Contrat de cession d’actions

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Contrat de cession d’actions
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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRET DU 02 FEVRIER 2023

(n° , 20 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00615 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC4W4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Septembre 2020 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 RG n° 2020022700

APPELANTS

Monsieur [N] [M]

[Adresse 3]

[Adresse 3])

Monsieur [O] [J]

[Adresse 4]

[Adresse 4] (BELGIQUE)

S.A. [C] FNV

[Adresse 2]

[Adresse 2] (BELGIQUE)

S.A. CIRCLES GROUP

[Adresse 5]

[Adresse 5] (LUXEMBOURG)

Représentés par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant

Représentés par Me Georges JOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : T06 et par Me Corinne VALLERY MASSON, avocat au barreau de PARIS, toque : B0460, avocats plaidants

INTIMEE

S.A.S. FINANCIERE DE L’ECLOSION

N° SIRET : 842 227 407

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03, avocat postulant

Représentée par Me Olivier DIAZ et par Me Gabriel HANNOTIN , avocats au barreau de PARIS, toque T.03, avocats plaidants

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 804 et suivants du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant :

Madame Sophie MOLLAT, Présidente

Madame Isabelle ROHART, Conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de: Madame Sophie MOLLAT, Présidente

Madame Isabelle ROHART, Conseillère

Madame Déborah CORICON, Conseillère

GREFFIERE : Madame FOULON, lors des débats

ARRET :

– contradictoire

– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame FOULON, Greffière.

************

Le groupe CIRCLES a été créé en 2001 par M. [O] [J] rejoint en 2006 par Monsieur [M], et exerce une activité de souscripteur d’assurance dans 34 pays, principalement dans le domaine du cinéma et de l’évènementiel.

Messieurs [J] et [M] détiennent 100% des parts de la société Maval.

La société Maval et la société [C] FNV, société de droit belge, détiennent la société CG Finance à hauteur de 75% pour Maval et de 25% pour [C].

La société CG Finance est la société holding du groupe Circles et détient 100% des parts de la SA Circles Group, société de droit luxembourgeois et 32,88% de la société MakOnline Sp société de droit polonais.

La société Circles Group détient 100% des parts de la société de droit hongkongais Circles Asia Ltd, 99,60% des parts de la société de droit brésilien Circles Brazil, 32% de la société Cinevent, société de droit espagnol et 32% de la société Makonline Ubezpieczenia, société de droit polonais.

Par ailleurs la société BCOH, spécialisée dans le secteur du courtage d’assurance et exerçant ses activités principalement en Belgique, est détenue par la société [C] à hauteur de 49,04% et par Monsieur [J] à hauteur de 50,96%.

Le 3 juillet 2019, un contrat de cession d’actions est conclu entre:

– d’une part M. [J], M. [M], et la société [C] F N.V.

– et d’autre la société Financière de l’Eclosion,

s’agissant de la cession par Messieurs [J] et [M] des titres Maval, de la cession par la société [C] des titres CG Finances, de la cession par [C] et Monsieur [J] des titres BCOH.

La société Financière de l’Eclosion est la structure de contrôle de la compagnie d’assurance Albingia: elle détient 100% des titres de la société Miro qui elle même détient 100% des actions de la société Albingia.

La société Financière de l’Eclosion est co-détenue par Eurazéo, via la société Legendre Holding 65, à hauteur de 70%, et par les équipes de managers et la société Financière de Blacailloux, (Fiblac) par l’intermédiaire des sociétés de managers Financière de Strasbourg 1 et Financière de Strasbourg 2, détentrices de 30%. L’entrée au capital d’Albingia d’Eurazeo a eu lieu en 2018.

La société Financière de Blacailloux est la présidente de la société Financière de l’Eclosion.

Le prix de cession était fixé à 34.850.000€, augmenté du montant de trésorerie nette de Maval Invest N.V. à la date de la réalisation.

Le contrat de cession a été agrémenté de trois conditions suspensives:

– la première prévoyait le réinvestissement partiel du prix de cession par MM. [M] et [J] dans les sociétés Financière de Strasbourg 1 et 2,

– la seconde était relative à l’obtention des Autorisations Réglementaires par les Administrations compétentes en matière d’intermédiaires d’assurance au Luxembourg et au Brésil (la condition relative au Brésil a par la suite été supprimée).

– Enfin, la validité du contrat était conditionnée à «l’absence de circonstances nouvelles», définie dans le contrat de cession comme « tout évènement ou fait significatif défavorable survenant ou étant révélé avant la date de réalisation de l’opération affectant de manière négative et significative la conduite des activités des Sociétés du Groupe prises dans leur ensemble ou la situation financière des Sociétés du Groupe prises dans leur ensemble ».

