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M. [J] a été condamné pour imputé, sur Facebook, de façon diffamatoire et publiquement à l’association et à MM. [P] la création d’un emploi de complaisance et a visé une qualification pénale de favoritisme. La gravité de telles allégations justifie que, par parallélisme des formes, la réparation du préjudice moral en résultant s’exécute par la publication de la condamnation prononcée à son encontre, qui a seule vocation à permettre de rétablir les personnes visées par la publication diffamatoire dan-s leur honneur et leur probité auprès des tiers.
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
TROISIEME CHAMBRE
ARRÊT DU 15/06/2023
****
N° de MINUTE : 23/211
N° RG 22/04126 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UOZG
Jugement (N° 21/00004) rendu le 15 Juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Dunkerque
APPELANT
Monsieur [E] [J]
né le [Date naissance 4] 1971 à
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 10]
Représenté par Me Jean-pierre Mougel, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué
INTIMÉS
Monsieur [Y] [P]
né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 8] (62)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 10]
Monsieur [U] [P]
né le [Date naissance 2] 1993 à [Localité 9] (59)
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 10]
Association Initiatives Rurales prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 10]
Représentés par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué, assistée de Me Pierre Cortier, avocat au barreau de Dunkerque, avocat plaidant, substitué par Me Marc Debeugny, avocat au barreau de Dunkerque,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Guillaume Salomon, président de chambre
Yasmina Belkaid, conseiller
Frédéric Burnier, conseiller, désigné par ordonnance en date du 23 mars 2023
———————
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau
DÉBATS à l’audience publique du 06 avril 2023 après rapport oral de l’affaire par
GuillaumeSalomon
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 23 janvier 2023
****
EXPOSE DU LITIGE :
1. Les faits et la procédure antérieure :
M. [Y] [P], père de M. [U] [P], est le maire d'[Localité 10].
Le 8 novembre 2020, M. [E] [J] a partagé sur son compte Facebook public une publication émise sur la page « Nouvelle ère pour [Localité 10] » du 5 novembre 2020 relative à l’embauche de M. [U] [P] par l’association Initiatives rurales (l’association) : « après avoir installé son ‘ls au conseil municipal, M. le maire vient de lui trouver du travail en créant un poste de chargé de communication et de développement au sein de l’association hondschootoise Initiatives rurales, présidée par Mme [K], adjointe au maire. ”
A l’occasion du partage de cette publication sur sa page personnelle, le même jour, M. [J] a écrit à ce sujet : ‘Emploi de complaisance’ Certainement… Favoritisme ‘ Sûrement…!’
Par acte d’huissier en date du 31 décembre 2020, au visa de l’article 29 alinéa 1er, 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse s’agissant de M. [P] et de l’association Initiatives rurales et 31 alinéa 1er s’agissant de M. Le maire de la Commune d’Hondschoote MM. [Y] et [U] [P] ainsi que l’association ont fait assigner à jour ‘xe M. [J] devant le tribunal judiciaire de Dunkerque aux fins de :
– s’entendre juger recevable et bien fondé la présente procédure ;
– s’entendre déclarer M. [J] auteur de diffamation publique envers les requérants
– s’entendre condamner M. [J] au paiement d’une somme de 2 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral pour chacun des requérants
– s’entendre ordonner la publication du jugement à intervenir, aux frais de M. [J] dans le journal La Voix du Nord ;
– s’entendre ordonner à M. [J] d’avoir à publier le jugement à intervenir sur sa page Facebook personnelle ainsi que sur la page Facebook «Nouvelle Ere pour [Localité 10] ” et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dès la signi’cation de la décision à intervenir ;
– s’entendre condamner M. [J] à verser à chacun des requérants la somme de 2 500 € sur fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par acte du 14 janvier 2021, ils ont fait délivrer une seconde citation à M. [J].
