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Abus des notes de frais : le licenciement pour faute grave est justifié

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Abus des notes de frais : le licenciement pour faute grave est justifié

Il résulte suffisamment des nombreuses factures et notes de frais produites par la société Dulac distribution et remises en vue de leur remboursement par le salarié, de ses tableaux récapitulatifs et reconstitutions comme de ses documents comptables et bancaires que M. [S], a obtenu grâce, selon toute apparence, à l’absence de contrôle ou de vigilance de la directrice comptable et financière Carmen [F], le remboursement pendant plusieurs années et pour des montants importants de diverses dépenses (billets de train, restaurants, bars, frais de bouche, pâtisseries, taxis, vêtements, électroménager, carburant…), engagées, notamment durant les week-ends et périodes de congés, n’ayant pas de rapport direct avec ses activités professionnelles, en l’absence de tout document convaincant permettant de faire un lien entre les dépenses litigieuses et des missions ou travaux réalisés pour le compte ou dans l’intérêt de l’entreprise.

En outre, il n’apparaît aucunement que le remboursement de ces frais ait donné lieu à une quelconque validation des supérieurs hiérarchiques de M. [S] et dont l’absence est confirmée par l’attestation convaincante du comptable [R] [E] .

Il sera également relevé et retenu que Mme [F] a, pour sa part, fait l’objet d’un licenciement pour faute grave relativement à la question de sa gestion des frais, notamment ceux de M. [S], qui a été validé par décision de la cour d’appel de Paris du 17 juin 2020 ayant confirmé une décision prud’homale du 20 septembre 2017.

Ces éléments établissent suffisamment, aux yeux de la cour et contrairement à ce qu’a retenu le conseil de prud’hommes, la réalité du comportement fautif visé par la lettre de licenciement tenant au remboursement de frais professionnels indus, et qui justifiait, dès lors qu’il mettait en cause la probité du salarié que l’employeur était en droit d’attendre de lui, la rupture immédiate du contrat de travail.


 

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 01 DECEMBRE 2022

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04988 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCFZK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F15/03225

APPELANTE

S.A.R.L. DULAC DISTRIBUTION anciennement dénomée SARL SOPHIE DULAC DISTRIBUTION – Agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Isabelle MAYADOUX, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [K] [S]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Franck CROMBET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1506

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Nicolas TRUC, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

:

M. [K] [S] a été engagé par la société Sophie Dulac distribution, devenue la société Dulac distribution, à compter du 13 février 2007 en qualité de directeur d’agence à temps complet. A partir de 2014, il lui a été confié les fonctions de directeur de la distribution.

Par lettre du 3 février 2015, la société Dulac Distribution a licencié M. [S] pour faute grave.

Le conseil de prud’hommes de Paris, saisi par M. [S] le 18 mars 2015, a, par jugement du 26 juin 2020, notifié le 29 juin 2020, statué comme suit :

– Dit que la procédure de licenciement est régulière

– Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse

– Condamne la SARL Sophie Dulac distribution à payer à M. [K] [S] les sommes de :

* 8 020,89 euros au titre du salaire pour la période du 5 janvier au 5 février 2015

* 48 125,34 euros au titre de l’indemnité de préavis

* 4 812,53 euros au titre des congés payés y afférent

* 32 083,56 euros au titre de l’indemnité de licenciement

* 64 231 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 32 680 euros au titre des heures supplémentaires

* 3 000 euros de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement

– Déboute M. [K] [S] du surplus de ses demandes

– Déboute la société Sophie Dulac distribution de ses demandes reconventionnelles

– Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter de la présente décision.

– Dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront

– Ordonne l’exécution provisoire

– Condamne la société Sophie Dulac à payer à M. [K] [S] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Condamne la société Sophie Dulac Distribution aux entiers dépens

La société Dulac distribution a interjeté appel du jugement par déclaration de son conseil au greffe de la cour d’appel de Paris le 27 juillet 2020. L’intimé a formé appel incident.

