Résiliation de contrat : la responsabilité du gérant

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Résiliation de contrat : la responsabilité du gérant

Le gérant liquidateur amiable d’une société engage sa responsabilité en ne résiliant pas un contrat dans les formes prévues.

Aux termes de l’article L. 237-12 alinéa 1er du code de commerce :   « Le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions. »

A l’égard des tiers, la dissolution ne produit effet qu’à compter de la date à laquelle elle est publiée au RCS, en application de l’article L. 237-2 alinéa 3 du code de commerce, soit ici le 3 février 2021 d’après l’extrait Kbis de la société […] produit.

Aux termes de l’article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce : « Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. »


 

 

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 12 MAI 2023

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/12295 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCEH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juin 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2021039605

APPELANT

Monsieur [Y] [B]

[Adresse 5]

[Localité 2]

né le 26 Juin 1955 à [Localité 4]

représenté par Me Isabelle CAILLABOUX-ROUQUET de la SELARL LUTETIA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1917

INTIMEE

S.A.S. […]

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 488 896 119 ( PARIS)

représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE , Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de chambre

Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère,

Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,

Qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, Greffier présent lors de la mise à disposition.

La société […], qui avait pour activité le dépôt-vente de véhicules d’occasion, a souscrit auprès de la société […] le 2 décembre 2015 un « ordre de publicité de longue conservation » pour une réservation d’espace publicitaire sur des écrans en place au Centre Leclerc d'[Localité 4]. Était prévue la diffusion de 40 à 60 spots par jour d’une durée de 10 secondes chacun pour l’annonce de la vente de véhicules que la société […] avait en dépôt-vente.

La société […] a fait opposition aux prélèvements en mars 2019.

M. [Y] [B] a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 31 décembre 2020 et a demandé la liquidation amiable de sa société, lui-même étant nommé liquidateur.

Suivant lettre du 5 février 2021, la société […] a sollicité le paiement de la dernière année et des quatre années reconduites tacitement, en vain.

Suivant exploit du 29 juillet 2021, la société […] a fait assigner la société […] et M. [Y] [B] en paiement devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 1er juin 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

débouté la société […] de sa demande de dire non écrite la clause attributive de juridiction et de déclarer incompétent le tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce d’Alençon,

condamné la société […] à régler à la société […] la somme de 1.966,80 euros TTC au titre des prestations de diffusion impayées pour le contrat initial, majorée des intérêts au taux égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, et ce à compter de l’exigibilité des factures jusqu’à parfait paiement, avec anatocisme,

condamné la société […] à régler à la société […] la somme de 1.788 euros TTC au titre du contrat reconduit, soit jusqu’en décembre 2020, majorée des intérêts au taux égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, et ce à compter de la date de la mise en demeure du 5 février 2021,

condamné la société […] à régler à la société […] la somme de 960 euros TTC au titre des frais d’impayés, majoré des intérêts au taux égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage, et ce à compter de l’exigibilité des factures et jusqu’à parfait paiement, avec anatocisme,

condamné M. [Y] [B] in solidum avec la société […] à régler à la société […] le paiement des condamnations prononcées à l’encontre de la société […],

dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres, et les en a déboutées,

a condamné in solidum la société […] et M. [Y] [B] aux dépens,

a condamné in solidum la société […] et M. [Y] [B] à payer la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société […],

a rappelé que l’exécution provisoire était de droit.

M. [Y] [B] a formé appel du jugement par déclaration du 1er juillet 2022 enregistrée le 19 juillet 2022.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 2 août 2022, M. [Y] [B] demande à la cour :

d’annuler le jugement attaqué pour défaut de motivation sur le fondement de l’article 458 du code de procédure civile,

Au fond, d’infirmer le jugement attaqué,

de dire et juger que la société […] ne démontre pas que Monsieur [Y] [B], en sa qualité de liquidateur amiable de la société […], a commis une faute de nature extra-contractuelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil à son détriment, c’est-à-dire lui ayant causé un préjudice,

Subsidiairement de dire et juger que la société […] ne justifie pas avoir subi un préjudice relevant de la perte de chance d’obtenir le paiement de sa créance,

En conséquence, de débouter la société […] de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre Monsieur [Y] [B],

de condamner la société […] à payer à Monsieur [Y] [B] la somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

de condamner la société […] aux entiers dépens de première instance et d’appel sur le fondement de l’article 696 du code de procédure civile.

Suivant ses dernières conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 13 octobre 2022, la société […] demande à la cour, au visa de l’article 562 du code de procédure civile, des articles L.223-22 et L. 237-12 du code de commerce et des articles 1240 et suivants du code civil :

de déclarer irrecevable et, en tout état de cause, mal fondé Monsieur [Y] [B] en sa demande d’annulation du jugement dont appel ;

de débouter Monsieur [Y] [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

de condamner Monsieur [Y] [B] à verser à la société […] la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

de condamner Monsieur [Y] [B] aux entiers dépens.

