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ARRÊT DU
13 DECEMBRE 2022
PF/CR
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N° RG 21/00653 – N° Portalis DBVO-V-B7F-C45B
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[G] [A]
C/
S.A.S.U. LAGRANGE
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Grosse délivrée
le :
à
ARRÊT n° /2022
COUR D’APPEL D’AGEN
Chambre Sociale
Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le treize Décembre deux mille vingt deux par Pascale FOUQUET, Conseiller, assistée de Charlotte ROSA, adjoint administratif faisant fonction de greffière
La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire
ENTRE :
[G] [U]
Née le 25 Décembre 1979 à [Localité 6] (65)
Ambulancière
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Carine LAFFORGUE, avocate inscrite au barreau du GERS
APPELANTE d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AUCH en date du 27 Mai 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 19/00086
d’une part,
ET :
S.A.S.U. LAGRANGE
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Marie-Laure SOULA, avocate inscrite au barreau du GERS
INTIMEE
d’autre part,
A rendu l’arrêt réputé contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 11 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assisté de Chloé ORRIERE,. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la Cour composée, outre lui-même, de Nelly EMIN, Conseillère faisant fonction de présidente de chambre et de Benjamin FAURE, Conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt serait rendu.
* *
*
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 4 septembre 2018, Mme [G] [A] a été embauchée par la société Lagrange, qui exerce son activité de transports ambulanciers à [Localité 2] (32), en qualité d’ambulancière deuxième degré DEA.
Elle a été placée en arrêt de travail à compter du 9 janvier 2019.
Par requête en date du 2 septembre 2019, Mme [G] [A] a saisi le conseil de prud’hommes d’Auch, aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur à la suite d’harcèlement sexuel, les indemnités afférentes, des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat et la remise des documents de fin de contrat sous astreinte.
Par jugement du 27 mai 2021, le conseil de prud’hommes, section activités diverses, a’:
– dit que la société Lagrange n’avait pas laissé perdurer des faits de harcèlement sexuel commis au préjudice de Mme [G] [A],
– débouté en conséquence Mme [G] [A] de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur,
– débouté Mme [G] [A] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,
– débouté chacune des parties de leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 23 juin 2021, Mme [G] [A] a interjeté appel total de cette décision en ce qu’il a’:
– dit que la société Lagrange n’avait pas laissé perdurer des faits de harcèlement sexuel commis à son préjudice,
– l’a déboutée en conséquence de sa demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur,
– l’a déboutée toutes ses autres demandes, notamment relatives aux indemnités de licenciement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnités de licenciement, indemnités compensatrices de préavis, indemnités compensatrices de congés payés,
– l’a déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,
– l’a déboutée de sa demande de remise des documents de fin de contrat.
Le 1er juillet 2021, le médecin du travail a rendu un avis d’inaptitude de la salariée.
Par courrier du 5 juillet 2021, Mme [G] [A] a reçu une convocation à un entretien préalable à un licenciement fixé le 16 juillet 2021.
Le 20 juillet 2021, l’employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 juillet 2022 et l’affaire fixée pour plaider à l’audience du 11 octobre 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
I. Moyens et prétentions de Mme [G] [A], appelante principale et intimée sur incident
Dans ses dernières conclusions, reçues au greffe le 29 juin 2022, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’appelant, Mme [G] [A] demande à la cour de’:
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat,
– juger que l’employeur a commis un manquement grave à son obligation de sécurité de résultat en laissant s’installer, perdurer des faits de harcèlement sexuel commis à son préjudice,
– en conséquence, condamner la société Lagrange à lui verser les sommes suivantes’:
* 10 000€ à titre de dommages et intérêts tant au titre du préjudice lié au harcèlement moral subi que celui lié au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat,
* 3 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Lagrange aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que’:
Sur le harcèlement sexuel
– Elle a alerté son employeur par courrier du 6 janvier 2019 pour dénoncer les faits commis par son collègue, M. [F]. Elle lui reproche trois agissements’:
* dès son premier jour d’embauche, lui avoir montré des scènes pornographiques sur son téléphone portable, lui avoir posé des questions sur ses orientations sexuelles et avoir déclaré être «’libertin’»
* l’avoir invitée à partager une pizza «’au coin du feu’» avec sa compagne
* d’avoir eu un comportement déplacé le 21 décembre 2018 en plaçant son sandwich entre ses cuisses et en lui disant «’tu peux me l’attraper”’».
