Droit de la presse : 7 mars 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00856

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Droit de la presse : 7 mars 2023 Cour d’appel de Nîmes RG n° 20/00856
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ARRÊT N°

N° RG 20/00856 – N° Portalis DBVH-V-B7E-HVRM

MS/DO/EB

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NIMES

07 février 2020

RG :F 17/00802

[G] [N]

C/

SELARL LEGIPOLIS AVOCATS

S.C.P. SCP PELLIER

Association UNEDIC – DELEGATION AGS – CGEA DE MARSEILLE

S.A.S. CORINTHE INGENIERIE

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 07 MARS 2023

APPELANTE :

Madame [I] [G] [N]

née le 05 Septembre 1973 à [Localité 12] DU CHILI

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée par Me Emmanuelle JONZO de la SCP LOBIER & ASSOCIES, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Nicole GASIOR, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉES :

SELARL LEGIPOLIS AVOCATS

[Adresse 3]

SOPHIA ANTIPOLIS

[Localité 1]

Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Stéphanie DROUET, avocat au barreau de MONTPELLIER

S.C.P. SCP PELLIER SCP PELLIER es qualité de mandataire judiciaire de la SELARL LEGIPOLIS AVOCATS

assignée à sa personne

[Adresse 6]

[Localité 2]

Association UNEDIC – DELEGATION AGS – CGEA DE MARSEILLE

[Adresse 10]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-charles JULLIEN de la SCP LAICK ISENBERG JULLIEN SAUNIER GARCIA, avocat au barreau de NIMES

S.A.S. CORINTHE INGENIERIE

[Adresse 9]

[Localité 7]

Représentée par Me Jérôme PRIVAT, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Cécilia LASNE, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 24 Novembre 2022, révoquée sur le siège sur demande conjointe des parties et clôturée à nouveau au jour de l’audience avant l’ouverture des débats,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président

Madame Leila REMILI, Conseillère

M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Madame Delphine OLLMANN, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 08 Décembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 07 Mars 2023.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 07 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Mme [I] [G] a été engagée à compter du 1er janvier 2016 suivant contrat à durée indéterminée en qualité d’avocate salariée par la SELARL Legipolis avocats.

Le 28 juin 2017, Mme [I] [G] a été mise à pied à titre conservatoire.

Le 13 juillet 2017, Mme [I] [G] a été licenciée pour faute lourde, par un courrier de 9 pages faisant état de 6 griefs.

Par requête du 8 novembre 2017, Mme [I] [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes en condamnation de la SELARL Legipolis avocats et de la SASU Corinthe Ingéniérie en leur qualité de co employeurs en paiement de diverses sommes à caractère indemnitaire.

Le 21 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la SELARL Legipolis avocats.

Par jugement du 7 février 2020, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :

– dit que la société Legipolis est le seul employeur de la demanderesse,

– requalifié le licenciement pour faute lourde en licenciement pour faute grave,

– dit que la mise à pied conservatoire était justifiée,

– débouté la société Legipolis de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,

– condamné la demanderesse à payer la somme de 2.000 euros pour procédure abusive à la société Legipolis,

– condamné la demanderesse à payer 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la société Legipolis,

– rejeté les pièces 41,42 et 43 produites par la demanderesse,

– débouté Mme [I] [G] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné la demanderesse à payer 2.000 euros pour procédure abusive à la société Corinthe Ingénierie,

– condamné la demanderesse à payer 500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile à la société Corinthe Ingénierie,

– condamné la demanderesse aux entiers dépens.

Par acte du 5 mars 2020, Mme [I] [G] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

* * *
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 22 novembre 2022, Mme [I] [G] demande à la cour de :

– constater que Mme [I] [G] travaillait pour la SELARL Legipolis avocats

et la SASU Corinthe ingénierie,

– constater l’absence de toute faute grave ou lourde et cause réelle et sérieuse fondant la mesure de licenciement,

– constater la nullité de plein droit du licenciement portant atteinte à une liberté

fondamentale,

– constater la nullité du licenciement intervenu pendant la période de suspension du contrat de travail pour accident du travail,

En conséquence,

– réformer le jugement du conseil de prud’hommes querellé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a constaté l’absence de faute lourde,

Et statuant à nouveau,

– juger que le cabinet Legipolis avocats et la société Corinthe ingénierie sont co-employeurs de Mme [I] [G],

A titre principal,

– juger le licenciement nul,

A titre subsidiaire,

– juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

– condamner solidairement le cabinet Legipolis avocats et la société Corinthe ingénierie et fixer la créance au passif du cabinet Legipolis avocats les sommes suivantes :

– 8.400,00 euros au titre de l’indemnité de préavis,

– 840,00 euros au titre des congés payés afférents,

– 840,00 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement

– 16.800,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans

cause réelle et sérieuse,

– 8.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire en réparation du préjudice moral subi,

– ordonner sur le fondement de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse, et sur le fondement de l’article 24 du code de procédure civile que la société Corinthe ingénierie cancelle les écritures développées en sa cause relatives au passage déclarant Mme [I] [G] comme étant à l’origine d’un vol, d’un détournement,

– condamner solidairement le cabinet Legipolis avocats et la société Corinthe ingénierie à verser à Mme [I] [G] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour écrits injurieux, outrageants et diffamatoires qui portent atteintes à son honneur et à sa considération,

– juger que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter 17 juillet 2017,

– juger qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1154 du code civil et que les intérêts échus et dus sur les sommes allouées porteront également intérêt,

– débouter les sociétés Legipolis avocats et Corinthe ingénierie de leurs demandes

reconventionnelles,

– juger l’arrêt à intervenir opposable au CGEA,

– juger que l’ensemble des condamnations seront inscrites au passif de la SELARL Legipolis avocats,

– condamner solidairement les requises au paiement de la somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et fixer la créance au passif du cabinet Legipolis avocats,

– condamner solidairement les requises aux entiers dépens toutes taxes comprises et fixer la créance au passif du cabinet Legipolis avocats.

