Droit d’agir et consultation des instances représentatives : enjeux et limites dans le cadre d’un projet d’entreprise

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Droit d’agir et consultation des instances représentatives : enjeux et limites dans le cadre d’un projet d’entreprise

Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a mis en place des institutions représentatives du personnel, dont un comité national et des comités sociaux et économiques d’établissement. En 2018, un accord a été signé pour définir le périmètre des établissements, incluant celui de [8]. En 2020, le CEA a lancé un projet de rénovation de son système d’information, nommé projet Convergence, qui s’étendra jusqu’en 2026. Pour ce projet, un nouveau bâtiment, le ‘bâtiment tertiaire 488’, est en construction, avec une livraison prévue pour fin mars 2024.

Le CSE E de [8] a été informé de ce projet de construction, mais a exprimé des préoccupations concernant le manque de consultation sur le projet Convergence. Lors d’une réunion, le président a indiqué que la consultation sur ce projet serait faite ultérieurement. Les élus ont alors demandé à être consultés sur le projet Convergence avant de se prononcer sur la construction du bâtiment.

Le CSE E a assigné le CEA en référé pour obtenir une consultation sur le projet Convergence et suspendre sa mise en œuvre. Le tribunal a débouté le CSE de ses demandes et a condamné ce dernier à payer des frais au CEA. Le CSE a interjeté appel, demandant l’infirmation de l’ordonnance et la reconnaissance de ses droits à consultation. Le CEA a contesté la recevabilité des demandes du CSE et a demandé la confirmation de la décision initiale.

La cour a finalement confirmé l’ordonnance de référé, condamnant le CSE aux dépens et à payer une somme au CEA.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
24/04029
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 2

ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 24/04029 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CI77I

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Février 2024 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 24/50355

APPELANTE :

C.E. COMITÉ SOCIAL ET ECONOMIQUE DU COMMISSARIAT À L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTER. DE [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Sabine GUEROULT, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : D1491 et par Me David METIN, avocat plaidant, inscrit au barreau de VERSAILLES,

INTIMÉE :

Etablissement Public COMMISSARIAT A L’ENERGIE ATOMIQUE ET AUX ENERGIES ALTERNATIVES

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : T03 et par Me Amandine DE FRESNOYE, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Juillet 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Paule ALZEARI, présidente

Eric LEGRIS, président

Christine LAGARDE, conseillère

Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

– signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE  :

Le commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est un établissement public à caractère industriel et commercial. Son siège social est établi à [Localité 7], son activité s’exerce sur neuf établissements, ou centres, répartis sur l’ensemble du territoire.

En application du décret 2019-164 du 05 mars 2019, il est doté d’institutions représentatives du personnel spécifiques, soit un comité national (CN) exerçant les attributions d’un comité économique et central d’entreprise, et des comités sociaux et économiques d’établissement (CSE E).

Le 25 octobre 2018, il a signé avec les organisations syndicales un accord relatif aux institutions représentatives du personnel qui a notamment défini le périmètre des établissements distincts, au nombre de neuf, dont celui de [8], qui regroupe le site et les implantations du CEA/[Localité 9], du CEA/ [Localité 5], et de [6].

En 2020, le CEA a initié un projet de rénovation complète de son système d’information de gestion (finance, RH, achats), dit projet Convergence, se décomposant en plusieurs étapes échelonnées de l’année 2020 à la mi-année 2026.

Pour accueillir les salariés du CEA et les prestataires amenés à travailler sur la conception des nouveaux logiciels, le CEA a entrepris de construire un nouveau bâtiment dans l’enceinte du centre de [8], nommé ‘bâtiment tertiaire 488″ dont la livraison était prévue fin du premier trimestre 2024.

Le CSE E de [8] a été informé et consulté sur ce projet de construction lors d’une réunion organisée le 28 septembre 2023 au cours de laquelle les élus ont souligné que ni les CSE E ni le CN n’avaient été informés et consultés sur le projet Convergence. Le président de l’instance a alors répondu que ce projet relevait du périmètre du CN qui avait été pré-informé. À l’issue de cette réunion les élus ont demandé à être consultés sur le projet Convergence.

