Refus d’aide du CNC aux documentaires : affaire Productions Tony Comiti
Refus d’aide du CNC aux documentaires : affaire Productions Tony Comiti
Ce point juridique est utile ?

Les documentaires qui se limitent à décrire les situations vécues par les personnages sans apporter un point de vue d’auteur sur le réel ont peu de chance d’obtenir une aide du CNC. Pour refuser une aide, le CNC est en droit de retenir ” l’absence de regard original ” ou de point de vue de l’auteur pour estimer que son projet ne relève pas de la catégorie de documentaire de création au sens de l’article 311-56 du règlement général des aides financières.  En recherchant la part de travail personnel de l’auteur sur le sujet qu’il entendait traiter, le CNC a fait usage de son pouvoir d’appréciation sans pour autant ajouter de nouvelles conditions aux dispositions en vigueur. 

Affaire Productions Tony Comiti

La société Productions Tony Comiti (PTC), représentée par Me Gury, demande au tribunal d’annuler la décision du 23 septembre 2020, par laquelle le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) lui a refusé l’autorisation préalable pour l’allocation d’investissement relative au projet de documentaire de création à vocation patrimonial intitulé ” Indispensables et mal payés, la rentrée sur le fil des petits salaires “, ainsi que la décision du 28 avril 2021 rejetant son recours gracieux. 

 

Refus du CNC motivé 

En second lieu, pour refuser la subvention sollicitée, le CNC a estimé que le projet ne relevait pas d’un documentaire de création car il se limitait à décrire les situations vécues par les personnages sans apporter un point de vue d’auteur sur le réel et que la note technique ne permettait pas de comprendre le point de vue de l’auteur ni la proposition formelle et cinématographique visées.

Il s’est fondé, en outre, pour rejeter le recours gracieux formé par la société requérante, sur l’avis défavorable, émis le 18 février 2021, par la commission spécialisée qui a indiqué que le programme ne pouvait pas être qualifié de documentaire de création à vocation patrimoniale dès lors que l’orientation du programme était descriptive, qu’il n’avait pas vocation à être diffusé à long terme et qu’il présentait une part insuffisante de création originale et que par suite il ne pouvait pas être qualifié de documentaire de création au sens des articles 311-6 et 311-56 du règlement général des aides financières précité.

Les oeuvres audiovisuelles à vocation patrimoniale 

 

Aux termes de l’article D. 311-1 du code du cinéma et de l’image animé : ” Les conditions générales d’attribution des aides financières sont fixées par délibérations du conseil d’administration du Centre national du cinéma et de l’image animée dans un document consolidé et dénommé ” règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée “. 

Aux termes de l’article D. 311-2 du règlement général des aides financières : ” Les aides financières automatiques du Centre national du cinéma et de l’image animée sont attribuées de droit aux personnes qui remplissent les conditions pour les recevoir “.

Aux termes de l’article 311-6 de ce règlement : ” Les œuvres audiovisuelles éligibles aux aides financières à la production et à la préparation sont des œuvres à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique.

Elles doivent faire l’objet, par les entreprises de production, d’une exploitation durable en cohérence avec leur vocation patrimoniale “.

Aux termes de l’article 311-80 du même règlement : ” En cas de contestation ou de difficulté d’interprétation sur l’appartenance d’une œuvre audiovisuelle à un genre déterminé, le président du Centre national du cinéma et de l’image animée peut consulter la commission spécialisée compétente pour l’attribution des aides sélectives “. L’article 311-56 de ce règlement dispose : ” Les entreprises de production ont la faculté d’investir les sommes inscrites sur leur compte automatique pour la production et la préparation des œuvres audiovisuelles qui appartiennent à l’un des genres suivants : () 3° Documentaire de création () “.

Respect de la procédure contradictoire

 

Les décisions du CNC ayant été prises sur demande d’une société requérante, la procédure contradictoire prévue par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, n’est pas applicable. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure est inopérant et doit être écarté.

Au sens de l’article précité, exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable.

Par ailleurs, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : ” Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir () “.

Aux termes de l’article D. 311-2 du code du cinéma et de l’image animée : ” Les aides financières automatiques du Centre national du cinéma et de l’image animée sont attribuées de droit aux personnes qui remplissent les conditions pour les recevoir. / Elles donnent lieu : / 1° Soit au calcul et à l’inscription de sommes sur un compte nominatif ouvert dans les écritures de l’établissement, en vue de leur investissement par la personne titulaire de ce compte ; / 2° Soit au versement d’allocations directes “.