Les instances ont été jointes par le juge de la mise en état
2. Le jugement dont appel :
Par jugement rendu le 15 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Dunkerque a :
1- rejeté la demande de M. [J] visant à. faire prononcer la nullité de la poursuite et de la citation délivrée le 23 décembre 2020 à la requête de l’association et de MM. [P] ;
2- rejeté la demande de M. [J] visant à faire déclarer irrecevables les demandeurs en leur action ;
3- déclaré M. [J] auteur de diffamation publique envers MM. [Y] et [U] [P] et envers l’association ;
4- condamné M. [J] à payer à MM. [P] et l’association la somme de un euro au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral pour chacun des requérants ;
5- débouté MM. [P] et l’association de leur demande visant à ordonner la publication de son jugement aux frais de M. [J] dans le journal La Voix du Nord ;
6- ordonné à M. [J] de publier le jugement à intervenir sur sa page Facebook personnelle sous astreinte de 100 euros par jour de retard dès la signi’cation de la décision à intervenir ;
7- condamné M. [J] aux dépens de l’instance ;
8- condamné M. [J] à payer à MM. [P] et à l’association la somme globale de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
9- débouté M. [J] de sa demande en paiement au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
3. La déclaration d’appel :
Par déclaration du 26 août 2022, M. [J] a formé appel de ce jugement dans les termes suivants :
« Il est interjeté appel du jugement du 15 juin 2022 en ce que le jugement dont appel a omis de prononcer la nullité de la poursuite et de la citation délivrée le 23 décembre 2020, ainsi que de la citation délivrée le 15 janvier 2021 à M. [J].
Il est demandé l’infirmation du jugement dont appel en ce qu’il a omis de déclarer irrecevables les demandeurs en leur action. Il est demandé l’infirmation du jugement dont appel en ce qu’il a condamné M. [J] à payer 1,00 euros à Messieurs [U] et [Y] [P] et à l’association Initiatives rurales à titre de dommages-intérêts en réparation d’un prétendu préjudice moral au titre d’une diffamation prétendument publique et en ce qu’il a ordonné à M. [J] de publier le jugement à intervenir sur sa page Facebook personnelle sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard dès la signification du jugement à intervenir. Il est également demandé l’infirmation du Jugement dont appel en ce qu’il a condamné M. [J] à payer à Messieurs [P] et à l’association Initiatives rurales une somme de 2 000,00 euros sur le fondement des frais irrépétibles de procédure et aux dépens. Il est enfin demandé l’infirmation du jugement dont appel en ce qu’il a rejeté implicitement les demandes de M. [J] tendant à la condamnation in solidum des consorts [P] et de l’association Initiatives rurales à lui payer une somme de 2 000,00 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral résultant de cette action abusive et celle de
2 500,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que 2 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l’intimité de sa vie privée et aux dépens ».
4. Les prétentions et moyens des parties :
4.1. Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 16 décembre 2022, M. [J] demande à la cour de :
– infirmer le jugement dont appel
Vu les articles 53, 30, 31 et 32 de la Loi du 29 juillet 1881 ;
– prononcer la nullité de la poursuite et de la citation délivrée le 23 décembre 2020 à la requête de l’association et des consorts [P] ;
=> subsidiairement, déclarer irrecevables les demandeurs en leur action ;
=> plus subsidiairement, débouter les consorts [P] et l’association Initiatives rurales de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
=> en tout état de cause,
– condamner in solidum les consorts [P] et l’association Initiatives rurales à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral résultant de cette action abusive et celle de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et 2500 euros en appel ;
– condamner in solidum les consorts [P] et l’association Initiatives rurales à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de dommages et intérêts pour l’atteinte à l’intimité de sa vie privée ;
– condamner les intimés in solidum aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Mougel-Brouwer-Haudiquet.
