HOLLIER-LAROUSSE & Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS
DEFENDERESSE :
S.A.R.L. CONSULTING GESTION PRIVEE INGENIERIE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]
représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Thierry LAMPE, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
EN PRESENCE DE :
INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, pris en la personne de son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]
régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception
représenté par Madame [H] [P], juriste, munie d’un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 25 avril 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
Ministère Public :
L’affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis le 6 avril 2023.
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Le 17 mai 2021, la SAS E. Remy Martin & C° a formé une demande en nullité enregistrée sous la référence NL 21-0108 contre la marque INSTITUT CENTAURE n°19/4561533 déposée le 20 juin 2019.
L’enregistrement de cette marque, dont la SARL Consulting Gestion Privée Ingénierie ( la société CGPI) est titulaire, a été publié au BOPI n°2020-12 du 20 mars 2020.
La demande en nullité est formée à l’encontre de la totalité des services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, à savoir :
‘ Classe 35 : Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; diffusion de matériels publicitaire assurantiel, bancaire, financière et commercial (tracts, prospectus, imprimés, échantillons) ; service d’abonnement à des journaux assurantiels, bancaires, financiers et commerciaux (pour des tiers) ; mise à disposition d’informations assurantielles, bancaires, financières et commerciales ; mise à disposition d’informations assurantielles, bancaires, financières et commerciales à partir de bases de données en ligne notamment par voie électronique, notamment par réseaux de communication mondiale (Internet) ou à accès privé (Intranet) ; publicités assurantielles, bancaires, financières et commerciales en ligne sur un réseau informatique , location de temps publicitaire sur tout moyen de communication en matière assurantielle, bancaire et financière ; publication de textes publicitaires assurantiels, bancaires, financiers et commerciaux ; location d’espaces publicitaires assurantiels, bancaires, financiers et commerciaux ; diffusion d’annonces publicitaires assurantielles, bancaires, financières et commerciales ; services d’intermédiation commerciale (conciergerie) assurantielle, bancaire et financière.
Classe 36 : Assurances ; assurances emprunteurs ; assurances de prêt ; affaires assurantielles ; prestations de conseils assurantiels et d’intermédiation d’assurance ou réassurance ; services bancaires ; services bancaires en ligne ; prestation de conseils et d’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement ; consultations (assurances, banques et finances) ; investissement de capitaux ; estimations financières (assurances, banques et finances).
Classe 41 : Enseignement et formations assurantiels, bancaires, financières et réglementaires ; organisation et conférences, colloques, congrès et ateliers assurantiels, bancaires, financiers et réglementaires ; rédaction de matériels pédagogiques pour des tiers tels que supports de formation, tableaux de suivis,
questionnaires ; services d’informations éducatives ; conseils en formation en entreprise ; publication de textes et de livres ; éditions, revues et livres ; publication électronique de livres, de supports de formation et de périodiques en ligne.
Classe 42 : Développement et création (conception) de programmes informatiques (logiciels, réseaux informatiques, bases de données, systèmes d’exploitation) d’aide aux conseils assurantiels, bancaires et réglementaires ; conseils, entretiens et services dans le domaine des systèmes informatiques (logiciels) ; analyse de systèmes informatiques ; conseils professionnels dans le domaine de la sécurité informatique assurantielle, bancaire et réglementaire ; élaboration (conception), installation, maintenance, mise à jour ou location de logiciels dans les domaines de la gestion de portefeuilles assurantiels, bancaires et financiers ; services de consultation concernant la mise en ‘uvre de systèmes de sécurité pour données informatisées ; études de projets techniques.
Classe 45 : Services juridiques ; conseils et consultations juridiques assurantielles, bancaires, financières et règlementaires ; services d’informations juridiques assurantielles, bancaires, financiers et règlementaires ; services de revues juridiques et réglementaires de contrats assurantiels, contrats bancaires et contrats financiers’.
