Délits de presse : les actes interruptions de prescription

·

·

Délits de presse : les actes interruptions de prescription
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐
conseil juridique IP World

Aux termes de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête articulant et qualifiant les faits dont elles sont l’objet sont interruptives de prescription.

 


En l’espèce, la prescription était donc acquise les 2 et 3 mars 2019, soit antérieurement à la plainte avec constitution de partie civile de M. [O], du 29 novembre suivant.


 

N° R 21-86.348 F-B

N° 00525

ECF
10 MAI 2023

REJET
IRRECEVABILITÉ

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 MAI 2023

M. [D] [O], partie civile, a formé des pourvois contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 4e section, en date du 17 septembre 2021, qui, dans l’information suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée des chefs de diffamation et injure publiques, a constaté l’extinction de l’action publique par prescription.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.

Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [D] [O], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l’audience publique du 28 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite de la publication de propos sur la page Facebook du site « decidemos », les 2 et 3 décembre 2018, M. [D] [O] a déposé plainte des chefs de diffamation et injure publiques le 15 février 2019.

3. Le 11 juin 2019, il a obtenu l’aide juridictionnelle, après un refus en date du 31 janvier 2019, en réponse à une demande déposée le 7 décembre 2018.

4. Le 18 novembre 2019, le procureur de la République lui a notifié un avis de classement de sa plainte en raison de la prescription de l’action publique.

5. Par courrier du 29 novembre suivant, M. [O] a porté plainte et s’est constitué partie civile des chefs susvisés, en raison de ces mêmes propos.

6. Par ordonnance du 18 novembre 2020, le doyen des juges d’instruction, constatant l’absence de versement dans le délai fixé de la consignation qu’il avait ordonnée, a déclaré irrecevable la plainte de M. [O], décision dont l’intéressé a relevé appel.

7. Dans son mémoire déposé devant la chambre de l’instruction, le 2 septembre 2021, l’avocat de M. [O] a produit une ordonnance de rectification d’erreur matérielle du 12 mai 2020, complétant l’ordonnance d’aide juridictionnelle du 11 juin 2019, décision dans laquelle le magistrat rédacteur précise que M. [O] a produit une copie de sa plainte avec constitution de partie civile du 29 novembre 2019, accompagnée d’un avis de classement de sa plainte initiale par le parquet.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé le 18 octobre 2021

8. M. [O], ayant épuisé, par l’exercice qu’il en avait fait le 1er octobre 2021, le droit de se pourvoir contre l’arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau le 18 octobre suivant contre la même décision.

9. Seul est recevable le pourvoi formé le 1er octobre 2021.

Examen de la recevabilité du mémoire personnel de M. [O]

10. Selon l’article 584 du code de procédure pénale, le mémoire déposé par le demandeur au pourvoi, sans le ministère d’un avocat à la Cour de cassation, doit être signé par l’intéressé lui-même. Il s’ensuit que le mémoire personnel, qui ne porte aucune signature ou porte une signature autre que celle du demandeur, ne saisit pas la Cour de cassation des moyens qu’il peut contenir.

11. En particulier, est irrecevable le mémoire présenté par un avocat au barreau, qui ne porte pas la signature du demandeur.

12. En l’espèce, le mémoire personnel déposé au nom de M. [O] est signé par M. Alfonso Dorado, avocat au barreau de Paris, et ne comporte pas la signature du demandeur. Il est donc irrecevable.

Examen du moyen du mémoire ampliatif

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a constaté la prescription de l’action publique, alors :

« 1°/ que la prescription de l’action publique est nécessairement suspendue lorsqu’un obstacle de droit ou de fait met la partie poursuivante dans l’impossibilité d’agir ; que l’appelant qui a saisi la chambre de l’instruction d’un appel d’une ordonnance ayant déclaré irrecevable sa constitution de partie civile, ne dispose d’aucun moyen de droit pour obliger la chambre de l’instruction à transmettre le dossier au parquet général aux fins qu’il prenne ses réquisitions ; qu’en retenant, pour juger que le délai de prescription se serait écoulé, que la partie civile ne se serait heurtée à aucun obstacle de droit la mettant dans l’impossibilité d’agir entre le 3 décembre 2020, jour où le dossier a été transmis à la chambre de l’instruction, et le 9 juin 2021, jour où le dossier a été remis au parquet général, cependant que la partie civile ne disposait d’aucun moyen de droit pour contraindre la chambre de l’instruction à transmettre le dossier, ni le parquet général à prendre ses réquisitions, la cour d’appel a violé l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 9-2 et 9-3 du code de procédure pénale ;