4.2. Aux termes de leurs conclusions notifiées le 14 octobre 2022, l’association et MM. [U] et [Y] [P] demandent à la cour, au visa des articles 29 alinéa 1 er , 32 alinéa 1 et 4 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
o rejeté la demande de M. [J] visant à faire prononcer la nullité de la poursuite et de la citation délivrée le 23 décembre 2020 à la requête de l’association Initiatives rurales, de Monsieur [U] [P];
o rejeté la demande de M. [J] visant à faire déclarer irrecevables l’association Initiatives rurales et Monsieur [U] [P] en leur action ;
o déclaré M. [J] auteur de diffamation publique envers Monsieur [U] [P] et l’association Initiatives rurales ;
o condamné M. [J] à payer à Monsieur [U] [P], l’association Initiatives rurales la somme de un euro au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;
o ordonné à M. [J] de publier le jugement à intervenir sur sa page Facebook personnelle sous astreinte de 100 euros par jour de retard dès la signification de la décision à intervenir ;
o condamné M. [J] aux dépens de l’instance ;
o condamné M. [J] à payer à Monsieur [U] [P] et à l’association Initiatives rurales la somme globale de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
o débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
o débouté M. [J] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’intimité de la vie privée
o débouté M. [J] de sa demande au titre des frais irrépétibles
– débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
Y ajoutant, condamner M. [J] à leur verser la somme de 2 500 euros sur fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.
Pour un exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Par message du 6 juin 2023, le président a réouvert les débats et invité les parties à présenter leurs observations sur la circonstance que la déclaration d’appel ne vise pas le chef de demande numéroté 3 ci-dessus.
Dans une note du 6 juin 2023, l’association Initiatives rurales et MM. [P] estiment que le jugement est définitif en ce qu’il a déclaré que M. [J] est auteur d’une diffamation publique à leur égard.
Dans une note du 7 juin 2023, M. [J] fait valoir qu’au titre de l’article 954 du code de procédure civile, un « donner acte », un « constater » ou un « dire et juger » ne constitue pas une prétention, de sorte que l’appelant n’a pas vocation à les critiquer expressément dans sa déclaration d’appel, conformément à l’interprétation jurisprudentielle (Cass. 2e civ., 9 janv. 2020, n° 18-18.778). En l’espèce, la seule « déclaration » selon laquelle M. [J] serait l’auteur d’une diffamation est un moyen de fait ou de droit soulevé à l’appui des demandes indemnitaires, qui constituent seules un chef du dispositif à critiquer : à cet égard, il a critiqué sa condamnation à payer un euro et à publier le jugement sur un page Facebook personnelle.
Par message du 12 juin 2023, le président a à nouveau invité les parties à présenter leurs observations sur une omission de statuer dans le jugement critiqué.
Dans une note du 14 juin 2023, l’association Initiatives rurales et MM. [P] font valoir que la cour n’est saisie :
– ni par l’effet dévolutif de l’appel puisque le tribunal a omis de mentionner certains chefs de demande dans le dispositif de la décision ,
– ni par une requête en omission de statuer
pour en conclure qu’elle n’est donc aucunement saisie des demandes indemnitaires formulées par M. [J] et ne pourra ainsi que confirmer le jugement, ne serait- ce que par adoption de motifs.
Dans sa note du 14 juin 2023, M. [J] présente à la cour une demande de réparation de l’omission de statuer affectant le jugement critiqué, pour qu’il soit statué en appel sur les demandes qu’il a formées au titre d’une action abusive, d’une atteinte à sa vie privée et des frais irrépétibles qu’il a exposés.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’étendue de l’effet dévolutif de l’appel :
En application de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour d’appel les chefs de jugement qu’il critique expressément, ainsi que ceux qui en dépendent, lesquels s’entendent de ceux qui sont la conséquences des chefs expressément critiqués. Il appartient à la cour d’appel de rechercher l’existence d’un lien de dépendance entre les chefs de jugement pour déterminer si le chef critiqué dépend d’un chef dévolu. Et si tel n’est pas le cas, la cour d’appel doit constater l’absence d’effet dévolutif, sans pouvoir prononcer l’irrecevabilité de la demande.
La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
En outre, seul l’acte d’appel opère la dévolution des chefs critiqués du jugement.
Enfin, la déclaration d’appel affectée de ce vice de forme peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond conformément à l’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile.
En l’espèce, il est constant que le chef du dispositif ayant ‘déclaré M. [J] auteur de diffamation publique envers MM. [P] et l’association’ n’est pas visé par la déclaration d’appel.