 


 

Tribunal administratif de Paris, 6e Section – 2e Chambre, 28 mars 2023

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 juin 2021, et 10 février 2022, la société Productions Tony Comiti (PTC), représentée par Me Gury, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision du 23 septembre 2020, par laquelle le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) lui a refusé l’autorisation préalable pour l’allocation d’investissement relative au projet de documentaire de création à vocation patrimonial intitulé ” Indispensables et mal payés, la rentrée sur le fil des petits salaires “, ainsi que la décision du 28 avril 2021 rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge du CNC une somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société PTC soutient que :

– les décisions attaquées ne sont pas motivées en droit ;

– le principe du contradictoire n’a pas été respecté ;

– ces décisions méconnaissent l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et intelligibilité de la norme ;

– elles sont entachées d’une erreur de droit ;

– elles sont entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2022, le CNC conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société PTC ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 décembre 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 19 décembre 2022.

Un mémoire présenté par la société Productions Tony Comiti (PTC) a été enregistré le 19 décembre 2022 et n’a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la Constitution du 4 octobre 1958,

– le code des relations entre le public et l’administration,

– le code du cinéma et de l’image animée,

– le règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée,

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme B,

– les conclusions de M. Guérin-Lebacq, rapporteur public,

– les observations de Me Gury, représentant la société PTC,

– et les observations de Mme A, représentant le CNC.

Considérant ce qui suit

:

1. Le 9 juillet 2020, la société Productions Tony Comiti, qui exerce une activité de production française indépendante, a sollicité du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) sur le fondement de l’article 311-26 du règlement général des aides financières annexé au code du cinéma et de l’image animée, l’octroi d’une autorisation préalable pour son projet de documentaire intitulé ” Indispensables et mal payés, la rentrée sur le fil des petits salaires “. Par une décision du 23 septembre 2020, le CNC a refusé de lui attribuer cette aide. La société Productions Tony Comiti a formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision le 2 décembre 2020. Par un courriel du 17 décembre 2020, le CNC l’a informée que la commission spécialisée compétente avait été saisie conformément à l’article 311-80 du règlement général des aides financières. Lors de sa séance du 18 février 2021, cette commission a émis un avis défavorable. Par décision du 28 avril 2021, le président du CNC a refusé de lui accorder l’autorisation préalable sollicitée. Par la présente requête la société Productions Tony Comiti demande au tribunal d’annuler la décision du 23 septembre 2020, ensemble la décision du 28 avril 2021 rejetant son recours gracieux.

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, la société Productions Tony Comiti soutient que les décisions attaquées, par lesquelles le CNC a refusé de lui délivrer une autorisation préalable pour son projet de documentaire intitulé ” Indispensables et mal payés, la rentrée sur le fil des petits salaires ” sont entachées d’un vice de procédure au motif que le principe du contradictoire n’a pas été respecté. Toutefois, les décisions attaquées ayant été prises sur demande de la société requérante, la procédure contradictoire prévue par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration, n’était pas applicable. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure est inopérant et doit être écarté.

3. En second lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : ” Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir () “. Aux termes de l’article D. 311-2 du code du cinéma et de l’image animée : ” Les aides financières automatiques du Centre national du cinéma et de l’image animée sont attribuées de droit aux personnes qui remplissent les conditions pour les recevoir. / Elles donnent lieu : / 1° Soit au calcul et à l’inscription de sommes sur un compte nominatif ouvert dans les écritures de l’établissement, en vue de leur investissement par la personne titulaire de ce compte ; / 2° Soit au versement d’allocations directes “.

4. La société Productions Tony Comiti soutient que les décisions par lesquelles le CNC a refusé de lui accorder l’autorisation préalable sollicitée, qui constitue un droit pour les sociétés de production qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir, sont insuffisamment motivées. D’une part, les vices propres dont la décision du 28 avril 2021 serait entachée ne peuvent être utilement invoqués à l’appui de la présente requête. D’autre part, la décision du 23 septembre 2020 comporte l’exposé des considérations de droit et de fait sur lesquelles s’est fondé le CNC pour rejeter la demande d’autorisation préalable, après avis de la commission spécialisée compétente pour l’attribution des aides sélectives. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de motivation des décisions attaquées doit être écarté.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article D. 311-1 du code du cinéma et de l’image animé : ” Les conditions générales d’attribution des aides financières sont fixées par délibérations du conseil d’administration du Centre national du cinéma et de l’image animée dans un document consolidé et dénommé ” règlement général des aides financières du Centre national du cinéma et de l’image animée “. “. Aux termes de l’article D. 311-2 du règlement général des aides financières : ” Les aides financières automatiques du Centre national du cinéma et de l’image animée sont attribuées de droit aux personnes qui remplissent les conditions pour les recevoir “. Aux termes de l’article 311-6 de ce règlement : ” Les œuvres audiovisuelles éligibles aux aides financières à la production et à la préparation sont des œuvres à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique. / Elles doivent faire l’objet, par les entreprises de production, d’une exploitation durable en cohérence avec leur vocation patrimoniale “. Aux termes de l’article 311-80 du même règlement : ” En cas de contestation ou de difficulté d’interprétation sur l’appartenance d’une œuvre audiovisuelle à un genre déterminé, le président du Centre national du cinéma et de l’image animée peut consulter la commission spécialisée compétente pour l’attribution des aides sélectives “. L’article 311-56 de ce règlement dispose : ” Les entreprises de production ont la faculté d’investir les sommes inscrites sur leur compte automatique pour la production et la préparation des œuvres audiovisuelles qui appartiennent à l’un des genres suivants : () 3° Documentaire de création () “.

