L’atteinte à la vie privée et au droit à l’image

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L’atteinte à la vie privée et au droit à l’image
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 64B

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 JUIN 2022

N° RG 21/06580 – N° Portalis DBV3-V-B7F-U2BD

AFFAIRE :

SARL MEDIALYD ETUDES ET VENTE À DISTANCE

C/

[I] [G]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 07 Octobre 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NANTERRE

N° RG : 21/02064

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 09.06.2022

à :

Me Claire RICARD, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Vincent TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SARL MEDIALYD ETUDES ET VENTE À DISTANCE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2211544

Assistée de Me Frédéric JOACHIM, avocat plaidant au barreau de Paris

APPELANTE

****************

Madame [I] [G]

née le [Date naissance 2] 1990 à [Localité 6] (USA)

de nationalité […]

[Adresse 4]

[Localité 1] , Etats-Unis

Représentant : Me Vincent TOLEDANO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0859

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 13 Avril 2022, Madame Marina IGELMAN, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, Président,

Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,

Madame Marina IGELMAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI

EXPOSE DU LITIGE

Mme [I] [G], âgée de […], est une actrice […] de renommée internationale.

La société Medialyd Etudes et Vente à Distance (la société Medialyd), dirigée par M. [R] [B], publie et commercialise le magazine King, présenté comme ‘un masculin ‘sexy et intelligent’ qui est imprimé en france chez Mordacq’.

Elle a publié, sous le titre ‘[Y] Magazine’, un hors-série n° 1 du magazine King, mis en vente le 22 juillet 2021 par les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) dans toute la France, contenant un cahier central en couleurs de 8 pages intitulé ‘Les coups de coeur de [A] [Y]’, sur la 3ème page duquel figurent 5 photographies représentant Mme [G] dénudée ou en sous-vêtements, page surmontée de la citation ‘Rien qu’avec [I] [G] sur sa banquette j’ai joui trois fois…’.

Par acte d’huissier de justice délivré le 29 juillet 2021, Mme [G] a fait assigner en référé la société Medialyd aux fins d’obtenir principalement la réparation des atteintes aux droits de sa personnalité qu’elle estime avoir subies du fait de la publication de ces photographies.

Par ordonnance contradictoire rendue le 7 octobre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :

– condamné la société Medialyd à payer à Mme [G] une indemnité provisionnelle de 20 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral résultant de l’atteinte au respect dû à sa vie privée et au droit dont elle dispose sur son image par la publication de cinq photographies la représentant dans le hors-série numéro 1 du magazine King commercialisé depuis le 22 juillet 2021 sous le titre [Y] Magazine,

– interdit à la société Medialyd de publier, diffuser ou commercialiser à nouveau, sur tout support, sous astreinte provisoire de 2 000 euros par infraction constatée, pendant un délai de cinq mois courant à compter de l’expiration d’un délai de huit jours débutant le jour de la signification de l’ordonnance, les cinq photographies représentant Mme [G], publiées en page intérieure (deux photographies en haut, une photographie au centre à gauche et deux photographies en bas de page) du hors-série numéro 1 du magazine King commercialisé sous le titre [Y] Magazine,

– s’est réservée la liquidation de l’astreinte,

– condamné la société Medialyd à payer à Mme [G] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté toute demande plus ample ou contraire,

– condamné la société Medialyd aux dépens,

– rappelé que la décision est exécutoire par provision.

Par déclaration reçue au greffe le 29 octobre 2021, la société Medialyd a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Medialyd demande à la cour, au visa des articles 9 et 1240 du code civil et 133 et suivants et 564 du code de procédure civile, de :

– infirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue entre les parties le 7 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre ;

statuant à nouveau,

– surseoir à statuer dans l’attente de la production des pièces que l’intimée est par les présentes sommée de verser aux débats ;

– constater qu’en l’état de la procédure, Mme [G] n’apporte pas la preuve que les photographies litigieuses sont bien celles qui ont été dérobées par les hackers [H] et [P] condamnés par la justice […] pour piratage informatique, et la débouter en conséquence de ses demandes ;