Contrairement aux allégations de M. [J], un chef du jugement par lequel le premier juge « constate », « dit » ou « déclare », n’est pas nécessairement un moyen qui n’a aucune autorité de chose jugée et n’a ainsi pas vocation à figurer dans le dispositif, de sorte que la déclaration d’appel n’a pas vocation à le viser. Loin de se limiter à ce seul emploi formel de l’un de ces verbes, la qualification de prétention sur laquelle le jugement a statué dépend en réalité du fond d’un tel chef figurant dans le dispositif. À cet égard, l’excessive généralité des termes employés par l’arrêt de 2020 visé par M. [J] a été corrigée par la même chambre de la Cour de cassation pour inviter à une appréciation casuistique (Cass. 2e civ., 13 avr. 2023, n° 21-21.463).
En l’espèce, il est manifeste que la déclaration de responsabilité de M. [J] comme auteur d’une diffamation, qu’avaient requise MM. [P] et l’association Initiatives rurales dans leurs dernières conclusions, constitue un élément substantiel et de fond qui confère à ces derniers un droit à indemnisation. Il en résulte qu’il ne s’agit pas d’un moyen, mais bien d’une prétention à laquelle il appartenait de répondre dans le dispositif du jugement.
Il en ressort que la déclaration d’appel ayant omis de viser ce chef du jugement n’emporte pas effet dévolutif concernant la reconnaissance désormais définitive, à la fois d’une faute imputable à M. [J], d’un préjudice subi par les intimés et d’un lien de causalité entre cette faute, constitutive d’une diffamation publique, et le préjudice invoqué, étant ajouté que :
d’une part, ce chef du dispositif n’est pas indivisible avec celui ayant déterminé les modes de réparation du préjudice à la fois en nature et par équivalent, étant observé qu’en tout état de cause aucun effet dévolutif n’intervient lorsque la déclaration d’appel ne fait pas référence à une telle indivisibilité ; en effet, aucune impossibilité d’exécuter séparément ces chefs du jugement n’existe, alors que la déclaration d’appel se limite à critiquer, non le principe de la responsabilité de M. [J], mais seulement les modalités de la réparation.
d’autre part, ce chef n’est pas davantage dépendant de ceux expressément critiqués, dès lors que le principe de la responsabilité n’est pas la conséquence de la réparation ordonnée, mais le préalable à une telle réparation.
Sur la nullité de la citation :
M. [J] demande exclusivement à la cour de « prononcer la nullité de la poursuite et de la citation délivrée le 23 décembre 2020 à la requête de l’association et des consorts [P] ».
Pour autant, il n’a pas sollicité l’annulation de la citation délivrée le 14 janvier 2021, qui a été délivrée le 15 janvier 2021 au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dunkerque, dans laquelle la reconnaissance de la responsabilité de M. [J] pour diffamation et sa condamnation à indemniser les réquérants étaient également sollicités.
Alors qu’une telle citation est intervenue avant l’expiration du délai de prescription trimestriel de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, qui a couru à compter du 8 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Dunkerque a statué sur la qualification de diffamation, après avoir constaté qu’il était saisi par une double citation ayant donné lieu à une jonction des instances.
Dans ces conditions, la nullité alléguée de la première citation est indifférente, dès lors que la citation de M. [J] a été ainsi renouvelée sans que ce dernier n’en invoque la nullité, de sorte que les poursuites ont été diligentées à son encontre sur la base d’un acte introductif d’instance dont la validité n’a pas été contestée.
Au surplus, les moyens soutenus par les parties ne font que réitérer, sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d’une discussion se situant au niveau d’une simple argumentation.
Sur la recevabilité de l’action exercée par l’association :
L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.
La recevabilité d’une demande en justice est ainsi exclusivement subordonnée à la démonstration d’un intérêt personnel, né et actuel de son auteur, qu’il s’agisse d’un intérêt matériel ou moral.
En revanche, l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, et l’existence d’une faute et d’un préjudice invoquée par le demandeur dans le cadre d’une action en responsabilité n’est pas une condition de recevabilité de son action mais du succès de celle-ci.
