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Le correspondant de presse à l’étranger est l’une des professions assimilées à celle de journaliste. La présomption de contrat de travail joue donc en faveur du correspondant dès lors qu’il tire l’essentiel de ses revenus de son activité.
Aux termes de l’article L. 7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa.
Aux termes de l’article L. 7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
S’agissant de la période s’étendant du 4 août 2007 au 31 décembre 2012, Mme [I], diplômée de l’institut supérieur de la communication, de la presse et de l’audiovisuel, a travaillé pour les sociétés Radio France international et France 24 en qualité de correspondante à l’étranger, en [Adresse 7] puis en [Adresse 5] et à nouveau en [Adresse 7], et a été rémunérée à la pige, son salaire, en dernier lieu étant approximativement de 2020 euros par mois.
L’arrêt ajoute, s’agissant de la période allant du 1er janvier 2013 au 23 décembre 2018, que l’intégralité des revenus perçus par Mme [I] en qualité de gérante de la société IST’Prod provenait des factures adressées à la société.
Il précise que la société France 24 avait voulu encourager les collaborateurs réguliers sous le statut de pigiste à entrer dans une relation pérenne par le biais d’une société de production et constate que les messages électroniques échangés dans le cadre de la relation de travail instituée depuis le mois de janvier 2013 ne font apparaître aucune distinction avec ceux échangés avec les membres de la rédaction de France 24 antérieurement, des demandes identiques étant formulées à l’égard de Mme [I] portant sur des propositions de sujets, l’avancée des dossiers, des délais à respecter et la nécessité d’être à disposition de la société dans le cadre d’horaires contraints.
L’arrêt retient, enfin, qu’il résulte des échanges avec un salarié de la société au mois d’août 2018 que cette dernière s’est accordée avec Mme [I] pour que celle-ci effectue une mission auprès des autorités de [Localité 4] afin d’étudier les conditions nécessaires à l’ouverture d’un bureau régional et que, dans un message électronique du 1er novembre 2018, il lui a été proposé « de continuer en attendant un autre poste d’être la correspondante de France 24 en [Adresse 7] » ou « de revenir à [Localité 6] et travailler en pige ou en contrat à durée déterminée à la rédaction quelques mois » en l’absence de postes de reporters.
La cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a ainsi fait ressortir que Mme [I] avait la qualité de journaliste professionnelle au cours de la période allant du 1er janvier 2013 au 23 décembre 2018
SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 avril 2023
Rejet
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 351 F-D
Pourvoi n° R 21-16.911
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [I].
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 3 février 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023
La société France médias monde, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° R 21-16.911 contre les arrêts rendus les 12 novembre 2020 et 6 mai 2021 par la cour d’appel de Versailles (6e chambre civile), dans le litige l’opposant :
1°/ à Mme [W] [I], domiciliée [Adresse 1],
2°/ au Syndicat national des journalistes CGT, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société France médias monde, de Me [R], avocat de Mme [I], après débats en l’audience publique du 1er mars 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Sornay, conseiller, M. Halem, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance partielle du pourvoi en ce qu’il est dirigé contre l’arrêt du 12 novembre 2020, examinée d’office
1. Conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu’il est fait application de l’article 978 du code de procédure civile.
2. La société France médias monde s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du 12 novembre 2020 en même temps qu’elle s’est pourvue contre l’arrêt du 6 mai 2021, mais aucun des moyens contenus dans le mémoire n’est dirigé contre le premier arrêt.
3. Il y a donc lieu de constater la déchéance du pourvoi en ce qu’il est formé contre l’arrêt du 12 novembre 2020.
Exposé du litige
Faits et procédure
4. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 6 mai 2021), Mme [I] a travaillé, en [Adresse 7], pour la société Radio France internationale et pour la société France 24, à compter du 4 août 2007.
5. Ces sociétés ont fusionné avec la société Audiovisuel extérieur de la France, au mois de février 2012, pour devenir la société France médias monde (la société).
6. Mme [I] a créé, au mois de janvier 2013, une société de production de droit turc, la société IST’Prod, à laquelle la société a commandé diverses interventions et reportages.
7. Mme [I] a été engagée par cette dernière société, par contrats de travail à durée déterminée du 24 décembre 2018 au 31 mars 2019, du 1er avril 2019 au 31 décembre 2019, du 27 décembre 2019 au 29 janvier 2020 et du 30 janvier au 18 mars 2020.