Une première date de réalisation était fixée au 30.09.2019 avec comme date butoir le 31 décembre 2019.

Faute d’avoir obtenu l’autorisation du Commissariat aux Assurances (CAA) Luxembourgeois dans le délai prévu pour passer l’acte, les parties s’accordaient, dès le 9 décembre 2019, pour repousser la date butoir au 31 mars 2020.

L’agrément du CAA était accordé le 20 mars 2020.

Par courrier en date du 24 mars 2020, la société Financière de l’Eclosion adressait aux cédants un courrier invoquant l’existence de circonstances nouvelles mettant fin au contrat de cession.

Suite à des échanges infructueux entre les parties, les cédants ont, par courrier en date du 21 avril 2020, mis la cessionnaire en demeure de procéder à l’acquisition des titres cédés, sans succès.

Par acte en date du 11 juin 2020, Messieurs [M] et [J], la SA [C] FNV et la SA Circles Group ont assigné la SAS Financière de l’Eclosion devant le Tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir à titre principal l’exécution forcée du contrat, à titre subsidiaire la nomination d’un expert, et à titre très subsidiaire le versement de 10 millions d’euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 18 septembre 2020, le Tribunal de commerce de Paris a débouté les demandeurs de toutes leurs demandes et les a condamnés au versement de 50.000€ à la SAS Financière de l’Eclosion sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Messieurs [M] et [J], la SA [C] FNV et la SA Circles Group ont interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel en date du 4 janvier 2021.

Aux termes de leurs conclusions signifiées par voie électronique le 19.10.2022, Monsieur [N] [M], Monsieur [O] [J], la société [C] F N V, et la société Circles Group SA demandent à la cour de:

– Recevoir les appelants en leurs écritures d’appel et les déclarés bien fondés

– Infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris en ce qu’il a :

Débouté M. [O] [J], M. [N] [M], la société [C] FNV et la SA CIRCLES GROUP de l’ensemble de leurs demandes ;

Et les a condamnés in solidum à payer à la société FINANCIERE DE L’ECLOSION la somme de 50.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.

Statuant à nouveau :

Vu les articles 1104, 1113, 1217, 1221, 1304-3, 1304-6 et 1583 du Code civil ;

Vu les pièces visées

– Dire et juger que la condition suspensive relative à l’obtention de l’autorisation du CAA est réputée accomplie au 31 décembre 2019, à défaut au 8 mars 2020 et que la Cession était parfaite;

– Dire et juger que la condition suspensive relative à l’absence de circonstances nouvelles doit être réputée non écrite et à tout le moins inopposable pour indétermination en l’absence de critères objectifs ;

– Dire et juger en tout état de cause que la condition suspensive relative à l’absence de circonstances nouvelles n’a pas défailli;

En conséquence :

– Dire et juger qu’il existe un accord ferme définitif et parfait des parties sur la chose et le prix concernant la cession et le réinvestissement convenus entre les parties aux termes de leur Contrat de cession du 3 juillet 2019

En conséquence :

– Sur la cession des titres :

o Juger que la cession par [O] [J] et [N] [M] des 100 actions de Maval à Financière de l’Eclosion est parfaite ;

o Juger que la cession par [C] des 25 actions de CG Finance à Financière de l’Eclosion est parfaite ;

o Juger que la cession par [C] et Monsieur [O] [J] des 1250 actions BCOH à Financière de l’Eclosion est parfaite ;

– Juger qu’à défaut de régularisation des actes dans les 15 jours de la décision à intervenir, l’arrêt vaudra vente dans les termes et conditions du Contrat de Cession du 3 juillet 2019;

– Condamner Financière de l’Eclosion au paiement du prix d’acquisition de 35.409.661,32 euros (soit la somme de 34.850.000 euros augmentée du montant de la Trésorerie Nette Maval au 10 janvier 2020 inchangée au 30 avril 2020 : 559.661,32 euros) soit :

o à [O] [J] : 21.262.941,06 euros ;

o à [N] [M] : 5.182.151,26 euros ;

o à [C] : 8.964.569,00 euros.

Soit un prix de cession total de 35.409.661,32 euros (soit la somme de 34.850.000 euros augmentée du montant de la Trésorerie Nette Maval au 10 janvier 2020 inchangée au 30 avril 2020 : 559.661,32 euros).