En l’espèce, M. [J] critique le jugement en ce qu’il a rejeté sa demande visant à faire déclarer irrecevables « les demandeurs ». Outre qu’une telle formulation ne précise pas l’identité des personnes à l’encontre desquelles est invoqué un défaut d’intérêt à agir, il s’observe que ;
s’agissant de MM. [Y] et [U] [P], M. [J] se limite à indiquer qu’ils « ne justifient pas d’un intérêt spécifique à engager cette action pour une embauche à laquelle, si l’on suit leur raisonnement, leur influence politique serait étrangère ». Un tel moyen est inopérant, alors que MM. [P] justifient être directement et personnellement visés, en leur qualité respective de particulier et de maire de la commune, par l’imputation de faits, de sorte qu’ils justifient d’un intérêt à solliciter la reconnaissance du caractère diffamatoire d’une telle publication, ainsi que la réparation du préjudice susceptible d’en résulter, indépendamment du bien-fondé de leur action ; au surplus, c’est précisément parce qu’ils contestent une quelconque man’uvre politique ayant permis une telle embauche qu’ils ont engagé une telle action à l’encontre de M. [J].
s’agissant de l’association Initiatives rurales, la nécessité d’une habilitation expresse du président pour agir en justice pour le compte de la personne morale et par l’organe compétent pour y procéder n’existe qu’à défaut de disposition statutaire conférant au président l’exercice de l’action et de la représentation en justice : en l’espèce, les premiers juges dont la motivation est confirmé ont valablement relevé que les statuts de l’association prévoient que « le président a les pouvoirs les plus étendus pour représenter l’association dans les acte de la vie civile et notamment [‘] il représente l’association en justice, [‘] Le président réalise tous les actes nécessaires à la préservation des intérêts matériels et moraux de l’association ». Le président de l’association est ainsi valablement habilité statutairement pour représenter l’association et agir en justice pour son compte.
Le jugement ayant déclaré recevable les demandes formées à l’encontre de M. [J] est par conséquent confirmé de ce chef.
Sur la réparation du préjudice :
Dès lors que le principe de la responsabilité de M. [J] à l’encontre de l’association et de MM. [P] est acquis, la cour n’est saisie que de la réparation des préjudices subis par ces derniers, en lien de causalité avec la diffamation commise.
À cet égard, si le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit prohibe en principe la fixation d’une réparation symbolique, l’association et MM. [P] n’ont toutefois formé aucun appel incident à l’encontre du jugement ayant condamné M. [J] à leur verser un euro à titre d’indemnisation de leur préjudice moral. Il convient par conséquent de confirmer le jugement de ce chef.
Par ailleurs, alors qu’il est acquis que M. [J] a imputé de façon diffamatoire et publiquement à l’association et à MM. [P] la création d’un emploi de complaisance et a visé une qualification pénale de favoritisme, la gravité de telles allégations justifie que, par parallélisme des formes, la réparation du préjudice moral en résultant s’exécute par la publication de la condamnation prononcée à son encontre, qui a seule vocation à permettre de rétablir les personnes visées par la publication diffamatoire dans leur honneur et leur probité auprès des tiers.
A nouveau, la cour observe qu’aucun appel incident n’a été formé, s”agissant du rejet de la demande d’une publication dans le journal La Voix du Nord. M. [J] ne conteste pas davantage dans ses conclusions une telle modalité de réparation.
Dès lors, il convient de confirmer le jugement critiqué en ce qu’il en a ordonné la publication intégrale, aux frais de M. [J], Les modalités de la réparation en nature relevant toutefois du pouvoir souverain pour assurer une réparation sans perte ni profit du préjudice subi, il convient toutefois d’en préciser la mise en ‘uvre, selon les termes figurant au dispositif du présent arrêt.
Sur les demandes indemnitaires de M. [J] :
Sur l’omission de statuer :
L’omission par le juge, dans le dispositif de sa décision, de la réponse à une prétention sur laquelle il s’est expliqué dans les motifs, constitue une omission de statuer.
L’appel, dont l’effet dévolutif confère à la cour d’appel le pouvoir de réparer l’omission de statuer affectant le jugement déféré lorsque cela lui est demandé, ne dessaisit pas le tribunal, saisi antérieurement, du pouvoir de compléter sa décision selon la procédure prévue par l’article 463 du code de procédure civile.