8. Par acte du 15 juillet 2019, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en invoquant, à l’égard de la société, le bénéfice de la présomption de salariat de journaliste professionnel et l’existence d’un contrat à durée indéterminée depuis le 1er août 2007.
Moyens
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. La société fait grief à l’arrêt de ne pas retenir l’incompétence de la juridiction prud’homale pour statuer sur la relation de travail entre janvier 2013 et décembre 2018 et, en conséquence, de dire que le conseil de prud’hommes est compétent pour connaître de l’entière relation de travail salarié l’ayant liée à Mme [I] du 4 août 2007 jusqu’au terme de son contrat de travail à durée déterminée en 2020, alors « que lorsque le juge est saisi d’une question de fond, dont dépend sa compétence, impliquant une opération de qualification d’une convention présentant un élément d’extranéité, il lui appartient de trancher cette question de fond en faisant application de la loi applicable désignée par le Règlement Rome I du 17 juin 2008; qu’en l’espèce, la juridiction prud’homale était saisie par Mme [I] d’une demande tendant à voir juger qu’elle avait été liée par un contrat de travail à la société France médias monde pendant la période comprise entre le 1er janvier 2013 et le 1er décembre 2018 au cours de laquelle elle avait collaboré en [Adresse 7] avec la société France médias monde dans le cadre de prestations de services fournies par la société de production IST Prod de droit turc dont elle était la gérante ; que la société France médias monde opposait l’incompétence du juge prud’homal à défaut de contrat de travail ayant lié les parties selon la loi turque désignée comme étant applicable par le Règlement Rome I ; qu’en jugeant que l’examen de la loi applicable devait être précédé de celui portant sur l’existence du contrat de travail et en retenant l’existence d’un contrat de travail en se référant à la loi française, la cour d’appel a violé le règlement Rome I du 17 juin 2008 par refus d’application. »
Motivation
Réponse de la Cour
10. Selon l’article 1er, §1, du règlement (CE) n° 593/2008, du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), ce règlement s’applique, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale.
11. Aux termes de l’article L. 1411-1, alinéa 1er, du code du travail, le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.
12. Il en résulte que, cette disposition se rapportant non pas aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale mais à la compétence du conseil de prud’hommes, l’appréciation de cette compétence n’est pas subordonnée à la détermination préalable de la loi applicable au contrat de travail en application du règlement n° 593/2008.
13. La cour d’appel a dès lors retenu à bon droit que la compétence du conseil de prud’hommes est subordonnée à l’existence d’un contrat de travail au sens de l’article L. 1411-1, alinéa 1er, du code du travail et que l’examen de la loi applicable au fond à un contrat de travail en application du règlement n° 593/2008 doit être précédé de celui portant sur l’existence d’un contrat de travail en application de l’article L. 1411-1, alinéa 1er, précité.
14. Le moyen n’est donc pas fondé.
Moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
15. La société fait le même grief à l’arrêt, alors :
« 1°/ que le juge est tenu de respecter et de faire respecter le contradictoire ; qu’en l’espèce, il résulte du bordereau de pièces annexé aux dernières conclusions de Mme [I] signifiées le 12 octobre 2020 une ”absence de pièce” n° 90 ; que la pièce annoncée au bordereau de pièces de la société France médias monde visait une attestation de Mme [Y] en date du 29 septembre 2020 ; que dès lors, en se fondant sur ”l’attestation de Mme [N], directrice adjointe de l’information sur la chaise anglaise de France 24 (pièce 90)” pour retenir l’existence d’un lien de subordination, quand cette pièce n’était pas mentionnée aux bordereaux des parties, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que pour juger que Mme [I], alors gérante de sa société de production Istprod qui fournissait des articles et reportages dans le cadre de contrats de prestations de service à France médias monde, était liée à cette dernière par un contrat de travail entre janvier 2013 et décembre 2018, la cour d’appel a relevé que Mme [I] avait tiré l’intégralité de ses revenus en qualité de gérante de sa société de production des factures établies à la société France médias monde, que la société France 24 avait encouragé ses correspondants à collaborer dans le cadre de sociétés de production, qu’elle faisait appel régulièrement à Mme [I] pour couvrir certains évènements ou traiter certains sujets comme elle le faisait auparavant dans le cadre de piges, qu’elle lui demandait de réaliser des interventions à l’antenne à une date et une heure qu’elle déterminait, qu’elle