Selon ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 avril 2021 la société Dulac distribution soutient devant la cour les demandes suivantes ainsi présentées :

Infirmer le jugement prud’homal en ce qu’il a :

‘ Dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

‘ Condamné la société défenderesse à payer à M. [K] [S] les sommes de :

o 8 020,89 euros de salaire pour la période du 5 janvier au 5 février 2015 ;

o 48 125,34 euros d’indemnité de préavis ;

o 4 812,53 euros de congés payés sur préavis ;

o 32 083,56 euros d’indemnité de licenciement ;

o 64 231 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

o 32 680 euros au titre des heures supplémentaires ;

o 3 000 euros de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement

‘ Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter de la décision

‘ Dit que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront

‘ Ordonné l’exécution provisoire

‘ Condamné la société défenderesse à payer à M. [S] 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

‘ Débouté la société défenderesse de ses demandes reconventionnelles, consistant à :

o Voir ordonner le remboursement par M. [S] de 22 645,03 euros au titre des sommes indûment versées par la société défenderesse, avec application du taux d’intérêt légal capitalisé à compter de l’audience de conciliation du 24 septembre 2015, ou le cas échéant voir compenser ladite somme avec les éventuelles condamnations susceptibles d’intervenir à l’encontre de la défenderesse ;

o Voir condamner M. [K] [S] à 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

Confirmer le jugement dont appel, en ce qu’il a :

‘ Dit la procédure de licenciement régulière ;

‘ Débouté M. [S] du surplus de ses demandes

Et statuant à nouveau, au vu des pièces versées aux débats, notamment les témoignages corroborant les manquements reprochés à l’appui du licenciement de l’intimé, et surtout des pièces comptables et financières produites démontrant la réalité des paiements indus au profit de Monsieur [S] :

– Juger le licenciement de M. [S] fondé sur une faute grave ;

– Juger que M. [S] ne justifie pas, et surtout n’a pas été matériellement en capacité de réaliser les heures supplémentaires qu’il invoque, au vu notamment de l’ampleur de ces multiples et récurrentes activités complémentaires menées en parallèle de son emploi à temps complet chez la société Dulac Distribution ;

– Juger qu’aucune circonstance vexatoire n’a entouré le licenciement qui aurait été de nature à ouvrir droit à indemnisation ;

– Juger M. [S] non fondé dans sa demande de paiement de 1 750 euros d’indemnité de déplacement, à défaut pour lui de justifier avoir exposé ces frais, ne serait-ce que justifier de la période concernée par ces déplacements ;

– Juger la société appelante bien fondée dans ses demandes

Par conséquent :

– Juger infondées les demandes de M. [S] et l’en débouter intégralement ;

Ou, à tout le moins, si le licenciement était jugé non fondé sur une faute grave :

‘ limiter la condamnation de la société appelante à 2 mois de salaire, soit 16 041,78 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

‘ et limiter le préavis à 4 mois de salaire au lieu des 6 retenus en première instance, soit 32 083,56 euros

– Ordonner la restitution sans délai par M. [S] au profit de la société Dulac Distribution des sommes provisoires que cette dernière lui a versées en exécution des condamnations prud’homales, soit 90 000 euros à titre principal ;

– Condamner M. [S] à restituer à l’appelante les 22 645,03 euros de frais qu’il s’est fait indûment rembourser durant l’exécution de leur relation de travail, assortis des intérêts légaux qui seront capitalisés à compter de l’audience de conciliation prud’homale (soit le 24 septembre 2015)

En toutes hypothèses,

Condamner M. [S] à régler à la société Dulac distribution :

– 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernant la procédure prud’homale ;

– 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernant la procédure de référé premier président ;

– 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile applicable à la procédure d’appel ;

– Aux entiers dépens de première instance, comme d’appel et également de procédure de référé premier président

M. [S] fait valoir les demandes suivantes aux termes de ses dernières conclusions remises et notifiées le 20 janvier 2021 :

– Juger la société Dulac distribution mal fondée en son appel, la débouter de l’ensemble de ses demandes.

– Confirmer le jugement entrepris en ce que le conseil des prud’hommes a jugé le licenciement de M. [K] [S] dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société Dulac distribution à lui payer, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation pour les sommes à caractère salarial et de la décision pour celles à caractère indemnitaire, et capitalisation des intérêts, les sommes de :

* 8 020,89 euros au titre du salaire pour la période du 5 janvier au 5 février 2015

* 48 125,34 euros au titre de l’indemnité de préavis

* 4812,53 euros au titre des congés payés y afférents

* 32 083,56 euros au titre de l’indemnité de licenciement

* 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement

– Confirmer le jugement entrepris en ce que le conseil a débouté la société Dulac distribution de sa demande de condamnation de Monsieur [K] [S] au paiement de la somme de 22 645,03 euros et 4500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Confirmer le jugement entrepris en ce que le conseil a condamné la société Dulac distribution aux entiers dépens,

– Recevoir M. [K] [S] en son appel incident,

– Infirmer le jugement entrepris en ce que le conseil a limité à la somme de 64 231 euros les dommages et intérêts mis à la charge de la société Dulac distribution,