– Dire que Financière de l’Eclosion pourra se libérer :

o à hauteur de 10.455.000 euros pour [O] [J]

o à hauteur de 3.920.625 euros pour [N] [M]

par voie de délégation parfaite aux sociétés Financière de Strasbourg et Financière de Strasbourg 2 dès lors que ces dernières auront procédé à l’émission des actions comme il est dit à l’article 6.2.2 du Contrat de cession du 3 juillet 2019.

– Condamner Financière de l’Eclosion à payer à [O] [J] et à [N] [M] la somme de 200.000 euros à titre de dommages intérêts ;

SUBSIDIAIREMENT dans le cas où la Cour opterait pour une exécution par équivalent:

– Condamner Financière de l’Eclosion à payer à titre de dommages et intérêts:

o à [O] [J] et [N] [M], à charge pour eux de se la répartir, une somme de 2.000.000 euros ;

o à [O] [J] la somme de 177.831 euros ;

o à [N] [M] la somme de 44.458 euros ;

o à [C] : la somme de 74.097 euros ;

o à Circles Group : la somme de 1.215.833 euros.

TRES SUBSIDIAIREMENT : Vu les articles 1186, 1187, 1352-8 du code civil,

– Condamner la société Financière de l’Eclosion au paiement des sommes suivantes au titre des restitutions :

o à [O] [J] la somme de 177.831 euros ;

o à [N] [M] la somme de 44.458 euros ;

o à [C] : la somme de 74.097 euros ;

o à Circles Group : la somme de 1.215.833 euros.

ENCORE PLUS SUBSIDIAIREMENT :

Vu les articles 1303 et suivants du Code civil,

– Condamner la société Financière de l’Eclosion au paiement des mêmes sommes au titre de l’enrichissement injustifié ;

En tout état de cause

– Condamner la société Financière de l’Eclosion à payer à Monsieur [O] [J], [N] [M] et à la société [C] la somme de 100.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– La condamner en tous les dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 26.10.2022, la SAS Financière de l’Eclosion demande à la cour de:

1) Sur la demande principale tendant à la condamnation de Financière de l’Éclosion à exécuter le Contrat de Cession et à l’octroi de dommages-intérêts

JUGER que la prétention selon laquelle la condition suspensive tenant à l’obtention de l’autorisation du CAA devrait être réputée accomplie au 8 mars 2020 est nouvelle et irrecevable;

JUGER que la Condition Suspensive relative à l’obtention de l’autorisation du CAA ne saurait être réputée accomplie au 31 décembre 2019 ni au 8 mars 2020, la Date Butoir ayant été reportée au 31 mars 2020, outre le fait qu’il n’est pas démontré que Financière de l’Éclosion a empêché la réalisation de cette condition ;

JUGER que la survenance de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre elle constituent des Circonstances Nouvelles au sens du Contrat de Cession;

En conséquence, sur la demande d’exécution forcée,

JUGER que la Condition Suspensive tenant à l’absence de Circonstances Nouvelles a défailli, si bien que l’obligation pour Financière de l’Éclosion d’acquérir les Titres Cédés n’est jamais entrée en vigueur, et que le Contrat de Cession est devenu caduc ;

DEBOUTER les Appelants de leur demande d’exécution forcée du Contrat de Cession ;

CONFIRMER, en conséquence, le jugement entrepris sur ce point ;

Et sur la demande de dommages-intérêts,

JUGER que Financière de l’Éclosion, qui n’a commis aucun manquement contractuel, n’encourt aucune responsabilité au titre d’une prétendue inexécution du Contrat de Cession, outre le fait que le préjudice allégué par les Appelants n’est pas démontré ;

DEBOUTER les Appelants de leur demande de dommages-intérêts sur le fondement de l’inexécution du Contrat de Cession ;

CONFIRMER, en conséquence, le jugement entrepris sur ce point ;

2) Sur la demande formée à titre subsidiaire tendant à l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de l’exécution par équivalent

JUGER qu’en l’absence de manquement contractuel du Cessionnaire, celui-ci n’a pas engagé sa responsabilité à l’égard des Appelants ;

Subsidiairement, JUGER que les Appelants ne justifient ni de l’existence d’un lien de causalité entre la faute qu’ils imputent à l’Intimée et le préjudice qu’ils invoquent, ni de la réalité dudit préjudice ;

En conséquence,

DEBOUTER les Appelants de leur demande subsidiaire tendant à l’octroi de dommages-intérêts;

CONFIRMER, en conséquence, le jugement entrepris sur ce point.

