Diffamation non publique : la prescription trimestrielle

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Diffamation non publique : la prescription trimestrielle
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La prescription trimestrielle s’applique également dans les instances civiles (cass. civ. 1ère, 10 septembre 2015, n°14-18.262) et le délai de prescription de la diffamation non publique court à compter du jour où les faits sont commis.


L’article R. 621-2 du code pénal dispose que ‘l’injure non publique envers une personne, lorsqu’elle n’a pas été précédée de provocation, est punie de l’amende prévue pour les contravention de la 1ère classe’. L’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que : ‘L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait.

Toutefois, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête seront interruptives de prescription. Ces réquisitions devront, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l’enquête est ordonnée’.

En l’espèce, les faits pouvant être qualifiés d’injures non publiques sont contenus dans un courriel adressé par M. [L] [Y] à son fils [V] et daté du 3 août 2019 (pièce appelant n°1). L’assignation dans la présente affaire a été délivrée le 27 novembre 2019, soit plus de trois mois après. Il n’est pas démontré par les époux [P] qu’un acte iterruptif de prescription au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 est intervenu dans l’intervalle. A ce titre, la plainte déposée le 4 novembre 2019, outre son caractère tardif, ne saurait en tenir lieu comme ne constituant pas des réquisitions aux fins d’enquête, étant entendu au demeurant qu’elle ne vise pas des faits d’injures non publiques mais des faits de harcèlement.

Le jugement a été confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes fondées sur les injures non publiques.


 

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

2ème Chambre

Arrêt du Jeudi 11 Mai 2023

N° RG 21/01311 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GXQ5

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHAMBERY en date du 08 Juin 2021, RG 1119000688

Appelants

M. [X], [L] [P]

né le [Date naissance 5] 1949 à [Localité 7],

et

Mme [W] [G] épouse [P]

née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 8], demeurant ensemble [Adresse 4]

Représentés par la SCP PEREZ ET CHAT, avocat au barreau de CHAMBERY

Intimé

M. [L] [Y]

né le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 6], demeurant [Adresse 1]

Représenté par la SAS SR CONSEIL, avocat au barreau de CHAMBERY

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience publique des débats, tenue le 07 mars 2023 avec l’assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière,

Et lors du délibéré, par :

– Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente

– Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,

– Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,

-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [D] [G] et Mme [W] [G] sont deux soeurs, respectivement mariées à M. [L] [Y] et à M. [X] [P]. Le couple [D] [G] /[L] [Y] ont un enfant : [V] [Y] né en 1969. Les rapports entre les deux familles se sont tendus au fil du temps.

Par acte du 27 novembre 2019, Mme [W] [G] et M. [X] [P] (ci-après les époux [P]) ont fait assigner M. [L] [Y] aux fins de le voir condamner à des dommages et intérêts pour le préjudice né des insultes, menaces et intimidations proférées par ce dernier à leur endroit depuis plusieurs années. Ils se fondaient en particulier sur des courriels adressés par M. [L] [Y] à son fils [V] les 3 et 4 août 2019, dont ils ont pris connaissance et qui comportaient, selon-eux, de nombreuses insultes à leur encontre.

Par jugement contradictoire du 8 juin 2021, le tribunal judiciaire de Chambéry a :

– rejeté l’exception de nullité de l’assignation,

– déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de Mme [W] [G] et M. [X] [P] fondées sur les injures au sens de la loi du 29 juillet 1881,

– débouté Mme [W] [G] et M. [X] [P] de leurs prétentions,

– condamné Mme [W] [G] et M. [X] [P] aux dépens,

– condamné Mme [W] [G] et M. [X] [P] à payer à M. [L] [Y] une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rappelé que la décision est assortie de l’exécution provisoire.

