Action en revendication de meubles : les délais pour agir
Action en revendication de meubles : les délais pour agir

ARRET N°166

CL/KP

N° RG 22/00238 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GOWO

S.E.L.A.R.L. ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES

C/

S.A.S. LOCAM – LOCATION AUTOMOBILES MATERIELS

S.A.S. DOMAINE DU NORMANDOUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 25 AVRIL 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/00238 – N° Portalis DBV5-V-B7G-GOWO

Décision déférée à la Cour : jugement du 17 janvier 2022 rendu(e) par le Tribunal de Commerce de POITIERS.

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES prise en son établissement secondaire sis [Adresse 7], en la personne de son représentant légal Maître [D] [F] [W], domicilié ès qualités audit établissement secondaire.

Agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS DOMAINE DU NORMANDOUX, fonctions auxquelles elle a été nommée par jugement du Tribunal de commerce de POITIERS.

[Adresse 2]

[Localité 5]

Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas DUFLOS de la SCP DUFLOS-CAMBOURG, avocat au barreau de POITIERS.

INTIMEES :

S.A.S. LOCAM – LOCATION AUTOMOBILES MATERIELS prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Ayant pour avocat postulant Me Isabelle LOUBEYRE de la SCP EQUITALIA, avocat au barreau de POITIERS.

S.A.S. DOMAINE DU NORMANDOUX en liquidation judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Poitiers du 30 avril 2020, prise en la personne de son représentant légal Madame [P] [V], demeurant [Adresse 3]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Ayant pour avocat plaidant Me Stéphane PRIMATESTA de la SCP TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

******

La société par actions simplifiée Locam est spécialisée dans le secteur d’activité du crédit-bail, s’agissant de la location d’automobiles et de matériels.

La société par actions simplifiée Serfi International est spécialisée dans le secteur d’activité du commerce de gros, de fournitures et équipements divers pour le commerce et les services.

La société civile immobilière de l’Ermitage, situé au Domaine du Normandoux, a pour objet social la location de terrains et d’autres biens immobiliers.

La société par actions simplifiée Domaine du Normandoux est spécialisée dans le secteur d’activité des hôtels et hébergements similaires.

Par actes des 30 septembre 2016 et 23 juin 2017, la société Serfi, bailleresse, a loué des meubles et des équipements à la société l’Ermitage, preneuse.

Ces contrats ont été cédés par la société Serfi à la société Locam.

Par jugement du 30 avril 2020, le Tribunal de commerce de Poitiers a prononcé la liquidation judiciaire de la société Domaine du Normandoux, et a désigné la Selarl Actis, prise la personne de Monsieur [W], en qualité de liquidateur judiciaire (le mandataire judiciaire).

Le 17 mai 2020, ce jugement a été publié.

Selon une ordonnance du juge commissaire en date du 9 octobre 2020, le mandataire judiciaire a informé la société Locam le 9 décembre 2020 de la mise en ‘vente aux enchères publiques de l’ensemble des actifs mobiliers présents’ sur le site du Domaine.

Le 14 décembre 2020, la société Locam a adressé au mandataire judiciaire une demande de revendication et de restitution des meubles et des équipements de cuisine.

Le 15 décembre 2020, le mandataire judiciaire a rejeté cette demande.

Par acte du 18 janvier 2021, la société Locam a saisi le juge-commissaire du tribunal de commerce de Poitiers aux fins de voir admettre sa demande de revendication de matériel.

Par ordonnance du 15 juin 2021, le tribunal de commerce de Poitiers a rejeté la demande de revendications aux motifs que ‘la demande de revendication est irrecevable eu égard au non-respect des délais impartis aux créanciers par les articles L.624-9 et R.624-13 du code de commerce’.

Le 24 juin 2021, la société Locam a formé opposition à cette ordonnance devant le tribunal de commerce de Poitiers.

En dernier lieu, la société Locam a demandé de :

– dire et juger que le matériel visé aux contrats de location était la propriété de la société Locam ;

– dire et juger que le matériel visé aux contrats de location n’était pas un actif de la procédure collective qui concernait la société Domaine du Normandoux ;

– condamner le mandataire judiciaire à lui payer la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles.