3) Sur les demandes formées à titre très subsidiaire et encore plus subsidiaire tendant à l’octroi de dommages-intérêts au titre des restitutions et de l’enrichissement injustifié

JUGER que les demandes formées au titre des services prétendument rendus à Albingia sont irrecevables, faute pour celle-ci d’être partie à l’instance ;

Subsidiairement,

JUGER que les demandes subsidiaires de condamnation de Financière de l’Éclosion à verser des dommages-intérêts aux Appelants fondées tant sur les restitutions que sur l’enrichissement injustifié se heurtent aux stipulations du Contrat de Cession, lequel fait obstacle à l’allocation de dommages-intérêts ;

JUGER qu’au surplus, les Appelants ne démontrent ni l’existence d’un transfert de valeur, ni celle d’un enrichissement qui aurait bénéficié au Cessionnaire ;

En conséquence,

DEBOUTER les Appelants de leurs demandes tant au titre des restitutions que de l’enrichissement injustifié.

4) Et en tout état de cause

DEBOUTER les Appelants de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a condamné in solidum les Appelants à payer à Financière de l’Éclosion la somme de 50.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Y ajoutant,

CONDAMNER solidairement les Appelants à verser à Financière de l’Éclosion la somme de 100.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’exécution forcée du contrat

La cour constate que sur les trois conditions suspensives, la première condition s’agissant de la réalisation effective du réinvestissement de Messieurs [J] et [M] ne fait pas débat entre les parties.

Sur l’obtention des autorisations réglementaires du Commissariat aux Assurances Luxembourgeois (CAA) :

Les appelants reprochent au cessionnaire de ne pas avoir fait preuve de bonne foi en retardant au maximum l’obtention de l’accord du CAA afin de profiter le plus longtemps possible des ressources de la société Circles tout en n’ayant pas l’intention de réaliser le contrat. Ils demandent donc à la Cour de réputer cette condition accomplie à la date du 31 décembre 2019.

Ils soutiennent en effet que la cessionnaire à qui appartenait de réaliser les démarches nécessaires pour obtenir cette autorisation, a manqué à son obligation contractuelle en agissant délibérément de façon à retarder l’obtention de cette autorisation, en omettant volontairement des pièces de leur dossier, ou encore en répondant volontairement avec beaucoup de retard aux injonctions du CAA.

Ils concluent que sans cette mauvaise foi de la part de la cessionnaire, l’autorisation du CAA aurait pu être délivrée bien avant la date butoir originale, et que la condition suspensive aurait été remplie avant le 31 décembre 2019, de sorte que la cession aurait été parfaite à la date du 31 décembre 2019 et aurait ainsi pu être dûment réalisée.

La société Financière de l’Eclosion expose que cette demande s’agissant de voir dire que la condition d’autorisation du CAA a été accomplie au 31.12.2019 est une demande nouvelle qui est donc irrecevable.

Subsidiairement elle expose que les démarches en vue de l’obtention de l’autorisation du CAA, relevaient d’une obligation conjointe aux deux parties et conteste avoir manqué à son obligation, avoir usé de délais trop longs pour répondre au CAA, mettant plutôt en avant un manque de réactivité de la part du CAA lui-même.

Par ailleurs, elle rappelle que les parties avaient convenu de décaler la date butoir dès le 9 décembre 2019 et que c’est donc bien à la date du 31 mars 2020, et non à celle du 31 décembre 2019, qu’il convient d’apprécier la réalisation de la condition suspensive.

Sur ce

Sur la demande nouvelle

L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine d’irrecevabilité soulevée d’office les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

En l’espèce en première instance les demandes des demandeurs, devenus les appelants ont consisté à:

– dire parfaite les cessions d’actions

– condamner, en conséquence, la Financière de l’Eclosion à payer le prix d’acquisition et des dommages et intérêts,

– et si le tribunal jugeait impossible l’exécution forcée, condamner la Financière de l’Eclosion à payer des dommages et intérêts

– et enfin subsidiairement voir ordonner une expertise pour apprécier si l’activité ou la situation financière de Circles était affectée négativement et significativement par la crise née du Covid-19.

La discussion principale entre les parties s’est articulée autour de la notion et de la survenance de circonstances nouvelles et aucun moyen n’a été articulé en relation avec le processus d’agrément du commissariat aux assurances du Luxembourg.

Pour autant l’argument développé s’agissant de dire que la condition suspensive relative à l’obtention de l’autorisation du CAA est réputée accomplie au 31 décembre 2019, à défaut au 8 mars 2020 et que la Cession était parfaite à cette date, est un moyen articulé au soutien de la demande principale de voir dire parfaite la cession et non une prétention nouvelle.

En conséquence le moyen est déclaré recevable.

Sur la condition suspensive

Suite à la signature du contrat de cession le 3.07.2019 un courrier a été adressé, le 7.08.2019, au commissariat aux assurances du Luxembourg pour obtenir l’agrément du nouvel actionnaire de la société Circles Group.