Par déclaration du 23 juin 2021, Mme [W] [G] et M. [X] [P] ont interjeté appel du jugement.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [W] [G] et M. [X] [P] demandent à la cour de :

– déclarer leur action recevable et confirmer le jugement déféré,

– infirmer pour le surplus le jugement rendu le 8 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Chambéry,

– retenant qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 65 de la loi du ’28 juillet 1981″, dès lors que la procédure pénale est en cours et que le litige ne se résume pas à des injures non publiques, notamment quand il s’agit de menaces de mort et d’intimidations :

infirmer la décision déférée en ce que le premier juge a retenu une absence de préjudice et une absence de preuve du comportement, engageant la responsabilité de M. [L] [Y] sur le fondement de l’article 1240 du code civil,

– retenant que le comportement de M. [L] [Y] est particulièrement inacceptable et ne se limite pas à des injures non publiques, mais conduit à ce que les époux [P] vivent dans la crainte de ses agissements incontrôlés, mais aussi de ses menaces et intimidations,

condamner, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, M. [L] [Y] à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice résultant des insultes, menaces et intimidations de sa part depuis des années, ainsi que celle de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– en réformant la décision déférée,

le débouter de l’intégralité de ses demandes,

– condamner M. [L] [Y] aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec application, au profit de la SCP d’avocats Perez et Chat, représentée par maître [X] [Z], des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Dans ses dernières conclusions adressées par voie électronique le 1er février 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. [L] [Y] demande à la cour de :

– déclarer recevables et bien fondées ses demandes,

– déclarer irrecevables et mal fondés, l’appel et les demandes de Mme [W] [G] et M. [X] [P],

– confirmer le jugement du 8 juin 2021 du tribunal judiciaire de Chambéry en toutes ses dispositions,

Y ajoutant, constatant l’omission de statuer du tribunal :

– condamner Mme [W] [G] et M. [X] [P] à lui payer la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– condamner Mme [W] [G] et M. [X] [P] Monsieur [X] à lui payer la somme de 4 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [W] [G] et M. [X] [P] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 6 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d’indemnisation des époux [P]

Les époux [P] fondent leur demande d’indemnisation sur l’article 1240 du code civil. Pour autant, ils estiment que les faits qu’ils qualifient d’injures non publiques ne sont pas prescrits en raison d’une plainte déposée le 4 novembre 2019, soit dans le délai de 3 mois après la connaissance des propos injurieux. Ils exposent surtout que les faits qu’ils reprochent à M. [L] [Y] ne se limitent pas aux injures non publiques. Ils prétendent que l’intéressé a dégradé leur véhicule, a tenté, par deux fois, de renverser Mme [W] [G] avec sa propre voiture et a proféré des menaces de mort.

M. [L] [Y], pour sa part, expose que le courriel litigieux du 4 août 2019 ne vise pas expressément Mme [W] [G] et M. [X] [P] et que, surtout, la loi du 29 juillet 1881 prévoit une procédure spécifique qui n’a pas été respectée et qui est exclusive en la matière. Il ajoute que la réalité des injures n’est pas démontrée et nie avoir tenté d’écraser Mme [W] [G]. Il expose encore que le préjudice lié à la dégradation du véhicule a été réparé. Il dit que les mails datant de 2012, 2013, 2016, 2018 et 2019 n’ont pas été adressés à Mme [W] [G] et M. [X] [P] mais à son fils [V] et qu’au demeurant tout ce qui se rapporte à la question de l’injure non publique est prescrit par application de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881. Pour les autres faits, il estime qu’aucune faute ni aucun préjudice ne sont démontrés.

Sur les faits qualifiés d’injures non publiques

L’article R. 621-2 du code pénal dispose que ‘l’injure non publique envers une personne, lorsqu’elle n’a pas été précédée de provocation, est punie de l’amende prévue pour les contravention de la 1ère classe’.

L’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que : ‘L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait.

Toutefois, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête seront interruptives de prescription. Ces réquisitions devront, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l’enquête est ordonnée’.

Il est constant en jurisprudence que la prescription trimestrielle s’applique également dans les instances civiles (cass. civ. 1ère, 10 septembre 2015, n°14-18.262) et que le délai de prescription court à compter du jour où les faits sont commis, comme cela résulte expressément du texte ci-dessus rappelé.

En l’espèce, les faits pouvant être qualifiés d’injures non publiques sont contenus dans un courriel adressé par M. [L] [Y] à son fils [V] et daté du 3 août 2019 (pièce appelant n°1). L’assignation dans la présente affaire a été délivrée le 27 novembre 2019, soit plus de trois mois après. Il n’est pas démontré par les époux [P] qu’un acte iterruptif de prescription au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 est intervenu dans l’intervalle. A ce titre, la plainte déposée le 4 novembre 2019, outre son caractère tardif, ne saurait en tenir lieu comme ne constituant pas des réquisitions aux fins d’enquête, étant entendu au demeurant qu’elle ne vise pas des faits d’injures non publiques mais des faits de harcèlement.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes fondées sur les injures non publiques.

