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23 janvier 2024
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
22/02668
ARRET N°24
CP/KP
N° RG 22/02668 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GVBC
[V]
[V]
[V]
C/
Etablissement Public ADMINISTRATION DES FINANCES PUBLIQUES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 23 JANVIER 2024
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02668 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GVBC
Décision déférée à la Cour : jugement du 04 octobre 2022 rendu(e) par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE.
APPELANTS :
Monsieur [L] [V]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Henri-Noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Maud BONDIGUEL-SCHINDLER, avocat au barreau de RENNES.
Monsieur [D] [V]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Ayant pour avocat postulant Me Henri-Noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Maud BONDIGUEL-SCHINDLER, avocat au barreau de RENNES.
Madame [J] [V]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Ayant pour avocat postulant Me Henri-Noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Maud BONDIGUEL-SCHINDLER, avocat au barreau de RENNES.
INTIMEE :
ETABLISSEMENT PUBLIC ADMINISTRATION DES FINANCES PUBLIQUES agissant poursuites et diligences du Directeur Régional des Finances Publiques de Provence-Alpes-Côte d’Azur et du département des Bouches-du-Rhône
[Adresse 10]
[Adresse 8]
[Localité 1]
Ayant pour avocat plaidant Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON – YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 04 Décembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Au titre des incitations fiscales, les pouvoirs publics ont mis en place en 2007, un dispositif de réduction d’impôts dénommé ‘ISF-PME’ aux fins d’encourager les épargnants à réaliser des apports en capital au profit des PME.
Ainsi, la société FINAREA a été créée, avec pour objectif de faire se rencontrer l’épargne des souscripteurs et les besoins en liquidités des acteurs économiques que sont les PME.
C’est dans ces conditions que Madame [K] [V] a mentionné sur ses déclarations d’ISF des années 2009 et 2010, avoir souscrit au capital de la société FINAREA Avenir PME (ci-après dénommée FINAREA).
Elle a obtenu pour les années 2009 et 2010, le bénéfice de la réduction d’impôts prévue par l’article 885-0 V Bis du code général des impôts au titre de la souscription directe au capital de PME correspondant à 75 % des versements avec un maximum de 50.000 €.
Le 18 décembre 2012, l’administration fiscale a adressé à Mme [K] [V] une proposition de rectification modèle n°2120 remettant en cause le bénéfice de ces avantages en matière d’ISF. Elle considère en effet que la société Finarea Avenir PME n’avait pas la qualité de holding animatrice.
Le 25 avril 2013, l’administration fiscale a maintenu sa position face aux objections de Mme [K] [V] et, le 8 décembre 2021, a rejeté la réclamation présentée par ses héritiers : Monsieur [L] [V], Monsieur [D] [V] et Madame [J] [V] (consorts [V]).
Par acte du 3 février 2022, les consorts [V] ont attrait la [Adresse 9] devant le tribunal judiciaire de La Rochelle aux fins de voir :
– prononcer la décharge des réhaussements,
– déclarer irrégulière la procédure fiscale préalable à la présente procédure contentieuse,
– en conséquence voir annuler ladite procédure fiscale et prononcer la décharge des rehaussements.