– en tout état de cause, constater que le magazine [Y] est une publication humoristique et bénéficie à ce titre de la « présomption satirique » ; que Mme [G] s’est complaisamment prêtée, quoi qu’elle en dise, à l’exploitation de son image dénudée ; que l’éditeur n’était pas censé savoir qu’il s’agissait de photographies « volées », n’ayant pas eu connaissance avant leur communication par le conseil de l’intimée à l’occasion de la procédure, de la condamnation du hacker qui a piraté les photos ;

– constater que les photographies litigieuses sont posées et non volées ;

– dire en conséquence qu’elle n’a commis aucune faute envers Mme [G] en reproduisant cinq photos d’elle dénudée et la débouter de toutes ses demandes ;

– dire que la « victime » a largement contribué à la réalisation de son propre dommage en faisant prendre les photos litigieuses et en stockant ses photos intimes sur le « cloud » et en tirer toutes conséquences quant à son indemnisation ;

– constater en tout état de cause qu’il y a matière à contestation sérieuse de nature à empêcher le juge des référés de statuer et renvoyer Mme [G] à mieux se pourvoir devant le juge du fond ;

– rejeter la demande additionnelle présentée pour la première fois en cause d’appel ;

– à titre subsidiaire, constatant le très faible nombre des ventes de [Y] Magazine à ce jour, ramener l’indemnisation de Mme [G] à l’euro symbolique ;

– débouter en tout état de cause Mme [G] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner en tout état de cause la demanderesse à lui verser la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– la condamner enfin aux entiers dépens, dont distraction, pour ceux d’appel, au profit de Maître Claire Ricard, avocat aux offres de droit, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 18 janvier 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme [G] demande à la cour, au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, de :

– débouter la société Medialyd de son incident irrecevable et mal fondé ;

– débouter la société Medialyd de toutes ses demandes ;

– confirmer l’ordonnance du 7 octobre 2021 en ce qu’elle a retenu l’atteinte au respect dû à la vie privée et au droit à l’image et interdit toute reproduction des cinq photographies, outre la condamnation aux frais irrépétibles et aux dépens ;

– la réformant et y ajoutant :

– condamner la société Medialyd à lui verser, au titre du préjudice moral incontestable résultant des atteintes portées à ses droits de la personnalité, une indemnité provisionnelle de 30 000 euros du fait de la publication de [Y] Magazine ;

– condamner la société Medialyd à lui verser, au titre du préjudice moral incontestable résultant des atteintes portées à ses droits de la personnalité, une indemnité provisionnelle de 18 000 euros du fait de la publication de King n° 2 du 17 juillet 2019 ;

– faire interdiction à la société Medialyd, sous astreinte provisoire de 5 000 euros par infraction constatée, de faire directement usage ou de consentir tout usage commercial, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, des clichés incriminés la représentant dénudée publiés dans [Y] Magazine et King n° 2 du 17 juillet 2019 ;

– condamner la société Medialyd à lui verser, au titre des frais irrépétibles de première instance, une indemnité de 8 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Medialyd à lui verser, au titre des frais irrépétibles de l’appel, une indemnité de 8 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Vincent Toledano, avocat aux offres de droit.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande de sursis à statuer et de production de pièces :

La société Medialyd, appelante, sollicite en premier lieu qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de la production par l’intimée des pièces qu’elle lui a sommé de verser aux débats aux termes de ses conclusions d’appelante n° 1 à savoir :

– le contrat signé entre elle et M. [L] [K], auteur des photographies litigieuses,

– la copie de la ou des décisions rendues par la justice […] sur l’ensemble des indemnisations perçues par Mme [G] dans le cadre du piratage dont elle a été victime.

Elle indique qu’elle demandait également la copie du jugement rendu par la cour fédérale de Chicago le 24 janvier 2017 condamnant M. [O] [H], hacker ayant piraté les photographies, communication qui a été satisfaite par la fourniture de l’adresse internet permettant de consulter cette décision.

Elle soutient que ces communications sont nécessaires afin de déterminer si Mme [G] détient des droits sur les clichés litigieux et si par ailleurs, lesdits clichés sont ceux qu’elle prétend lui avoir été dérobés.

