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La Cour d’appel (ordre judiciaire) est compétente sur le volet civil d’une condamnation entre personnel d’un service public. Un fonctionnaire peut être condamné pour diffamation en cas de manquement volontaire et inexcusable des prévenus, agents publics, à des obligations d’ordre professionnel et déontologique.
Il se déduit des articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale que la cour d’appel, saisie des seuls appels de la partie civile et des prévenus sur les dispositions civiles du jugement, est compétente, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si les prévenus définitivement relaxés ont commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
Pour accueillir l’exception d’incompétence pour connaître de l’action civile soulevée par les prévenus sur le fondement de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, l’arrêt attaqué énonce que, d’une part, les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents, d’autre part, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions.
Le juge ajoute qu’en l’espèce les prévenus sont tous professeurs d’université ou maîtres de conférences, que les faits qui leur sont reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au CNU ainsi que le précise la citation et que la partie civile fait également mention de son appartenance audit conseil.
Il en conclut que les infractions reprochées aux prévenus ne sont donc pas détachables de leurs fonctions, dès lors que les propos litigieux n’ont pas été tenus dans un cadre privé et s’accompagnent d’un vocabulaire scientifique pour appuyer l’argumentation des rédacteurs, caractérisant un litige entre universitaires.
En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale.
En premier lieu, statuant sur la seule action civile, elle devait rechercher, à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite, l’existence de propos diffamatoires à l’égard de la partie civile, apprécier l’offre de preuve et, le cas échéant, les circonstances propres à caractériser la bonne foi des prévenus, les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne pouvant être réparés que sur ce fondement.
En second lieu, après avoir éventuellement retenu l’existence d’une faute civile, elle devait également rechercher, comme elle y était invitée, si la tenue des propos poursuivis ne caractérisait pas un manquement volontaire et inexcusable des prévenus, agents publics, à des obligations d’ordre professionnel et déontologique.
14 mars 2023
Cour de cassation
Pourvoi n°
21-86.163
N° Q 21-86.163 F-D
N° 00299
ODVS
14 MARS 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 MARS 2023
M. [R] [T], partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, chambre 2-7, en date du 16 septembre 2021, qui s’est déclarée incompétente pour statuer sur l’action civile.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [R] [T], les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de Mmes [U] [A], [O] [W], [E] [S], [G] [M], [B] [C], [J] [Y], et MM. [K] [X], [L] [V], [D] [N], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l’audience publique du 7 février 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d’instance
1. Il résulte d’un extrait régulier des actes de l’état civil de la commune de [Localité 2] que [R] [T] est décédé le [Date décès 1] 2022.
2. Par mémoire de reprise d’instance déposé le 7 décembre 2022, Mme [Z] [T] et M. [H] [T] sont intervenus en leur qualité d’héritiers.
3. Il leur est donné acte de cette reprise d’instance.
Faits et procédure
4. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
5. M. [R] [T] a fait citer devant le tribunal de police Mmes [W], [S], [A], [M], [C], [Y] et MM. [I], [P], [V], [X] et [N] du chef de diffamation non publique pour avoir co-signé une lettre datée du 27 janvier 2019, diffusée par Mme [W], par courriel du même jour, à plusieurs membres de la section XVI du conseil national des universités (CNU) et contenant les propos suivants : « C’est pourquoi les détracteurs de [F], dont notre collègue fait clairement partie comme il l’a montré dans une vidéo insultante pour la psychanalyse, n’emploient en général pas d’arguments scientifiques. Dans cette vidéo, il utilise sa « figure d’autorité » pour se moquer de la clinique freudienne à la manière d’autres détracteurs qui accusent [F] de falsification alors que ce dernier a justement anonymisé ses cas (…) Nous avons relevé, toujours dans cette vidéo, les comportements anéthiques et antiodéontologiques de [R]~[T]. »
6. Par jugement du 10 février 2020, le tribunal de police a rejeté l’exception d’incompétence de la juridiction saisie, les exceptions de nullité des citations, a relaxé les prévenus et a prononcé sur les intérêts civils.
7. M. [T] et les prévenus ont relevé appel du dispositif civil du jugement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la cour d’appel incompétente pour connaître de l’ensemble des demandes de M. [T], partie civile au titre de l’action civile et invité M. [T] à mieux se pourvoir, alors :
« 1°/ que la cour d’appel, saisie du seul appel de la partie civile, est compétente, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; qu’en l’espèce, pour se dire incompétente pour connaître de l’action civile, la cour énonce que l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute personnelle détachable de ses fonctions ; que la cour ajoute que les faits reprochés en l’espèce aux prévenus sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au CNU et ne sont pas détachables de leurs fonctions ; qu’en se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure sa compétence pour dire si les prévenus avaient commis une faute civile à partir et dans les limites des faits objets de la poursuite, la cour a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale ;
2°/ que si la responsabilité de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics est engagée en raison des fautes commises par leurs agents lorsque ces fautes ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service, cette responsabilité n’est pas exclusive de celle des agents auxquels est reproché une faute personnelle détachable du service ; que constitue un telle faute celle qui, bien que commise à l’occasion du service, révèle un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et déontologique ; qu’en se bornant, pour dénier la compétence du juge judiciaire, à relever que les propos litigieux avaient été émis à l’occasion des fonctions de membres du CNU des prévenus, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la tenue de tels propos ne caractérisait pas un manquement volontaire et inexcusable des prévenus à des obligations d’ordre professionnel et déontologique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l’article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale :
9. Il se déduit de ces textes que la cour d’appel, saisie des seuls appels de la partie civile et des prévenus sur les dispositions civiles du jugement, est compétente, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si les prévenus définitivement relaxés ont commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
10. Pour accueillir l’exception d’incompétence pour connaître de l’action civile soulevée par les prévenus sur le fondement de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, l’arrêt attaqué énonce que, d’une part, les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public en raison d’un fait dommageable commis par l’un de leurs agents, d’autre part, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions.
11. Le juge ajoute qu’en l’espèce les prévenus sont tous professeurs d’université ou maîtres de conférences, que les faits qui leur sont reprochés sont intervenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions au CNU ainsi que le précise la citation et que la partie civile fait également mention de son appartenance audit conseil.
12. Il en conclut que les infractions reprochées aux prévenus ne sont donc pas détachables de leurs fonctions, dès lors que les propos litigieux n’ont pas été tenus dans un cadre privé et s’accompagnent d’un vocabulaire scientifique pour appuyer l’argumentation des rédacteurs, caractérisant un litige entre universitaires.
13. En se déterminant ainsi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés, pour les motifs qui suivent.
14. En premier lieu, statuant sur la seule action civile, elle devait rechercher, à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite, l’existence de propos diffamatoires à l’égard de la partie civile, apprécier l’offre de preuve et, le cas échéant, les circonstances propres à caractériser la bonne foi des prévenus, les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne pouvant être réparés que sur ce fondement.
15. En second lieu, après avoir éventuellement retenu l’existence d’une faute civile, elle devait également rechercher, comme elle y était invitée, si la tenue des propos poursuivis ne caractérisait pas un manquement volontaire et inexcusable des prévenus, agents publics, à des obligations d’ordre professionnel et déontologique.
16. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 16 septembre 2021, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mars deux mille vingt-trois.