En dernier lieu, la société Domaine du Normandoux et son mandataire judiciaire ont demandé de :

– juger la demande en revendication de la société Locam irrecevable;

– confirmer l’ordonnance du juge commissaire du 15 juin 2021 ayant statué en ce sens ;

– juger la demande en revendication de la société Locam mal fondée et l’en débouter ;

– débouter la société Locam de toutes ses demandes ;

– condamner le mandataire judiciaire à lui payer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.

Par jugement contradictoire en date du 17 janvier 2022, le tribunal de commerce de Poitiers a :

– reçu le recours de la société Locam en la forme et sur le fond ;

– dit que le cocontractant de la société Serfi était clairement désigné au contrat en la personne de la société l’Ermitage;

– dit que la mention ‘établissement Domaine de Normandoux’ faisait référence au lieu du siège social de la société l’Ermitage;

– déclaré que le matériel visé au contrat était la propriété de la société Locam;

– débouté le mandataire judiciaire de l’ensemble de ses demandes;

– condamné le mandataire judiciaire à payer à la société Locam la somme de 1 euro au titre des frais irrépétibles.

Le 26 janvier 2022, le mandataire judiciaire a relevé appel de ce jugement, en intimant la société Locam et la société Domaine du Normandoux.

Le 3 janvier 2023, le mandataire judiciaire a demandé d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

et statuant à nouveau,

– de déclarer que les demandes de la société Locam irrecevables pour cause de forclusion;

Subsidiairement,

– de déclarer que les revendications de la société Locam étaient tardives;

– de déclarer que la société Locam ne rapportait pas la preuve de sa propriété;

– de déclarer en conséquence la demande en revendication de la société Locam mal fondée;

– de débouter la société Locam de toutes ses demandes ;

En tout état de cause,

– de débouter la société Domaine du Normandoux de toutes ses demandes;

– de condamner la société Locam à lui verser 1a somme de 6000 euros au titre des frais irrépétibles.

Le 5 janvier 2023, la société Locam a demandé de débouter la société Domaine du Normandoux de toutes ses demandes, de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société Domaine du Normandoux à lui régler une nouvelle indemnité de 3 000 euros pour abus du droit d’agir et la même somme au titre des frais irrépétibles.

Le 5 juillet 2022, la société Domaine du Normandoux a demandé de confirmer le jugement entrepris et de condamner le mandataire judiciaire à lui régler une indemnité de 3000 euros au titre des frais irrépétibles.

Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures des parties déposées aux dates susdites.

Le 10 janvier 2023 a été ordonnée la clôture de l’instruction de l’affaire.

MOTIVATION :

Selon l’article l. 624-9 du code de commerce,

La revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure.

Le délai susdit est un délai de forclusion, préfix et insusceptible d’interruption ou de suspension, sauf dispositions légales.

Mais ce délai peut être écarté si l’action en revendication prévue par ce texte n’a pu être exercée dans le délai légal en raison d’une impossibilité absolue d’agir (Cass. com., 28 juin 1994, n°92-17.310, Bull. 1994 IV, n°246).

Selon l’article R. 624-13 du même code,

La demande en revendication d’un bien est adressée dans le délai prévu à l’article L. 624-9 par lettre recommandée avec accusé de réception à l’administrateur s’il en a été désigné un ou, à défaut, au débiteur. Le demandeur en adresse une copie au mandataire judiciaire.

A défaut d’acquiescement dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande, le demandeur doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire au plus tard dans un délai d’un mois à compter de l’expiration du délai de réponse.

Avant de statuer, le juge-commissaire recueille les observations des parties intéressées.

La demande en revendication emporte de plein droit demande en restitution.

Selon l’article 2220 du code civil,

Les délais de forclusions ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre.

Selon l’article 2234 du code civil,

La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention, ou de la force majeure.

* * * * *

De manière liminaire, en ce que le délai de l’action en revendication est un délai de forclusion et non pas un délai de prescription, l’article 2234 du code civil, ayant trait au seul délai de prescription, ne lui est pas applicable, en l’absence de disposition légale contraire.

* * * * *

Le 17 mai 2020, le jugement prononçant la liquidation judiciaire de la société Domaine du Normandoux a été publié.

Le 14 décembre 2020, la société Locam a adressé au mandataire judiciaire une demande de revendication et de restitution des meubles et des équipements de cuisine.

L’action en revendication a ainsi été exercée plus de 3 mois après la publication du jugement de liquidation judiciaire.