*

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 20 octobre 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande d’annulation du jugement

La société […] soutient que la demande d’annulation du jugement formée par M. [B] est irrecevable en ce qu’elle n’a pas été formulée dans la déclaration d’appel du 1er juillet 2022 qui interjetait appel limité de la décision.

M. [Y] [B] requiert l’annulation du jugement pour défaut de motivation en ce qui le concerne. Il fait valoir que le tribunal de commerce n’a pas indiqué ce qui justifiait une condamnation in solidum alors qu’il contestait avoir commis une faute personnelle en qualité de liquidateur amiable, rappelait qu’il n’avait pas clôturé les opérations et affirmait n’avoir causé aucun préjudice à la société […].

S’agissant de la recevabilité de la demande d’annulation du jugement, il est manifeste que M. [B] a, dans les trois mois qui lui étaient impartis, formé cette prétention dans ses conclusions signifiées le 2 août 2022. Il est donc recevable à ce faire.

Aux termes de l’article 455 du code de procédure civile :

« Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé.

Il énonce la décision sous forme de dispositif. »

En vertu de l’article 458 du même code :

« Ce qui est prescrit par les articles 447, 451, 454, en ce qui concerne la mention du nom des juges, 455 (alinéa 1) et 456 (alinéas 1 et 2) doit être observé à peine de nullité.

Toutefois, aucune nullité ne pourra être ultérieurement soulevée ou relevée d’office pour inobservation des formes prescrites aux articles 451 et 452 si elle n’a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement par simples observations, dont il est fait mention au registre d’audience. »

Il résulte de l’examen des motifs du jugement querellé que si la condamnation de la société […] est dûment développée, la condamnation de M. [Y] [B] en sa qualité de gérant et/ou de liquidateur amiable n’est pas motivée. Il est tout au plus indiqué que « M. [Y] [B] a été informé avant la liquidation amiable de la société dont il a été lui-même en charge » de la reconduction automatique du contrat pour quatre nouvelles années, sans qu’il n’en soit tiré aucune conséquence quant à sa responsabilité personnelle.

Il convient en conséquence d’annuler le jugement en ce qu’il condamne M. [Y] [B] in solidum avec la SARL […] à régler à la société […] le paiement des condamnations prononcées à l’encontre de la SARL […], y compris celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Sur la responsabilité de M. [Y] [B]

Pour critiquer le jugement le jugement en ce qu’il l’a condamné in solidum avec la société […] dont il est l’associé unique, M. [Y] [B] fait valoir que les opérations de liquidation n’ont pas été clôturées et que la société […] n’est pas radiée du registre du commerce. Il soutient que la société […] ne rapporte pas la preuve d’une faute personnelle de sa part permettant d’engager sa responsabilité extra-contractuelle en tant que liquidateur.

La société […] soutient que M. [Y] [B] a engagé sa responsabilité d’une part en sa qualité de gérant et d’autre part en sa qualité de liquidateur amiable de la société […].

Aux termes de l’article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce :

« Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. »

Il n’est pas contesté que M. [Y] [B] a demandé à sa banque d’arrêter tout prélèvement au profit de la société […] à compter de mars 2019 et ce alors que le contrat prévoyait que le prix serait réglé par prélèvement mensuel de 149 euros HT. La société […] lui reproche d’avoir organisé l’insolvabilité de la société […] pendant près de deux ans, de mars 2019 au 19 novembre 2020, date de la décision de M. [B] en qualité d’associé unique de dissoudre sa société, de la placer sous le régime de la liquidation amiable et de se charger des opérations de liquidation en tant que liquidateur amiable.

L’appelant a réceptionné le 16 octobre 2020 la lettre recommandée avec accusé de réception de la société […] l’informant de la reconduction tacite du contrat et de la facture de la première annuité de ce contrat reconduit.

Il ne pouvait ignorer les formalités requises par les dispositions contractuelles pour dénoncer le contrat qu’il avait signé le 2 décembre 2015 en sa qualité de gérant associé unique de la société […]. En effet, les conditions particulières du contrat, précisées de façon manuscrite dans l’ « offre de publicité de longue conservation bon de commande n° 2015/48/61248 » :

« 1) Résiliation anticipée au bout de 24 mois uniquement dans le cas d’une cessation d’activité ou de vente du fonds de commerce, en respectant le préavis prévu à l’article 3 des CGV, pour un contrat de 24 mois.