M. [J] a saisi la cour d’une requête en omission de statuer, par note en délibéré du 14 juin 2023.
L’examen du jugement critiqué fait apparaître que :
– d’une part, les dernières conclusions de M. [J], notifiées le 7 avril 2021, ce dernier demande au tribunal de condamner in solidum les consorts [P] et l’association d’initiatives rurales à lui payer :
* une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant d’une action abusive ;
* une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour l’atteinte à l’intimité de sa vie privée ;
– d’autre part, les premiers juges ont statué dans leur motivation sur les demandes formées par M. [J] au titre d’une procédure abusive et d’une atteinte à sa vie privée (page 9 du jugement), mais ont omis dans leur dispositif d’y mentionner le débouté de ces demandes.
Il en résulte que le jugement critiqué est affecté d’une omission de statuer sur ces deux chefs de demandes, sur lesquelles il appartient à la cour de statuer.
En revanche, les premiers juges se sont valablement prononcé sur la prétention de M. [J] au titre des frais irrépétibles. A cet égard, le jugement critiqué comporte dans son dispositif un chef indiquant le débouté de M. [J] de sa demande en paiement des frais irrépétibles, de sorte qu’il n’est affecté à cet égard d’aucune omission de statuer. Au demeurent, M. [J] a formé appel de ce chef du jugement, pour solliciter qu’il lui soit octroyé une somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’il a exposés en première instance.
Sur l’abus du droit d’agir en justice :
En application de l’article 1240 du code civil dans sa rédaction postérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d’erreur grossière équipollente au dol, de faute, même non grossière ou dolosive, ou encore de légèreté blâmable, dès lors qu’un préjudice en résulte.
Dès lors que l’action engagée par l’association et MM. [P] est fondée, il convient de débouter M. [J] de sa demande indemnitaire au titre d’un abus du droit d’agir en justice.
Sur l’atteinte à l’intimité de la vie privée :
Alors que le droit à la preuve autorise l’association et MM. [P] à procéder à toute investigation pour établir le maintien ou non d’un partage sur un compte Facebook d’une publication émanant du compte Nouvelle ère pour [Localité 10] (page 16 du procès-verbal du 2 février 2021), l’accès par l’huissier de justice mandaté par ces derniers au compte personnel privé de M. [J] ne présente pas un caractère disproportionné, étant observé que ce dernier ne justifie d’aucune man’uvre illicite ayant permis un accès frauduleux aux informations figurant dans ledit du 2 février 2021, lequel ne comporte au surplus que la capture de 8 pages émanant du compte litigieux.
Il convient par conséquent de débouter M. [J] de sa demande indemnitaire au titre d’une violation de sa vie privée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile :
Le sens du présent arrêt conduit :
d’une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,
et d’autre part, à condamner M. [J], outre aux entiers dépens d’appel, à payer à l’association et à MM. [P] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement rendu le 15 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Dunkerque en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Réparant l’omission de statuer affectant ledit jugement concernant les demandes de M. [E] [J] aux fins de condamner in solidum les consorts [P] et l’association d’initiatives rurales à lui payer :
– une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant d’une action abusive ;
– une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour l’atteinte à l’intimité de sa vie privée ;
Déboute M. [E] [J] de sa demande indemnitaire au titre d’un préjudice moral résultant d’une action abusive ;
Déboute M. [E] [J] de sa demande indemnitaire au titre d’une atteinte à l’intimité de sa vie privée ;
Y ajoutant,
Ordonne que ladite publication devra être épinglée en haut de la page Facebook personnelle de M. [E] [J], [011] et accessible publiquement, pendant une durée de deux mois, de manière visible et lisible, précédée de la mention « AVERTISSEMENT JUDICIAIRE » inscrite en majuscule, en gras et dans la plus grande taille de caractère utilisée sur cette page ;
Déboute M. [E] [J] de ses demandes indemnitaires au titre d’un abus du droit d’agir en justice et au titre d’une violation de sa vie privée ;
Condamne M. [E] [J] aux dépens d’appel ;
Condamne M. [E] [J] à payer à l’association Initiatives rurales et à MM. [Y] et [U] [P] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles qu’ils ont exposés en appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples.
Le greffier
Harmony POYTEAU
Le président
Guillaume SALOMON