Elle précise qu’elle a par erreur avancé dans ses précédentes écritures que les photographies ont été prises par l’acteur M. [L] [K] et qu’il s’agit en réalité de son homonyme, qui est photographe.

En réponse aux développements adverses, la société Medialyd rétorque qu’il ne s’agit pas d’un incident de procédure mais d’une demande de sursis à statuer facultatif (et non impératif, qui n’est pas destiné à mettre fin à l’instance), alors qu’en outre s’agissant d’une procédure à bref délai, l’instance n’est pas soumise à la désignation d’un conseiller rapporteur.

Mme [G], intimée, fait valoir qu’il est constant que le sursis à statuer est une exception de procédure qui relève de la compétence du président ou du magistrat délégué de sorte qu’elle est irrecevable devant la cour.

Subsidiairement, elle soutient que la production aux débats d’un contrat inexistant ou de décisions de justice à la disposition du public depuis 2017 est sans rapport ni incidence pour l’appréciation de l’étendue de son préjudice résultant de la violation incontestable de son droit au respect de la vie privée et de son droit à l’image.

Sur ce,

Le sursis à statuer, défini aux articles 378 et suivants du code de procédure civile, constitue une exception de procédure dont le régime est prévu à l’article 74 du même code qui dispose que les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ; il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public.

Ainsi, à défaut d’avoir été demandé devant le premier juge, et alors que l’appelante ne fait état d’aucun nouvel élément le justifiant, le sursis à statuer formulé pour la première fois en appel encourt l’irrecevabilité de ce chef, étant relevé qu’en matière de procédure à bref délai, la cour est toutefois compétente pour en apprécier l’opportunité.

En tout état de cause, la société Medialyd n’apporte aucun début de commencement de preuve afin d’établir que les photographies litigieuses auraient fait l’objet d’un contrat avec M. [L] [K], qu’il s’agisse du célèbre acteur ou d’un photographe homonyme, pas plus qu’elle ne démontre que l’intimée aurait pu percevoir des intérêts civils dans le cadre du procès mené aux Etats-Unis contre le hacker M. [H], se contentant pour chacune de ces allégations de procéder par hypothèses ou de faire état de rumeurs.

Il sera en conséquence dit n’y avoir lieu à surseoir à statuer dans l’attente de communication de pièces dont l’existence n’est pas avérée.

Sur l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image :

Sans qu’il ne ressorte de la présentation formelle des conclusions de l’appelante qu’elle contesterait le principe de sa condamnation au titre de l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image de Mme [G], elle fait toutefois état dans ses développements de ce que :

– elle pouvait parfaitement ignorer que les photographies reprises n’étaient pas libres de parcours ou libres de droit, compte tenu du nombre très conséquent de publications de ces images sur internet et alors qu’il s’agit de photographies posées, les attitudes prises par le modèle ne laissant pas de doute à cet égard ;

– la publication litigieuse doit bénéficier de la « présomption humoristique », résultant d’une « volonté de caricaturer, de brocarder la comédienne, dans un esprit bien plus anarchiste de critique du star système, que pornographique »,

– la cour devra tirer les conséquences du refus ou de l’abstention de l’intimée de communiquer le contrat signé avec M. [L] [K], auteur des photographies litigieuses,

– rien ne prouve qu’il s’agissent des photographies dérobées par les hackers [H] et [P] condamnés par la justice […] pour piratage informatique.

L’appelante invoque ensuite une contribution de la victime à la réalisation de son propre dommage, de nature à réduire considérablement l’indemnisation qui pourrait lui être accordée, soutenant que « le fait de prendre ou de faire prendre d’elle-même dénudée, des photos aussi suggestives et osées et de les stocker ensuite sur le Cloud est extrêmement imprudent quant on est une personnalité publique dont l’image va immanquablement être traquée et exploitée et lorsque l’on sait le peu de sécurité que garantit ce système de stockage ».

Elle demande à la cour de ramener l’indemnisation à l’euro symbolique ou à des proportions bien moindres que les demandes présentées, faisant valoir que le hors-série du magazine King intitulé [Y] Magazine ne s’est vendu, au 1er septembre 2021, qu’à 2 561 exemplaires, pour 4,90 euros chacun, que la diffusion à l’étranger est inexistante.