La société demanderesse invoquait les motifs de nullité suivants :
– deux motifs relatifs fondés sur un risque de confusion avec la marque antérieure verbale CENTAURE n°1299702, déposée le 19 février 1985 et régulièrement renouvelée et la marque française semi-figurative antérieure n°1424010, déposée le 21 août 1987 et régulièrement renouvelée;
– deux motifs relatifs fondés sur une atteinte à la renommée de ces mêmes marques ;
– un motif absolu fondé sur le dépôt de la marque contestée effectué de mauvaise foi.
Par décision du 20 avril 2022, le directeur général de l’INPI a :
– rejeté la demande en nullité NL 21-0108 concernant la marque n°19/4561533,
– mis à la charge de la société Rémy Martin & C° la somme de 550 euros au titre des frais exposés.
Par déclaration enregistrée au greffe le 19 mai 2022, la société Rémy Martin & C° a formé un recours contre la décision rendue par l’INPI.
Par conclusions déposées le 14 avril 2023, elle demande à la cour de :
– In limine litis, prononcer le report de l’ordonnance de clôture afin d’accueillir les présentes conclusions,
– confirmer la décision en ce qu’elle a déclaré la société E. REMY MARTIN & C° recevable et bien fondée en son recours,
– confirmer la décision en ce qu’elle a jugé renommées les marques ‘CENTAURE’ n°1299702 et n°1424010 de la société E. REMY MARTIN & C°,
– réformer la décision rendue ayant rejeté la nullité de la marque ‘INSTITUT CENTAURE ‘ n°4561533 et mis à la charge de la société E. REMY MARTIN & C° la somme de 550€ au titre des frais exposés,
En conséquence,
– juger que la marque ‘INSTITUT CENTAURE’ n°4561533 a été déposée de mauvaise foi, qu’elle porte atteinte aux marques renommées antérieures ‘CENTAURE’ n°1299702 et n°1424010 et qu’il existe un risque de confusion entre les signes en présence,
– annuler la marque ‘INSTITUT CENTAURE’ n°4561533 portant atteinte aux droits
antérieurs de la société E. REMY MARTIN & C° sur ses marques ‘CENTAURE’ n°1299702 et n°1424010,
– ordonner la notification de l’arrêt à intervenir au directeur général de l’INPI,
– condamner la société CONSULTING GESTION PRIVEE INGENIERIE à verser à la société E. REMY MARTIN & C° la somme de 5.000 € en application des dispositions
de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 29 mars 2023, la SARL Consulting Gestion Privée Ingénierie (la société CGPI) demande à la cour de :
– statuer ce que de droit sur la recevabilité du recours de la SAS E. REMY MARTIN,
– confirmer la décision du 20 avril 2022 en ce que la demande en nullité concernant la marque n°19/4561533 a été rejetée, et en ce que la somme de 550 euros a été mise à la charge de la société E. REMY MARTIN & C° au titre des frais exposés,
– condamner la SAS E. REMY MARTIN à verser à SARL CGPI la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par courrier transmis au greffe le 7 avril 2023, le directeur général de l’INPI a présenté ses observations, dans lesquelles il conclut au rejet du recours, la décision critiquée étant fondée.
Le 6 avril 2023, le ministère public a indiqué s’en rapporter.
L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 25 avril 2023.
L’instruction a été clôturée par ordonnance du 11 avril 2023.
A l’audience et selon l’accord des parties, l’ordonnance de clôture a été révoquée et la clôture des débats fixée au jour des plaidoiries.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité du recours
Devant la cour, la société CGPI qui lui demande de statuer ce que de droit sur la recevabilité du recours de la société E. Rémy Martin, n’invoque plus l’irrecevabilité de la demande de nullité qu’elle soutenait devant l’INPI sur le fondement de la fraude à la loi, de l’abus de droit et de la forclusion par tolérance.
La demande de nullité et le recours formé à l’encontre de la décision la rejetant seront donc déclarés recevables.
Sur le fond
La demande en nullité est formée sur le fondement de la mauvaise foi du titulaire de la marque contestée, de l’atteinte à la renommée des marques antérieures et du risque de confusion entre les signes en cause.
1-Sur le dépôt de mauvaise foi
En application du principe général selon lequel la fraude corrompt tout, le dépôt d’une marque peut être annulé s’il est effectué de mauvaise foi .