La consultation du CSE E de [8] a été remise à l’ordre du jour d’une réunion fixée au 08 novembre 2023 convoquée le 25 octobre 2023. Par message en réponse du même jour le secrétaire du CSE E a renouvelé la demande des élus d’être consultés sur le projet Convergence avant d’être consultés sur la construction du bâtiment 488.

Le président du CSE E a répondu, comme le 28 septembre 2023, que la consultation ne portait que sur le projet de construction, et non pas sur le projet Convergence proprement dit, qui ferait l’objet en 2024 d’une information-consultation des CSE E du CEA ‘encapsulée’ dans la consultation du CN.

Lors de la réunion du 08 novembre 2023 les élus ont considéré qu’ils n’étaient pas en mesure d’émettre un avis éclairé, au motif que le projet Convergence semblait particulièrement complexe, et qu’en l’absence de consultation du CSE E ou du CN, et d’informations précises et écrites sur ce projet, il n’était pas possible d’émettre un avis sur l’adaptation du bâtiment 488 au projet Convergence.

C’est dans ce contexte que le CSE de [8], autorisé à assigner à heure convenue le CEA, l’a fait citer le 08 janvier 2024 à comparaître devant le juge des référés à l’audience du 11 janvier 2024 aux fins d’ordonner au CEA la convocation du CSE pour l’informer en vue d’une consultation sur le projet « Convergence » et de suspendre la mise en ‘uvre du projet sous astreinte de 50.000 euros par jour de retard. Le CSE demandait également la condamnation du CSE à payer au CEA de l’établissement de [Localité 7] la somme de 10.000 euros.

Par ordonnance de référé du 08 février 2024, le tribunal a rendu la décision suivante :

«  Déboutons la CEA de ses fins de non recevoir ;

Déboutons le CSE E [8] de l’intégralité de ses demandes ;

Condamnons le CSE E de [8] aux dépens et à payer au CEA la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. »

Le CSE du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alter. de [Localité 9] a interjeté appel le 16 février 2024.

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 17 mai 2024, le CSE E de [8] demande à la cour de :

« Vu les articles 834 et 835 du CPC, L.2312-8 et L.2312-14, L.2316-1 du Code du travail,

Il est demandé à la Cour d’appel de Paris de :

INFIRMER l’ordonnance rendue par le Tribunal Judiciaire de Paris le 8 février 2024 en ce qu’elle a :

‘ Débouté le CSE de l’établissement [8] de sa demande de voir convoquer le CSE de l’établissement [8] pour l’informer en vue d’une consultation sur le projet dénommé par le CEA « convergence » ;

‘ Débouté le CSE de l’établissement [8] de sa demande de dommages et intérêts ;

‘ Débouté le CSE de l’établissement [8] de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

‘ Condamné le CSE de l’établissement [8] à verser au CEA la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

DECLARER recevables les demandes formulées par le CSE de l’établissement [8] ;

ORDONNER au CEA de faire convoquer par le CEA [8], le CSE de l’établissement [8] pour l’informer en vue d’une consultation sur le projet dénommé par le CEA « convergence » ;

ORDONNER au CEA, sous astreinte de 50.000 € par jour de retard, de suspendre la mise en ‘uvre de ce projet et la modification des conditions de travail des salariés dans l’attente de l’information en vue d’une consultation du CSE de l’établissement [8] et sa consultation ;

SE RESERVER la liquidation de l’astreinte sur simple requête en application de l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;

CONDAMNER le CEA à payer au CSE de l’établissement [8] une provision de 10.000 € à titre de dommages- intérêts ;

CONDAMNER le CEA à verser au CSE de l’établissement [8] la somme de 5.600 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER le CEA aux entiers dépens ;

DEBOUTER le CEA de toutes ses demandes. »

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 11 juin 2024, l’intimé demande à la cour de :

« A titre principal :

Réformer l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal judiciaire en ce qu’elle a débouté le CEA de ses fins de non-recevoir ;

