Action en revendication d’une oeuvre d’art par le liquidateur

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Action en revendication d’une oeuvre d’art par le liquidateur
Ce point juridique est utile ?

Le commissaire-priseur désigné pour établir l’inventaire ayant constaté l’existence dans un entrepôt de caisses contenant un ensemble artistique en résine moulée représentant des rhinocéros grandeur nature déposé pour le compte de l’association Fondation Rosenblum par la société Powerweb, il a pris contact avec cette dernière le 13 février 2017, un rendez-vous ayant été pris le 17 suivant pour enlèvement des caisses le 24 suivant. Le liquidateur s’est opposé à l’enlèvement, aucune demande de revendication ne lui ayant été adressée. Le 3 mars 2017, l’association Fondation Rosenblum a formé une demande de restitution au liquidateur judiciaire, qui a refusé la restitution pour cause de forclusion. Le 24 mars suivant, par une lettre recommandée, la société Dotcorp Fine Art, propriétaire de l’oeuvre, a adressé une nouvelle demande de revendication, également rejetée. La société Dotcorp Fine Art a, en conséquence, saisi le juge-commissaire qui a rejeté la demande.

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Cour de cassation, Chambre commerciale, 29 juin 2022, 21-13706

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

COMM.

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 29 juin 2022

Cassation

Mme VAISSETTE, conseiller le plus ancien
non empêché, faisant fonction de président

Arrêt n° 425 F-D

Pourvoi n° H 21-13.706

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 JUIN 2022

1°/ La société Frédéric Blanc MJO, société d’exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. Blanc, agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Adyce,

2°/ la société Adyce, dont le siège est [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° H 21-13.706 contre l’arrêt rendu le 5 janvier 2021 par la cour d’appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société Dotcorp Fine Art, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société Frédéric Blanc MJO, ès qualités, et de la société Adyce, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Dotcorp Fine Art, et l’avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 17 mai 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller le plus ancien non empêché, faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 5 janvier 2021), la société Adyce, spécialisée dans l’étude, la conception et la réalisation d’emballages industriels, réalise également des prestations de gardiennage pour le compte de ses clients. Elle a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 26 octobre 2016, publié le 15 novembre suivant, la société Frédéric Blanc MJO étant désignée liquidateur.

2. Le commissaire-priseur désigné pour établir l’inventaire ayant constaté l’existence dans un entrepôt de caisses contenant un ensemble artistique en résine moulée représentant des rhinocéros grandeur nature déposé pour le compte de l’association Fondation Rosenblum par la société Powerweb, il a pris contact avec cette dernière le 13 février 2017, un rendez-vous ayant été pris le 17 suivant pour enlèvement des caisses le 24 suivant. Le liquidateur s’est opposé à l’enlèvement, aucune demande de revendication ne lui ayant été adressée. Le 3 mars 2017, l’association Fondation Rosenblum a formé une demande de restitution au liquidateur judiciaire, qui a refusé la restitution pour cause de forclusion. Le 24 mars suivant, par une lettre recommandée, la société Dotcorp Fine Art, propriétaire de l’oeuvre, a adressé une nouvelle demande de revendication, également rejetée. La société Dotcorp Fine Art a, en conséquence, saisi le juge-commissaire qui a rejeté la demande.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le liquidateur fait grief à l’arrêt, infirmant le jugement, de juger que la société Dotcorp Fine Art, représentée par sa mandataire, la société Powerweb, a exercé son droit de revendication dans le délai requis par la loi et d’ordonner en conséquence au liquidateur judiciaire de la société Adyce, de mettre à la disposition de la revendiquante l’ensemble des éléments constitutifs de l’oeuvre d’art en sa possession, alors « que dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la demande préalable de revendication doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; en considérant qu’un courrier adressé au commissaire-priseur “chargé d’inventorier les objets détenus” par le débiteur valait demande de revendication, la cour d’appel a violé les articles L. 624-9, R. 624-13, L. 641-14, L. 641-17 et R. 641-31 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 624-9, R. 624-13, L. 641-14-1 et R. 641-31 du code de commerce :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes, qu’à peine de forclusion, la revendication des meubles doit être exercée dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée à l’organe compétent aux fins d’acquiescement par ce dernier à la demande.

5. Pour déclarer recevable la demande de revendication formée pour le compte de la société Dotcorp Fine Art, l’arrêt retient que, dans le délai de trois mois à compter de la publication du jugement d’ouverture, le mandataire de la société propriétaire s’est manifesté auprès du commissaire-priseur pour convenir d’une date d’enlèvement des biens et que si la demande n’a pas été directement adressée au liquidateur, elle a été transmise à ce dernier dans le délai légal.

6. En statuant ainsi, sans constater que la société Dotcorp Fine Art ou son mandataire avait adressé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception au liquidateur une demande de revendication dans les trois mois suivant la publication du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

7. Le liquidateur fait grief à l’arrêt de le condamner sous astreinte à mettre à disposition de la société Dotcorp Fine Art l’ensemble des éléments constitutifs de l’oeuvre d’art en sa possession, alors « que l’absence d’une demande préalable en revendication adressée par le propriétaire au liquidateur par lettre recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure est sanctionnée par l’irrecevabilité de l’action en revendication et l’inopposabilité à la procédure collective de la propriété du bien, cette inopposabilité ayant pour effet d’affecter le bien au gage commun des créanciers, permettant ainsi, en tant que de besoin, sa réalisation au profit de leur collectivité ou son utilisation en vue du redressement de l’entreprise, afin d’assurer la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; qu’en considérant que l’inopposabilité de la propriété à la procédure collective n’était susceptible que d’empêcher le propriétaire d’en obtenir la restitution contre un tiers de bonne foi, la cour d’appel a violé les articles L. 624-9 et R. 641-31 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 624-9 du code de commerce :

8. Il résulte de ce texte que lorsque le propriétaire n’a pas adressé sa demande de revendication dans le délai prévu au texte, son droit de propriété est inopposable à la liquidation judiciaire, de sorte que, le bien revendiqué entrant alors dans le gage commun des créanciers, le refus du liquidateur de le restituer à son propriétaire est justifié.