La société Medialyd demande enfin à la cour de rejeter la demande additionnelle de Mme [G], nouvelle à hauteur d’appel, faisant valoir que l’allégation de la révélation d’un fait en ce que « l’éditeur avait déjà publié ces images volées » dans le magazine King n° 2 le 17 juillet 2019, n’induit pas de question nouvelle devant être jugée par la cour d’appel, outre qu’il s’agit d’un fait parfaitement public.

Elle avance qu’il s’agit en réalité d’une procédure diligentée à l’encontre de M. [A] [Y], dont la personnalité et l’humour n’ont pas ‘l’heur de plaire à l’intelligentsia’.

L’intimée, Mme [G], souligne d’abord que « tout en demandant à la cour d’infirmer l’ordonnance entreprise, avec une confusion persistante, l’éditeur ne paraît pas contester le principes des atteintes, sa critique portant sur la fixation au stade de la provision, du seul quantum du préjudice à réparer ».

Elle conclut quant à elle à la confirmation de l’ordonnance déférée, faisant valoir que les 5 images volées, anciennes de mauvaise qualité, s’immiscent illicitement dans la sphère protégée de l’intimité la plus secrète de la comédienne en donnant à penser qu’elle aurait volontairement posé nue pour un photographe de charme au passé sulfureux.

Elle demande à la cour d’approuver le premier juge qui a dit qu’elle justifiait, par des articles versés aux débats, que ces photographies privées sont issues du piratage de son téléphone portable en 2014.

Elle souligne la dénégation de mauvaise foi de la société éditrice de sa connaissance de l’origine frauduleuse des photographies en cause, alors qu’après l’audience devant le premier juge, elle a découvert que l’éditeur avait déjà publié ces images volées dans le magazine King n° 2 du 17 juillet 2019, soulignant leur origine frauduleuse en ces termes : « ses premières photos intimes leakées sur le net ‘ ».

Elle ajoute avoir fait constater par huissier de justice le 28 décembre 2021, soit 4 jours après la signification de ses conclusions d’appel, que l’éditeur continuait de commercialiser le magazine King n° 2 en violation de l’interdiction faite par le premier juge, par le biais de sa boutique en ligne, proposant des exemplaires de ce magazine à la vente, ainsi que par le kiosque numérique téléchargeable.

Elle fait valoir à cet égard une évolution du litige.

Elle demande encore à la cour d’approuver le premier juge qui a retenu qu’elle démontrait que ses conseils n’avaient de cesse depuis 2014 d’agir afin que les images piratées soient retirées des moteurs de recherche et des sites qui les diffusent.

Elle conteste également le moyen alléguée par l’appelante selon lequel elle aurait participé à son propre préjudice, alors que le droit de la personne à la protection de son image comprend selon la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le droit d’en refuser la diffusion, sauf en cas d’intérêt public à cette diffusion, ce qui n’est pas le cas des « plaisanteries salaces sur un ton graveleux de l’éditeur poursuivi, illustrées par des images volées dont il connaissait l’origine délictueuse ».

Ainsi, elle prétend justifier d’un préjudice moral résultant du caractère intolérable de l’exploitation dans un cadre dégradant d’images volées, anciennes et de mauvaises qualité de son intimité, aggravé par la découverte de la nouvelle reproduction par le même éditeur dans un autre support.

Mme [G] relate avoir fait part, à l’issue du procès devant le premier juge, au magazine américain Vanity Fair du 24 novembre 2021 du traumatisme qu’elle subit par la publication en France de photographies qu’elle essaie en vain de faire disparaître.

Elle sollicite en conséquence la somme de 6 000 euros par cliché volé, y compris pour le magazine King n° 2, soit une indemnisation totale à hauteur de 48 000 euros, ainsi que la confirmation de l’ordonnance querellée sur les mesures d’interdiction prononcées mais une augmentation de l’astreinte les assortissant à 5 000 euros par infraction constatée.