– Au cours de son audition suite à sa plainte déposée le 10 janvier 2019, M. [F] a reconnu lui avoir montré une vidéo à caractère pornographique sans son consentement mais a minimisé ses propos les qualifiant de «’blagues’potaches’».
– Mme [L] [J], directrice générale, co-gérante de la société avec Mme [E] [N], présidente, a reconnu dans son audition devant le service enquêteur que, le 21 décembre 2018, Mme [A] était venue se plaindre auprès d’elles des agissements qu’elle qualifiait de harcèlement sexuel.
Le groupe de discussion «’Messenger’», intitulé «’Ambulances Lagrange’»
– Les allusions à caractère sexuel de M. [F] se poursuivaient sur le groupe Messenger «’Ambulance Lagrange’» sur lequel étaient diffusés des messages, vidéos et photos à caractère pornographique,
– Selon elle, ce groupe avait été créé par Mme [L] [J] à l’époque où elle n’était encore qu’employée de la société,
– Les co-gérantes, faisant elles-mêmes partie du groupe de discussion, en avaient connaissance,
– Mme [L] [J] apparaît dans une vidéo où elle tenait des propos graveleux et présentait ses préférences sexuelles. Ces faits ont été constatés par huissier de justice dont le constat du 22 août 2019 est versé aux débats.
– La salariée s’est exclue du groupe pour ne plus être importunée jour et nuit,
– Contrairement à ce que prétend l’employeur, le groupe de discussion avait pour finalité des échanges professionnels comme le démontre son intitulé «’Ambulance Lagrange’» et la diffusion des plannings qu’elle recevait de cette manière,
– Il s’agissait d’une «’culture d’entreprise’» particulière qui impliquait l’adhésion implicite des salariés s’ils voulaient être intégrés dans l’équipe de 25 salariés,
– Les premiers juges n’ont pas tiré les conséquences de leur juste interprétation des faits
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
-L’employeur n’apporte aucun élément probant pour se défendre, il ne fait que remettre en cause la personnalité de Mme [A], qui selon lui «’manquait d’humour’»
-La salariée n’a jamais rencontré de difficultés avec ses précédents employeurs et a toujours fait preuve de rigueur et de professionnalisme
– Elle a «’craqué’» le 21 décembre 2018 en fin d’après midi comme en atteste le SMS envoyé à son collègue M. [I] [R]
– Elle entretenait de bonnes relations avec ses collègues comme elle en justifie par production des attestations de M. [I] [R], qui l’avait recrutée et de M. [X] [D]
– Les attestations produites par l’employeur sont similaires les unes aux autres sa compagne a demandé elle même le transport médical auprès du régulateur, pris en charge par la sécurité sociale. Elle ne lui a pas fait bénéficier d’un traitement de faveur
Sur le préjudice
-Elle a été placée en arrêt de travail à compter de janvier 2019, ses arrêts se sont poursuivis jusqu’à son avis d’inaptitude. Son médecin psychiatre lui avait indiqué qu’il était inconcevable de reprendre son emploi compte tenu de l’impact psychique que ces agissements avait pu avoir sur elle. Elle a subi une dépression sévère qui a porté atteinte à ses conditions d’existence. Ces comportements ont nui à ses capacités de réinsertion dans un métier qu’elle affectionnait autant.