En conséquence et statuant à nouveau :

Juger que les demandes du CSE sont irrecevables ;

A défaut et à titre subsidiaire :

Confirmer l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal judicaire ;

Débouter le CSE de l’ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause :

Confirmer l’ordonnance rendue par le Président du tribunal judiciaire en ce qu’elle a condamné

en première instance le CSE à payer au CEA la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Condamner en outre le CSE à payer au CEA la somme de 5 600 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamner le CSE aux entiers dépens. »

La clôture a été prononcée le 21 juin 2024.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur les fins de non-recevoir :

Le CEA fait valoir que :

– le CSE d’établissement de [8] est dépourvu du droit d’agir ayant assigné le CEA (siège) aux fins qu’il lui soit ordonné de convoquer le CSE d’établissement de [8] pour l’informer et le consulter sur le projet « Convergence » alors que le CEA siège ne dispose pas des prérogatives lui permettant de convoquer le CSE d’établissement de [8] en vue de l’informer et de le consulter ;

– le CEA est divisé en établissements distincts, chaque établissement dispose de ses propres institutions représentatives du personnel et le directeur du centre a en charge la gestion des personnels présents sur le centre et les relations avec les institutions représentatives du personnel ;

– c’est le directeur de centre qui dispose des attributions pour convoquer son CSE et non le CEA (siège) et il aurait donc été nécessaire d’attraire dans la cause le CEA de [8] ;

– en cause d’appel, le CSE a subtilement modifié sa demande et sollicite désormais de la cour qu’elle ordonne au « CEA de faire convoquer par le CEA [8], le CSE de l’établissement [8] pour l’informer en vue d’une consultation sur le projet dénommé par le CEA Convergence » ce qui démontre qu’il est incommodé par l’irrecevabilité soulevée ;

– le CSE ne peut demander ni à être consulté, ni la suspension du projet dans la mesure où il est dépourvu du droit d’agir, seul le comité national pourrait intenter une telle action s’agissant du projet « Convergence » qui a vocation à être mis en place dans l’ensemble des établissements du CEA.

Le CSE de [8] oppose que :

– l’établissement CEA [8] est un établissement secondaire rattaché à l’établissement principal qui se trouve au siège social de la société de sorte qu’il appartenait au CSE d’assigner indistinctement soit le siège soit l’établissement secondaire ;

– une décision de justice prise à l’encontre du CEA (siège) s’applique à son établissement secondaire ;

– le CEA indique que le CEA (siège) s’est engagé à consulter les CSE d’établissement sur ce projet « au moment venu » ce qui signifie que le CEA dispose de la possibilité d’informer et de consulter le CSE d’établissement [8], à tout moins de donner l’ordre au CEA de [8] d’informer et consulter le CSE de l’établissement ;

– il ne sollicite pas de la cour qu’elle ordonne au CEA de convoquer le CSE central pour l’informer en vue d’une consultation sur le projet « Convergence » mais qu’elle ordonne au CEA de convoquer le CSE de l’établissement [8] et défend donc bien ses propres intérêts.

Sur ce,

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, « constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ».

Aux termes de l’article 32 du code de procédure civile, « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ».

Le CEA est composé de neuf établissements distincts dont celui de [8] qui regroupe les sites de [Localité 9] et de [Localité 5].

S’il ressort du code de l’organisation du CEA que le directeur du centre est le « Représentant local de l’employeur et chef d’établissement au sens du droit du travail, le directeur de centre a en charge la gestion des personnels présents sur le centre et les relations avec les institutions représentatives du personnel. Il est responsable sur son centre du respect des règles de santé et sécurité au travail », l’établissement CEA [8] est un établissement secondaire rattaché à l’établissement principal qui se trouve au siège social de la société de sorte que c’est à bon droit que le CSE E de [8] soutient qu’il pouvait assigner son employeur au siège pour solliciter la mise en oeuvre de la procédure d’information consultation litigieuse.