Par courrier du 5.11.2019 le CAA a effectué de nombreuses demandes aux parties à la cession:

– concernant l’identification des associés personne physique ou personne morale de Circles (avant et après la cession)

– concernant les actionnaires de la société Financière de l’Eclosion

– concernant la nouvelle structuration de l’organigramme de la société et le nouvel administrateur dont la nomination était envisagée au Conseil d’Administration de Circles Group

– concernant la solidité financière de la Financière de l’Eclosion.

Il a été répondu par le cabinet d’avocats commis par les parties pour suivre la procédure d’agrément le 27.11.2019, sans que ce délai entre le courrier du CAA et la réponse ne puisse être qualifiés de dilatoires. En effet les demandes qui ont été faites par le CAA nécessitaient de produire des pièces dont le rassemblement ne pouvait pas être immédiat compte tenu de leur nombre et de leur nature (K Bis, pièces d’identité, déclarations sur l’honneur, extraits de casier judiciaire de tous les actionnaires personnes physique, et de tous les membres des conseils d’administration et dirigeants de toutes les sociétés détenant une participation qualifiée ou exerçant un lien de contrôle dans Circles, ainsi que de Monsieur [S] amené à devenir administrateur de la société).

Le 7.01.2020 le CAA demande de nouvelles précisions qui n’étaient pas incluses dans sa demande du 5.11.2019 sauf la demande d’extrait de registre du commerce et des sociétés de la SAS LH 65, s’agissant en particulier d’éléments sur la société Financière Miro, sur le financement de la transaction et en particulier le réinvestissement effectué par messieurs [M] et [J] et sur la souscription du prêt d’acquisition auprès de Natixis.

Il résulte de ce courrier qu’il ne peut être reproché à la cessionnaire aucune attitude dilatoire dans l’obtention de l’agrément puisque le CAA a demandé à celle ci des éléments complémentaires qui n’avaient jamais été demandés.

Il a été répondu au CAA par courrier du 10.01.2020, ce qui démontre la célérité des avocats mandatés pour suivre le processus d’agrément.

Par courrier du 5.02.2020 le CAA indique ne pas comprendre, malgré le courrier en réponse, que les comptes consolidés de la SAS Financière Miro présentent des fonds propres d’un niveau inférieur aux comptes simples de sa filiale la société Albingia et demande des explications supplémentaires.

Un courrier en réponse est adressé le 20.02.2020.

Une nouvelle demande est effectuée par le CAA le 27.02.2020 concernant là encore la SAS Financière Miro pour demander la transmission des derniers comptes simples audités de celle ci mais également la transmission des comptes simples audités de la Financière de l’Eclosion en faisant valoir qu’au vu du temps écoulé desdits comptes ont été établis.

Dans ce courrier du 27.02.2020 le CAA fait état d’ explications apportées qui ont malheureusement souvent porté à confusion et indique que la lettre du 20 février 2020 apporte finalement des explications plus concrètes sur la différence entre les comptes consolidés de Miro et ceux d’Albingia mais que celles ci restent dans une large mesure théorique.

Une réponse est adressée le 28.02.2020.

L’agrément sera accordée finalement le 20.03.2020.

La cour constate que la longueur du processus d’agrément est principalement en relation avec la complexité de l’actionnariat de la Financière de l’Eclosion et la complexité de l’actionnariat d’Albingia, qui ont été à l’origine des demandes de précision de la part du CAA soucieux d’analyser la solidité financière de l’acquéreur. Cependant cette complexité ne caractérise pas une faute de la part du cessionnaire dans le déroulement du processus.

Par ailleurs aucun élément ne rapporte la preuve que le cessionnaire a ralenti volontairement le processus d’agrément. Au contraire les pièces versées aux débats démontrent une célérité de la part du cabinet d’avocats mandaté pour répondre aux demandes du CAA.

Il en résulte que le moyen avancé par les cédants s’agissant de retenir qu’au 31.12.2019 la clause d’agrément était remplie et que l’ensemble des conditions suspensives ayant été levées la vente doit être déclarée parfaite, doit être rejeté.

Sur les circonstances nouvelles :

Les appelants estiment que la survenance de l’épidémie de COVID-19 ainsi que toutes les conséquences que celle-ci a entrainées ne constituent en rien des circonstances nouvelles, de sorte qu’à la date du 31 mars 2020, la cession était parfaite et aurait dû être réalisée.