Il en est ainsi quand il est établi que le titulaire de la marque avait connaissance de l’existence des droits antérieurs auxquels il a porté atteinte et que par ce dépôt, il avait l’intention de nuire au propriétaire de ces droits antérieurs en le privant de manière illégitime d’un signe nécessaire à son activité.
Selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), la mauvaise foi s’apprécie en fonction de tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce, appréciés globalement au moment du dépôt de la demande d’enregistrement et notamment de l’intention du déposant dans les circonstances de l’espèce.
La mauvaise foi peut ainsi résulter ‘d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers ‘ (CJUE 12 sept.2019. C104/18).
L’un de ces facteurs est constitué lorsque le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise un signe identique ou similaire pour des produits ou services identiques ou similaires, prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est contesté (CJUE 11 juin 2009 Lindt C-529/07).
En l’espèce, la société E. Rémy Martin soutient qu’à la date du dépôt de la marque contestée, le 20 juin 2019, la société CGPI savait que la société requérante utilisait des signes proches et que c’est pour tirer profit de la renommée des marques antérieures, et ainsi créer une association dans l’esprit du public, que la société CGPI a choisi de déposer la marque ‘INSTITUT CENTAURE’.
Cependant, s’il n’est pas contesté par la société CGPI qu’elle avait connaissance, au jour du dépôt de sa marque, de l’usage par la société E. Rémy Martin du terme et de la représentation d’un centaure, l’intention frauduleuse du déposant n’est pas démontrée.
En effet, au regard des circonstances de l’espèce et comme le fait valoir l’INPI, il apparaît que le gérant de la société CGPI exerçait depuis 2010 une activité de conseiller en gestion de patrimoine à [Localité 4] sous le nom commercial CENTAURE INVESTISSEMENTS et qu’il a déposé une première marque semi-figurative CENTAURE INVESTISSEMENTS en 2012 à l’occasion de son installation à [Localité 5]
Dans ces conditions, le dépôt de la marque INSTITUT CENTAURE en juin 2019 se situe dans le cadre d’un renforcement des droits du déposant, manifesté par la protection du terme CENTAURE associé à une activité de gestion de patrimoine et non d’une démarche parasitaire et ce d’autant plus que les secteurs d’activité respectifs des parties (production et vente de cognac d’un côté, conseil en finance, immobilier et assurances de l’autre) sont parfaitement distincts.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société E. Rémy Martin, il n’est nullement démontré que la majorité de l’activité de la société CGPI concernerait des clients implantés en Charente-Maritime parmi lesquels figurent nécessairement des acteurs du cognac connaissant les marques antérieures, même si la société CGPI peut avoir à l’occasion des clients viticulteurs dont il n’est au surplus cité qu’un seul exemple par la requérante, celui d’un vigneron que la société CGPI a conseillé pour la création du premier groupement foncier viticole de [Localité 5].
S’agissant des références à la société E. Rémy Martin et à son logo apparaissant dans le site internet CENTAURE INVESTISSEMENTS, elles sont anecdotiques pour ce qui concerne la citation de la société E. Rémy Martin aux côtés des autres grandes sociétés productrices de cognac installées dans la région d’implantation de la société CGPI et à peine identifiables pour ce qui concerne un cliché d’un chai de la société E. Rémy Martin où l’on distingue très difficilement le logo du centaure sur deux cuves.
Enfin, c’est à tort que la société E. Rémy Martin affirme que le grief fondé sur le dépôt frauduleux n’est pas conditionné à l’existence de marques dans des secteurs d’activité similaires alors que le droit des marques est essentiellement régi par le principe de spécialité, que la protection du titre est limitée aux produits et services désignés dans la demande d’enregistrement et qu’il reste tout à fait possible de déposer une marque pour des produits ou services différents.
La décision de l’INPI écartant le dépôt de la marque de mauvaise foi mérite ainsi confirmation.