Sur ce,

Il résulte des dispositions combinées des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et de son image et qu’elle est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.

Elle dispose en outre sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sauf son autorisation.

L’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit pour sa part l’exercice du droit à l’information des organes de presse dans le respect du droit des tiers.

La combinaison de ce droit essentiel de la personnalité et de cette liberté fondamentale conduit à limiter le droit à l’information du public, d’une part, aux éléments relevant pour les personnes publiques de la vie officielle, d’autre part, aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.

Ainsi, il est constant que toute personne dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite, d’un droit exclusif, qui lui permet, de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.

En application de ces règles, de par la seule constatation, indépendamment du débat sur l’éventuelle connaissance par la société Medialyd de l’origine frauduleuse des photographies, la publication sur une page du hors série n° 1 du magazine King intitulé « [Y] Magazine » mis en vente le 22 juillet 2021, au sein du cahier central intitulé « les coups de coeur de [A] [Y] », de 5 photographies de Mme [G], dénudée ou en sous-vêtements, prenant des poses érotiques, accompagnées du commentaire « rien qu’avec [I] [G] sur sa banquette j’ai joui trois fois » et marquées de 2 impressions simulant des éclats de sperme, sans son autorisation, constitue une atteinte au respect dû à sa vie privée ainsi qu’à son droit à l’image, ces publications, ayant pour seul objet de satisfaire la curiosité d’un certain lectorat sur les détails de la vie intime de l’intéressée qui ne sauraient, quelle que soit la notoriété de cette personne, passer pour contribuer à un quelconque débat d’intérêt général pour la société (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, §§ 99 et 100).

La gravité de ces atteintes est renforcée par le fait que ces 5 images, annoncées en couverture du hors série en ces termes « Nos belles invitées ‘ [I] et ses amies », sont issues du piratage de son téléphone portable en 2014, ce que la société éditrice ne pouvait ignorer.

En effet, cette connaissance peut se déduire de la parution dans la presse de l’information de la condamnation en 2017 d’un des hackers, M. [O] [H] et de celle en 2018 d’un autre, [D] [P], tous deux sanctionnés pénalement pour avoir appréhendé illégalement des photographies intimes de célébrités, dont l’intimée, issues d’ordinateurs ou de téléphones portables, via des comptes iCloud.

Surtout, la connaissance par l’appelante de l’origine frauduleuse de ces photographies est établie par le commentaire figurant le magazine King n°2, éditée par la même société le 17 juillet 2019, accompagnant la publication de 2 photographies identiques à celles du hors-série, et mentionnant « ses premières photos intimes leakées sur le net » (page 43 du procès-verbal de constat par huissier de justice en date du 28 décembre 2021).

En effet, l’argumentaire de la société Medialyd, selon lequel (page 3 de ses conclusions) « un document peut parfaitement « fuiter » sans pour autant avoir été volé. Il peut même être parfois de l’intérêt de l’auteur ou de la personne concernée de laisser fuiter certains éléments sur internet ou d’autres medias, sinon même d’en organiser la fuite. On ne peut évidemment exclure qu’une jeune et jolie femme à peine sortie de l’adolescence et désireuse de faire carrière organise elle-même la publication sur internet de certaines photos dénudées afin de faire parler d’elle et d’attirer l’attention des producteurs sur sa plastique (…) » n’apparaît pas convaincant dès lors que l’expression ‘photos intimes leakées sur le net’ s’entend d’une divulgation non consentie, et non d’une fuite organisée.

L’appelante ne peut ainsi sérieusement prétendre que rien ne prouve qu’il s’agit des photographies dérobées par les hackers alors qu’il résulte de son propre commentaire qu’elle savait pertinemment qu’elles avaient été divulguées irrégulièrement par le biais d’internet, le nombre d’occurrences retrouvées sur ce media n’étant pas de nature à démontrer que l’intimée se « complairait » dans ces diffusions.

Par ailleurs, la société Medialyd allègue sans le démontrer que les publications litigieuses résulteraient d’une « volonté de caricaturer, de brocarder la comédienne, dans un esprit bien plus anarchiste de critique du star système, que pornographique », alors qu’il n’est nullement établi que le magazine en cause utiliserait la caricature comme une manifestation de la liberté de critique.