Ils soutiennent que la clause du contrat relative à l’absence de circonstances nouvelles impose au cédant de révéler au cessionnaire un élément endogène dont celui ci ne pourrait avoir connaissance et font valoir:

– d’une part que la pandémie ne constitue pas une clause endogène

– d’autre part qu’un certificat a été émis par le cédant attestant l’absence d’élément endogène, que ce certificat a force probante et levait la condition suspensive.

Ils exposent par ailleurs le caractère non opposable de la clause car cette clause qui s’apparente aux clauses MAC (Material Adverse change) ou MAE (Material Adverse effect) issues du droit anglo-saxon, ne peut être valablement mise en ‘uvre que si l’effet déclencheur est substantiel et durable et qu’en l’espèce la clause est trop floue puisque ne faisant aucune référence à des seuils ou à des durées minimales.

Ils estiment que le cessionnaire ne pouvait valablement remettre en cause l’absence de circonstance nouvelles qu’en démontrant, à la date du 24 mars 2020, que la situation financière ou l’activité de la société cible était compromise à long ou moyen terme, ce qui était impossible à cette date vu l’incertitude.

Ils exposent ainsi que si le groupe a dû faire face à une baisse du niveau des souscriptions du fait de l’arrêt quasi-total de l’activité du secteur du cinéma pendant quelques mois, les souscriptions sont reparties à la hausse très rapidement, et ce avec une rentabilité accrue puisque grâce au respect de mesures sanitaires strictes, la sinistralité a baissé et les primes de risque ont augmenté, à garanties égales, que concernant la société BCOH, celle ci n’a été aucunement impactée par la pandémie et que ses résultats ont connu une amélioration constante depuis 2018, l’année 2020 n’y faisant pas exception.

Ils soulignent par ailleurs que la crise sanitaire a fait disparaître de nombreux concurrents du groupe CIRCLES et a provoqué des hausses tarifaires substantielles, facteurs de nature à assurer une pérennité croissante du groupe à court comme à long terme.

Ils contestent le risque de hausse des sinistres faisant valoir que seuls 3 contentieux ont été initiés contre CIRCLES GROUP sur des sinistres liés au COVID-19, et que les trois ont fait l’objet d’un débouté (dont deux à titre définitif),

La société Financière de l’Eclosion réplique:

-que l’interprétation des cédants s’agissant du caractère endogène des circonstances nouvelles est infondée et ne peut se déduire du mécanisme de locked box prévu par le contrat de cession

– que la production d’un certificat établi par les cédants n’a aucune valeur probante rappelant en outre qu’il a été remis le 30 avril 2020, alors que l’article 5.5 du Contrat de Cession exigeait qu’il soit remis avant la date butoir, soit le 31 mars 2020, faute de quoi le contrat serait caduc

– qu’elle est bien fondée à se prévaloir de cette clause qui est formulée dans son intérêt

– que la clause est suffisamment claire et déterminée en ce qu’elle est assortie de critères à la fois temporels (survenance entre la signature de la cession et sa réalisation effective), qualitatifs (pris en la notion d’évènement « défavorable ») et matériels (l’affectation financière et/ou économique).

Elle affirme que la prétendue inopposabilité de la clause mise en avant par les appelants ne trouve aucun fondement doctrinal ou jurisprudentiel et qu’au contraire, le législateur laisse volontairement aux cocontractants une grande liberté dans la rédaction de ces clauses.

Elle soutient l’impossibilité de déduire l’exigence d’un effet durable des termes clairs et précis du contrat de cession exposant que la définition de ‘significatif’ ne renvoie pas à la notion de durée mais à la notion d’absence d’ambiguité de l’effet et que l’ajout de la notion de durée entraine de l’ambiguité s’agissant en particulier de la fixer en l’absence de tout élément

La société Financière de l’Eclosion sur le fond expose que l’activité de la société Circles qui travaille essentiellement dans le cinéma et l’évenementiel fait partie indubitablement de celles ayant été gravement affectées par la crise sanitaire, qu’en effet l’absence d’activité pour une période prévisible, avec une sinistralité importante correspondant aux tournages interrompues et aux manifestations annulées laissait raisonnablement augurer pour un avenir à l’horizon imprévisible, d’un effet négatif sur la situation financière des sociétés du groupe, qu’un acheteur n’aurait pas conclu le contrat signé si à la date de signature avait prévalu une crise sanitaire ayant abouti à la suspension des tournages et à l’annulation des manifestations assurées.

Elle produit aux débats un rapport d’expertise en date du 30 juillet 2020 qui conclut que l’effet cumulatif des bouleversements résultant de l’épidémie de la covid-19 conduirait dans le meilleur des cas à une perte de valeur de moitié de la société cédée.