Mme [I] [G] soutient que :

– sur le co-emploi

– dès la création de la société Corinthe Ingéniérie en février 2015, elle devait effectuer pour le compte de cette dernière diverses tâches juridiques, administratives et comptables,

– à compter de janvier 2016, date de son embauche par la SELARL Légipolis avocats, elle ne devait plus s’y consacrer qu’à mi-temps. Cela ressort clairement des échanges d’emails entre M. [W] (de la société Corinthe Ingénierie) et Maître [F],

– dès son embauche par la société Légipolis avocats, cette dernière va facturer mensuellement à la SAS Corinthe Ingénierie l’exécution de prétendues missions juridiques pour un montant de 2100,00 euros (soit le salaire net mensuel versé par la société d’avocats),

– la société Corinthe Ingénierie lui donnait des ordres. Son bureau se trouvait dans les locaux de celle-ci,

– elle s’est vue remettre par la SAS Corinthe Ingénierie l’ensemble des outils nécessaires à la réalisation de ses tâches,

– le lien de subordination avec cette société est dès lors établi,

– après son embauche par la SELARL Légipolis avocats, en janvier 2016, elle continuera d’effectuer pour la SAS Corinthe Ingénierie le même travail qu’elle effectuait déjà,

– elle était le « conseil direct » de la SAS Corinthe Ingénierie,

– le montage juridique réalisé entre les deux sociétés avait pour ambition de dissimuler la relation de travail existante avec la SAS Corinthe Ingénierie,

– l’existence d’un contrat de travail avec cette dernière est dès lors établie,

– la SAS Corinthe Ingénierie l’accuse d’avoir dérobé ses preuves, pour l’essentiel des courriels, afin de les voir écartées des débats,

– il s’avère que lesdits courriels lui ont été adressés en copie cachée ou transférés par M. [W] lui-même comme le démontre un procès-verbal de constat d’huissier établi le 5 mars 2019,

– la plainte déposée par M. [W] été classée sans suite,

– il est ainsi démontré qu’elle était en situation de co-emploi,

– sur le licenciement pour faute lourde par la société Légipolis avocats

– Sur la prétendue transmission d’une note juridique

– le 8 juin 2017, c’est bien la SAS Corinthe Ingénierie et non la SELARL Légipolis avocats qui devait directement la solliciter pour qu’elle rédige une note en rapport avec l’un de ses marchés publics en cours,

– elle soulevait le caractère illégal du contrat de sous-traitance envisagé,

– elle conteste avoir transmis la note juridique litigieuse sans la validation de Me [F],

– l’employeur produits deux attestations de M. [W] ; or, il s’avère que l’écriture manuscrite ainsi que la signature de celui-ci divergent d’une attestation à l’autre,

– les échanges de SMS avec Me [F] montrent, contrairement à ce qui est indiqué par ce dernier, qu’il n’y avait entre eux aucun malaise ou gène qui aurait pu être occasionné par un quelconque reproche,

– elle démontre que contrairement aux termes de la lettre de licenciement et aux affirmations adverses :

– L’employeur ne démontre pas la transmission de la note litigieuse en violation de ses directives et instructions,

– Elle n’a pas manqué à son devoir de loyauté en transgressant délibérément les directives de son employeur dans le but de lui nuire,

– Postérieurement à ces faits prétendument litigieux, les relations entre les parties n’étaient pas dégradées, preuve de l’absence de toute difficulté qui serait liée à ces faits,

– les sociétés Légipolis avocats et Corinthe Ingénierie ont toujours présenté deux récits distincts sur l’épisode de la note,

– Sur sa prétendue déloyauté

– elle conteste fermement avoir sollicité une embauche auprès de la SAS Corinthe Ingénierie,

– l’attestation de M. [W] concomitante aux faits ne fait nullement mention d’un entretien le 26 juin 2017, seule la seconde attestation, avec une écriture et une signature différentes de la première et rédigée plus d’un an après les faits, mentionne qu’elle lui aurait « fait comprendre qu’elle aimerait que CORINTHE l’embauche en qualité de juriste interne afin de faire l’ensemble des missions que CORINTHE confiait au Cabinet LEGIPOLIS »,

– elle n’a jamais sollicité d’emploi auprès de la SAS Corinthe Ingénierie, elle y travaillait déjà,

– Sur ses prétendues menaces et son intention de déposer plainte auprès du procureur de la République

– le courriel adressé à la SELARL Légipolis avocats, le 27 juin 2017, ne constituait en rien une menace,

– il visait seulement à consigner les faits survenus le 26 juin 2017 et à souligner son refus de signer la rupture conventionnelle que Me [C] [F] avait rédigée en le mettant en demeure de ne plus lui transmettre de faux documents sous peine d’avoir à saisir le procureur de la République, à savoir un courrier rédigé en son nom daté du 7 mai 2017 et non signé, deux comptes rendus d’entretien qui n’ont jamais eu lieu,

– la procédure de licenciement trouve son origine dans le courriel qu’elle devait leur adresser le 27 juin 2017 afin de dénoncer leur procédé consistant à antidater des documents comportant de fausses informations en vue d’imposer une rupture conventionnelle,