– Condamner la société Dulac distribution à lui payer la somme supplémentaire de 128 270,36 euros, soit la somme totale de 192 501, 36 euros à titre de dommages et intérêts, – Infirmer le jugement entrepris en ce que le conseil a limité à 32 680 euros la somme allouée au titre des heures supplémentaires,

– Condamner la société Dulac distribution à lui payer la somme supplémentaire de 120 372,35 euros, soit la somme totale de 153 052,35 euros au titre des heures supplémentaires,

– Infirmer le jugement entrepris en ce que le conseil a débouté M. [K] [S] de sa demande tendant à obtenir la somme de 8 020,89 euros pour non-respect de la procédure de licenciement.

– Condamner la société Dulac distribution à payer à M. [K] [S] la somme de 8 020,89 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,

– Infirmer le jugement entrepris en ce que le conseil a limité la somme allouée à M. [K] [S] au titre de l’article 700 à 1 500 euros,

-Condamner la société Dulac distribution au titre de l’article 700 au paiement de la somme supplémentaire de 6 500 euros pour la procédure de première instance et de 10 000 euros pour la procédure d’appel,

-Condamner la société Dulac distribution aux entiers dépens d’appel.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 15 juin 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il est renvoyé pour plus ample explication aux conclusions des parties évoquées ci-dessus.

Sur ce :

1) Sur le licenciement

Selon l’article L 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Constitue une faute grave un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à 1’employeur d’établir la réalité des griefs qu’il formule.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

‘( …) Je fais suite à l’entretien préalable que nous avons eu ensemble le 19 janvier dernier, au cours duquel je vous ai exposé les graves manquements que j’avais à vous reprocher, et que j’avais déjà brièvement évoqués avec vous lors de votre mise à pied conservatoire qui vous a été notifiée le 5 janvier.

A la suite d’incohérences relevées en toute fin d’année dernière dans certaines payes nous nous sommes rapprochés du service comptable administratif et financier pour tenter de mieux comprendre certaines situations. A cette occasion ont été découvertes diverses enveloppes de ‘note de frais’, portant votre écriture et votre nom, et rassemblant un nombre impressionnant de factures en tous genres. La plus récente comportait pour près de 1900 euros de frais, dont vous avez obtenu le remboursement par virement bancaire en même temps que votre salaire de décembre. En regardant plus en détails les factures que vous présentiez au remboursement pour ce mois là, mais également celles que vous aviez déjà présentées auparavant retrouvées dans le même bureau, nous avons été stupéfiats de voir que bon nombre de ces factures correspondaient à des achats ou dépenses purement personnelles de votre part.

Ces éléments ont été portés à ma connaissance juste avant les vacances de Noël. J’ai alors décidé de lancer une investigation plus poussée sur votre dossier et ces ‘notes de frais’. Celle-ci nous a permis de découvrir que vous vous faisiez régulièrement et depuis plusieurs années rembourser auprès de la direction financière directement, par virement bancaire, derrière mon dos sans mon accord ni même mon information, sans mention sur vos bulletins de paye, des montants importants (plusieurs milliers d’euros) pour des achats et dépenses de tous types qui, pour beaucoup, ne relèvent absolument pas de ‘frais professionnels’ car ne se rattachent d’aucune manière à des dépenses qui auraient été réalisées pour le compte de l’entreprise et dans le cadre de l’exercice de votre fonction.

Il s’agit, entre autre, d’achat de viennoiseries diverses notamment à 300 m de votre domicile, de nombre de notes de salons de thé, traiteurs et de restaurants à [Localité 5] et dans plusieurs villes de province notamment [Localité 7] et essentiellement les week-ends ou jours fériés, de facture d’hôtels pour deux personnes ou plus dans des lieux de villégiature souvent durant vos congés ou week-ends ou tard le soir ne correspondant pas à des déplacements professionnels, de factures de frais de carburant alors qu’au dernier état vous ne conduisez pas, de billets de train pour la province notamment pour [Localité 4] (villes récurrentes dans lesquelles vous avez des attaches personnelles) plus spécialement durant le week-end, à Noël, durant les vacances, de factures d’achats de bouteilles de vins, de chocolats, de collier, de livres de loisirs (poches, guides du routard…), mais également de note de pharmacie pour l’achat de médicaments antipaludique, de tickets de caisse d’achat de vêtements Zara, etc…).