Elle fait ainsi valoir que les mesures prises pour lutter contre l’épidémie ont abouti à la disparition totale des risques assurables pendant plusieurs mois sur les deux principaux marchés sur lesquels Circles concentre 81% de son activité et donc à une perte considérable de revenus pour la société qui s’est retrouvée privée de commissions, et que les éléments financiers versés aux débats démontrent la réalité de cet effondrement.

Elle soutient par ailleurs que l’épidémie a généré une sinistralité exceptionnelle ayant durement impacté assureurs et courtiers, que sur le marché du cinéma la sinistralité a été colossale compte tenu de l’annulation de la quasi-totalité des tournages en cours en raison des mesures prises pour lutter contre le covid 19, ainsi que sur les manifestations sportives ou culturelles, que le principal porteur de risques de Circles AXA, a confirmé avoir subi plusieurs centaines de millions d’euros de pertes sur le marché de l’assurance-évenementiel, que Circles a été impactée par la sinistralité colossale liée au covid-19 du fait d’une diminution de sa rémunération assise sur la participation aux bénéfices réalisées sur les contrats qu’elle leur commercialise, que Circles prétend qu’elle ne serait pas touchée par la sinistralité mais n’en rapporte pas la preuve.

Sur ce

Le contrat signé prévoit trois conditions suspensives dont celles de l’absence de circonstances nouvelles, définie comme « tout évènement ou fait significatif défavorable survenant ou étant révélé avant la date de réalisation de l’opération affectant de manière négative et significative la conduite des activités des Sociétés du Groupe prises dans leur ensemble ou la situation financière des Sociétés du Groupe prises dans leur ensemble ».

S’agissant d’une condition suspensives seul le cessionnaire est en mesure de s’en prévaloir, tout en assumant la charge de rapporter la preuve de la réalisation de la condition suspensive.

Les cédants soutiennent que la clause relative à l’absence de circonstances nouvelles doit être réputée non écrite et à tout le moins inopposable pour indétermination.

Cependant d’une part aucun fondement juridique n’est avancée au soutien de cette position qui en outre se heurte aux dispositions du code civil qui régissent, sous les articles 1188 et suivants, l’interprétation des contrats et prévoient donc les cas où les clauses du contrat ne sont pas assez précises ou sont contradictoires, ou sont ambigus.

D’autre part si la clause litigieuse ne fait pas état de critères objectifs il n’en demeure pas moins qu’elle vise un critère temporel s’agissant de la période visée, un critère qualitatif s’agissant de la définition de l’évenement permettant sa mise en oeuvre et un critère quantitatif s’agissant des conséquences dudit évenement.

Certes il n’est pas fait état de critères objectifs chiffrés relatifs aux conséquences de l’événement mais il est uniquement fait usage du terme significatif, mais cette absence de renvoi à des critères chiffrés (s’agissant par exemple de la baisse du chiffre d’affaire) amène à faire application des dispositions concernant l’interprétation des contrats, pour apprécier la portée des termes utilisés dans le contrat.

Il appartient donc à la cour d’analyser les termes de la clause, en fonction de l’économie générale du contrat, de l’activité de la société cédée et des parties à la cession en plus d’une analyse sémantique et en application des dispositions de l’article 1188 du code civil aux termes desquelles le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens litéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

En premier lieu la définition de ‘significatif’ sur laquelle s’opposent les parties doit être retenue dans son sens d’ ‘important’ et non dans son sens d’ ‘absence d’ambiguité’ comme le soutient l’intimée.

En effet s’agissant de la rupture d’un contrat de cession de parts sociales, entre la signature du contrat et la réalisation de celui ci, dont le prix a été fixé sans possibilité de révision, seul un évenement important et affectant de façon importante la société cédée est de nature à remettre en cause l’accord des parties sur la cession.

En second lieu la rédaction de la clause ne réduit nullement l’évenement ou le fait significatif défavorable à un évenement interne à la société. En effet aucun terme de la clause ne stipule que le fait défavorable doit avoir un caractère endogène et la rédaction générale de la clause discutée ne permet pas de conclure en ce sens.

L’application d’un prix fixe pour la cession, sans révision de celui ci au moment de la levée des conditions suspensives prévues, ou sans systéme de complément de prix en fonction des résultats de la société, ne permet pas, à lui seul, de conclure que l’évenement significatif défavorable doit être interne à la société.

C’est donc à tort que les concluants font valoir que la remise d’un certificat attestant de l’absence d’événement interne à la société cédée, par la cédante à la cessionnaire, serait de nature à remplir la condition prévue au contrat de l’absence de circonstances nouvelles.