Il est constant entre parties que les biens matériels et équipements, objet des contrats dans lesquels la société Locam vient aux droits de la bailleresse initiale, ont été mis par la preneuse la société de l’Ermitage à la disposition de la société Domaine du Normandoux.

Ces contrats ne font pas apparaître comme preneuse la société Domaine du Normandoux.

La société Locam allègue qu’elle n’était pas informée que La société Domaine du Normandoux bénéficiait d’un prêt à usage sur les biens objet du contrat conclu par la bailleresse avec la société L’Ermitage, preneuse.

Et la société Domaine du Normandoux acquiesce quant à l’ignorance prétendue à ce titre de la part de la société Locam.

Sans contradiction adverse, les deux sociétés concluantes rappellent que les loyers y afférents ont toujours été réglés non pas par la société Domaine du Normandoux, mais par la société l’Ermitage, preneuse.

La société Locam ajoute qu’elle n’avait alors pas à être informée, ni à s’inquiéter de la procédure collective touchant une société tierce aux contrats de locations litigieux.

Elle entend en voir déduire qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité absolue d’agir en revendication, dans les 3 mois de la publication du jugement prononçant la liquidation judiciaire de la société Domaine du Normandoux, détentrice des biens données en location.

Les contrats litigieux des 30 septembre 2016 et 23 juin 2017 portent respectivement sur l’équipement de la literie et de l’ameublement de l’hôtel, d’une part, et sur l’équipement de l’extension de la cuisine, d’autre part.

Ils ont été passés entre la bailleresse initiale, aux droits de laquelle vient la société Locam, et la société de l’Ermitage.

Ce contrat ne fait pas apparaître comme preneuse la société Domaine du Normandoux.

Mais la lecture des contrats litigieux met en évidence que le locataire qui y est désigné est la société civile immobilière l’Ermitage, et que le nom de l’établissement auquel ils ont été livrés est le Domaine du Normandoux.

En outre, la société Locam a passé directement avec la société Domaine du Normandoux deux contrats de location n°1206731 et 1135481, afférents à du matériel audiovisuel, d’une part, et à de la literie fauteuil sommier canapé lit, d’autre part.

Et dès le 20 mai 2020, la société Locam a déclaré ses créances s’agissant de deux derniers contrats la liant à la société Domaine du Normandoux, et a alors présenté entre les mains du mandataire des demandes de revendication s’agissant des biens objet de ces contrats de location, auquel ce dernier a répondu par la négative, motif pris de l’absence de réalisation d’inventaire, en lui rappelant les délais et modalités de recours à l’encontre de sa décision de refus.

Il se déduira du tout que la société Locam n’ignorait pas que la société Domaine du Normandoux exploitait le complexe hôtelier et le restaurant sis à l’adresse à laquelle avaient été livrés les équipements objet des contrats litigieux.

Et il sera observé que tant les contrats litigieux, auxquels la société Domaine du Normandoux est tierce, que les contrats que la société Locam a passé directement avec cette dernière, avaient tous trait à la location d’équipements en rapport avec une activité d’hôtellerie restauration.

Il en sera conclu que la bailleresse, avisée de la procédure collective touchant la société Domaine du Normandoux, avait été auparavant déjà mise en mesure de s’interroger et d’interroger ses cocontractants respectifs sur le point de savoir si les biens et objet des contrats de location passés avec la société L’Ermitage n’auraient pas été mis, par cette dernière, à la disposition de la société Domaine du Normandoux.

Dans ces circonstances, la société Locam ne justifie pas s’être trouvée dans l’impossibilité absolue d’agir dans le délai requis.

Dès lors, les demandes de la société Locam se trouvent irrémédiablement touchées par la forclusion.

Il y aura donc lieu de déclarer irrecevable les demandes en revendication de la société Locam, et le jugement sera infirmé de ce chef, mais encore en toutes ses autres dispositions, sauf en ce qu’il a condamné la société Locam aux dépens de première instance, ce en quoi il sera confirmé.

* * * * *

Aucune considération d’équité ne conduira à allouer à quiconque une indemnité de procédure, et toutes les parties seront déboutées de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Succombante à hauteur de cour, la société Locam sera condamnée aux entiers dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a condamné la société par actions simplifiée Locam aux entiers dépens de première instance ;

Confirme le jugement de ce seul chef ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :

Déclare irrecevables les demandes en revendication de la société par actions simplifiée Locam ;

Déboute toutes les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

Condamne la société par actions simplifiée Locam aux dépens d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

 


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