2- Sur l’atteinte à la renommée
La société CGPI estime en premier lieu que, contrairement à ce qu’a estimé l’INPI, seul le nom de E. REMY MARTIN bénéficie de la renommée et elle conteste ainsi la renommée du terme « CENTAURE » et du signe ci dessous représenté :
Cependant, l’INPI fait valoir à juste titre que la société CGPI n’est pas recevable dans cette contestation qu’elle ne formalise pas dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour, selon les termes de l’article R411-39 du code de la propriété intellectuelle.
Au demeurant, c’est à bon droit qu’au vu des pièces produites par la requérante, le directeur de l’INPI a estimé établie cette renommée en constatant que depuis de nombreuses années la société E. Rémy Martin était associée à l’image d’un centaure, la presse la qualifiant régulièrement de « maison au Centaure » ou de « marque au Centaure », qu’elle fait un usage très ancien de l’emblème du centaure et figure parmi les premiers vendeurs de cognac au monde, concluant que la marque CENTAURE et la marque figurative sont « connue[s] d’une partie significative du public en France, à savoir le grand public mais également les professionnels et amateurs de spiritueux, dans le domaine des alcools forts et plus particulièrement pour désigner du cognac ‘.
La marque contestée ayant été déposée le 20 juin 2019, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, le régime de nullité applicable au présent recours est soumis aux dispositions de la loi n° 92-597 du 1er juillet 1992 et des articles L711-4 et L 714-3 du code de la propriété intellectuelle dans leur version applicable au jour du dépôt.
En conséquence, la société E. Rémy Martin ne peut fonder sa demande de nullité sur les dispositions issues de l’ordonnance précitée du 13 novembre 2019, en particulier sur celles de l’article L713-3 nouveau du code de la propriété intellectuelle.
Ainsi, dans le cadre du droit applicable, l’atteinte à la renommée revendiquée par la requérante suppose établis d’une part l’existence pour le public concerné d’un lien ou d’une association entre la marque renommée et le signe contesté et d’autre part un usage illégitime de ce signe permettant de tirer un profit indu de la notoriété de la marque renommée, ces deux conditions étant cumulatives puisque, comme l’a jugé la CJUE (arrêt du 22 juin 2000.C 425/98), la renommée d’une marque ne permet pas de présumer l’existence d’un risque de confusion du seul fait de l’existence d’un risque d’association au sens strict.
S’agissant du lien entre les marques en présence, il doit être apprécié par la comparaison des signes et des produits et services en cause, au regard du public concerné, compte tenu du niveau de renommée des marques.
Pour ce qui concerne la comparaison des signes, elle est faite par une appréciation globale fondée, s’agissant des similitudes visuelles, auditives et conceptuelles, sur une impression d’ensemble, en tenant compte des éléments distinctifs et dominants des marques en cause.
Il est clair, sur ces bases, que, comme l’a retenu l’INPI, la marque contestée INSTITUT CENTAURE présente de fortes similitudes avec la marque verbale antérieure CENTAURE dans la mesure ou l’impression d’ensemble se focalise sur le terme CENTAURE, identique dans les deux signes, ce qui leur attribue des similitudes visuelles, phonétiques et conceptuelles évidentes, le terme INSTITUT qui les différencie apparaissant manifestement peu distinctif au contraire du terme CENTAURE, pour désigner les services en cause, de sorte que le public sera amené à porter son attention sur l’élément fortement distinctif et dominant CENTAURE sans considérer la marque contestée comme un tout indivisible.
En revanche, s’agissant de la comparaison de cette dernière avec la marque figurative antérieure n° 1 424 010 ci contre :
Les débats d’appel ne remettent pas en cause l’exacte appréciation de l’INPI qui a jugé faibles les similitudes entre les signes en cause au constat que :
– les signes diffèrent visuellement et phonétiquement puisque la marque contestée est uniquement verbale et la marque antérieure figurative, sachant qu’une marque purement figurative ne peut être prononcée en tant que telle;
– il n’est pas démontré que le public de culture moyenne associe spontanément la représentation figurative au ‘Centaure’, terme de la mythologie grecque désignant une créature hybride à buste d’homme et corps de cheval.