Le juge des référés sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette fin de non-recevoir, le CSE E de [8] n’étant pas dépourvu du droit d’agir à l’encontre du CEA.

S’agissant du moyen opposé par le CEA au terme duquel le CSE E de [8] serait irrecevable pour défaut du droit d’agir aux lieu et place du CSE Central qui peut être seul consulté sur le projet litigieux, c’est à bon droit que le premier juge a retenu que cette question relève de l’appréciation du bien-fondé de la demande, de sorte que ce second moyen d’irrecevabilité ne pouvait davantage prospérer.

Sur la demande de convocation en vue d’une consultation sur le projet « Convergence » :

Le CSE E de [8] fait valoir que :

– le projet « convergence » est un projet informatique, visant à rénover l’intégralité du système de gestion du CEA qui à terme s’appliquera à toute l’entreprise ; cette nouvelle technologie sera bien commune à plusieurs établissements, mais la consultation du CSE [8] est obligatoire dès lors que le projet comporte des mesures d’adaptation spécifiques à l’établissement [8] ;

– la mise en place du projet a lieu dans les locaux du [8], qui est amené, dans le cadre du projet « Convergence » à accueillir au moins 30 prestataires extérieurs et à travailler en étroite collaboration avec eux, et ce dès début novembre 2023 ; ils travaillent dans les salles de réunion et collaborent avec les salariés du CEA [Localité 9] ce qui modifie nécessairement les conditions de travail et donc l’information et la consultation du CSE de l’établissement en question ;

– il verse aux débats le plan de prévention-installation établi entre le CEA, société utilisatrice, et les sociétés sous-traitantes qui vise à prévenir des risques liés à la venue des sous-traitants dans l’entreprise ; au terme de la réunion de mise en place de ce plan, il a été convenu que les prestataires extérieurs débuteraient leur mission à compter du 6 novembre 2023, de sorte que le CEA a bien mis en ‘uvre le projet « Convergence », qui nécessitait une information en vue de sa consultation, et ce, sans procéder à ce processus nécessaire et préalable ; il est donc bien fondé à demander la suspension des travaux sur le projet « Convergence » dans l’attente d’une information en vue d’une consultation.

Le CEA oppose que :

– la consultation du CSE d’établissement sur le projet « Convergence » ne relève pas de ses prérogatives mais de celles du comité national, le nouveau système informatique de gestion ayant vocation à être mis en place sur l’ensemble des établissements composant le CEA, soit les 9 établissements et non sur le seul établissement de [8] ;

– en tout état de cause, à ce stade, le projet « Convergence » n’est pas suffisamment abouti pour que la procédure d’information / consultation soit mise en ‘uvre et lorsque le projet « Convergence » aura permis de concevoir un outil suffisamment concret et d’en mesurer les conditions de déploiement, le projet sera présenté à l’information et à la consultation du comité national, étant rappelé que ce dernier a déjà été pré informé de ce projet à quatre reprises ;

– le système informatique de gestion n’est pas à ce stade conçu et il n’est donc pas déployé ; sur décision du CEA, et sans qu’il y soit tenu, les CSE d’établissement seront également informés et consultés, le moment venu, en parallèle du comité national ;

– s’agissant de la modification des conditions de travail des salariés du CEA de [8], le CSE est bien en peine de démontrer en quoi la mise en place du projet « Convergence » modifierait celles-ci puisque le projet n’est pas encore conçu ; si le CSE fait référence au groupe de travail qui a été constitué pour travailler sur ce projet, celui-ci ne constitue pas un aménagement important modifiant les conditions de travail ; au surplus, à suivre le raisonnement de l’appelant, il faudrait le consulter à chaque fois que le CEA crée un groupe de travail en vue de réfléchir sur un projet ;

– le CSE E de [8] a déjà été consulté sur la construction du bâtiment 488 chargé d’accueillir les salariés du CEA qui seront amenés à travailler sur le projet « Convergence ».

Sur ce,

L’article 834 du code de procédure civile dispose :

« Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».