– le 29 juin 2017, elle déposera plainte pour vol, violence et faux à l’encontre de la SELARL Légipolis avocats,

– le 7 juillet 2017, la SELARL Légipolis avocats déposera plainte à son encontre « pour coups et blessures volontaires, faux et usage de faux, escroquerie et complicité »,

– la société d’avocats a délibéremment entendu la sanctionner pour avoir exercé sa liberté fondamentale constitutionnellement garantie de déposer plainte, d’où la nullité du licenciement prononcé,

– Sur ses prétendues absences injustifiées

– le 23 mai 2017, elle devait accuser un simple retard et non pas une absence de son lieu de travail,

– les 4 et 19 mai 2017, elle devait informer la SELARL Légipolis avocats et la SAS Corinthe Ingénierie devoir s’absenter de son lieu de travail afin de conduire sa mère malade à une séance de chimiothérapie avec leur accord,

– les 5 mai 2017, 14 et 23 juin 2017 après-midi, elle était bien présente sur son lieu de travail,

– les 12 mai et les 7 et 8 juin 2017, elle était absente de [Localité 7] mais en télétravail,

– Sur son prétendu comportement insolent, insubordonné, agressif, violent et

irrespectueux le jour de sa mise à pied

– venus depuis les Alpes Maritimes jusqu’au Var, Maîtres [A] [Y] et [C] [F] n’avaient d’autre ambition que de récupérer les faux documents transmis,

– Me [Y] a tenté de lui arracher sa sacoche et l’a blessée physiquement, ce qui l’a conduite à déposer plainte pour vol, violence et faux à l’encontre de la SELARL Légipolis avocats,

– elle a été victime et non auteur des faits qui lui sont reprochés,

– Sur le prétendu faux arrêt de travail

– il résulte de deux certificats médicaux qu’elle a bien été victime de lésions causées par l’un de ses employeurs, Me [A] [Y], sur son lieu de travail et durant son temps de travail,

– si la CPAM a refusé la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, elle n’a pas pour autant jugé les arrêts de travail comme frauduleux,

– la plainte déposée par la SELARL Légipolis avocats a été classée sans suite,

– Sur le prétendu émoi suscité par la télécopie envoyée auprès des collaboratrices de la SELARL Légipolis avocats

– aucun membre du personnel, dont les deux avocates collaboratrices que la SELARL Légipolis avocats a citées dans sa lettre de licenciement, n’ont attesté pour confirmer leur prétendu émoi à réception du fax du 5 juillet 2017,

– elle a adressé ce courrier par télécopie adressée aux seuls noms de Maîtres [Y] et [F] permettant d’avoir une date de réception certaine afin d’informer ses employeurs qu’elle ne se présenterait pas à l’entretien préalable, en en exposant les motifs.

En l’état de ses dernières écritures en date du 23 novembre 2022, contenant appel incident, la SELARL Legipolis avocats demande à la cour de :

– rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,

– déboutant Mme [I] [G] de l’ensemble de ses prétentions, injustes et mal fondées,

– confirmer le jugement rendu le 7 février 2020 par le conseil de prud’hommes de Nîmes en ce qu’il a :

– dit que la société Legipolis avocats est le seul employeur de Mme [I] [G],

– dit que la mise à pied conservatoire était justifiée

– condamné Mme [I] [G] à payer à la société Legipolis avocats la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– infirmer le jugement rendu le 7 février 2020 par le conseil de prud’hommes de Nîmes en ce qu’il a :

– requalifié le licenciement pour faute lourde en licenciement pour faute grave,

– débouté la société Legipolis avocats de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

Statuant à nouveau,

Sur le licenciement,

A titre principal,

– juger que le licenciement pour fautes lourdes prononcé à l’encontre de Mme [I] [G] est justifié,

A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement du 7 février 2020 en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute lourde prononcé à l’encontre de Mme [I] [G] en licenciement pour faute grave,

Sur le préjudice subi,

– condamner Mme [I] [G] à payer à la SELARL Legipolis avocats, la

somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses agissements,

En tout état de cause,

– condamner Mme [I] [G] à payer à la SELARL Legipolis avocats la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La SELARL Legipolis avocats fait valoir que :

– Sur l’absence de contrat de travail entre Mme [G]-[N] et Corinthe Ingéniérie

– le raisonnement de Mme [G]-[N] repose essentiellement sur l’interprétation d’extraits de discussions entre M. [W], client, et son avocat, Me [F],

– l’appelante s’est de toute évidence procurée les messages qu’elle produit par le biais d’un vol de correspondances en piratant le compte de M. [W] et, en ciblant certains des passages, leur donnant un sens qu’ils n’ont pas,

– Mme [G]-[N] ne travaillait pas exclusivement pour Corinthe Ingéniérie, loin s’en faut, mais travaillait également sur plusieurs autres dossiers du cabinet sans aucun rapport avec Corinthe,

– les collaboratrices de Légipolis avocats travaillaient aussi directement avec elle et lui confiaient des recherches, des rédactions de conclusions, de contrats, d’actes juridiques,

– elle s’interroge sur l’intérêt à la fois de Corinthe Ingéniérie et d’elle-même de lui faire supporter intégralement le salaire de Mme [G]-[N], sachant qu’il aurait été moins coûteux et plus pratique pour Corinthe Ingéniérie de l’embaucher directement comme juriste en interne, au lieu de choisir d’externaliser la prestation,

– Mme [G]-[N] disposait d’un bureau dans les locaux de [Localité 7] qui se trouvaient au même étage que ceux de Corinthe Ingéniérie, mais sur un palier différent, bureau qui permettait de recevoir les autres clients du cabinet Légipolis avocats,