Sur les autres faits

En ce qui concerne tout d’abord la dégradation du véhicule M. [X] [P], force est de constater que si ce fait constitue bien une faute préjudiciable, la réparation a déjà été effectuée comme le reconnaissent les appelants eux-mêmes dans leurs écritures, versant en outre les pièces qui le démontre (pièce appelant n°4).

En ce qui concerne ensuite les tentatives d’écrasement de Mme [W] [G], la cour constate que la preuve n’en est pas rapportée. En effet, il ne s’agit que des déclarations de l’intéressée dans deux mains courantes et d’une audition (pièces appelant n°5, 6 et 9), déclarations reprises par son mari et par [V] [Y] dans leurs propres auditions (pièces appelant n°10 et 48). Aucun élément objectif ne permet donc d’établir la réalité de la faute imputée à M. [L] [Y].

En ce qui concerne enfin les menaces, la cour relève que les époux [P] produisent des échanges de courriels entre M. [L] [Y] et son fils [V] datant de 2012 à 2018 (pièce appelant n°3) dans lesquels le premier fait connaître, dans certains des messages seulement, la haine qu’il éprouve envers Mme [W] [G] et M. [X] [P]. Pour autant l’analyse de ces courriels ne permet pas de caractériser, au delà des insultes et injures diverses et parfaitement déplacées, une menace contre ceux-là. Dans l’un d’eux (daté du 25 mars 2018) figure l’emploi du terme ‘pan pan’ mais les mots s’adressent manifestement à [V] et non aux appelants.

Dans un autre courriel de M. [L] [Y] à son fils en date du 4 août 2019 (pièce appelant n°40), le premier précise, à propos de Mme [W] [G], ‘que les asticots la guettent au risque de gerber (le plus tôt sera le mieux)’. Toutefois, l’emploi de cette expression ne peut pas être considérée comme une menace de mort mais, dans le contexte relationnel révélé par les autres courriels, comme une manière d’exprimer, pour M. [L] [Y] sa haine et sa colère. Quant à l’expression ‘en espérant qu’une condamnation beaucoup plus grave ne vienne pas clore le débat pour l’un comme pour l’autre’ elle est trop vague pour constituer une menace de mort.

Les appelants produisent encore l’audition de M. [Y] [V] en date du 17 décembre 2020 (pièce n°48) lequel affirme qu’il y a eu des menaces de mort à plusieurs reprises. Toutefois il ne donne aucun détail permettant de caractériser ces menaces et ne fait, ensuite, que reprendre les déclarations de Mme [W] [G] quant aux tentatives d’écrasement qu’elle a dénoncées.

Il résulte de ce qui précède qu’aucune faute au sens de l’article 1240 du code civil n’est établie par les époux [P] à l’encontre de M. [L] [Y]. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] [G] et M. [X] [P] de leur demande de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle.

Sur la demande d’indemnisation pour procédure abusive

La cour rappelle que l’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière. En l’espèce rien ne démontre que l’action engagée en première instance, ou l’appel interjeté par les époux [P] avaient comme fondement la malice, l’erreur grossière ou la mauvaise foi. M. [L] [Y] sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

Sur les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, Mme [W] [G] et M. [X] [P] qui succombent seront tenus in solidum aux dépens de première instance et d’appel. Ils seront corrélativement déboutés de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile comme n’en remplissant pas les conditions d’octroi.

Il n’est pas inéquitable de faire supporter par les époux [P] partie des frais irrépétibles non compris dans les dépens exposés par M. [L] [Y] en première instance et en appel. Ainsi, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il les a condamnés à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Ils seront en outre condamnés in solidum à lui payer, au même titre en cause d’appel, la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute M. [L] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne in solidum Mme [W] [G] et M. [X] [P] aux dépens d’appel,

Déboute Mme [W] [G] et M. [X] [P] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Mme [W] [G] et M. [X] [P] à payer à M. [L] [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Ainsi prononcé publiquement le 11 mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.

La Greffière La Présidente

 


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