Dans le dernier état de leurs conclusions, les consorts [V] ont demandé de :
– voir prononcer la décharge des réhaussements,
– voir déclarer irrégulière la procédure fiscale préalable à la présente procédure contentieuse,
– en conséquence voir annuler ladite procédure fiscale et prononcer la décharge des rehaussements,
– voir rejeter comme étant infondée la décision de rehaussement puis de mise en recouvrement prise à l’encontre du concluant,
– en conséquence voir prononcer la décharge des rehaussements,
– le cas échéant voir ordonner par la défenderesse, la communication sous astreinte provisoire pendant deux mois de 1000€ par jour de retard à compter du huitième jour après la signification de la décision à intervenir des rescrits [G] et [E] dans leur version originale ou expurgée des éléments prétendument confidentiels,
– voir ordonner que, passé ce délai de deux mois, la partie qui y a intérêt pourra saisir le juge de céans d’une demande de liquidation de l’astreinte provisoire et fixation de l’astreinte définitive,
– en cas de difficulté d’interprétation du droit de l’Union Européenne , poser à la cour de justice de l’union européenne des questions préjudicielles dans les termes suivants :
– « La décision de la Commission européenne réservant la réduction ISF-PME aux PME en phases liminaires de développement doit-elle être interprétée comme interdisant la réduction aux investissements dans des holdings animatrices ne détenant pas encore de participation à la date de la souscription voire dont l’actif n’est pas encore principalement composé de titres de participations ‘
– « Le droit des aides d’Etat (articles 107 et 108 du TFUE, règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du Traité CE, règlement n° 994/98 du Conseil du 7 mai 1998 sur l’application des articles 92 et 93 du Traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’Etat horizontales) doit-il être interprété comme interdisant l’édiction de rescrits accordant un avantage fiscal aux seuls souscripteurs à certains véhicules d’investissement dans les PME, pareil rescrit ne doit-il pas donner lieu à notification préalable ‘ » ;
– « En présence d’un contribuable revendiquant l’application à son bénéfice de la norme fiscale énoncée dans un rescrit délivré à un autre contribuable, le principe d’effectivité du droit de l’Union européenne, ensemble la réglementation des aides d’Etat (articles 107 et 108 du TFUE, règlement n° 994/98 du Conseil du 7 mai 1998 sur l’application des articles 92 et 93 du Traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’Etat horizontales) et les principes de libertés de circulation des capitaux, d’établissement et de prestations de services, ne commandent-ils pas au juge national d’ordonner la production du rescrit litigieux ‘ ».
– et de voir condamner la direction générale des finances publiques de Provence Alpes Côte d’azur et des Bouches du Rhône à leur verser la somme de 10 000€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans le dernier état de ses conclusions, la [Adresse 9] a demandé le rejet de toutes les demandes des consorts [V], à la confirmation de la décision contentieuse du 10 décembre 2021 et à la condamnation des demandeurs aux dépens.
Par jugement en date du 4 octobre 2022, le tribunal judiciaire de La Rochelle a statué ainsi :
– Déclare régulière la procédure fiscale,
– Déclare fondée la procédure de rectification mise oeuvre par l’administration des finances publiques à l’encontre de Madame [K] [V] aux droits de laquelle viennent Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V],
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] de leurs demandes d’annulation de la procédure et de décharge des réhaussements,
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] de leurs demandestendant à voir déclarée infondée la décision de rehaussement et de mise en recouvrement prise à leur encontre et de décharge de ces rehaussements,
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] à la cour de justice de l’union européenne, [SIC]
– Confirme la décision de rejet du 08 décembre 2021 prise par l’administration des finances publiques,
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
– Déboute [SIC] in solidum Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] aux entiers dépens.
Pour statuer comme il l’a fait, le tribunal judiciaire a retenu que :
Sur le bien fondé du réhaussement :
-Mme [K] [V] à qui incombait la charge de la preuve n’a pas établi le caractère de holding animatrice de Finarea au jour de l’exercice fiscal concerné ;
-la plaquette produite, outre qu’elle n’est pas datée, ne peut servir de preuve dans la mesure où par définition il s’agit d’une plaquette publicitaire écrite par la société elle-même ;
-au jour de la souscription, la société Finarea ne détenait aucune filiale et ne pouvait donc pas animer un groupe qui n’existait pas ;
-faute pour les consorts [V] d’établir la caractère de holding animatrice de Finarea, le redressement opéré apparaît parfaitement fondé.
Sur la question préjudicielle et la communication de pièces sous astreinte :
– la question qui se pose est celle de l’application d’une règle fiscale de droit interne déjà tranchée par la cour de cassation, que ce soit en ce qui concerne la phase dans laquelle doit se trouver la société bénéficiaire des investissements ou encore, de l’inégalité qui découlerait des décisions de rescrit accordées aux sociétés [G] et [E] et également de la communication de ces décisions de rescrit ;
-la Cour de cassation a, dans ses arrêts du 03 mars 2021, jugé qu’une société holding qui ne contrôlait aucune filiale opérationnelle ne pouvait pas être qualifiée de holding animatrice et ne pouvait donc pas être assimilée aux PME visées par l’article 885-0 V bis du CGI dsans sa rédaction alors applicable, de sorte que la souscription à son capital n’était pas éligible à la réduction d’ISF prévue par ce texte ;
-le rescrit fiscal revêt un caractère strictement personnel dont il découle que seul le contribuable qui se trouve dans la situation de fait sur laquelle l’appréciation invoquée a été portée peut se prévaloir de l’application de l’article L 80 B et seule, une réponse expresse à une demande de rescrit général peut engager l’administration ;
-Par conséquent, les rescrits invoqués n’engagent nullement l’administration fiscale à l’égard des
consorts [V], si bien que la question de l’inégalité découlant des deux rescrits invoqués est sans intérêt pour le litige et par voie de conséquence leur communication.