– les relations professionnelles entre elle et Corinthe Ingéniérie existent depuis 2011, soit bien avant l’arrivée de Mme [G]-[N],

– une fois que M. [W] et Me [F] étaient convenus des choix juridiques à adopter, Mme [G]-[N] était chargée de l’exécution de missions ponctuelles, de la rédaction d’actes et du suivi en l’absence de Me [F],

Elle n’était en aucun cas la seule avec qui M. [W] traitait,

– sur le licenciement pour faute lourde

– aucun document juridique d’importance ne peut sortir du cabinet Légipolis ou n’est transmis à un client ou à une juridiction avant d’avoir été relu, validé et signé par un associé,

– Mme [G]-[N] a rédigé entre le 09 et le 18 juin 2017, à la demande de Me [F], une note juridique,

– à aucun moment Me [F] n’a autorisé Mme [G]-[N] à communiquer à la cliente la note juridique insatisfaisante,

– la manière dont la note juridique précitée, non validée, a été présentée par Mme [G]-[N] à la société Corinthe, révèle de sa part une réelle intention de nuire à son employeur et constitue à son encontre une faute lourde. Mme [G]-[N] laissait clairement entendre que Me [F] avait quelque chose à cacher à sa cliente et qu’il était en réalité déloyal à son égard,

– aucune procédure de rupture conventionnelle n’a été proposée à la salariée,

– ce qui figure sur les documents produits par Mme [G]-[N] est une imitation du paraphe de Me [F] et non sa signature complète et officielle,

– les griefs reprochés à la salariée sont démontrés par les pièces produites.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 12 janvier 2021, la SASU Corinthe Ingénierie demande à la cour de :

– repousser toutes conclusions contraires comme injustes et en tous cas mal

fondées,

– dire et juger recevable en la forme mais injustifié au fond l’appel de Mme [I] [G] à l’encontre du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nîmes le 7 février 2020,

– confirmer ledit jugement en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes de Mme [I] [G] à l’encontre de la SASU Corinthe ingénierie,

– le confirmer en ce qu’il a jugé que la procédure diligentée par Mme [I] [G] à l’encontre de la SASU Corinthe ingénierie était abusive,

– le confirmer en ce qu’il a déclaré irrecevables et écarté des débats les pièces n°41, n°42 et n°43 produites par Mme [I] [G] dès lors qu’elles ont été dérobées au sein de la SASU Corinthe ingénierie,

– l’infirmer quant au montant des sommes allouées en réparation du préjudice subi

du fait de la procédure abusive et statuant à nouveau,

– Statuant à nouveau, condamner Mme [I] [G] au paiement de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

– rejeter toute demande de Mme [I] [G] à l’encontre de la SASU Corinthe ingénierie,

– la condamner au paiement de 4.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.

Elle soutient essentiellement que :

– sur le co-emploi

– il n’existe aucun contrat de travail entre elle et Mme [G]-[N],

– Mme [G]-[N] a été embauchée à temps plein le 1er janvier 2016 par la SELARL Légipolis avocats en qualité d’avocat salarié,

– elle n’avait pas besoin d’une assistante juridique mais d’un cabinet d’avocats lui fournissant une prestation bien plus complète,

– elle a donc signé à ce titre une convention d’assistance et de conseil juridiques avec la société Légipolis avocats et elle a été régulièrement facturée par cette dernière,

– Légipolis avocats la facturait ponctuellement pour d’autres tâches précises hors convention,

– si Mme [G]-[N] a reçu certaines directives de sa part, elles ont toujours été supervisées par son employeur le cabinet Légipolis avocats,

– à aucun moment elle n’est intervenue dans l’exécution du contrat de travail de Mme [G]-[N] avec la société Légipolis avocats,

– elle ne lui a jamais donné d’instruction quant à sa façon de travailler, ne l’a jamais rémunérée et ne l’a a fortiori jamais sanctionnée,

– aucun lien de subordination n’a jamais existé,

– Mme [G]-[N] a sciemment détourné à la fois des emails mais aussi des documents lui appartenant,

– il n’existe aucune confusion d’intérêt et d’activité avec la société d’avocats. Les dirigeants de chaque société sont différents,

– les conditions du co-emploi ne sont pas réunies.

L’UNEDIC délégation AGS CGEA de Marseille, reprenant ses conclusions transmises

le 5 décembre 2022, demande à la cour de :

– Ordonner la rabat de l’ordonnance de clôture,

– confirmer la décision rendue,

– subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour retiendrait l’existence d’un co-emploi et donc que Mme [I] [G] aurait été salariée de la SAS Corinthe ingénierie, la cour ordonnera la mise hors de cause de l’AGS CGEA de Marseille ou dira que l’AGS ne saurait garantir les sommes allouées à Mme [I] [G],

– très subsidiairement, dans l’hypothèse où la cour ne retiendrait pas l’existence d’un co emploi et estimerait que le licenciement de Mme [I] [G] était fondé sur une cause réelle et sérieuse, apprécier le bien-fondé des demandes de Mme [I] [G] tendant au règlement d’une indemnité de préavis, de congés payés sur préavis et tendant au règlement d’une indemnité de licenciement,

– débouter Mme [I] [G] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

– rejeter la demande de licenciement nul formulée par Mme [G] au motif que la Société LEGIPOLIS Avocats aurait porté atteinte à une liberté fondamentale constitutionnelle garantie,

– surseoir à statuer pour apprécier le bien fondé de la demande de Mme [I] [G] tendant au règlement de dommages et intérêts pour licenciement nul et dire qu’il y aura lieu d’attendre la démonstration du caractère définitif de l’arrêt rendue par la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE le 26 mars 2021,