Je vous rappelle que ne peuvent ouvrir droit à remboursement de frais que les seules dépenses purement professionnelles qui sont engagées par le salarié dans le cadre de l’exécution de ses fonctions, qui relèvent des ‘frais professionnels’ tels que définis et acceptés par les administrations sociales telles que l’Urssaf. Toute autre somme ne relève pas d’un remboursement de frais admis et n’ouvre pas droit à remboursement.

En outre, pour ces remboursements, vous n’avez pas suivi le process en vigueur dans l’entreprise consistant, comme vous le savez, à faire préalablement valider chaque note de frais par la direction, pour que ceux correspondant à des frais professionnels vous soient ensuite réglés, avec mon autorisation, sous forme de chèque bancaire, signé par mes soins. Ce manquement constitue une faute supplémentaire caractérisant une insubordination.

A l’occasion de votre entretien préalable, vous ne m’avez fourni aucune explication cohérente et encore moins valable sur votre comportement et leur gravité. Vous vous êtes contenté d’indiquer que ‘vous pouviez tout justifier’.

Enfin, dès lors qu’en votre qualité de directeur de la distribution vous étiez en charge de la préparation des dossiers de demandes de subventions, j’ai les plus grandes craintes, et émets toute réserve quant aux dossiers que vous avez pu présenter au nom de la société, compte tenu des graves manquements que vous avez commis à mon insu et exposés ci-dessus.

Ainsi, compte tenu de la position clé de votre poste qui relève d’un niveau de cadre parmi les plus élevés dans la hiérarchie et exige en principe en qualité première une pleine confiance, le comportement que vous avez adopté, qui plus est depuis de nombreuses années, et qui vous a amené à vous faire indûment régler des sommes colossales, sans mon autorisation ni même mon information, et même à mon insu totale, ne permet pas de poursuivre notre relation de travail durant la période de préavis, et caractérise une faute grave de votre part.

Par conséquent, le présent courrier constitue la notification de votre licenciement pour faute grave, pour les motifs rappelés ci-dessus (…) ».

M. [S] soutient, à titre liminaire, que son licenciement est irrégulier en ce que l’employeur aurait pris la décision de le licencier avant même la tenue de l’entretien préalable en l’annonçant à des tiers et en lui demandant de restituer les clés de l’entreprise et son matériel informatique.

Mais le conseil a justement retenu que la restitution des clés des locaux professionnels ou du matériel informatique lors de la mise à pied conservatoire ne saurait, à elle seule, faire préjuger de la décision de l’employeur quant au licenciement. En outre, aucune pièce convaincante n’établit qu’il ait été explicitement annoncé par ce dernier à M. [S] son licenciement avant l’envoi de la lettre de licenciement, ce qui ne saurait être déduit des messages de tiers produits indiquant dans des circonstances et termes invérifiables avoir appris que M. [S] n’était plus dans la société ou ne s’occupait plus de certaines fonctions (pièces 16-1 à 16-5 de M. [S]).

Sur le fond, il résulte suffisamment des nombreuses factures et notes de frais produites par la société Dulac distribution et remises en vue de leur remboursement par le salarié (ses pièces n° 19 à 28), de ses tableaux récapitulatifs et reconstitutions (ses écritures pages 15 à 18 ‘ pièce 15) comme de ses documents comptables et bancaires (ses pièces 52 à 53) que M. [S], a obtenu grâce, selon toute apparence, à l’absence de contrôle ou de vigilance de la directrice comptable et financière Carmen [F], le remboursement pendant plusieurs années et pour des montants importants de diverses dépenses (billets de train, restaurants, bars, frais de bouche, pâtisseries, taxis, vêtements, électroménager, carburant…), engagées, notamment durant les week-ends et périodes de congés, n’ayant pas de rapport direct avec ses activités professionnelles, en l’absence de tout document convaincant permettant de faire un lien entre les dépenses litigieuses et des missions ou travaux réalisés pour le compte ou dans l’intérêt de l’entreprise.

En outre, il n’apparaît aucunement que le remboursement de ces frais ait donné lieu à une quelconque validation des supérieurs hiérarchiques de M. [S] et dont l’absence est confirmée par l’attestation convaincante du comptable [R] [E] (pièce 43-1 de l’appelante).

Il sera également relevé et retenu que Mme [F] a, pour sa part, fait l’objet d’un licenciement pour faute grave relativement à la question de sa gestion des frais, notamment ceux de M. [S], qui a été validé par décision de la cour d’appel de Paris du 17 juin 2020 ayant confirmé une décision prud’homale du 20 septembre 2017.