L’article 835 de ce code dispose :

«  Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

En application de la disposition précitée, le trouble manifestement illicite résulte d’un fait matériel ou juridique qui constitue une violation évidente d’une norme obligatoire dont l’origine peut être contractuelle, législative ou réglementaire, l’appréciation du caractère manifestement illicite du trouble invoqué, relevant du pouvoir souverain du juge des référés.

L’article L. 2312-8 du code du travail, s’agissant des « attributions générales » du CSE prévoit que :

« Le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production, notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions.

II. – Le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur :

1° Les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs ;

2° La modification de son organisation économique ou juridique ;

3° Les conditions d’emploi, de travail, notamment la durée du travail, et la formation professionnelle ;

4° L’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;

5° Les mesures prises en vue de faciliter la mise, la remise ou le maintien au travail des accidentés du travail, des invalides de guerre, des invalides civils, des personnes atteintes de maladies chroniques évolutives et des travailleurs handicapés, notamment sur l’aménagement des postes de travail ».

L’article L. 2316-1 du code du travail prévoit :

« Le comité social et économique central d’entreprise exerce les attributions qui concernent la marche générale de l’entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d’établissement.

Il est seul consulté sur :

1° Les projets décidés au niveau de l’entreprise qui ne comportent pas de mesures d’adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements. Dans ce cas, son avis accompagné des documents relatifs au projet est transmis, par tout moyen, aux comités sociaux et économiques d’établissement ;

2° Les projets et consultations récurrentes décidés au niveau de l’entreprise lorsque leurs éventuelles mesures de mise en ‘uvre, qui feront ultérieurement l’objet d’une consultation spécifique au niveau approprié, ne sont pas encore définies ;

3° Les mesures d’adaptation communes à plusieurs établissements des projets prévus au 4° du II de l’article 2312-8. »

L’article L. 2312-8-II prévoit que « le comité est informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur » 4° « l’introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ».

L’article L. 2316-20 de ce code prévoit que « le comité social et économique d’établissement a les mêmes attributions que le comité social et économique d’entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement.

Le comité social et économique d’établissement est consulté sur les mesures d’adaptation des décisions arrêtées au niveau de l’entreprise spécifiques à l’établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement ».

Il résulte ainsi de ces textes que le CSE central (CN en l’espèce) exerce les attributions qui concernent la marche générale de l’entreprise et qui excèdent les limites des pouvoirs des chefs d’établissement. Dans ce cadre, le CSE central est consulté seul sur les projets qui sont décidés au niveau de l’entreprise et qui ne comportent pas de mesures d’adaptation spécifique à plusieurs établissements.

Le CSE d’établissement est consulté sur les mesures d’adaptation des décisions qui, arrêtées au niveau de l’entreprise, sont spécifiques à l’établissement et relèvent de la compétence du chef de l’établissement en question.

Le projet « Convergence » en lui-même, en ce qu’il vise à la rénovation complète de son système d’information de gestion, qui à terme s’appliquera à toute l’entreprise et donc à l’ensemble des établissements, relève de la consultation du CN en application de l’article L. 2312-8 4° ci-dessus.

Il ne nécessite donc pas de mesures d’adaptation spécifiques au sein de l’établissement [8] imposant la consultation du CSE E de [8].

Il convient donc de rechercher si le projet « Convergence » nécessite des mesures d’adaptation spécifiques au sein de l’établissement [8] en ce qu’il porte sur la phase projet du programme Convergence qui sera hébergée dans les nouveaux locaux, sur le site de [8].

Il ressort des documents adressés en vue de l’information consultation « sur le projet de construction et d’aménagement du bâtiment tertiaire 488 sur le site de [Localité 9] », et plus précisément au développement relatif à l’« objectif et la motivation du projet », qu’en 2020 le CEA a initié un projet de rénovation complète de son système d’information de gestion (finance, RH, achats), dit projet « Convergence », se décomposant en plusieurs étapes échelonnées de l’année 2020 à la mi-année 2026, et en 2022 il a été décidé de lancer la phase projet du programme sur la base des conclusions de l’étude de cadrage.