– à titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse où la cour ne retiendrait pas l’existence d’un co-emploi et estimerait le licenciement de Mme [I] [G] infondé, ordonner un sursis à statuer dans l’attente de la démonstration du caractère définitif de l’arrêt par la Cour d’Appel d’AIX-EN-PROVENCE afin d’apprécier s’il y aura lieu d’accorder à Mme [G] [N] des dommages et intérêts pour licenciement nul ou simplement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– rejeter la demande de Mme [I] [G] tendant au règlement d’intérêts au taux légal pour la période postérieure au redressement judiciaire de la SELARL Legipolis avocats,

– rappeler , en tout état de cause ,que les sommes qui pourraient être allouées à Mme [I] [G] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sont hors garantie AGS,

– faire application des dispositions législatives et réglementaires du code de commerce,

– donner acte à la délégation UNEDIC et l’AGS de ce qu’ils revendiquent le bénéfice exprès et d’ordre public des textes légaux et décrets réglementaires applicables, tant au plan de la mise en ‘uvre du régime d’assurance des créances des salariés, que de ses conditions et étendues de garantie, plus précisément les articles L.3253-8, L.3253-1 7 et D.3253-5 du code du travail.

La SCP Pellier es qualité de mandataire judiciaire de la SELARL Légipolis avocats n’a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 11 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 24 novembre 2022 à 16 heures et fixé l’examen de l’affaire à l’audience du 8 décembre 2022.
* * *

MOTIFS

À la demande conjointe des parties, l’ordonnance de clôture rendue le 24 novembre 2022 a été révoquée et la procédure a été à nouveau clôturée ce jour, 8 décembre 2022, afin de recevoir les écritures déposées par l’UNEDIC délégation AGS CGEA de Marseille le 5 décembre 2022, en suite des écritures déposées les 22 et 23 novembre par Mme [G] et la société Légipolis avocats.

Sur la suppression de passages des conclusions

Selon l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation et toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.

Selon l’article 41 de la même loi, ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.

Cette disposition légale est destinée à garantir le libre exercice du droit d’agir ou de se défendre en justice, en interdisant que des actions soient exercées contre les justiciables en raison du contenu de l’argumentation présentée au soutien de leur cause.

Cette liberté connaît toutefois des limites, édictées aux alinéas 5 et 6 (anciens alinéas 4 et 5) du même texte :

‘Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.’

Ainsi, selon une jurisprudence bien établie, émanant tant de la chambre criminelle que des chambres civiles de la Cour de cassation, c’est seulement lorsque les écrits ou propos litigieux sont étrangers à la cause qu’ils sont susceptibles d’échapper à la règle de l’immunité, un contrôle étant opéré sur cette notion de ‘propos étrangers à la cause’

En l’espèce, à supposer que les propos contenus dans les conclusions de la société Corinthe ingéniérie puissent être qualifiés de diffamatoires ou d’injurieux, il apparaît clairement qu’ils ont été tenus dans le cadre de l’exercice des droits de la défense et sont destinés à emporter la conviction de la cour, de sorte qu’ils ne peuvent pas être considérés comme des ‘propos étrangers à la cause’.

Il s’ensuit que la demande présentée par Mme [G] de ce chef devra être rejetée.

En outre, et par voie de conséquence, la demande de dommages et intérêts subséquente ne pourra qu’être rejetée.

Sur le co emploi

L’existence d’un contrat de travail se caractérisant par le lien de subordination instauré entre l’employeur et le salarié, des personnes, juridiquement distinctes, peuvent être qualifiées de co-employeurs lorsque, en raison d’une confusion d’intérêts, d’activités ou de direction existant entre elles, elles se trouvent détenir ensemble le pouvoir de direction sur le salarié.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs, le contrat de travail étant caractérisé par l’existence d’une prestation de travail, d’une rémunération et d’un lien de subordination entre l’employeur et le salarié, ce dernier étant de ce fait soumis au pouvoir disciplinaire de celui pour lequel il travaille.

Il est admis qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve.

Pour justifier sa qualité de salariée à l’égard de la société Corinthe ingéniérie, Mme [G] produit au débat :

– des échanges de courriels en pièce n°52 entre le 15 février 2016 et le 20 janvier 2017, concernant des demandes de Corinthe ingéniérie, et notamment de M. [W], directement à Mme [G] sur des tâches à réaliser ou des demandes de conseils juridiques,

– un courriel adressé à Mme [G] par M. [W] le 24 juillet 2015 dans lequel il lui demande son avis (pièce n°54),

– un courriel de Mme [G] à M. [W] du 13 octobre 2015 dans lequel elle lui adresse un projet de conclusions à valider (pièce n°65),

– un échange de courriels avec M. [W] le 14 avril 2015 concernant l’envoi d’un contrat (pièce n°73),

– un courriel adressé par Mme [G] à Mme [X] (CIC) le 11 août 2016 dans lequel elle lui envoie le K Bis à jour de la société Corinthe ingéniérie,

– un échange de courriels entre Mme [G] et Mme [E] (Port [Localité 7]) de septembre et décembre 2016 concernant l’intervention de la société Corinthe ingéniérie en tant que commanditaire lors d’un événement à Port [Localité 7].

