Diffamation : les conditions de la bonne foi exonératoire

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Diffamation : les conditions de la bonne foi exonératoire
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En matière de diffamation, il appartient à la juridiction de rechercher si les propos poursuivis sont constitutifs du délit poursuivi et, à supposer qu’elle ait implicitement retenu l’existence d’une imputation diffamatoire, elle doit, pour apprécier la bonne foi du prévenu, se fonder sur les éléments produits au soutien de cette exception au moment de la publication des propos litigieux, les décrire et procéder à leur analyse, sans pouvoir se fonder sur des éléments postérieurs à ladite publication.


 

Il résulte des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :du premier de ces textes, que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 dudit texte.

D’une part, pour constituer une diffamation, l’allégation ou l’imputation qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, d’autre part, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’est exprimé dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher, en application du paragraphe précité de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression.

En la cause,  pour relaxer le prévenu du délit de diffamation, l’arrêt retient en substance que le message de celui-ci vise surtout à dénoncer le traitement bienveillant dont bénéficierait, de la part des autorités judiciaires, la partie civile, ainsi qu’un tiers, tous deux s’inscrivant dans une démarche militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles en matière d’immigration.

Les juges évoquent, ensuite, les décisions postérieures au jugement du 6 janvier 2017 ayant relaxé la partie civile pour avoir facilité la circulation et le séjour irrégulier sur le territoire national d’étrangers en situation irrégulière et en déduisent que M. [N] pouvait, alors, légitimement s’étonner de l’impunité dont celle-ci bénéficiait et faire état d’une opinion critique dans un débat relatif à l’entrée des migrants sur le territoire français.

Ils ajoutent que la volonté de la partie civile d’apporter son aide aux migrants est avérée par la procédure, que celle-ci la revendique et que même si elle n’est pas poursuivie pour l’aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière, le prévenu pouvait estimer que l’infraction poursuivie était de nature à favoriser cette infraction.

Les juges relèvent enfin, d’une part, que l’opinion émise par le prévenu selon laquelle l’aide apportée aux clandestins sans contrôle pouvait menacer la sécurité des Français n’excède pas ce qu’autorise la liberté d’expression, d’autre part, que sa bonne foi doit être retenue s’agissant d’un commentaire, reposant sur des informations portées à sa connaissance, dont la véracité n’est pas contestable, qui visait à faire état de son opinion sur un sujet d’intérêt général reposant sur une enquête sérieuse, à savoir l’enquête judiciaire, avec une prudence suffisante dans l’expression et sans animosité personnelle.

En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. En effet, il lui appartenait de rechercher si les propos poursuivis étaient constitutifs du délit poursuivi et, à supposer qu’elle ait implicitement retenu l’existence d’une imputation diffamatoire, elle devait, pour apprécier la bonne foi du prévenu, se fonder sur les éléments produits au soutien de cette exception au moment de la publication des propos litigieux, les décrire et procéder à leur analyse, sans pouvoir se fonder sur des éléments postérieurs à ladite publication.


 

N° D 22-82.155 F-D

N° 00783

RB5
20 JUIN 2023

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 JUIN 2023

M. [Z] [G] [X], partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 17 janvier 2022, qui l’a débouté de ses demandes après relaxe de M. [V] [N] du chef de diffamation envers un particulier.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [Z] [G] [X], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [V] [N], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [V] [N] a été cité devant le tribunal correctionnel par M. [Z] [G] [X], partie civile, du chef susvisé en raison des propos suivants publiés, le 6 janvier 2017, sur son compte [1], accessible à tous : « Relaxé alors qu’il aidait des migrants à passer la frontière : une insulte au travail des forces de l’ordre qui mettent leur vie en danger pour protéger la nôtre ! Quand on défie la République, il faut s’attendre à être sanctionné. [Z]-[G] [X], [Y] [D]. Ils sont tous coupables de faire entrer illégalement des individus sur notre territoire. Avec ces agissements ils favorisent le travail des passeurs. […] Ces actes sont une insulte au travail des forces de l’ordre qui mettent leur vie en danger pour protéger la nôtre. […] Par leur acte politique, ils ont potentiellement mis en danger la sécurité des Français. C’est impardonnable ».