Il y est précisé que « la bonne réalisation de ce programme requiert, sur la durée, qu’un nombre important d’acteurs CEA (collaborateurs issus des directions fonctionnelles, et DO et des centres du CEA) et non CEA (prestataires externes) travaille ensemble au sein d’un espace de travail commun, dit « plateau projet », situé, par soucis d’efficacité, à proximité des membres de la direction projet (DSI, DFP, DRHRH, DAPS) localisés sur le site du CEA [Localité 9].

En l’absence de bâtiment sur le site CEA [Localité 9] pouvant héberger ce plateau projet, le CEA a décidé en 2022 d’engager la construction d’un nouveau bâtiment (n°488) afin dans un premier temps, d’héberger le plateau projet du programme Convergence (2024-2026) »[ en gras dans le document].

Il y est précisé aussi la labellisation du projet avec ses aspects de performance énergétique, la localisation du bâtiment par rapport au bâtiment hébergeant, les intervenants du programme Convergence (DSI, DFP, DAPS, DRHRS).

Les plans du bâtiment d’une emprise au sol de 990 m² sur un niveau unique de plain-pied sont présentés en annexe ; il y est précisé que le bâtiment peut accueillir, environ 70 postes de travail permettant le travail présentiel et à distance des équipes CEA et des prestataires du programme.

La présentation relative à l’« effectif concerné durant la phase du projet Convergence » rappelle que le plateau Convergence accueillera environ 70 personnes, des collaborateurs et CEA ainsi que des prestataires externes qui participeront à la réalisation du programme Convergence :

Les collaborateurs CEA constituent l’équipe programme élargie Convergence.

Il y est précisé, que l’équipe programme élargie Convergence est composée de :

– l’équipe « c’ur » du programme composée d’environ 35 personnes sur le plateau projet desquels 6 à 10 personnes maximum, 6 sont les membres de la direction de programme Convergence qui seront à temps plein sur le plateau projet ;

– les référents métiers identifiés et issus des centres et des DO CEA viendront ponctuellement sur le site de [Localité 9] participer aux sessions de formation, ateliers de conception et réunions en lien avec le déploiement du projet ;

– d’autres collaborateurs SI (DAM, STIC centres…) et collaborateurs métiers.

Il est noté en caractères gras : exceptées les personnes qui interviendront à temps plein sur le programme (6 à 10 personnes maximum), tous les collaborateurs CEA de l’équipe c’ur Convergence interviendront à temps partiel sur le programme et conserveront donc leur bureau au sein de leur direction actuelle pour exercer leurs autres activités. Ils interviendront en ateliers ou ponctuellement sur des périodes (deux jours par semaine la plupart du temps) en phase de conception et recettes/tests.

Les prestataires externes, 30 à 35 personnes à temps partiel sur site ou intervenant à distance lorsque cela est possible seront en charge de différents types de prestations : intégration des nouveaux outils de gestion et de l’assistance à la conduite du changement.

L’exposé relatif à l’analyse des risques mentionne que l’occupation du plateau projet, exceptées les personnes qui interviendront à temps plein sur le programme (6 à 10 personnes maximum) tous les collaborateurs CEA de l’équipe c’ur Convergence conserveront leur bureau d’origine ; 35 à 40 collaborateurs CEA devraient occuper à hauteur d’au moins 50 % le plateau projet (dont 6 à 10 maximum de personnes qui occuperont à temps plein) le projet Convergence favorisant le présentiel autant que possible.

Il ressort aussi du compte rendu de la réunion du CSE [Localité 9] du 28 septembre 2023, que l’information consultation ne s’est pas limitée aux « aspects techniques de cette construction », ce qui ressortait d’ailleurs de l’ordre du jour de la consultation.

En effet, outre les problèmes d’ordre bâtimentaire et de l’organisation de l’espace, il y est rappelé que « le programme Convergence va nécessiter d’avoir une équipe c’ur de programme constituée de personnes du CEA à laquelle vont s’adjoindre des prestataires extérieurs pour les prestations d’intégration informatique notamment et un accompagnement à la conduite du changement et à différentes assistances lorsque cela est nécessaire.

