Réseaux sociaux dans les administrations publiques : la liberté d’expression prime

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Réseaux sociaux dans les administrations publiques : la liberté d’expression prime
Ce point juridique est utile ?

Le blocage du compte Twitter d’un agent public met en cause le principe constitutionnel de la liberté d’expression. Ainsi, lorsqu’une personne morale de droit public agissant dans le cadre de sa mission de service public décide, sans y être tenue, de participer au débat public dans les conditions résultant du fonctionnement d’un réseau social, non seulement en y publiant des informations mais aussi en réagissant aux commentaires des autres utilisateurs, elle ne peut, sans méconnaître la liberté d’expression et d’accès à l’information et le principe d’égalité devant le service public, interdire ou limiter l’accès de tiers à ses propres publications et leur possibilité de les commenter ou de les réutiliser que par l’adoption de mesures nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs de protection de l’ordre public ou de la réputation d’autrui, en ce compris la protection des agents publics contre les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages, ainsi qu’aux obligations découlant de sa qualité de responsable des contenus publiés telles qu’elles résultent notamment des règles de droit pénal en vigueur.

Blocage du compte Twitter d’un agent public

M. B A, coordinateur national sur les questions d’asile au sein de la Cimade depuis 2006, est par ailleurs présent, à titre personnel, sur le réseau social Twitter depuis juin 2018. Il a publié plusieurs commentaires en réponse à des publications faites par l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur son compte twitter, @OFII_France. Par une décision révélée le 20 janvier 2019, l’OFII a bloqué l’accès du compte twitter de M. A à son propre compte twitter. M. A a demandé l’annulation de cette décision au tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande par un jugement du 15 décembre 2020 dont l’intéressé relève appel devant la Cour.

 

Compétence du juge administratif 

 

L’Office français de l’immigration et de l’intégration constitue, en vertu de l’article L. 5223-2 du code du travail, alors en vigueur, dont les dispositions sont désormais reprises à l’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un établissement public administratif.

Sa politique de communication sur le réseau social Twitter, qui consiste notamment en la publication d’informations sur son activité et la réponse aux questions et commentaires des utilisateurs du réseau social, relève de ses missions de service public.

Par suite, les litiges nés des relations de l’office avec les personnes accédant à son compte twitter, tel que celui résultant de la décision de bloquer l’accès d’un tiers à ce compte, ressortissent à la compétence du juge administratif, alors même que les utilisateurs du réseau social sont liés à la société Twitter par des relations de droit privé.

 

Primauté de la liberté d’expression 

 

Aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : ” La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi “.

En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer.

La liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

En outre, aux termes de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à la liberté d’expression : ” 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. / 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire “.

Enfin, aux termes du IV de l’article 1er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : ” Ainsi qu’il est dit à l’article 1er de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la communication au public par voie électronique est libre. / L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle. / On entend par communication au public par voie électronique toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée. () “.

 

Nouvelles obligations des personnes morales de droit public

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions et stipulations combinées que, lorsqu’une personne morale de droit public agissant dans le cadre de sa mission de service public décide, sans y être tenue, de participer au débat public dans les conditions résultant du fonctionnement d’un réseau social, non seulement en y publiant des informations mais aussi en réagissant aux commentaires des autres utilisateurs, elle ne peut, sans méconnaître la liberté d’expression et d’accès à l’information et le principe d’égalité devant le service public, interdire ou limiter l’accès de tiers à ses propres publications et leur possibilité de les commenter ou de les réutiliser que par l’adoption de mesures nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs de protection de l’ordre public ou de la réputation d’autrui, en ce compris la protection des agents publics contre les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages, ainsi qu’aux obligations découlant de sa qualité de responsable des contenus publiés telles qu’elles résultent notamment des règles de droit pénal en vigueur.


Cour administrative d’appel de Paris, 1ère chambre, 27 mars 2023

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B A a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler la décision révélée le 20 janvier 2019 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a bloqué l’accès de son compte twitter personnel au compte twitter de l’office.

Par un jugement n° 1901520 du 15 décembre 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 16 février 2021 et un mémoire en réplique enregistré le 15 novembre 2021, M. A, représenté par Me Tercero, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1901520 du 15 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d’annuler la décision révélée le 20 janvier 2019 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a bloqué l’accès de son compte twitter personnel au compte twitter de l’office ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration le versement d’une somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– la juridiction administrative est compétente pour connaître du litige, dès lors que les publications de l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur son compte twitter constituent des publications au sens de l’article L. 321-1 du code des relations entre le public et l’administration ;

– il existe effectivement, en l’espèce, une décision administrative faisant grief ;

– sa requête, enregistrée dans le délai d’appel, est recevable ;