Dès lors, la publication de ces 5 photographies, accompagnées d’un commentaire à caractère davantage sexuel que satirique, en dehors de tout consentement de l’intéressée, et alors qu’elles provenaient de captations illégales, caractérise à la fois l’atteinte à la vie privée et l’atteinte au droit à l’image de Mme [G].

En la matière, la seule constatation de l’atteinte au respect de la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, l’appelante devant toutefois justifier du dommage allégué.

En application des dispositions de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier.

Il découle de ce texte que le montant de la provision qui peut être allouée en référé n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Comme l’a justement retenu le premier juge, l’étendue du préjudice moral subi par Mme [G] doit être appréciée en considération de la nature particulièrement intrusive des atteintes relevées et de la présentation dégradante qui en est faite par leur reproduction assortie de dessins figurant des traces de liquide séminal et d’un commentaire évoquant l’orgasme masculin, en opposition avec l’image élégante et raffinée que l’intimée adopte publiquement, en particulier en sa qualité d’égérie d’une grande marque de luxe.

Par ailleurs, alors que la demande de réparation visant une publication découverte postérieurement à l’audience de première instance ne peut être qualifiée de prétention nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile, s’agissant de faits similaires, il découle de cette répétition dans le temps des publications en violation des droits de l’intimée, une réactivation du préjudice subi, que l’intéressée a publiquement qualifié de traumatisme.

Si le faible nombre d’exemplaires du hors-série [Y] Magazine vendus (2 561) ainsi que le faible nombre du magazine King n° 2 commercialisé en ligne par la société Medialyd est de nature à minorer le préjudice subi, cet élément est toutefois contrebalancé par la constatation par huissier de justice dans le procès-verbal du 28 décembre 2021 de la possibilité de télécharger ce magazine, cette fois-ci de manière illimitée.

En outre, il n’est nullement établi que l’intimée aurait contribué à la réalisation de son propre dommage en stockant les images ultérieurement dérobées sur le Cloud, alors qu’il s’agit-là d’un processus tout à fait usuel et nécessaire à la conservation des données personnelles en cas de perte ou de vol de l’appareil sur lequel elles sont enregistrées.

En conséquence, en considération de ces éléments et de la réitération des atteintes subies par Mme [G] tant en ce qui concerne le respect dû à sa vie privée, qu’en ce qui concerne le droit dont elle dispose sur son image, la cour estime que le préjudice subi doit être réparé par l’allocation d’une somme globale de 20 000 euros à titre de provision.

Cette somme ayant également été arrêtée par le premier juge, l’ordonnance attaquée sera confirmée de ce chef.

L’interdiction faite à la société Medialyd de publier, diffuser ou de commercialiser à nouveau, sur tout support, les 5 photographies représentant Mme [G] publiées dans le hors-série n° 1 du magazine King, commercialisé sous le titre [Y] Magazine, sera confirmée, ainsi que le montant de l’astreinte fixée à 2 000 euros par infraction constatée, lequel apparaît suffisamment dissuasif, les publications révélées postérieurement ayant en réalité une date antérieure.

Il sera toutefois ajouter une interdiction similaire s’agissant des clichés figurant dans le magazine King n° 2 du 17 juillet 2019.

Sur les demandes accessoires :

Au vu de ce qui précède, l’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, l’appelante ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d’appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à Mme [G] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d’appel. L’appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Dit n’y avoir lieu à sursoir à statuer,

Confirme l’ordonnance du 7 octobre 2021 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à écarter la demande additionnelle formulée par Mme [I] [G],

Fait également interdiction à la société Medialyd de publier, diffuser ou commercialiser à nouveau, sur tout support, sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée, pendant un délai de 5 mois courant à compter de l’expiration d’un délai de huit jours débutant le jour de la signification du présent arrêt, les photographies de Mme [I] [G] publiées dans le magazine King n° 2 du 17 juillet 2019,

Condamne la société Medialyd à verser à Mme [I] [G] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Dit que la société Medialyd supportera les dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,

 


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