Par déclaration en date du 18 octobre 2022, les consorts [V] ont fait appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant la Direction régionale des finances publiques.
Les consorts [V], par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 4 janvier 2023, demandent à la cour de :
-Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause :
-Déclarer irrégulière la procédure fiscale préalable à la présente procédure contentieuse ;
-En conséquence, annuler ladite procédure fiscale et prononcer la décharge des réhaussements;
-Rejeter comme étant infondée la décision de réhaussement puis de mise en recouvrement prise à l’encontre du concluant ;
-En conséquence, prononcer la décharge des réhaussements ;
Le cas échéant :
-Ordonner la communication par la Direction régionale des finances publiques, sous astreinte provisoire, pendant deux mois, de 1.000 € par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, des rescrits [G] et [E] dans leur version originale ou expurgée des éléments prétendument confidentiels ;
-Ordonner que, passé ce délai de deux mois, la partie qui y a intérêt pourra saisir le juge de céans d’une demande de liquidation de l’astreinte provisoire et fixation de l’astreinte définitive ;
-en cas de difficulté d’interprétation du droit de l’Union européenne, poser à la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles, dans les termes suivants ;
– « La décision de la Commission européenne réservant la réduction ISF-PME aux PME en phases liminaires de développement doit-elle être interprétée comme interdisant la réduction aux investissements dans des holdings animatrices ne détenant pas encore de participation à la date de la souscription voire dont l’actif n’est pas encore principalement composé de titres de participations ‘ »
– « Le droit des aides d’Etat (articles 107 et 108 du TFUE, règlement n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article 93 du Traité CE, règlement n° 994/98 du Conseil du 7 mai 1998 sur l’application des articles 92 et 93 du Traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’Etat horizontales) doit-il être interprété comme interdisant l’édiction de rescrits accordant un avantage fiscal aux seuls souscripteurs à certains véhicules d’investissement dans les PME ‘ Pareil rescrit ne doit-il pas donner lieu à notification préalable ‘ » ;
– « En présence d’un contribuable revendiquant l’application à son bénéfice de la norme fiscale énoncée dans un rescrit délivré à un autre contribuable, le principe d’effectivité du droit de l’Union européenne, ensemble la réglementation des aides d’Etat (articles 107 et 108 du TFUE, règlement n° 994/98 du Conseil du 7 mai 1998 sur l’application des articles 92 et 93 du Traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d’aides d’Etat horizontales) et les principes de libertés de circulation des capitaux, d’établissement et de prestations de services, ne commandent-ils pas au juge national d’ordonner la production du rescrit litigieux ‘ ».
-Condamner la Direction régionale des finances publiques, au paiement de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La Direction régionale des finances publiques, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 14 avril 2023, demande à la cour de :
-Confirmer le jugement entrepris;
-Reconnaître la régularité de la procédure ;
-Reconnaître le rappel fondé en droit et en fait ;
En conséquence,
-Rejeter l’ensemble des demandes des Consorts [V] ;
-Condamner les Consorts [V] aux entiers dépens d’appel, dont distraction pour ces derniers au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit ;
-Condamner les Consorts [V] à verser à l’État la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Au préalable, la cour constate que des erreurs matérielles de rédaction affectent le dispositif du jugement déféré et qu’il convient de les réparer en ce sens qu’en lieu et place de :
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] à la cour de justice de l’union européenne, (…)
– Déboute in solidum Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] aux entiers dépens,
il convient de lire :
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] de leur demande tendant à poser diverses questions à la cour de justice de l’union européenne, (…)
– Condamne in solidum Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] aux entiers dépens,
1. Sur la régularité du rehaussement :
Les consorts [V] sollicitent l’infirmation du jugement déféré qui a jugé ce rehaussement régulier aux motifs :
– sur la circulation de l’information : que le réhaussement est irrégulier en ce que l’information délivrée a été insuffisante, l’administration se fondant sur des pièces obtenues auprès de tiers et dont la liste n’a pas été clairement énoncée, l’administration aurait également adopté un comportement déloyal en ne transmettant pas au contribuable les documents cités dans sa proposition de rectification,
– sur la motivation de la réponse aux observations du contribuable : que l’administration n’a pas respecté son obligation en la matière.