6. D’une part, la société Productions Tony Comiti soutient que les décisions contestées se fondent sur des dispositions imprécises qui méconnaissent l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme, en l’absence de définition du ” documentaire de création “. Cependant, les dispositions précitées prévoient que les œuvres éligibles aux aides financières du CNC sont des œuvres à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, scientifique, technique ou économique qui doivent faire l’objet d’une exploitation durable. En outre, en cas de difficulté d’appartenance à un genre déterminé, une commission spécialisée peut être saisie pour rendre un avis éclairé. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que les décisions attaquées se fondent sur des dispositions qui méconnaissent l’objectif de clarté et intelligibilité de la norme doit être écarté.

7. D’autre part, la société requérante fait valoir qu’en se fondant sur ” l’absence de regard original ” ou de point de vue de l’auteur pour estimer que son projet ne relevait pas de la catégorie de documentaire de création au sens des dispositions de l’article 311-56 du règlement général des aides financières précité, le CNC a ajouté une condition qui ne relève d’aucun des textes applicables. Toutefois, en recherchant la part de travail personnel de l’auteur sur le sujet qu’il entendait traiter, le CNC a fait usage de son pouvoir d’appréciation sans pour autant ajouter de nouvelles conditions aux dispositions en vigueur. Dans ces conditions, le moyen tiré de l’erreur de droit doit être écarté.

8. En second lieu, pour refuser la subvention sollicitée, le CNC a estimé que le projet ne relevait pas d’un documentaire de création car il se limitait à décrire les situations vécues par les personnages sans apporter un point de vue d’auteur sur le réel et que la note technique ne permettait pas de comprendre le point de vue de l’auteur ni la proposition formelle et cinématographique visées. Il s’est fondé, en outre, pour rejeter le recours gracieux formé par la société requérante, sur l’avis défavorable, émis le 18 février 2021, par la commission spécialisée qui a indiqué que le programme ne pouvait pas être qualifié de documentaire de création à vocation patrimoniale dès lors que l’orientation du programme était descriptive, qu’il n’avait pas vocation à être diffusé à long terme et qu’il présentait une part insuffisante de création originale et que par suite il ne pouvait pas être qualifié de documentaire de création au sens des articles 311-6 et 311-56 du règlement général des aides financières précité.

9. La société requérante conteste cette appréciation en soutenant, d’une part, que dès lors qu’il s’agit d’aides automatiques le juge administratif doit exercer un contrôle normal sur l’attribution de ces aides par le CNC et, d’autre part, que son projet relevait bien de la catégorie documentaire de création dès lors que les auteurs du documentaire, en qualité de sociologue et de journaliste, ont une vision originale de leur œuvre ainsi qu’un point de vue militant, qu’une vision originale ne saurait reposer exclusivement sur le point de vue d’experts extérieurs, que les faits relatés ont une portée historique propice à des rediffusions ultérieures et enfin que des documentaires similaires ont bénéficié du soutien du CNC. Toutefois, alors même que l’aide présente un caractère automatique dans le principe de son attribution et ses modalités de calcul, il n’en demeure pas moins que le CNC dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’application des dispositions prévues par l’article 311-56 du règlement général des aides financières. En outre, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la note d’intention présentée par la société requérante, que le projet de documentaire ” Indispensables et mal payés, la rentrée sur le fil des petits salaires ” repose sur le portait de plusieurs français confrontés à la crise économique présenté de façon chronologique ainsi que sur la description de leur quotidien et que le dossier soumis au CNC ne comporte aucune problématisation des enjeux et des questionnements qui sous-tendent le projet de documentaire. Dans ces conditions, la société requérante ne démontre pas, par les éléments qu’elle produit, que le CNC aurait entaché sa décision d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que ce projet ne constituait pas un ” documentaire de création ” mettant en exergue le regard original de son l’auteur et que, par suite, elle ne remplissait pas les conditions pour se voir accorder l’aide sollicitée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Productions Tony Comiti doit être rejetée, y compris les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Productions Tony Comiti est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Productions Tony Comiti et à la présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée.

Délibéré après l’audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Laloye, président,

Mme Roussier, première conseillère,

M. Théoleyre, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.

La rapporteure,

S. B

Le président,

P. LaloyeLa greffière,

K. Bak-Piot

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

No 2113857/6-


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