Refus de construction d’un ensemble commercial Leclerc
Refus de construction d’un ensemble commercial Leclerc

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 26 juillet 2021, 31 octobre 2022 et le 30 décembre 2022 (non communiqué), les sociétés Bouquin Presse et Librairie du château, représentées par la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocats, demandent à la cour :

1°) d’annuler l’arrêté du 14 juin 2019 du maire de la commune de Saint-Etienne-de-Fontbellon portant permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale délivré à la société So.Su.Mar ;

2°) de mettre à la charge solidaire de l’Etat, de la commune de Saint-Etienne-de-Fontbellon et de la société So.Su.Mar la somme de 3 000 euros à leur verser au titre de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

– leur requête est recevable dès lors qu’elles ont été induites en erreur par les mentions de l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial mentionnant les voies et délais de recours, par le temps mis par la cour pour juger irrecevable leur requête dirigée contre l’avis de la Commission et par l’absence de mention dans l’arrêté litigieux en ce qu’il valait autorisation d’exploitation commerciale ; ces circonstances particulières sont de nature à écarter l’opposabilité à leur égard du délai raisonnable pour l’exercice de leur recours ;

– elles disposent d’un intérêt pour agir ;

– il n’est pas démontré que le signataire de l’arrêté litigieux soit bien celui mentionné ni qu’il ait reçu délégation pour signer l’arrêté ;

– le pétitionnaire ne démontre pas que les terrains d’assiette du projet ont été rendus constructibles avant le 4 juillet 2003 si bien qu’en vertu de l’article

L. 142-4 du code de l’urbanisme, aucune autorisation d’exploitation commerciale ne pouvait être délivrée ;

– le projet n’est pas conforme aux objectifs visés à l’article

L. 752-6 du code de commerce que la Commission nationale d’aménagement commercial devait prendre en compte à savoir l’effet sur l’animation de la vie urbaine, la contribution à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, la localisation du projet et son intégration urbaine ainsi que les effets du projet sur les modes de déplacement les plus économes en émission de CO2 ;

– alors que l’article

R. 752-6 du code de commerce prévoit que le dossier de demande doit comprendre une présentation des effets du projet en matière de développement durable et une description des mesures propres à limiter l’imperméabilisation des sols, l’emprise au sol des bâtiments est de 22 616 m² pour une surface de vente de 7 099 m² ; en outre, la surface du parc de stationnement est supérieure à 21 000 m² et les espaces verts ne représenteront que 8,1% de l’emprise totale après réalisation du projet alors qu’ils en représentaient 11% avant le projet ; la Commission nationale d’aménagement commercial a ainsi entaché son avis d’une erreur d’appréciation.

Par deux mémoires, enregistrés les 5 septembre 2022 et 2 janvier 2023 (non communiqué), la société So. Su. Mar, représentée par Me Bouyssou, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérantes une somme de 6 000 euros en application de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative

Elle fait valoir que :

– la requête est irrecevable dès lors qu’elle est tardive et que les requérantes ne justifient pas d’un intérêt pour agir ;

– les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la commune de Saint-Etienne-de-Fontbellon qui n’a pas produit d’observations.

Une ordonnance du 16 novembre 2022 a fixé la clôture de l’instruction au 2 janvier 2023.

Vu :

– l’arrêt de la cour n°19LY03129 du 27 mai 2021 Société Bouquin presse et Société Librairie du château ;

– les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de commerce ;

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère,

– les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,

– et les observations de Me Poupot pour la société Bouquin Presse et la société Librairie du château et de Me Evano pour la société So. Su. Mar.

Considérant ce qui suit

:

1. Les sociétés Bouquin Presse et Librairie du château, en application de l’article

L. 425-4 du code de l’urbanisme et de l’article

L. 752-17 du code de commerce, ont formé un recours à l’encontre de l’avis favorable du 28 janvier 2019 de la commission départementale d’aménagement commercial de l’Ardèche sur le projet, porté par la société So.Su.Mar, d’extension de l’ensemble commercial E-Leclerc situé à Saint-Etienne-de-Fontbellon par agrandissement de la galerie commerciale de 600 m² à 1 451 m² afin d’y créer un magasin espace culturel Leclerc d’une surface de vente de 851 m². La Commission nationale d’aménagement commercial a, par un avis du 16 mai 2019, rejeté ce recours. Les sociétés Bouquin Presse et Librairie du château demandent à la cour d’annuler l’arrêté pris le 14 juin 2019 par le maire de la commune de Saint-Etienne-de-Fontbellon accordant à la société pétitionnaire le permis de construire sollicité en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale.