9. Pour ordonner au liquidateur de restituer les éléments de l’oeuvre d’art à la société Dotcorp Fine Art, l’arrêt retient que le non-respect du délai imparti par la loi n’est pas sanctionné par le transfert de propriété du bien au profit du débiteur, mais tout au plus par l’inopposabilité de l’action en revendication à la procédure collective, de sorte que le propriétaire, qui n’aurait pas revendiqué son bien dans le délai légal ne pourrait pas en obtenir la restitution contre un tiers de bonne foi.

10. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS

, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 janvier 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ;

Condamne la société Dotcorp Fine Art aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Dotcorp Fine Art et la condamne à payer à la société Frédéric Blanc MJO, en qualité de liquidateur de la société Adyce, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour la société Frédéric Blanc MJO, ès qualités, et la société Adyce.

La société Blanc ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Adyce fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir jugé que la société Dotcorp Fine Art, représentée par sa mandataire la société Powerweb, a exercé son droit de revendication sur l’oeuvre d’art créée par M. [J] [E] et intitulée « Non existence of the Past, the Death of the Future, The Infinite Possibilities of the Present » dans le délai requis par la loi ; en conséquence, d’avoir ordonné à la Selarl Mjo, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Adyce, de mettre à la disposition de la revendicant l’ensemble des éléments constitutifs de l’oeuvre d’art en sa possession, et ce dans un délai maximal d’un mois courant à compter de la signification du présent arrêt, sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai et pour une durée initiale de soixante jours, outre condamnation aux frais irrépétibles et dépens ;

Alors que 1°) dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la demande préalable de revendication doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; en considérant qu’un courrier adressé au commissaire-priseur « chargé d’inventorier les objets détenus » par le débiteur valait demande de revendication, la cour d’appel a violé les articles L. 624-9, R. 624-13, L. 641-14, L. 641-17 et R. 641-31 du code de commerce ;

Alors que 2°) dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la demande préalable revendiquant la propriété du bien doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; qu’en considérant qu’un courrier « proposant plusieurs dates d’enlèvement de l’oeuvre » adressé au commissaire-priseur valait demande de revendication, la cour d’appel a derechef violé les articles L. 624-9, R. 624-13, L. 641-14, L. 641-17 et R. 641-31 du code de commerce ;

Alors que 3°) dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la demande préalable portant revendication de la propriété du bien litigieux doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; qu’en considérant que le transfert d’un courrier « proposant plusieurs dates d’enlèvement de l’oeuvre » par le commissaire-priseur au liquidateur valait demande de revendication, la cour d’appel a derechef violé les articles L. 624-9, R. 624-13, L. 641-14, L. 641-17 et R. 641-31 du code de commerce ;

Alors que 4) dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la demande préalable de revendication doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; qu’en considérant qu’un tel courrier n’était exigé qu’« à titre de preuve de la date à laquelle l’action en revendication a été exercée », la cour d’appel a encore violé les articles L. 624-9, R. 624-13, L. 641-14, L. 641-17 et R. 641-31 du code de commerce ;

Alors que 5°) dans le cadre d’une liquidation, la demande préalable de revendication doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; qu’une telle demande adressée par le propriétaire au liquidateur après l’expiration du délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure est forclose, quand bien même elle viendrait uniquement confirmer un courrier adressé au commissaire-priseur ; qu’en disant le contraire, la cour d’appel a derechef violé les articles L. 624-9, R. 624-13, L. 641-14, L. 641-17 et R. 641-31 du code de commerce ;

Alors que 6°) dans le cadre d’une liquidation, la demande préalable de revendication doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; qu’il importe peu que le liquidateur ait su que le débiteur n’était pas propriétaire du bien ; qu’en considérant que le liquidateur devait faire droit à la revendication dès lors qu’il savait que le débiteur n’en était pas propriétaire, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision au regard des articles L. 624-9 et R. 641-31 du code de commerce ;

Alors que 7°) dans le cadre d’une liquidation, la demande préalable de revendication doit être adressée à peine de forclusion par le propriétaire au liquidateur par un courrier recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois de l’ouverture de la procédure collective ; qu’en considérant que le liquidateur devait faire droit à la revendication quand bien même la demande préalable n’a pas été faite dans le délai requis, dès lors que le propriétaire croyait que sa « demande » avait été acceptée puisqu’il avait convenu avec le commissaire-priseur d’une date d’enlèvement du bien litigieux, la cour d’appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision au regard des articles L. 624-9 et R. 641-31 du code de commerce ;

Alors enfin 8°) que l’absence d’une demande préalable en revendication adressée par le propriétaire au liquidateur par lettre recommandé avec accusé de réception dans le délai préfix de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure est sanctionnée par l’irrecevabilité de l’action en revendication et l’inopposabilité à la procédure collective de la propriété du bien, cette inopposabilité ayant pour effet d’affecter le bien au gage commun des créanciers, permettant ainsi, en tant que de besoin, sa réalisation au profit de leur collectivité ou son utilisation en vue du redressement de l’entreprise, afin d’assurer la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; qu’en considérant que l’inopposabilité de la propriété à la procédure collective n’était susceptible que d’empêcher le propriétaire d’en obtenir la restitution contre un tiers de bonne foi, la cour d’appel a violé les articles L. 624-9 et R. 641-31 du code de commerce.  


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