L’administration fiscale répond :
– sur la circulation de l’information : que le contribuable étant actionnaire de la société FINAREA, il disposait d’informations privilégiées sur le fonctionnement de cette société et que les documents ayant fondé les rappels ont été précisément cités et commentés,
– sur la motivation de la réponse aux observations du contribuable : que celle-ci cite et commente les documents ayant fondé les rappels.
Les moyens susvisés appellent les observations suivantes.
En ce qui concerne la circulation de l’information :
Dans sa proposition de rectification, l’administration vise expressément :
– le premier bilan, clos le 30 juin 2010, la société FINAREA qui permet de déterminer que les participations représentent 38,06% de l’actif,
– le rapport de gestion au titre de l’exercice clos le 30 juin 2010 qui permet d’indentifier l’objetcif poursuivi auprès de la société IBL Groupe,
– le contrat de prestation de services aux termes duquel la société FINAREA est représentée au sein de la société IBL Groupe par un gérant de participation,
Il est constant qu’en leur qualité d’investisseur auprès de la société FINAREA, les contribuables avaient accès à ces éléments. Cette circonstance est confortée par les deux pièces suivantes :
– le mail adressé le 28 septembre 2012 par lequel l’inspectrice des finances publiques indique ‘en réponse à votre précédent mail en date du 24 septembre, et suite aux nombreux échanges que nous avons eu le 25 septembre, je souligne ici que si lors des précédentes interventions les documents présentés sur le rôle joué par la société holding auprès de sa filiale n’avaient pas appelé de critiques de ma part, c’est que cette analyse me paraissait jusque là prématurée. Il me semblait en effet d’abord nécessaire d’écouter votre présentation du modèle Finarea et de prendre connaissance de l’importante masse de documents mis à ma disposition avant de pouvoir formuler toute critique utile’ (pièce 36 bis appelants).
– le listing manuscrit de documents remis par le contribuable à l’administration fiscale (pièce 36) évoquant notamment des comptes rendu de réunion FINAREA, la présentation du projet IBL.
Dans de telles circonstances, il est constant que les contribuables connaissaient la teneur des documents sur lesquels l’administration se fondait pour justifier sa proposition de rectification.
En ce qui concerne la motivation de la proposition de rectification faite au contribuable :
La cour se réfère à la pièce n° 39 des appelants.
S’agissant du droit applicable, l’administration n’a pas manqué de rappeler la règle sur laquelle elle se fonde pour faire valoir son point de vue. En effet, elle évoque successivement dans sa réponse au contribuable :
-la position de la Cour de cassation dans l’affaire dite ‘SALA’ selon laquelle la condition d’animation ne peut être remplie par nature lorsque la société est uniquement en phase de recherche de prises de participation dans diverses sociétés,
-l’article 38 de la loi de finances pour 2011 qui légalise la doctrine administrative aux termes de laquelle, pour être considérée comme animatrice, une société holding doit être constituée depuis au moins un an et contrôler au moins une filiale ayant au moins un an d’existence,
-le principe posé par la jurisprudence selon lequel, le caractère animateur d’une société s’apprécie au plus tard au jour du fait générateur.
En ce qui concerne l’application au cas d’espèce, l’administration explique précisément en quoi la société FINAREA ne satisfaisait pas aux conditions d’une holding animatrice en faisant valoir :
-que la société FINAREA ne détenait que 24,45% du capital de la société IBL Groupe, le reste étant détenu par les époux [O], actionnaires historiques,
-que la stratégie de développement de la société IBL Groupe repose entre les mains des actionnaires historiques,
-que le contrat de prestation de services susvisé aux termes duquel la société FINAREA est représentée au sein de la société IBL Groupe par un gérant de participation stipule que celui-ci ‘s’abstiendra de toute ingérence dans la gestion de la PME et de tout acte pouvant constituer une gestion de fait de la PME’,
-qu’à la date de la souscription des contribuables au capital de FINAREA, celle-ci ne respectait pas les critères de la doctrine administrative qui réserve le bénéfice du régime des holdings animatrices aux sociétés dont l’actif est principalement composé de participation.