Sur la légalité de l’arrêté du 14 juin 2019 et sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B… A…, adjoint délégué à l’urbanisme, signataire de l’arrêté litigieux, a reçu délégation pour signer l’arrêté en litige par arrêté du 10 avril 2014 du maire de la commune de Saint-Étienne de Fontbellon, régulièrement publié, lequel porte sur notamment  » tous les documents concernant l’urbanisme et le développement économique « . Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de l’acte attaqué doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l’article

L. 142-4 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable :  » Dans les communes où un schéma de cohérence territoriale n’est pas applicable : (…) 4° A l’intérieur d’une zone ou d’un secteur rendu constructible après la date du 4 juillet 2003, il ne peut être délivré d’autorisation d’exploitation commerciale en application de l’article

L. 752-1 du code de commerce, ou d’autorisation en application des articles

L. 212-7 et

L. 212-8 du code du cinéma et de l’image animée. (…)  » Aux termes de l’article

L. 142-5 du même code :  » Il peut être dérogé à l’article

L. 142-4 avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’Etat après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l’article

L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime et, le cas échéant, de l’établissement public prévu à l’article L. 143-16. La dérogation ne peut être accordée que si l’urbanisation envisagée ne nuit pas à la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers ou à la préservation et à la remise en bon état des continuités écologiques, ne conduit pas à une consommation excessive de l’espace, ne génère pas d’impact excessif sur les flux de déplacements et ne nuit pas à une répartition équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services.  » Il résulte de ces dispositions que, dans les communes qu’elles visent et qui ne sont pas couvertes par un schéma de cohérence territoriale applicable, il ne peut, sauf dérogation accordée par le préfet ou, lorsqu’un schéma de cohérence territoriale est en cours d’élaboration, par l’établissement public auteur du schéma de cohérence territoriale, être délivré d’autorisation d’exploitation commerciale à l’intérieur des zones à urbaniser de ces communes ouvertes à l’urbanisation après l’entrée en vigueur de la loi du 2 juillet 2003.

4. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort en l’espèce des pièces du dossier et notamment du plan et règlement de la zone en cause que les terrains d’assiette de l’ensemble commercial Leclerc constituent un secteur constructible depuis août 2001 dès lors qu’ils ont été classés en zone à vocation d’activités commerciales (secteur 2NA  » zone d’activités « ) par le plan d’occupation de sols de la commune approuvé en 2001. Il s’en suit que le moyen tiré de ce qu’aucune autorisation d’exploitation commerciale ne pouvait être délivrée faute pour le pétitionnaire de démontrer que les terrains d’assiette du projet ont été rendus constructibles avant le 4 juillet 2003 ne peut qu’être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes de l’article

L. 752-6 du code de commerce :  » I.- L’autorisation d’exploitation commerciale mentionnée à l’article

L. 752-1 est compatible avec le document d’orientation et d’objectifs des schémas de cohérence territoriale ou, le cas échéant, avec les orientations d’aménagement et de programmation des plans locaux d’urbanisme intercommunaux comportant les dispositions prévues au dernier alinéa de l’article

L. 123-1-4 du code de l’urbanisme. La commission départementale d’aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d’aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; b) La consommation économe de l’espace, notamment en termes de stationnement ; c) L’effet sur l’animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; d) L’effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l’emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l’imperméabilisation des sols et de la préservation de l’environnement ; b) L’insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l’utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. Les a et b du présent 2° s’appliquent également aux bâtiments existants s’agissant des projets mentionnés au 2° de l’article

L. 752-1 ; 3° En matière de protection des consommateurs : a) L’accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l’offre par rapport aux lieux de vie ; b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; c) La variété de l’offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d’implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs.(…) « .