II. Moyens et prétentions de la société Lagrange, intimée sur appel principal et appellante sur incident
Dans ses dernières conclusions reçues au greffe le 24 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour une parfaite connaissance des moyens et prétentions, la société Lagrange demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 27 mai 2021 en toutes ses dispositions et de condamner Mme [G] [A] au paiement de la somme de 2 000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société Lagrange fait valoir ‘:
Sur le harcèlement sexuel
Elle conteste tout harcèlement sexuel de la part de M. [F] envers la salariée :
– La salariée l’a informée par courrier seulement le 6 janvier 2019 alors même qu’elle disait être victime de harcèlement sexuel depuis son embauche, soit le 4 septembre 2018,
– Elle n’a pas alerté le médecin du travail lors de son examen le 23 novembre 2018
l’entretien entre les dirigeantes et la salariée, le 22 septembre 2018, portait sur la qualité de son travail et ses relations professionnelles avec Mme [J]. Aucun problème de harcèlement n’avait été évoqué comme le démontrent les SMS produits
le 21 décembre 2018, en fin d’après midi, une discussion a eu lieu à la demande de Mme [A] en sa présence et celles de Mme [N], Mme [J] et M. [F] qui a contesté ces accusations,
– En quatre mois de travail, la salariée n’a travaillé que 8 jours avec M. [F], elle n’a donc pas pu être victime de faits «’répétés’» de sa part,
– M. [F] indique, dans le cadre de son audition et par attestation, avoir déclaré lors de la réunion du 21 décembre, qu’il s’agissait d’un malentendu, que la salariée se sentait persécutée, qu’elle présentait de graves difficultés d’intégration dans l’entreprise et interprétait toute situation et tout propos de façon erronée mais qu’il reconnaissait cependant quelques plaisanteries à caractère sexuel,
– Il n’a pas insisté lorsqu’elle a refusé de regarder la vidéo et n’a pas réitéré,
– La plainte pénale de la salariée a été classée sans suite au motif «’absence d’infraction’» le 11 mars 2019,
– Les accusations portées contre lui sont mensongères.
Le groupe Messenger
Dans ses deux courriers du 6 janvier 2019, la salariée n’a jamais évoqué ce groupe de discussion’:
– Celui-ci n’a pas été créé par Mme [L] [J] mais par M. [Y], salarié, dans un but privé comme il en atteste et n’avait aucun caractère professionnel ce qui est confirmé par M. [O], salarié,
– Les deux cogérantes n’ont jamais donné d’instructions ou communiqué de plannings par ce site même s’il a pu leur arriver de participer à des échanges hors champ professionnel,
– M. [W] atteste qu’il est le seul à l’origine des propos tenus par Mme [J] en transformant sa voix via une application dédiée,
– Les discussions avaient lieu à partir des téléphones personnels des salariés sur lesquels l’employeur n’avait aucun pouvoir d’action et il ne peut être tenu pour responsable des conversations diffusées,
– Pour les échanges professionnels, les salariés disposaient de simples téléphones (et non des smartphones) mis à leur disposition par l’entreprise,
– Ce sont les seuls salariés qui ont dénommé le groupe «’Ambulance Lagrange’» et non l’entreprise,
– Son appellation ne suffit pas à établir qu’il était obligatoire pour les salariés d’en faire partie ou qu’il était géré par les dirigeantes
– La salariée a violé le secret des correspondances en produisant des extraits des conversations privées issues de ce groupe,
– Mme [T], Mme [P], Mme [S], M. [C], Mme [H] et M. [K] (RP), salariés de l’entreprise, attestent qu’ils ne font pas partie de ce groupe de discussion et ont pourtant accès à leurs plannings,
– Ces attestations démontrent que les plannings étaient établis par le régulateur et mis à disposition des salariés et non communiqués via cette messagerie,
– Le constat d’huissier produit par la salariée ne concernent que des échanges sur des téléphones personnels et non professionnels. C’est par facilité que certains salariés s’adressaient les photographies des plannings sur ce site,
– De nombreux salariés n’en faisaient pas partie et ne se sentaient pas exclus pour autant comme ils en attestent. Il n’existait aucune obligation de s’y associer,
– Il n’existe aucune culture d’entreprise à caractère pornographique,
– La salariée est restée dans le groupe dans le seul but de nuire à l’entreprise et à ses collègues en enregistrant des conversations privées pour engager ensuite une action contre eux,
– Ces échanges n’avaient aucun caractère professionnel et elle pouvait quitter le groupe à tout moment,
– Leur contenu ne l’a jamais concernée personnellement,
– Il n’existe aucune messagerie professionnelle mais uniquement privée sur laquelle l’employeur n’a aucune légitimité pour intervenir.