– le jugement attaqué est irrégulier, faute pour le tribunal administratif d’avoir répondu au moyen tiré du défaut de motivation de la décision contestée ;

– la décision litigieuse est dépourvue de motivation, en méconnaissance de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration ;

– elle méconnaît le droit d’accès aux documents administratifs garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et mis en œuvre par le titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration ;

– elle méconnaît l’article L. 112-8 du code des relations entre le public et l’administration relatif à la possibilité pour tout administré de présenter des demandes à l’administration par voie électronique ;

– elle porte atteinte à la liberté constitutionnelle d’expression et de communication, qui peut impliquer une liberté d’accès aux services de communication essentiels à la participation à la vie démocratique et à l’expression des idées et des opinions ;

– elle méconnaît également l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantit la liberté d’expression et d’information, notamment dans le débat politique, et peut s’accompagner d’une dose d’exagération ou de provocation.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 septembre 2021, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, représenté par la société civile professionnelle d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation Nervo et Poupet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge du requérant en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

– le litige est porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, le juge judiciaire étant seul compétent pour connaître d’un litige relatif aux conditions d’exécution d’un contrat de droit privé, qui ne comporte pas de clauses exorbitantes du droit commun ;

– le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’accès aux documents administratifs est inopérant ;

– les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 16 novembre 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 15 décembre 2021. Un second mémoire en défense, produit le 3 février 2022 par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, n’a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la Constitution, ensemble son préambule, et notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

– la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– le code du travail ;

– la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

– la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. C,

– les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

– les observations de Me Berdugo substituant Me Tercero, avocat de M. A, et de Me Poupet, avocat de l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Considérant ce qui suit

:

1. M. B A, coordinateur national sur les questions d’asile au sein de la Cimade depuis 2006, est par ailleurs présent, à titre personnel, sur le réseau social Twitter depuis juin 2018. Il a publié plusieurs commentaires en réponse à des publications faites par l’Office français de l’immigration et de l’intégration sur son compte twitter, @OFII_France. Par une décision révélée le 20 janvier 2019, l’OFII a bloqué l’accès du compte twitter de M. A à son propre compte twitter. M. A a demandé l’annulation de cette décision au tribunal administratif de Paris, qui a rejeté sa demande par un jugement du 15 décembre 2020 dont l’intéressé relève appel devant la Cour.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. L’Office français de l’immigration et de l’intégration fait valoir que le présent litige est porté devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, au motif que le litige porterait sur les conditions d’exécution d’un contrat de droit privé, en l’occurrence passé avec Twitter, qui ne comporte pas de clauses exorbitantes du droit commun et qu’ainsi le blocage d’un compte twitter ne résulte pas de la mise en œuvre d’une prérogative de puissance publique mais de l’application des stipulations d’un contrat de droit privé.

3. Toutefois, l’Office français de l’immigration et de l’intégration constitue, en vertu de l’article L. 5223-2 du code du travail, alors en vigueur, dont les dispositions sont désormais reprises à l’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un établissement public administratif. Sa politique de communication sur le réseau social Twitter, qui consiste notamment en la publication d’informations sur son activité et la réponse aux questions et commentaires des utilisateurs du réseau social, relève de ses missions de service public. Par suite, les litiges nés des relations de l’office avec les personnes accédant à son compte twitter, tel que celui résultant de la décision de bloquer l’accès d’un tiers à ce compte, ressortissent à la compétence du juge administratif, alors même que les utilisateurs du réseau social sont liés à la société Twitter par des relations de droit privé.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Le tribunal administratif de Paris a répondu aux points 5 et 6 de son jugement, de façon suffisamment motivée, au moyen tiré du défaut de motivation de la décision critiquée. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient insuffisamment motivé leur jugement faute d’avoir répondu à ce moyen doit être écarté comme manquant en fait.

Sur la légalité de la décision critiquée :

5. Tout d’abord, aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : ” La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi “. En l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services et de s’y exprimer. La liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s’ensuit que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

6. En outre, aux termes de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à la liberté d’expression : ” 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. / 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire “.

7. Enfin, aux termes du IV de l’article 1er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : ” Ainsi qu’il est dit à l’article 1er de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la communication au public par voie électronique est libre. / L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle. / On entend par communication au public par voie électronique toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée. () “.

8. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions et stipulations combinées que, lorsqu’une personne morale de droit public agissant dans le cadre de sa mission de service public décide, sans y être tenue, de participer au débat public dans les conditions résultant du fonctionnement d’un réseau social, non seulement en y publiant des informations mais aussi en réagissant aux commentaires des autres utilisateurs, elle ne peut, sans méconnaître la liberté d’expression et d’accès à l’information et le principe d’égalité devant le service public, interdire ou limiter l’accès de tiers à ses propres publications et leur possibilité de les commenter ou de les réutiliser que par l’adoption de mesures nécessaires, adaptées et proportionnées aux objectifs de protection de l’ordre public ou de la réputation d’autrui, en ce compris la protection des agents publics contre les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages, ainsi qu’aux obligations découlant de sa qualité de responsable des contenus publiés telles qu’elles résultent notamment des règles de droit pénal en vigueur.