La pièce n°77 montre que, lors de cet événement, Mme [G] apparaît en qualité de représentante de la société Corinthe ingéniérie,

– un échange de courriels avec ‘[Adresse 11]’ de mai 2017 concernant la correction d’une quittance loyer, Mme [G] signant un des emails pour ordre de M. [W] (pièce n°20),

– la pièce n°67 par laquelle Mme [G] transfère au cabinet comptable de la société Corinthe ingéniérie et à M. [W] des éléments comptables de la société,

– les pièces n°56, 69, 71 et 72 d’avril, juillet, septembre et octobre 2015, concernant des virements de M. [W] à Mme [G],

– un courriel de M. [W] du 19 avril 2015 dans lequel il demande à Mme [G] de lui donner un dossier Excel en complément des factures envoyées par celle-ci le 15 avril 2015,

– trois photographies en pièce n°16 non datées, et qui ne permettent pas de les rattacher à Mme [G] et/ou une quelconque activité de cette dernière pour le compte de la société Corinthe ingéniérie. Elles sont ainsi dénuées de caractère probant,

– le contrat de bail entre la société Corinthe ingéniérie et la société Parc Marsham (piècen°43) et le contrat de bail entre la société Légipolis avocats et cette même société (pièce n°44) desquels il résulte que les deux locataires étaient sur le même palier,

– un échange d’emails avec M. [R] [J] de la société Corinthe ingéniérie du 21 décembre 2015 concernant le dossier Millenium,

– un courriel de M. [W] à son équipe, dont Mme [G], du 18 janvier 2016 dans lequel il répartit les tâches à réaliser dans un dossier d’érosion des plages à Cavalaire sur mer (pièce n°76),

– un échange de courriels de mai 2017 avec Mme [U] de la société Orange, concernant une proposition commerciale (pièce n°21).

Cette proposition est produite en pièce n°78, sur laquelle le nom de Mme [G] apparaît pour Corinthe ingéniérie,

– un échange de courriels (mars à mai 2016) entre MM [W] (société Corinthe ingéniérie) et Me [F] (Legipolis avocats) dans lequel le premier demande de préciser le contenu de la mission dans le cadre de la convention d’assistance et de conseil entre les deux sociétés, notamment pour les frais de papeterie, photocopieuse, bureau, formation, commerce, café… (pièce n°41).

Il résulte de ces éléments que Mme [G] a effectué un travail, pour le compte et sous le contrôle de la société Corinthe ingéniérie, moyennant le versement de certaines sommes, avant son embauche par la société Légipolis avocats suivant contrat du 1er janvier 2016.

La société Corinthe ingéniérie soutient, sans le démontrer, que Mme [G] est intervenue de sa propre initiative, pendant son congé maternité, parce qu’elle ‘s’ennuyait’ et qu’elle était rémunérée directement par M. [W] pour les quelques tâches qu’elle a réalisées.

Cependant, les pièces produites par l’appelante et reprises supra montrent une intervention régulière pour le compte de la société Corinthe ingéniérie, des instructions lui étant données tant par M. [W] que par d’autres salariés de cette société, Mme [G] rendant compte de son travail et répondant aux sollicitations de ces derniers.

L’existence d’une relation salariale entre Mme [G] et la société Corinthe ingéniérie doit dès lors être retenue entre le mois d’avril 2015 et le 31 décembre 2015.

Pour autant, la reconnaissance de cette relation salariale ne peut entraîner de facto la reconnaissance d’un co emploi entre les deux sociétés intimées, pour la période ainsi retenue et pour la période postérieure.

En l’absence de groupe, il convient de rechercher si le co-emploi peut prospérer sur l’existence d’un lien de subordination entre Mme [G] et la société Corinthe ingéniérié, au delà de son lien de subordination avec la société Légipolis avocats.

Il résulte des pièces produites par les parties que la société Légipolis avocats disposait d’un local de bureau jouxtant les locaux de la société Corinthe ingéniérie, lequel était mis à la disposition, notamment, de Mme [G].

La société Legipolis avocats démontre par ailleurs que Mme [G] n’était pas mise à la disposition de la société Corinthe ingéniérie, devant également traiter d’autres dossiers, ce que celle-ci reconnaît dans un email adressé à Me [Y] le 3 février 2017, cet écrit faisant suite à des observations de ce dernier sur les retards de Mme [G] dans l’exécution des missions qui lui sont confiées :

Mme [G] répondait :

‘…

Comme tu le sais peut-être, je réalise des prestations juridiques, administratives et comptables pour la société Corinthe, avec qui Legipolis est sous contrat. Cette société apporte également de nombreuses affaires au cabinet.

Les dossiers de Corinthe sont parfois vite gérés, parfois, il en est différemment et cela peut me prendre l’intégralité du temps sur plusieurs jours ou semaines voire déborder sur le week-end et vous m’aviez indiqué, jusqu’à ce jour, d’accorder expressément toute priorité pour ce client important.

Ainsi, j’ai amputé mes vacances d’une semaine au mois d’août pour les assister dans le montage d’un dossier (ces jours travaillés n’ont jamais été réintégrés dans mon solde de congés, de même pour deux autres après-midis à Noël pour un autre client).

Dans ces circonstances, je traite comme je peux les dossiers de Legipolis, car les choses ne sont pas simples :

– du côté de Legipolis, je n’ai pas toujours de réponses à mes questions et il est parfois compliqué d’avoir toutes les pièces nécessaires au traitement des dossiers…’

Réponse de Me [F] :

‘…

Pour en revenir au professionnel et à ton courriel je t’avoue que je suis également, comme [A], un peu surpris par certains points que tu soulèves… je pense utile de préciser certaines choses :

1) Sur les missions confiées par Corinthe

Dans le cadre de la convention d’assistance que nous avons avec Corinthe nous avons convenu que [B] te confies directement plusieurs missions et que l’on fasse le point quand c’est utile. Il ne me semble pas que ces missions soient très chargées mais suite à ce que tu me confies je vais faire le point avec Corinthe. Si tu as une charge de travail trop lourde avec eux il faut que cela s’égalise car nous n’en sommes pas nécessairement informé en direct et il ne faudrait pas que les missions au forfait soient sous évaluées.