Ces éléments établissent suffisamment, aux yeux de la cour et contrairement à ce qu’a retenu le conseil de prud’hommes, la réalité du comportement fautif visé par la lettre de licenciement tenant au remboursement de frais professionnels indus, et qui justifiait, dès lors qu’il mettait en cause la probité du salarié que l’employeur était en droit d’attendre de lui, la rupture immédiate du contrat de travail.

Le licenciement pour faute grave sera ainsi tenu pour justifié.

Toutes les demandes indemnitaires de M. [S] relatives à la rupture de son contrat de travail, y compris au titre de la période de mise à pied conservatoire, seront rejetées, la décision prud’homale étant infirmée sur l’ensemble de ces points.

La cour ne constatant pas que le licenciement soit intervenu dans des conditions vexatoires pouvant justifier la condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts spécifiques – le message produit du stagiaire de M. [S], M. [U] [W] (pièce 20 du salarié), relatif aux conditions de la mise à pied étant à cet égard insuffisamment précis et convaincant et ne présentant pas des garanties d’objectivité suffisantes – la condamnation prononcée à ce titre par les premiers juges sera infirmée.

Il n’y a pas lieu de condamner M. [S] au remboursement avec intérêts des sommes qu’il a perçues en vertu de la décision prud’homale, celui-ci étant induit par l’infirmation de ce jugement.

2) Sur le remboursement des frais professionnels indemnisés

La société Dulac distribution sollicite le remboursement de 22 645,03 euros correspondant aux frais dont M. [S] aurait indûment obtenu le remboursement.

Ce montant étant suffisamment justifié, aux yeux de la cour, par les documents produits par l’employeur les détaillant (ses pièces 15, 19, 22 à 28, 42), M. [S] sera condamné à s’en acquitter en application de l’article 1302 du code civil posant le principe de la restitution de l’indu, et ce avec intérêts au taux légal à compter de cette décision qui le constate.

M. [S] a par ailleurs été débouté par les premiers juges d’une demande en paiement d’indemnités mensuelles de déplacement (1 750 euros), mais il sera constaté que dans le cadre de son appel incident, il ne formule plus aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses dernières conclusions liant la cour.

3) Sur les heures supplémentaires

M. [S], soutenant avoir accompli, dans le cadre de ses fonctions liées à la distribution de films cinématographiques, des heures supplémentaires non payées au cours des années 2012 à 2014, sollicite, en cause d’appel, le paiement à ce titre d’un rappel de 153 052, 35 euros que conteste l’employeur.

Selon l’article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’emp1oyeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Les documents produits par M. [S] à savoir, pour l’essentiel, des tableaux d’horaires pour les années 2012 à 2014 (ses pièces 19 et 28) sont suffisamment précis pour établir qu’il a pu être amené en raison de ses fonctions de cadre dont l’activité était en lien avec la distribution cinématographique, à accomplir un temps de travail supérieur à 35 heures par semaine. Ils permettent, en toute hypothèse, à l’employeur de discuter utilement les heures de travail effectivement réalisées.

Or, la société Dulac distribution qui se borne pour l’essentiel à critiquer la pertinence des décomptes du salarié, et à faire valoir qu’il avait, parallèlement, de nombreuses activités d’enseignement, ne produit aucune pièce pouvant établir les horaires effectivement accomplis pour son compte par M. [S].

En l’état des éléments d’appréciation produits, le montant des heures supplémentaires retenu par la décision prud’homale à hauteur de 32 680 euros apparaît devoir être approuvé.

4) Sur les autres demandes

L’équité n’exige pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

La capitalisation des intérêts échus des créances sera ordonnée dans les conditions prévues par l’article 13 43-2 du code civil

Les dépens seront laissés à la charge de la société Dulac distribution qui succombe partiellement à l’instance.

PAR CES MOTIFS

La cour :

Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 26 juin 2020 en ce qu’il a condamné la société Dulac distribution à payer à M. [S] 32 680 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation en bureau d’orientation et de conciliation ;

Infirme pour le surplus et statuant à nouveau :

Dit le licenciement pour faute grave de M. [S] justifié et rejette toutes ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail ;

Condamne M. [S] à payer à la société Dulac distribution 22 645,03 euros, au titre des frais professionnels indument remboursés, somme portant intérêts au taux légal à compter de cette décision ;

Ordonne la capitalisation des intérêts échus des créances dans les conditions posées par l’article 1343-2 du code civil ;

Rejette toute autre demande ;

Laisse les dépens de première instance et d’appel à la charge de la société Dulac disribution.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


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