Il résulte de ces constatations que la réponse faite aux contribuables était particulièrement motivée en droit et en fait, En outre, il résulte des échanges qui s’en sont suivis, versés aux débat, entre l’administration et les contribuables, que ces derniers avaient parfaitement saisi la teneur et la portée des griefs faits à l’égard de sa souscription au sein de la société FINAREA pour ne pas pouvoir prétendre à l’avantage fiscal recherché.
Il en résulte que l’information a bel et bien été diffusée par l’administration et que celle-ci a motivé la réponse faite au contribuable. Le jugement déféré ne pourra qu’être confirmé en ce qu’il a déclaré régulière la procédure diligentée par l’administration fiscale contre les consorts [V].
2. Sur le fond du rehaussement
Les consorts [V] prétendent que le rehaussement est injustifié au motif que les souscriptions en cause sont éligibles à la réduction d’ISF, la société FINAREA remplissant les conditions d’une holding animatrice puisqu’elle détermine les orientations de l’activité de la société IBL Groupe dans la mesure où aucune décision stratégique ne peut être prise sans financement spécifique, ce qui constitue la clé de l’animation.
L’administration fiscale répond :
-que la Cour de cassation a, par plusieurs arrêts du 3 mars 2021, précisé que la prise de participation dans la société opérationnelle par la holding doit être effective et justifiée, et que les sociétés holding en phase d’étude et d’investissement et n’ayant encore pris aucune participation dans des sociétés opérationnelles ne peuvent être assimilées à des sociétés holding animatrices,
-qu’en l’espèce, sur la période concernée (2009-2010), la société FINAREA n’exerçait aucune activité industrielle, commerciale, agricole, artisanale ou libérale et ne détenait pas au moins 90% de son actif en titres de sociétés opérationnelles.
Les moyens susvisés appellent les observations suivantes.
Sur le droit applicable :
Par deux arrêts en date du 3 mars 2021 (n° 19-22.397 et n° 19-21.161), la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’application de l’article 885-0 V bis du code général des impôts en affirmant :
-qu’en ce qui concerne les sociétés holdings se trouvant en phase d’étude d’investissement et n’ayant encore pris aucune participation dans des sociétés opérationnelles, elles ne peuvent pas être assimilées à des sociétés holdings animatrices,
-qu’en ce qui concerne les sociétés holdings ayant procédé à des prises de participation dans des sociétés opérationnelles, l’animation doit être effective et justifiée.
Le caractère effectif et justifié de la prise de participation au sein des sociétés opérationnelles renvoie au critère du contrôle des filiales et à l’article L 233-3 du code de commerce qui énumère ainsi les hypothèses de contrôle :
‘I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l’application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :
1° Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;
2° Lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ;
3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.
II.-Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.’
Au vu de ce qui précède, il incombe aux contribuables prétendant au bénéfice de la réduction d’impôt ISF PME de démontrer que la société au capital de laquelle il souscrit remplit de manière effective, le rôle d’une holding animatrice auprès de la société opérationnelle dans laquelle ils ont procédé à des investissements. Ils doivent ainsi établir que la société holding ne se borne pas à gérer son portefeuille de titres mais qu’elle entretient des relations l’amenant à contrôler, gérer et animer ses filiales opérationnelles.
Sur le cas d’espèce :
Aux fins de déterminer si, au cas présent, la société FINAREA joue un rôle de simple financeur ou si elle est amenée à contrôler, gérer et animer des filiales opérationnelles, plusieurs éléments produits aux débats méritent d’être examinés.