En ce qui concerne l’apport d’affaires par Corinthe au Cabinet, il ne me semble pas que tu puisses avoir une vue d’ensemble à ce sujet. Nous sommes en partenariat juridique avec eux, et cela reste un client.

3) Sur l’organisation du travail :

Tu évoques de grosses difficultés d’organisation. Il est vrai que je ne puis me consacrer à temps plein au suivi détaillé des dossiers de [Localité 7] comme je l’avais souhaité. Cependant quant je te confie une mission je te mets toujours en partenariat avec une collaboratrice du Cabinet. Si tu as besoins d’éléments il te suffit de contacter les autres membres du Cabinet et de poser toutes les questions nécessaires…S vous avez besoin de moi pour valider tel ou tel point, alors on fixe un rdv et on finalise. Si je suis pris ailleurs, il faut que les membres du Cabinet me fassent des rappels…’

A la lecture de cet échange d’emails, il apparaît que Mme [G] reconnaît que son intervention auprès de la société Corinthe ingéniérie est ponctuelle et soumise à un contrat entre les deux sociétés intimées.

De plus, il est produit au débat les factures de la société Légipolis avocats auprès de la société Corinthe ingéniérie pour ‘ consultation et assistance juridique’, à compter du mois de janvier 2016.

Le fait que le montant de ces factures correspondent quasiment au salaire versé par la société Légipolis avocats à Mme [G] est indifférent, s’agissant d’une discussion entre les deux sociétés pour la fixation d’un tarif, à l’avantage de l’une ou de l’autre.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les tâches réalisées par Mme [G] pour le compte de la société Corinthe ingéniérie faisaient l’objet d’un contrôle des avocats associés de Légipolis avocats, dans le cadre d’un contrat d’assistance juridique entre ces deux sociétés.

A ce titre, Me [F] (Légipolis avocats) écrivait à M. [W] le 7 juillet 2016 que Mme [G] était à sa disposition à [Localité 7], qu’il pouvait la consulter quand et comme il le souhaitait. ‘La seule chose que je lui (Mme [G]) demande et comme je lui ai déjà dis c’est quand il y a un dossier à traiter pour toi ou autre c’est qu’elle me consulte pour qu’on détermine ensemble la marche à suivre et que je la conseille et la supervise pour vérifier le travail. Point.’

Il résulte de ce courriel dont les termes sont clairs et dénués de toute ambiguïté que la société Légipolis avocats a conservé sur la salariée un lien de subordination direct, contrôlant l’exécution de son travail et détenant le pouvoir de sanction ainsi qu’il résulte d’un échange de courriels entre les avocats de la société Légipolis et Mme [G], aboutissant à un recadrage de la salariée le 3 février 2017, email repris ci-dessus.

Il convient encore de constater que les échanges entre la société Corinthe ingéniérie et l’appelante sont faits dans le cadre de la convention d’assistance juridique existante avec la société Légipolis avocats, ainsi qu’il a été rappelé à Mme [G].

Il ne peut donc en résulter le fait que la société Corinthe ingéniérie exerce un pouvoir hiérarchique au nom de la société Légipolis avocats.

Enfin,il n’existe aucune complémentarité entre les activités respectives des deux sociétés, aucune communauté d’intérêts ni confusion d’intérêts n’étant par ailleurs démontrée.

Il convient dès lors de rejeter la demande de co emploi par confirmation du jugement querellé.

Cependant, eu égard à la reconnaissance d’une relation salariale entre Mme [G] et la société Corinthe ingéniérie jusqu’à la conclusion du contrat de travail de la première avec la société Légipolis avocats, l’action de l’appelante à l’encontre de la seconde ne saurait être déclarée abusive, même si aucune conséquence juridique n’a été retenue par la cour, Mme [G] invoquant uniquement le co-emploi.

Le jugement critiqué devra dans ces circonstances être réformé en ce qu’il a condamné Mme [G] à la somme de 2000 euros de ce chef.

La confirmation s’impose en revanche en ce qui concerne les frais irrépétibles accordés à la société Corinthe ingéniérie, laquelle se verra attribuer la somme de 500 euros à ce titre en cause d’appel.

Sur la nullité du licenciement

Mme [G] estime que la véritable cause de son licenciement porte atteinte à une liberté fondamentale, celle de déposer plainte.

En droit, il est reconnu au salarié le droit d’ester en justice contre son employeur. L’exercice de ce droit ne peut être une cause de licenciement. Le droit d’agir en justice étant reconnu comme étant une liberté fondamentale protégée par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable, la seule présence dans la lettre de licenciement d’une référence à une procédure contentieuse mise en oeuvre par le salarié objet du licenciement est constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice qui entraîne à elle seule la nullité de la rupture.

Le licenciement intervenu en raison d’une action en justice introduite ou susceptible d’être introduite par le salarié à l’encontre de son employeur est nul comme portant atteinte à une liberté fondamentale constitutionnellement garantie.

Par courriel du 27 juin 2017, Mme [G] écrit à Me [F] en ces termes :

‘Objet : Réponse à votre demande de rupture conventionnelle – Entrevue du 26/06/2017

Maître,

Je fais suite à notre entrevue du 26 juin 2017, et j’ai pris connaissance des ‘documents’ communiqués.

