Droit de filmer la maltraitance animale c/ Droit de propriété
Droit de filmer la maltraitance animale c/ Droit de propriété

L’association L214 (l’association), qui a pour objet la protection animale, a mis en ligne sur son site internet et les réseaux sociaux un film tourné après s’être introduit sans autorisation dans les bâtiments d’un élevage de lapins exploité par la société civile d’exploitation agricole Realap (la SCEA).

Le 5 novembre 2020, invoquant une atteinte à son droit de propriété, une violation de domicile, une atteinte à la réglementation sanitaire en matière d’élevage et un trouble manifestement illicite, la SCEA a assigné en référé l’association afin d’obtenir le retrait du film litigieux, l’interdiction de son utilisation sous astreinte, la publication de la décision à intervenir et une provision à valoir sur la réparation de son préjudice.

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CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 février 2023

Cassation partielle

M. CHAUVIN, président

Arrêt n° 111 F-D

Pourvoi n° P 22-10.542

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023

L’association L214, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 22-10.542 contre l’arrêt rendu le 30 novembre 2021 par la cour d’appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l’opposant à la société Realap, société civile d’exploitation agricole dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l’association L214, de la SCP Spinosi, avocat de la société Realap, après débats en l’audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

* * * Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 30 novembre 2021), rendu en référé, le 30 septembre 2020, l’association L214 (l’association), qui a pour objet la protection animale, a mis en ligne sur son site internet et les réseaux sociaux un film tourné après s’être introduit sans autorisation dans les bâtiments d’un élevage de lapins exploité par la société civile d’exploitation agricole Realap (la SCEA).

2. Le 5 novembre 2020, invoquant une atteinte à son droit de propriété, une violation de domicile, une atteinte à la réglementation sanitaire en matière d’élevage et un trouble manifestement illicite, la SCEA a assigné en référé l’association afin d’obtenir le retrait du film litigieux, l’interdiction de son utilisation sous astreinte, la publication de la décision à intervenir et une provision à valoir sur la réparation de son préjudice.

* * * Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L’association fait grief à l’arrêt de déclarer l’action de la SCEA recevable, d’ordonner le retrait du film litigieux et son interdiction sous astreinte, la publication de l’arrêt et de la condamner au paiement d’une provision à valoir sur le préjudice de la SCEA, alors « que les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur un autre fondement ; qu’il appartient au juge de restituer leur exacte qualification aux faits litigieux sans s’arrêter à la qualification retenue par les parties ; que pour déclarer l’action recevable, la cour d’appel a énoncé que l’assignation ne se référait pas expressément à une diffamation ; qu’elle a ajouté qu’elle ne pouvait pas interpréter cette assignation pour rechercher si, au-delà des demandes expressément formulées, l’action n’avait pas pour véritable objet la sanction d’un abus de la liberté d’expression ; qu’en s’interdisant de rechercher la véritable qualification des faits litigieux, la cour d’appel a violé l’article 12 du code de procédure civile et l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »

* * * Réponse de la Cour

4. Contrairement à ce que soutient le moyen, la cour d’appel ne s’est pas interdit de rechercher la véritable qualification des faits litigieux, mais a constaté que l’action était exclusivement fondée sur l’existence d’un trouble manifestement illicite résultant de la violation du droit de propriété de la SCEA, du droit à la protection de son domicile et de la mise en péril de ses intérêts par l’atteinte aux règles sanitaires applicables à son élevage, que l’assignation ne se prévalait d’aucun fait qui pourrait relever de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, et que rien ne justifiait son application.

5. Le moyen manque donc en fait.

* * * Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. L’association fait grief à l’arrêt d’ordonner le retrait du film litigieux et son interdiction sous astreinte, la publication de l’arrêt et de la condamner au paiement d’une provision à valoir sur le préjudice de la SCEA, alors « que pour apprécier l’illicéité manifeste du trouble résultant d’une atteinte à un droit conventionnellement garanti, le juge des référés est tenu de rechercher si cette atteinte n’est pas justifiée par l’exercice d’un droit fondamental de même valeur, et doit s’assurer que les mesures qu’il ordonne ne portent pas une atteinte disproportionnée à un tel droit ; que la liberté d’informer constitue un droit fondamental au même titre que le droit de propriété ; qu’en énonçant seulement, pour refuser de rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si la diffusion des images de l’élevage prises par l’association L214 n’était pas nécessaire à la tenue d’un débat public d’intérêt général sur la question du bien-être animal, que l’association L214 disposait déjà de vidéos et n’avait pas besoin de nouvelles captations pour défense sa cause, la cour d’appel, qui n’a pas opéré le contrôle de proportionnalité entre la liberté d’informer et le droit de propriété auquel il lui appartenait de procéder, a violé l’article 809 du code de procédure civile, dans sa version applicable à l’espèce, ensemble les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 1er de son protocole additionnel n°1. »

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