2°/ que les dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ne sauraient porter atteinte au droit de tout justiciable de voir sa cause entendue et jugée par un tribunal dans un délai raisonnable ; que porte atteinte au droit à un tribunal, en exigeant un formalisme excessif de la part du demandeur, l’arrêt qui oppose à l’appelant la prescription de son action alors que le délai de prescription s’est écoulé en raison du délai mis par la chambre de l’instruction pour transmettre le dossier au parquet général pour que celui-ci prenne ses réquisitions ; qu’en opposant à la partie civile, appelante, le fait que « le dossier transmis à la chambre de l’instruction le 3 décembre 2020 a été remis au parquet général le 9 juin 2021 et pour réquisitions à l’avocat général le 10 juin 2021 » et qu’aucun obstacle de droit ne l’aurait mise dans l’impossibilité d’agir, pour retenir la prescription des faits, la cour d’appel a porté atteinte à son droit à un tribunal, en violation des articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que la partie civile qui a obtenu l’aide juridictionnelle est dispensée de verser une consignation à la suite du dépôt de sa plainte avec constitution de partie civile ; que cette dispense est applicable que l’aide juridictionnelle ait été accordée avant ou après le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile ; que M. [O] a obtenu l’aide juridictionnelle sur recours aux termes d’une ordonnance de la cour d’appel de Paris du 11 juin 2019, aux fins de soutenir sa plainte en diffamation devant le tribunal correctionnel de Paris ; que par ordonnance en rectification d’erreur matérielle du 12 mai 2020, la cour d’appel a constaté que M. [O] avait produit une photocopie de la plainte avec constitution de partie civile déposée le 29 novembre 2019 auprès du doyen des juges d’instruction au tribunal judiciaire de Paris, accompagnée d’un avis de classement de la plainte simple par le parquet et a confirmé les autres dispositions de l’ordonnance du 11 juin 2019 ; que la cour d’appel a constaté que l’ordonnance rectificative « vise une « demande du 29/11/19 » ce qui pourrait correspondre à la date portée sur la plainte avec constitution de partie civile qui a été déposée au greffe le 03/12/19 » ; qu’elle a encore constaté que l’ordonnance en rectification concerne toujours expressément l’attribution du bénéfice de l’AJ pour la « procédure de plainte en diffamation devant le tribunal correctionnel de Paris à compter de la demande d’AJ et jusqu’à l’exécution » ; qu’en confirmant néanmoins l’ordonnance du juge d’instruction ayant déclaré la plainte avec constitution de partie civile déposée le 3 décembre 2019 irrecevable pour défaut de consignation, au motif que l’aide juridictionnelle aurait été attribuée « dans le cadre d’une autre procédure », la cour d’appel a dénaturé les pièces du dossier. »

Réponse de la Cour

14. Pour déclarer éteinte par la prescription l’action engagée par M. [O], l’arrêt attaqué énonce que le dossier transmis à la chambre de l’instruction le 3 décembre 2020 a été remis au parquet général le 9 juin 2021 et pour réquisitions à l’avocat général, le lendemain.

15. Les juges en déduisent qu’en application des dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et faute d’obstacle de droit mettant la partie poursuivante dans l’impossibilité d’agir, les faits sont prescrits.

16. C’est à tort que les juges se sont prononcés par les motifs qui précèdent, dès lors que la partie civile, qui n’est recevable à présenter une demande d’acte qu’après l’ouverture de l’information, se trouvait, alors, dans l’impossibilité d’agir.

17. Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer, par l’examen des pièces dont elle a le contrôle, qu’en l’espèce, la publication litigieuse des 2 et 3 décembre 2018 a fait courir la prescription de trois mois, laquelle n’a été interrompue ni par la demande d’aide juridictionnelle du 7 décembre 2018 ni par la décision relative à celle-ci du 31 janvier 2019 ni par la plainte simple de M. [O] du 15 février suivant.

18. En effet, aux termes des dispositions de l’article 65 précité, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête articulant et qualifiant les faits dont elles sont l’objet sont interruptives de prescription.

19. La prescription était donc acquise les 2 et 3 mars 2019, soit antérieurement à la plainte avec constitution de partie civile de M. [O], du 29 novembre suivant.

20. Dès lors, le moyen doit être écarté.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [O] le 18 octobre 2021 :

Le DÉCLARE irrecevable ;

Sur le pourvoi formé par M. [O] le 1er octobre 2021 :

Le REJETTE ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix mai deux mille vingt-trois.


Chat Icon