Tarif accordé sur frais de création et 1 chèque d’acompte de 360 euros TTC

48 x 149 HT

Prélèvement le 15 de chaque mois. »

L’article 3 intitulé « Durée- Renouvellement » des Conditions Générales de vente énonce :

« L’ordre de publicité de longue conservation dont les modalités sont déterminées au bon de commande est conclu pour la durée déterminée de 12 mois, 24 mois, 36 mois ou 48 mois, indiquée en annexe des présentes Conditions Générales de Vente. Ce contrat prend effet au jour de la 1ère diffusion du message publicitaire commandé ou encore au premier jour de diffusion de l’un des messages en cas de commande portant sur plusieurs spots. Ce contrat se renouvellera par tacite reconduction pour une période de même durée, sauf dénonciation par lettre recommandée avec AR par l’une ou l’autre des parties reçue à l’adresse du siège social de son cocontractant, seize mois ua moins avant son échéance pour un contrat de 48 mois, douze mois au moins avant son échéance pour un contrat de 24 mois, six mois au moins avant son échéance pour un contrat de 12 mois.

En cas de signature d’un contrat dont la durée initiale est supérieure à 48 mois de diffusion, le contrat en question pourra être dénoncé par lettre recommandée avec AR 24 mois avant son échéance.

A défaut de dénonciation dans ce délai de préavis de 24 mois, le contrat sera renouvelé par tacite reconduction.

Le non-respect de la forme recommandée avec accusé de réception ou des délais ci-dessus reconduit le contrat entre les parties. »

M. [Y] [B] n’ignorait donc pas la reconduction tacite de son contrat et les sommes dues par la société dont il était le gérant. Il a enjoint à sa banque d’empêcher tout prélèvement provenant de la société […] sans pour autant dénoncer le contrat en conformité avec les dispositions contractuelles précitées. Il a ainsi commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle vis-à-vis de la société […].

Aux termes de l’article L. 237-12 alinéa 1er du code de commerce :

« Le liquidateur est responsable, à l’égard tant de la société que des tiers, des conséquences dommageables des fautes par lui commises dans l’exercice de ses fonctions. »

A l’égard des tiers, la dissolution ne produit effet qu’à compter de la date à laquelle elle est publiée au RCS, en application de l’article L. 237-2 alinéa 3 du code de commerce, soit ici le 3 février 2021 d’après l’extrait Kbis de la société […] produit.

Les deux lettres recommandées mettant en demeure M. [B] de payer ont été adressées par la société […] le 5 février 2021 l’une à son domicile personnel et l’autre au siège social de la société […]. Les deux accusés de réception ont été signés. La lettre de mise en demeure adressée par le conseil de la société […] le 26 avril 2021 est également restée lettre morte.

L’appelant indique que la société […] est une société à responsabilité limitée à associé unique, qu’elle n’a aucun salarié, qu’il en était le gérant et qu’il a cessé son activité professionnelle pour faire valoir ses droits à la retraite au 31 décembre 2020.

S’il soutient que la société est toujours existante pour les besoins de la liquidation, il déclare cependant dans le corps de ses conclusions qu’elle « n’a de toute façon aucun actif permettant de payer la créance. ». Alors qu’il était informé de la reconduction du contrat, M. [B] a décidé de dissoudre sa société et n’a pas provisionné la créance de la société […].

Il a donc commis une faute en tant que liquidateur amiable en compromettant gravement le recouvrement de la créance de la société […]. S’il soutient qu’il ne s’agirait d’une perte de chance dans la mesure où si l’actif de la société […] est insuffisant à désintéresser son créancier, il sera amené à solliciter l’ouverture d’une procédure collective, force est de constater qu’il ne justifie d’aucune démarche en ce sens à ce jour et ne donne aucun élément sur les actifs de la société qui auraient été liquidés. Le préjudice subi par la société […] est donc caractérisé.

Il convient par conséquent de condamner M. [Y] [B] in solidum avec la société […] à régler à la société […] le paiement des condamnations prononcées à l’encontre de la société […], y compris celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, résultant du jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er juin 2022.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. [B] succombant à l’action, il convient, statuant de ces chefs en cause d’appel, de le condamner aux dépens. Il apparaît également équitable de le condamner à payer à la société […] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

ANNULE le jugement en ce qu’il condamne M. [Y] [B] in solidum avec la SARL […] à régler à la société […] le paiement des condamnations prononcées à l’encontre de la SARL […], y compris celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE M. [Y] [B] in solidum avec la société […] à régler à la société […] le paiement des condamnations prononcées à l’encontre de la société […], y compris celles relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, résultant du jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er juin 2022 ;

CONDAMNE M. [Y] [B] aux dépens d’appel ;

CONDAMNE M. [Y] [B] à payer à la société […] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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