le contrat d’animation conclu entre FINAREA et IBL Groupe et le règlement intérieur
Dans le contrat produit en pièce n° 26 par les appelants, la société FINAREA est identifiée comme ‘le prestataire’. La lecture exhaustive et attentive des articles de cette convention permet de constater que la mission de la société FINAREA ne s’inscrit nullement dans le cadre de l’animation effective de d’IBL Groupe mais dans des conseils en stratégie et contrôle de gestion. Le prestataire apparaît comme un investisseur apportant une plus-value en matière de gestion. En outre, la société FINAREA ne jouissant pas de la majorité au conseil de direction, elle ne dispose d’aucune maîtrise sur la stratégie d’IBL Groupe. Certes, comme l’indique les consorts [V] dans ses écritures, la société FINAREA dispose d’un droit de veto. Cependant, un tel droit est plus l’apanage d’une instance susceptible de paralyser une stratégie mise en oeuvre par autrui, que le signe d’une direction concrète d’une structure.
le bilan FINAREA :
Madame [K] [V] a versé des sommes au profit de la société FINAREA au titre des années 2009 et 2010. Or, le bilan au titre de l’exercice clos au 30 juin 2010 ne permet pas d’affirmer qu’à cette date, la société FINAREA exerçait une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. En effet, la comparaison entre les sommes consacrées aux services liés à l’animation, et celles dédiées aux autres achats confirme le rôle qui était alors le sien : celui d’un gestionnaire de patrimoine mobilier.
le pacte d’associés entre la société FINAREA et les associés historiques d’IBL Groupe :
En pièce n° 25, les appelants versent aux débats le pacte d’associés souscrit entre les époux [O], actionnaires de la société IBL Groupe, identifiés comme ‘les entrepreneurs’ et la société FINAREA désignée comme ‘l’investisseur’. Il résulte de cette convention que les fondateurs de ce groupe entendent pleinement conserver les prérogatives qui sont les leurs en qualité de dirigeants historiques, en ce que divers facteurs déterminants sont énumérés au paragraphe D dont notamment :
-la personnalité et l’expérience de M. [O],
-son implication personnelle dans le développement de la société,
-la détention par la société de l’intégralité des titres de deux filiales,
-la volonté de la société de conduire la stratégie de développement présentée à l’investisseur.
Il résulte de ce pacte d’associés que les actionnaires historiques n’entendaient nullement laisser la société FINAREA animer leur groupe.
le contrat d’animation avec l’EURL MIJAVA :
Un ‘contrat de prestation de services’ (pièce n° 3 de l’administration fiscale) a été souscrit entre le GIE FINAREA Services agissant pour le compte et ordre de la Holding Animatrice FINAREA Avenir PME et l’EURLMIJAVA, dénommée ‘gérant de participation’. Les missions du gérant y sont définies notamment de la façon suivante :
-le gérant de participation s’implique au quotidien dans l’accompagnement stratégique de la PME,
-il aidera par ses conseil, son expertise et son expérience, les dirigeants de la PME et favorisera la mise en place de missions d’expert, le cas échéant,
-il mettra tout en oeuvre pour favoriser le développement harmonieux et la valorisation à terme de la PME.
Il résulte de cette convention que ce n’est nullement la société FINAREA qui entendait effectivement conduire la stratégie et l’animation de la société opérationnelle.
3. Sur la conformité du rehaussement au droit de l’union européenne :
Les consorts [V] sollicitent :
-que soient communiqués par l’Administration des finances publiques, sous astreinte provisoire, pendant deux mois, de 1.000 € par jour de retard à compter du huitième jour suivant la signification de la décision à intervenir, des rescrits [G] et [E] dans leur version originale ou expurgée des éléments prétendument confidentiels ;
-que soient posées les trois questions préjudicielles rappelées au stade de l’exposé du litige.
Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir :
-qu’il convient de se demander si la décision de la Commission réservant la réduction ISF PME aux PME en phases liminaires de développement doit s’interpréter comme interdisant la réduction aux investissements dans les holdings animatrices ne détenant pas encore de participation à la date de la souscription voire dont l’actif n’est pas encore principalement composé de titres de participation (question n° 1). En d’autres termes, est-il possible de réserver le bénéfice de la réduction d’impôts aux holdings d’ores et déjà pleinement animatrices , en excluant celles-qui sont en phase de démarrage ‘
-qu’un rescrit pouvant être interprété comme accordant un avantage fiscal à certains souscripteurs, il convient de se demander s’il ne doit pas donner lieu à notification préalable (question n° 2) et si, une possible atteinte au principe notamment de la liberté de circulation des capitaux ne commande pas au juge national d’ordonner la production du rescrit litigieux (question n° 3).