Le comportement de la salariée
– La salariée souffrait de problèmes relationnels, comme en témoignent le courriel et les attestations de ses anciens employeurs ainsi que les attestations de ses anciens collègues,
– Ses collègues actuels ont attesté en ce sens,
– La décision de rejet du recours amiable engagé par la salariée devant la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance du Gers a repris, dans son compte-rendu, que le certificat médical initial mentionnait un «’syndrome anxio-dépressif et un syndrome de bipolarité’».
Sur l’absence de manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité
-M. [K], représentant du personnel atteste n’avoir jamais été alerté par la salariée pour des faits de harcèlement moral ou sexuel,
– L’employeur a pris les mesures nécessaires et a immédiatement réagi dès réception du courrier de la salariée du 6 janvier,
– L’employeur a répondu à la salariée en lui faisant part des mesures prises et a mis fin à son binôme avec M. [F],
– Ce dernier a été convoqué par la direction,
– Le personnel féminin de l’entreprise a été entendu ainsi que le délégué du personnel sans confirmation des allégations de la salariée,
– Les témoins visés ont été entendus et un compte-rendu a été établi.
MOTIVATION
A titre liminaire, il y a lieu de constater que Mme [A] ne présente plus de demandes au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, des indemnités subséquentes et de la remise des documents de fin de contrat.
Le harcèlement sexuel
La salariée soutient qu’elle a fait l’objet d’un harcèlement sexuel de la part de l’un de ses collègues, M. [F], qui s’est manifesté par des propos déplacés et des sollicitations sexuelles et que l’employeur, informé, n’a pas pas pris de mesures immédiates pour y mettre fin.
Aux termes de l’article L.1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [A] invoque les faits suivants :
– des propos, des comportements à connotation sexuelle de la part de son collègue lors de transports pour lesquels elle a déposé plainte,
– ses agissements ayant eu sur elle un retentissement psychique nécessitant une prise en charge spécialisée.
Elle verse aux débats les éléments suivants :
– Une lettre adressée à l’employeur le 6 janvier 2019 dans laquelle elle l’informe qu’elle subit de la part de son collègue du harcèlement, que depuis son embauche, il lui montre, sans son accord, des vidéos pornographiques sur son téléphone alors qu’elle lui a dit qu’elle refusait de les voir, l’a informée de ses propres orientations sexuelles, l’a invitée à «’manger une pizza au coin du feu avec sa compagne’», a eu un comportement obscène dans l’ambulance le 21 décembre en lui demandant d’attraper son sandwich posé entre ses cuisses
– Une plainte le 10 janvier 2019 à l’encontre de son collègue M. [Z] [F] pour harcèlement sexuel précisant que, dès le premier jour, dans la salle de pause, il lui avait montré ce qu’il faisait les jours de garde en branchant son téléphone sur des sites de rencontre en visio et en la montrant à son interlocutrice malgré son interdiction ; qu’à chaque tournée, il lui montrait des vidéos pornographiques, ce qui arrivait même en présence de ses collègues, alors que ceux-ci riaient quand elle mettait sa main devant l’écran pour cacher les images ; qu’il a eu un comportement obscène dans l’ambulance le 21 décembre; que par ses propos, il a tenté de provoquer sa compagne en la rendant jalouse; que le soir même, elle était allée révéler ces agissements à ces deux dirigeantes en présence du salarié. Mme [J] avait ri en se contentant de faire un clin d’oeil à M. [F]. Le 24 décembre, ses employeurs lui avaient déclaré n’avoir aucun reproche contre elle et lui proposaient une rupture conventionnelle, ce qu’elle avait refusé par courrier du 6 janvier, date à laquelle elle avait «’craqué car la pression était trop forte’». Il existait aussi un groupe facebook Messeger dénommé «’Ambulance Lagrange’» sur lequel étaient relayés les plannings mais aussi des vidéos à caractère pornographique. Dès septembre, elle avait averti Mme [J] qu’elle en était importunée, qu’elle s’en retirait et demandait à être avertie des plannings par messages. Dès la révélation des faits du 21 décembre, elle a été mise à l’écart par ses collègues et était tournée en ridicule.