Pour ce qui concerne la comparaison de la nature des produits et services, la société E. Rémy Martin n’est pas fondée à se prévaloir de similitudes puisque ses marques sont renommées pour les spiritueux et au premier chef, le cognac, alors que la marque de la société CGPI est enregistrée pour des services de publicité, gestion des affaires commerciales, assurances, services bancaires et financiers, formation en ces domaines,développement de programmes informatiques et de logiciels dans les domaines de la gestion de portefeuilles assurantiels, bancaires et financiers, services juridiques.
Par ailleurs, il a déjà été dit plus haut que la société E. Rémy Martin ne faisait pas la démonstration que la majorité de l’activité de la société CGPI concernerait des clients implantés en Charente-Maritime parmi lesquels figurent nécessairement des acteurs du cognac connaissant les marques antérieures alors que les consommateurs en cause recherchent des prestations complètement différentes, même s’il peut arriver que des amateurs de cognac ou des viticulteurs fassent appel aux services proposés sous la marque contestée qui s’adresse aux consommateurs de tous secteurs.
En outre, l’INPI rappelle à bon escient que l’offre des services de la société CGPI sous la marque contestée dans la même zone géographique que celle où est établie la société E. Rémy Martin ne permet pas d’établir à elle seule le lien qu’un consommateur français pourrait faire entre les produits et services en cause, d’autant que les marques ont une portée nationale et que l’examen de l’atteinte à la renommée ne peut se cantonner à une faible partie du territoire national.
Enfin, il sera ajouté que la société E. Rémy Martin ne peut utilement se prévaloir des dispositions nouvelles de l’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle qui prohibe l’usage pour des produits ou des services, d’un signe identique ou similaire à la marque jouissant d’une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée.
En effet, ce texte qui vise donc aussi les produits ou services non similaires, résulte de l’ordonnance précitée du 13 novembre 2019, inapplicable en l’espèce.
Ainsi, et compte tenu de la grande dissemblance entre les produits et services visés, c’est à juste titre que le directeur de l’INPI a estimé que les ressemblances entre les signes et l’intensité de la renommée des marques antérieures ne permettaient pas de retenir l’existence d’un lien entre les marques en cause dans l’esprit du consommateur, ce qui suffit à écarter le moyen de nullité tiré de l’atteinte à la renommée puisque les conditions de cette atteinte sont cumulatives.
Au demeurant, il sera observé que la société E. Rémy Martin échoue à remplir la seconde condition relative à l’atteinte effective et actuelle à ses marques ou au risque d’une telle atteinte puisqu’elle ne fournit aucun élément de preuve démontrant le profit indument tiré de la renommée de ses marques ou le risque d’un tel préjudice.
En effet, elle se contente d’invoquer les éléments écartés ci dessus pour rejeter l’existence du lien entre les marques et de rappeler les publications sur le site internet CENTAURE INVESTISSEMENTS évoquées plus haut dont il a été indiqué leur caractère anecdotique ou peu identifiable.
La décision du directeur général de l’INPI sera en conséquence confirmée en ce qu’elle écarte l’atteinte à la renommée des marques antérieures.
3- Sur le risque de confusion
La décision contestée qui rejette le risque de confusion entre les marques mérite également pleine confirmation dès lors qu’en vertu du principe de spécialité qui gouverne le droit des marques, en présence de produits et services non similaires, il ne peut y avoir risque de confusion entre les marques, même en cas d’identité ou de similarité des signes, de forte notoriété de la marque antérieure ou d’intervention des sociétés en cause dans le même secteur géographique, comme le soutient à tort la société E. Rémy Martin.
Le recours de la société E. Rémy Martin sera en conséquence rejeté et elle versera à la société CGPI une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il n’y a pas lieu à condamnation aux dépens dans la présente matière.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– Rejette le recours formé par la SAS E. Rémy Martin contre la décision du directeur de l’INPI du 20 avril 2022;
– Condamne la SAS E. Rémy Martin à payer à la SARL Consulting Gestion Privée Ingénierie la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– Dit n’y avoir lieu à condamnation aux dépens;
– Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception par le greffe aux parties à l’instance et au directeur général de l’INPI.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,