L’administration fiscale répond :
-qu’il s’agit d’interpréter une disposition interne du CGI et que ce sont les sociétés opérationnelles qui doivent être en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion pour que le dispositif soit éligible,
-que les deux décisions de rescrit [W] et [E] ne constituent pas des prises de position de portée générale, qu’elles sont sans intérêt dans le présent litige, qu’elles ne constituent pas des aides d’Etat et que la règle du secret professionnel s’oppose à la communication sollicitée. Les moyens susvisés appellent les observations suivantes.
Ces moyens appellent les observations suivantes de la cour.
Sur la communication des rescrits [W] et [E] :
Les rescrits fiscaux litigieux ont été obtenus par les deux sociétés concernées sur la base de montages juridiques et fiscaux précis, et de circonstances de faits qui sont propres à ces personnes morales. Ils n’ont dès lors aucune portée générale qui les rendraient opposables à tous les contribuables. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner leur communication.
Sur les questions préjudicielles :
Comme rappelé au stade de l’exposé du litige, l’objectif poursuivi par le dispositif de réduction d’impôt dénommé ‘ISF-PME’ est de soutenir les PME en voie de création ou en voie d’expansion.
Le Bulletin Officiel des Impôts 7 S-3-08 précise :
-en son paragraphe 80 : ‘la société bénéficiaire des versements doit être en phase d’amorçage, de démarrage ou d’expansion au sens des lignes directrices’,
-en son paragraphe 81 : ‘En cas d’investissement indirect via une société holding, la condition relative à la phase de développement de la société, ne s’applique qu’à la société cible’. (souligné par la cour)
Par société cible, il convient d’entendre société opérationnelle.
Par arrêt du 3 mars 2021 (n° 19-21.161), la chambre commerciale de la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel qui a relevé que le 15 juin 2009, la société FINAREA Entreprises se trouvait en phase d’étude de dossiers d’investissement, n’avait pris aucune participation dans une société et n’avait elle-même exercé aucune activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale pour estimer que la souscription effectuée par un contribuable au capital de la société FINAREA Entreprise n’était pas éligible à la réduction d’ISF au titre de l’année 2009.
La question préjudicielle n°1 relative aux sociétés holdings en phase de démarrage trouve sa réponse dans un article interne du Code Général des Impôts commenté par une instruction administrative, et interprété par la Cour de cassation dans un arrêt de principe.
Les questions n° 2 et 3 portent sur une inégalité alléguée qui résulterait de rescrits accordés aux sociétés [G] et [E], et dès lors la nécessité pour le juge national d’imposer leur production. La réponse sur ce point a déjà été apportée par la cour de céans au paragraphe ci-dessus intitulé ‘Sur la communication des rescrits [W] et [E]’.
Il n’y a donc pas lieu de faire droit aux demandes relatives à la communication de rescrits et aux questions préjudicielles présentées par les appelants.
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Il résulte de l’ensemble des observations développées ci-dessus qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de rejeter les demandes des consorts [V].
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Les appelants qui succombent seront solidairement condamnés aux entiers dépens de première instance et d’appel, dès lors, au paiement de la somme de 2.000 euros au profit de l’établissement des finances publiques.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
Déclare l’appel recevable,
Ordonne la rectification du dispositif du jugement déféré en ce sens qu’en lieu et place de :
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] à la cour de justice de l’union européenne, (…)
– Déboute in solidum Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] aux entiers dépens,
il convient de lire :
– Déboute Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] de leur demande tendant à poser diverses questions à la cour de justice de l’union européenne, (…)
– Condamne in solidum Monsieur [L] [V], Madame [J] [V] et Monsieur [D] [V] aux entiers dépens,
Confirme le jugement déféré tel que rectifié ci-dessus en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute Monsieur [L] [V], Monsieur [D] [V] et Madame [J] [V] de leur demande au titre des frais irrépétibles et les condamne solidairement de ce chef au paiement de la somme de 2.000 euros au profit de l’établissement public Direction régionale des finances publiques de PACA et du département des Bouches-du-Rhone,
Condamne Monsieur [L] [V], Monsieur [D] [V] et Madame [J] [V] aux entiers dépens d’appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,