– Le constat d’huissier du 22 août 2019 attestant de la création du site «’Ambulance Lagrange’» présentant des images, vidéos et textes à caractère pornographique,
– Un arrêt de travail du 9 janvier 2019 au 23 janvier 2019 prolongé jusqu’au 28 février 2019,
– L’avis d’inaptitude du 1er juillet 2019 par lequel le médecin du travail l’a déclarée «’inapte’au poste de travail actuel en une seule visite (R4024-42 code du travail)’» «’l’état de santé de la salariée faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi’»,
– Le certificat médical du docteur [B] de la clinique [4] spécialisée dans les maladies du système nerveux du 21 janvier 2019 qui mentionne qu’elle présente une «’grande instabilité psychologique qui semble actuellement en lien avec d’importantes difficultés relationnelles au travail’» et la présence d’éléments dépressifs anxieux,
– Une attestation de la psychologue de l’association d’aide aux victimes auprès du tribunal de grande instance d’Auch en date du 7 mai 2019 indiquant qu’elle serait suivie par un psychiatre, sous traitement médical et avoir constaté les troubles anxio dépressifs justifiant la prescription médicale,
– L’audition de sa compagne déclarant constater au quotidien que son état de santé se dégradait depuis le 21 décembre par manque de prise en compte de sa situation par ses employeurs,
Ces faits pris dans leur ensemble laissent présumer l’existence d’un harcèlement sexuel. Les pièces produites démontrent le caractère répété de ces agissements et le constat d’huissier produit confirme qu’il existait effectivement une culture d’entreprise à connotation sexuelle à laquelle les salariés se sentaient obligés d’adhérer pour être intégrés dans l’équipe. Il existait donc une pression implicite.
L’employeur n’apporte aucun élément pour prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement. Il se limite à minimiser leur portée et reproche à la salariée des difficultés relationnelles et psychologiques.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour considère que Mme [A] a été victime de harcèlement sexuel.
L’obligation de sécurité de l’employeur
Selon les articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail, Il appartient à l’employeur de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir et de sanctionner les agissements de harcèlement sexuel. Il est responsable des agissements de harcèlement de ses salariés sauf s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires et que, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer harcèlement moral, il a pris des mesures immédiates propres à le faire cesser.
L’employeur fait valoir que :
– la plainte a été classée sans suite
– il a fait cesser le binôme [A]/[F]
– l’ensemble des salariés a été entendu
– un compte rendu a été établi
D’une part,
le classement sans suite d’une plainte par le procureur de la république constitue un acte dépourvu de l’autorité de la chose jugée et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier si les faits allégués peuvent constituer un comportement fautif, en dehors de toute qualification pénale.
D’autre part,
l’employeur doit remédier à ces agissements immédiatement c’est-à-dire dès qu’il a connaissance des faits.
En l’espèce, le procès verbal d’audition de Mme [J] du 8 février 2019 mentionne: «’Ensuite, le 21/12/18, Mme [A] était en équipage avec M. [F] [Z], auxiliaire ambulancier et Mme [A] est venue se plaindre comme quoi elle subissait un harcèlement sexuel de la part de ce collègue’».
Il est donc établi que, dès le 21 décembre, l’employeur, Mme [J] et Mme [N] co-gérantes, avait connaissance des faits. Or, il ressort de la lettre de l’employeur du 11 janvier à la salariée, qu’il n’a pris des mesures qu’après réception du courrier de celle-ci en date du 4 janvier.
L’employeur n’a donc pris aucune mesure pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie par Mme [A].
Cette situation est à l’origine de la dégradation de l’état de santé de la salariée.
En conséquence, la cour infirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [A] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement par l’employeur à son obligation de sécurité et condamne la société Lagrange à lui verser la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement par celle-ci à son obligation de sécurité.
Sur les autres demandes
L’équité commande d’allouer à la salariée la somme nouvelle de 3000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
INFIRME le jugement du 27 mai 2021 en ce qu’il a’:
-dit que la société Lagrange n’avait pas laissé perdurer des faits de harcèlement sexuel commis à son préjudice
-débouté Mme [G] [A] de sa demande en dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société Lagrange à payer à Mme [G] [A] la somme de
8 000€ à titre de dommages et intérêts,
CONDAMNE la société Lagrange à payer à Mme [G] [A] la somme de
3 000€ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Lagrange aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Pascale FOUQUET, Conseiller, et Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière.
LE GREFFIER LE CONSEILLER