9. En l’espèce, d’une part, il ressort des pièces du dossier que l’Office français de l’immigration et de l’intégration mène une active politique de communication sur le réseau social Twitter. A ce titre, il publie fréquemment sur son compte de nombreuses informations relatives à son activité, qui ne le sont pas avec la même régularité sur son site internet. Surtout, le compte twitter de l’établissement public révèle une volonté de participation au débat public qui excède la simple délivrance d’informations aux usagers du service public dans le cadre de la neutralité attendue d’un tel service, et qui peut prendre la forme de réponses ou d’interpellations de nature parfois polémique aux autres utilisateurs du réseau social, le directeur général de l’office revendiquant d’ailleurs dans les médias, au surplus, une pratique de ” blocage ” de l’accès à ce compte des utilisateurs qui le mettent en cause ou critiquent le fonctionnement et les actions de l’établissement public en des termes qu’il estime inappropriés. En choisissant, sans y être contraint, de mener une telle politique de communication sur les réseaux sociaux, l’établissement s’est mis dans l’obligation de respecter, dans la gestion de son compte twitter, les règles et principes rappelés aux points 5 à 8.

10. D’autre part, la décision litigieuse a notamment pour effets de placer le requérant dans l’impossibilité d’accéder depuis son compte twitter personnel à celui de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, de publier sur le compte de l’établissement ses propres commentaires des publications de l’établissement et des autres utilisateurs du réseau, de partager ces publications et commentaires et d’utiliser directement à cette fin l’application Twitter sur un téléphone portable. S’il lui est loisible d’utiliser un poste informatique doté d’un accès à internet, avec un moteur de recherche, pour accéder aux informations diffusées par l’office sur son compte twitter, ou encore de créer un nouveau compte, sous pseudonyme, pour accéder à celui de l’établissement, il ne peut y publier des commentaires à son nom et participer ainsi à la discussion publique sur ce compte. L’ensemble de ces contraintes sont de nature à entraver, en l’état de l’utilisation des réseaux sociaux, l’exercice du droit du requérant à la libre expression et à l’accès à l’information et au débat public.

11. Or le requérant s’est vu bloquer son accès au compte twitter de l’Office français de l’immigration et de l’intégration au motif de la protection des agents de l’établissement, en raison de la publication d’un commentaire ainsi rédigé : ” Dix personnes qui reçoivent les appels et distribuent 263 rendez-vous en 3 minutes en moyenne, cela fait une heure et demie de travail. Alors pourquoi des personnes doivent-elles attendre deux heures avant de joindre la plate-forme et ne pas toujours obtenir satisfaction ‘ “. Il ressort de cette publication qu’elle se borne à contester l’efficacité du service rendu eu égard aux moyens humains alloués, et qu’elle met ainsi en cause, en des termes certes polémiques mais dénués de caractère diffamatoire ou injurieux et sans excéder les limites du droit à la libre critique de l’action de la puissance publique dans une société démocratique, la revendication par la direction de l’établissement de la pertinence de ses choix quant à la mise en œuvre de sa mission de service public. Dans ces conditions, la décision de blocage de l’accès du requérant au compte twitter de l’établissement présente un caractère disproportionné et est donc entachée d’illégalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que M. B A est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision, révélée le 20 janvier 2019, par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a bloqué l’accès de son compte twitter personnel au compte twitter de cet établissement public.

Sur les frais du litige :

13. Aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : ” Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens “. Ces dispositions font obstacle à ce que l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui est la partie perdante dans la présente instance, puisse en invoquer le bénéfice. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à sa charge le versement d’une somme de 1 000 euros, sur le fondement des mêmes dispositions, au titre des frais exposés par M. A dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1901520 du 15 décembre 2020 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La décision révélée le 20 janvier 2019 par laquelle le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a bloqué l’accès du compte twitter personnel de M. A au compte twitter de cet établissement public est annulée.

Article 3 : L’Office français de l’immigration et de l’intégration versera une somme de mille euros à M. A en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l’Office français de l’immigration et de l’intégration fondées sur l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B A et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l’audience du 2 mars 2023, à laquelle siégeaient :

– Mme Fombeur, conseillère d’État, présidente de la Cour,

– M. D, premier vice-président,

– M. Diémert, président-assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 mars 2023.

Le rapporteur,

S. CLa présidente,

P. FOMBEUR

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


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