En termes d’occupation, on anticipe à peu près 35 personnes qui vont venir en provenance d’unités du CEA. 6 à10 personnes dont les six membres de la direction du programme vont être affectées à temps plein sur le plateau projet. Les autres collaborateurs CEA qui vont intervenir avec nous dans les équipes projets vont conserver leur bureau au sein des directions auquel ils appartiennent. »

Il y est précisé qu’il peut également y avoir certains référents métiers collaborateurs qui viendront des sites de la DAM et des DO et centres de programme.

Il s’évince des ces développements, que si la mise en place du projet Convergence nécessite la réunion de plusieurs acteurs, CEA et non CEA dans le cadre d’un espace de travail commun dit « plateau projet », qui, au vu d’arbitrages se trouvera implanté dans le nouveau bâtiment 488, sur le site de [Localité 9] et qui implique une certaine réorganisation tel que cela a été décliné plus haut pour accueillir les personnes travaillant sur ce projet, force est de constater que le CSE E de [8] a déjà été consulté sur ce projet de construction et d’aménagement qui a aussi présenté l’effectif de l’équipe amenée à travailler sur le projet « Convergence ».

En effet, il a été présenté le volume du personnel du CEA constituant le groupe de travail mis en place pour travailler sur le « plateau projet » pour la « bonne réalisation  du programme » Convergence ; l’équipe « c’ur » du programme a été présentée tel que mentionné ci-dessus en italiques.

Il en ressort aussi que les salariés du site de [Localité 9] ne sont pas les seuls à intervenir sur le plateau projet de sorte que la mise en place de ce groupe de travail n’est pas spécifique à l’établissement de [Localité 9], alors que d’autres salariés du CEA sont amenés à participer, (les salariés CEA DAM), et que des référents métiers d’autres centres peuvent être amenés, en fonction des ajustements à faire et des ressources à mobiliser, intervenir ponctuellement sur le plateau projet, éléments qui ne sont pas de nature à impacter les conditions de travail au sens de l’article L. 2312-8 du code du travail, peu important que les salariés concernés soient majoritairement rattachés au site de [Localité 9], étant rappelé que le plateau projet se trouve dans l’enceinte du site.

Enfin, il n’est pas utilement contesté que le site de [Localité 9] « compte environ 7 000 salariés », de sorte que c’est à juste titre que le CEA fait état de ce que 35 salariés amenés à travailler sur le projet Convergence ne représenterait que 0,5% de l’effectif.

Il y a donc contestation sérieuse alors qu’il n’est pas établi que la mise en oeuvre du projet « Convergence » dans le cadre de cet espace commun, le plateau projet, implique la modification des conditions de travail des salariés du site de [Localité 9] au sens de l’article L. 2312-8 du code du travail précité.

Dès lors, il résulte des considérations qui précèdent que le trouble manifestement illicite n’est pas caractérisé alors que les éléments débattus sont insuffisants à caractériser l’existence de mesures d’adaptation spécifiques au sein de l’établissement de [Localité 9] du projet « Convergence ».

Dès lors, il résulte directement des considérations qui précèdent, qu’en l’absence de trouble manifestement illicite, c’est à bon droit que le juge des référés a débouté le CSE E de [8] de ses demandes tendant à ce que le CEA le convoque pour l’informer en vue de la consultation sur le projet « Convergence » et que la suspension du projet soit ordonnée.

Partant, la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour le défaut de consultation du CSE E de [8] ne pouvait utilement aboutir.

L’ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Le CSE E de [8], qui succombe sur les mérites de son appel, doit être condamné aux dépens et débouté en sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera fait application de cet article au profit de l’intimée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME l’ordonnance de référé ; 

Y ajoutant,

CONDAMNE le comité social économique du commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de [8] aux dépens ;

CONDAMNE le comité social économique du commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de [8] à payer au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et le déboute de sa demande à ce titre.

La Greffière La Présidente


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