l’avait félicitée à plusieurs reprises pour la qualité de son travail et sa flexibilité, et qu’elle était intervenue pour l’obtention de son accréditation par les autorités turques, puis, lorsque cette accréditation lui avait été retirée, qu’elle avait cherché d’autres solutions pour permettre à Mme [I] de continuer à exercer ses fonctions de correspondante ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a seulement fait ressortir que dans l’exercice de ses fonctions, Mme [I] répondait aux sollicitations de la société France 24 lesquelles sont inhérentes à la qualité de donneur d’ordre dans tout contrat de prestation de service, sans à aucun moment caractériser que Mme [I] aurait été placée sous l’autorité de la société France 24 qui aurait détenu le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de la sanctionner, ni que les conditions d’exécution de son travail auraient été déterminées unilatéralement par cette société, a privé sa décision de base légale au regard de l’article L 1221-1 du code du travail ;
3°/ que la société France médias monde faisait valoir et offrait de prouver que dans le cadre de sa société de production Istprod, Mme [I], qui travaillait pour d’autres médias, utilisait son propre personnel et facturait des prestations réalisées par d’autres correspondants qu’elle-même ; qu’en retenant l’existence d’un contrat de travail entre les parties sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces circonstances n’étaient pas exclusives de tout contrat de travail la liant à la société France médias monde, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L 1221-1 du code du travail. »
Motivation
Réponse de la Cour
16. Aux termes de l’article L. 7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources. Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa.
17. Aux termes de l’article L. 7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
18. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d’un service organisé lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution.
19. L’arrêt relève que, s’agissant de la période s’étendant du 4 août 2007 au 31 décembre 2012, Mme [I], diplômée de l’institut supérieur de la communication, de la presse et de l’audiovisuel, a travaillé pour les sociétés Radio France international et France 24 en qualité de correspondante à l’étranger, en [Adresse 7] puis en [Adresse 5] et à nouveau en [Adresse 7], et a été rémunérée à la pige, son salaire, en dernier lieu étant approximativement de 2020 euros par mois. L’arrêt ajoute, s’agissant de la période allant du 1er janvier 2013 au 23 décembre 2018, que l’intégralité des revenus perçus par Mme [I] en qualité de gérante de la société IST’Prod provenait des factures adressées à la société. Il précise que la société France 24 avait voulu encourager les collaborateurs réguliers sous le statut de pigiste à entrer dans une relation pérenne par le biais d’une société de production et constate que les messages électroniques échangés dans le cadre de la relation de travail instituée depuis le mois de janvier 2013 ne font apparaître aucune distinction avec ceux échangés avec les membres de la rédaction de France 24 antérieurement, des demandes identiques étant formulées à l’égard de Mme [I] portant sur des propositions de sujets, l’avancée des dossiers, des délais à respecter et la nécessité d’être à disposition de la société dans le cadre d’horaires contraints. L’arrêt retient, enfin, qu’il résulte des échanges avec un salarié de la société au mois d’août 2018 que cette dernière s’est accordée avec Mme [I] pour que celle-ci effectue une mission auprès des autorités de [Localité 4] afin d’étudier les conditions nécessaires à l’ouverture d’un bureau régional et que, dans un message électronique du 1er novembre 2018, il lui a été proposé « de continuer en attendant un autre poste d’être la correspondante de France 24 en [Adresse 7] » ou « de revenir à [Localité 6] et travailler en pige ou en contrat à durée déterminée à la rédaction quelques mois » en l’absence de postes de reporters.
20. La cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a ainsi fait ressortir que Mme [I] avait la qualité de journaliste professionnelle au cours de la période allant du 1er janvier 2013 au 23 décembre 2018 et, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen pris en sa première branche, a pu retenir que Mme [I] était, au cours de cette période, dans un lien de subordination à l’égard de la société.
21. Le moyen n’est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce que celui-ci est formé contre l’arrêt n° RG 26/01164 rendu le 12 novembre 2020 par la cour d’appel de Versailles ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société France médias monde aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société France médias monde et la condamne à payer à Me [R] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.