Vous attendez vraisemblablement d’une juriste et j’attends d’un avocat que des procédures, au demeurant simples, soient à l’évidence respectée :

Dans ces circonstances, et conformément à la législation en vigueur, les entretiens à venir devront se dérouler dans les locaux du cabinet de [Localité 7] et en présence de mon conseiller du salarié.

Par ailleurs, merci de prendre note de façon définitive qu’il ne doit plus m’être transmis de faux documents (fausse demande de rupture conventionnelle rédigée en mon nom, faux comptes rendus d’entretiens) car je porterai en retour, et immédiatement, plainte dans les mains du procureur de la République.

…’

La lettre de rupture indique à ce titre :

‘Le 27 juin 2017 en soirée, vous vous êtes autorisée à adresser à Maître [F] un email stupéfiant dans lequel vous accusez ni plus ni moins Maître [F] de faux en écriture (!!!)à propos d’une rupture conventionnelle qu’il aurait tenté de vous soutirer. Vous avez confirmé ce email par un courrier recommandé daté du 28 juin afin d’essayer de prendre de vitesse le processus disciplinaire. A cette occasion vous avez même procédé à un chantage à la dénonciation au Parquet d’une infraction imaginaire et vous vous êtes autorisée une digression étonnante quant à votre insatisfaction sur vos conditions matérielles de travail ainsi que sur votre non-inscription au Barreau…

Ainsi, menacer de plainte pénale votre employeur pour tenter de court-circuiter une procédure disciplinaire et obtenir une indemnité de départ, constitue des faits suffisamment graves, pour que nous demandions des explications dans un cadre disciplinaire. Vous n’avez pas daigné venir vous expliquer.

Ce manquement grave à votre devoir de loyauté envers votre employeur et ces menaces réactives constituent en soi et pris isolément une faute grave, à la limite de la faute lourde, se rajoutant à la précédente.

…’

Il n’est ainsi pas contestable que la lettre de licenciement reprochait notamment à la salariée d’avoir menacé l’employeur d’entamer des procédures à l’encontre de la société, cette menace de déposer plainte étant érigée par la société Légipolis en faute grave justifiant la rupture du contrat de travail.

La présence d’un motif prohibé dans la lettre de licenciement entraîne la nullité du licenciement dans son ensemble, peu important l’existence d’autres griefs dans la lettre.

La seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par la salariée est constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice entraînant à elle seule la nullité de la rupture.

Ainsi, il apparaît que le licenciement a été prononcé, même en partie, en raison de l’exercice éventuel par la salariée d’une action judiciaire contre son employeur.

En conséquence, il y a lieu de déclarer le licenciement de Mme [G] nul, justifiant la réformation du jugement querellé.

La salariée dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration a droit, d’une part, aux indemnités de rupture et, d’autre part, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l’article L 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, soit la somme de 16800 euros.

Mme [G] peut également prétendre à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, soit la somme brute de 8400 euros, outre celle de 840 euros bruts pour les congés payés afférents, ainsi que la somme de 840 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Il résulte des pièces et des explications des parties que tant l’employeur que la salariée ont usé de qualificatifs vexatoires, se répondant en des termes outrageants, de sorte que la demande présentée de ce chef par Mme [G] sera rejetée.

Sur la garantie de l’AGS CGEA de Maseille

Le présent arrêt sera déclaré opposable à l’AGS CGEA de Marseille dans les limites de la garantie légale et des plafonds applicables selon les dispositions des articles L 143-11-1 et suivants et D 143-2 devenus L 3253-6 et 8 et D 3253-5 et suivants du code du travail, par confirmation de la décision déférée.

Sur les autres demandes

La créance salariale a produit des intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de sa convocation devant le bureau de conciliation), jusqu’à la date d’ouverture de la procédure collective.

En effet, la procédure de redressement judiciaire a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l’article L.622-28 et L.641-8 du code de commerce.

Sur les demandes accessoires

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’appelante et de mettre les dépens de première instance et d’appel à la charge de la procédure collective.

* * *
PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt réputé contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,

Ordonne le rabat de l’ordonnance de clôture au 8 décembre 2022,

Confirme le jugement rendu le 24 septembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Avignon en ce qu’il a rejeté la demande de Mme [I] [G] au titre du co-emploi et l’a condamnée au paiement de la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la SASU Corinthe ingéniérie,

Le réforme pour le surplus,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Prononce la nullité du licenciement de Mme [I] [G],

Fixe au passif de la Selarl Légipolis avocats la créance de Mme [I] [G] pour les sommes suivantes :

– 16800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 8400 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,celle de 840 euros bruts pour les congés payés afférents,

– 840 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que ces sommes seront inscrites par le mandataire liquidateur sur l’état des créances de la procédure collective ouverte à l’encontre de la Selarl Légipolis avocats,

Dit que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter du jour où l’employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de la réception de sa convocation devant le bureau de conciliation) et jusqu’au 21 janvier 2019, date du jugement d’ouverture de la procédure collective ayant arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels en vertu de l’article L.622-28 et L.641-8 du code de commerce

Donne acte à l’AGS – CGEA de son intervention et de ce qu’elle revendique le bénéfice exprès et d’ordre public des textes légaux et réglementaires applicables tant au plan de la mise en ‘uvre du régime d’assurances des créances des salaires que de ses conditions et étendues de garantie, plus précisément des articles L 3253-8 , L 3253-17 et D 3253-5 du Code du travail,

Condamne Mme [I] [G] à payer à la SASU Corinthe ingéniérie la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective,

Arrêt signé par le président et par la greffiere.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
* * *


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