6. Il résulte de ces dispositions que l’autorisation d’aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d’aménagement commercial, lorsqu’elles statuent sur les dossiers de demande d’autorisation, d’apprécier la compatibilité du projet à ces objectifs, au vu des critères d’évaluation mentionnés à l’article

L. 752-6 du code de commerce.

7. Les requérantes font valoir que la Commission nationale d’aménagement commercial n’a pas pris en considération l’impact du projet sur les commerces du centre-ville d’Aubenas, notamment les quatre librairies déjà présentes, centre-ville qui est bénéficiaire du plan action cœur de ville et qui est fortement touché par la vacance commerciale, le taux de vacance étant de plus de 15%. Toutefois, s’il ressort de l’avis rendu par la Commission nationale d’aménagement commercial le 7 juin 2019 que celle-ci n’a pas évoqué la préservation et la revitalisation du centre-ville d’Aubenas, elle n’est pas tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d’appréciation fixés par les dispositions susvisées. Elle a en l’espèce effectué une appréciation globale du projet au regard des différents intérêts visés à l’article

L. 752-6 du code de commerce. Il est constant que le projet en cause se situe à environ 2,7 kilomètres du centre-ville d’Aubenas et qu’il constitue un projet d’extension, d’ampleur limitée, visant à déplacer les rayons dédiés à la vente de produits culturels, techniques et multimédia de l’hypermarché existant vers un magasin dédié impliquant une surface d’exposition de marchandises supplémentaires de seulement 152 m². Il ressort des éléments produits que l’extension en cause s’adressera principalement à la clientèle qui fréquente déjà le centre commercial alors qu’en outre le rapport d’instruction devant la Commission nationale d’aménagement commercial a relevé que le projet litigieux  » ne pénalisera pas l’activité des librairies existantes « . Il ressort également des pièces versées que le projet est situé en périphérie d’Aubenas, sur le territoire de la commune de Saint-Etienne de Fontbellon, peu densément peuplé et dont la clientèle se déplace quasi-exclusivement en voiture individuelle. Si les requérantes critiquent l’intégration urbaine du centre commercial, une telle argumentation est sans portée sur l’appréciation opérée dès lors que le projet en cause ne vise qu’à créer une extension d’ampleur limitée dans un centre commercial existant. En outre, le site d’implantation du projet bénéficie d’une desserte routière satisfaisante ainsi que de deux lignes de bus et d’un accès par des pistes cyclables. Enfin, il n’est pas contesté que le projet permettra de densifier le bâti existant, que 30% de la surface du parc de stationnement sera rendu perméable et que le projet inclut la création d’une centrale photovoltaïque de 2 710 m². Si l’assiette foncière des espaces verts sera réduite (passant de 11% à 9,7%), cinquante-neuf nouveaux arbres de haute tige seront implantés et une partie de la façade Est du bâtiment sera couverte d’un mur végétalisé sur une surface de 1 010 m². Dans ces conditions, il n’est pas établi que ce projet aura un effet négatif sur l’animation de la vie urbaine ni qu’il méconnaît les objectifs fixés par le législateur en matière de développement durable. Il ne ressort pas davantage de ces éléments que le dossier de demande serait insuffisant s’agissant du respect par le projet des objectifs en matière de développement durable, à supposer que les sociétés requérantes soulèvent un tel moyen.

8. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Bouquin Presse et Librairie du château ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’arrêté du 14 juin 2019 par lequel le maire de la commune de Saint-Etienne-de-Fontbellon a délivré à la société So. Su. Mar un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale.

Sur les frais liés à l’instance :

9. Les dispositions de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit à la demande présentée par les sociétés requérantes au titre des frais qu’elles ont exposés à l’occasion de la présente instance.

10. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de ces sociétés le versement d’une somme de 2 000 euros à la société So. Su. Mar au titre des frais exposés par elle dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête des sociétés Bouquin Presse et Librairie du château est rejetée.

Article 2 : Les sociétés Bouquin Presse et Librairie du château verseront à la société So. Su. Mar une somme de 2 000 euros en application de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Bouquin Presse et Librairie du château, à la société So. Su. Mar, à la commune de Saint-Etienne-de-Fontbellon, à la présidente de la Commission nationale d’aménagement commercial et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l’audience du 23 février 2023 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre,

Mme Dèche, présidente assesseure,

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 mars 2023.

La rapporteure,

V. Rémy-Néris

Le président,

F. Bourrachot

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N°21LY02575

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