3. Le tribunal a déclaré M. [N] coupable du délit poursuivi et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Les parties ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a infirmé le jugement entrepris
et relaxé M. [N] des faits de diffamation publique commis à l’encontre de M. [X], alors :

« 1°/ que d’une part, l’exception de bonne foi ne peut être examinée que si, au préalable, le caractère diffamatoire des propos reprochés a été expressément reconnue ; qu’en l’espèce, la cour d’appel ne pouvait considérer, sans priver sa décision de base légale au regard des articles 6, 10§2 de la Convention européenne des droits de l’homme, 23, 29, 32, 42 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, que le prévenu pouvait bénéficier de la bonne foi sans même se prononcer sur le point de savoir si les faits qui lui étaient reprochés étaient susceptibles de constituer une diffamation, préalable indispensable au jeu de l’exception ;

2°/ que d’autre part, constitue une atteinte à l’honneur et à la considération l’imputation faite à une personne déterminée de défier les lois de la République, d’insulter le travail des forces de l’ordre et de favoriser l’action des passeurs ; qu’en s’abstenant de se prononcer expressément sur la qualification pénale de diffamation, la cour d’appel n’a pas rempli son office et n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6, 10§2 de la Convention européenne des droits de l’homme, 23, 29, 32, 42 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu’au suplus, l’éventuelle bonne foi du prévenu ne peut être déduite de faits postérieurs à la publication litigieuse ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, qui s’est fondée sur les suites de la décision de relaxe ayant bénéficié à la partie civile pour le délit d’aide au séjour et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière pour considérer qu’au regard de ces éléments, le prévenu pouvait bénéficier de la bonne foi, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 6, 10§2 de la Convention européenne des droits de l’homme, 23, 29, 32, 42 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu’enfin, la bonne foi se caractérise par la prudence dans l’expression de la pensée, le respect du devoir d’enquête préalable, l’absence d’animosité personnelle envers le diffamé et l’intention de poursuivre un but légitime ; qu’en se bornant à indiquer que la prévenu avait exprimé une opinion « sur la base d’une enquête sérieuse, à savoir celle ayant conduit à la poursuite de Monsieur [X], avec une prudence suffisante dans l’expression, ne faisant qu’apprécier les conséquences d’un comportement déféré devant la justice et dans le cadre d’un débat sociétal et sans termes qualifiant une animosité personnelle », sans indiquer en quoi sa démarche poursuivait un but légitime, ni dire précisément en quoi il avait pu se fonder sur une enquête sérieuse, son animosité personnelle étant au demeurant patente compte tenu des termes utilisés, la cour d’appel n’a violé les articles 6, 10§2 de la Convention européenne des droits de l’homme, 23, 29, 32, 42 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :

6. Il résulte du premier de ces textes, que la liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 dudit texte.

7. Il se déduit du deuxième que, d’une part, pour constituer une diffamation, l’allégation ou l’imputation qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, d’autre part, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’est exprimé dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher, en application du paragraphe précité de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d’apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s’agissant de l’absence d’animosité personnelle et de la prudence dans l’expression.

8. Aux termes du dernier, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

9. Pour infirmer le jugement et relaxer M. [N], l’arrêt attaqué retient en substance que le message de celui-ci vise surtout à dénoncer le traitement bienveillant dont bénéficierait, de la part des autorités judiciaires, la partie civile, ainsi qu’un tiers, tous deux s’inscrivant dans une démarche militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles en matière d’immigration.

10. Les juges évoquent, ensuite, les décisions postérieures au jugement du 6 janvier 2017 ayant relaxé la partie civile pour avoir facilité la circulation et le séjour irrégulier sur le territoire national d’étrangers en situation irrégulière et en déduisent que M. [N] pouvait, alors, légitimement s’étonner de l’impunité dont celle-ci bénéficiait et faire état d’une opinion critique dans un débat relatif à l’entrée des migrants sur le territoire français.

11. Ils ajoutent que la volonté de la partie civile d’apporter son aide aux migrants est avérée par la procédure, que celle-ci la revendique et que même si elle n’est pas poursuivie pour l’aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière, le prévenu pouvait estimer que l’infraction poursuivie était de nature à favoriser cette infraction.

12. Les juges relèvent enfin, d’une part, que l’opinion émise par le prévenu selon laquelle l’aide apportée aux clandestins sans contrôle pouvait menacer la sécurité des Français n’excède pas ce qu’autorise la liberté d’expression, d’autre part, que sa bonne foi doit être retenue s’agissant d’un commentaire, reposant sur des informations portées à sa connaissance, dont la véracité n’est pas contestable, qui visait à faire état de son opinion sur un sujet d’intérêt général reposant sur une enquête sérieuse, à savoir l’enquête judiciaire, avec une prudence suffisante dans l’expression et sans animosité personnelle.

13. En se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

14. En effet, il lui appartenait de rechercher si les propos poursuivis étaient constitutifs du délit poursuivi et, à supposer qu’elle ait implicitement retenu l’existence d’une imputation diffamatoire, elle devait, pour apprécier la bonne foi du prévenu, se fonder sur les éléments produits au soutien de cette exception au moment de la publication des propos litigieux, les décrire et procéder à leur analyse, sans pouvoir se fonder sur des éléments postérieurs à ladite publication.

15. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 17 janvier 2022, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt juin deux mille vingt-trois.

 


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