Il convient donc de retenir que le fait significatif défavorable peut donc consister en un fait interne à la société ou un fait externe à la société.

En troisième lieu, dès lors que la nécessité d’un caractère endogène de l’évenement est écarté, il n’est pas discuté par les parties le fait que la pandémie de la covid-19 puisse être qualifiée d’évenement ou de fait significatif défavorable.

Il y a donc lieu d’analyser si la pandémie de la covid-19 a affecté de manière négative et significative les activités de la société ou sa situation financière, c’est à dire, comme rappelée ci dessus, de manière importante.

En quatrième lieu la cour rappelle qu’en application du contrat signé la charge de la preuve de ce que l’évenement défavorable significatif affecte de manière négative et significative la société, dans son activité ou sa situation financière, pèse sur le cessionnaire qui entend se délier des engagements contractuels pris et celui ci ne peut donc exiger du cédant qu’il rapporte la preuve de ce que l’évenement défavorable significatif n’a pas affecté la société.

La preuve qui doit être rapportée ne peut consister dans des considérations générales sur les conséquences de la pandémie de la covid-19 sur l’économie mais doit être caractérisée par des éléments en relation avec la société même.

Et enfin la réflexion qui doit être menée n’est pas de déterminer si un acheteur n’aurait pas conclu le Contrat signé si à la date de la signature avait prévalu une crise sanitaire ayant abouti à la suspension des tournages et à l’annulation des manifestations assurées (page 44 des conclusions de l’intimée), dans la mesure où il ne s’agit pas de statuer sur la rupture de pourparlers, mais de déterminer si, engagée dans les termes d’un contrat dont le prix a été fixé sans modalité de variation et dont les risques survenant entre la date de signature et la date de réalisation ont été mis à la charge de l’acquéreur, celui ci est fondé à ne pas l’exécuter au regard des circonstances nouvelles intervenues.

En cinquième lieu la cour rappelle que l’évaluation du bien fondé de la mise en oeuvre de la condition d’absence de circonstances nouvelles défavorables doit s’effectuer au 24.03.2020.

Ainsi la question posée à la cour est de déterminer si au 24.03.2020 au regard de la situation sanitaire, sociale et économique provoquée par la propagation du virus de la covid-19 la société Financière de l’Eclosion rapporte la preuve que la pandémie affecte de manière négative et importante l’activité de la société ou sa situation financière.

S’agissant du contrat signé le 3.07.2019 les parties ont fixé un prix forfaitaire et définitif de 34.850.000 euros augmenté de la trésorerie nette de la société Maval à la date de cession. La fixation d’un prix définitif fait ainsi supporter à l’acquéreur le risque relatif à l’évolution de la société entre la date de signature de la cession et la réalisation de celle ci puisqu’aucun mécanisme d’ajustement du prix n’est prévu au contrat en relation avec l’évolution de l’activité entre la signature et la réalisation de la cession.

Le principe est donc, ainsi qu’il a été déjà rappelé ci dessus, que l’acquéreur supporte le risque d’une évolution négative de l’activité sauf pour lui à rapporter la preuve de circonstances nouvelles modifiant de façon importante l’économie du contrat.

L’opération de cession envisagée s’inscrivait dans une perspective à long terme de développement de l’activité exercée par la société Albingia par le biais du rachat par sa société holding d’une société exerçant la même activité (l’assurance) dans un domaine différent de ceux de la société Albingia, présentant des potentialités de croissance importantes et disposant d’un savoir faire technique développé en interne: la digitalisation de la souscription des contrats.

Il ressort ainsi des éléments versés aux débats que c’est non seulement le domaine d’activité qui a intéressée la cessionnaire, mais également le développement de ce modèle technique aux différents secteurs dans lequel Albigia intervient en tant qu’assureur: dès septembre 2019 un chantier de digitalisation d’un produit Albingia était ainsi ouvert (pièce 17 des appelants: mails de [O] [J] à [K] [I]).

Ainsi l’opération d’aquisition doit s’analyser à l’aune de la nature de cet investissement décrit dans l’offre confirmatoire du 1er mai 2019 comme un investissement à long terme par un acteur du secteur ayant pour ambition de développer en Europe le premier groupe d’assurance indépendant porté par un co-actionnariat familial et d’investiseurs professionnels (page 2 de l’offre), l’offre rappelant également au paragraphe 8 intitulé ‘liquidité’ que les associés de Financière de Blacailloux ont l’engagement d’un lock up capitalistique de 4 ans, que l’objectif des associés est en tout état de cause de prendre le temps nécessaire à la transformation qu’ils souhaitent mener, que la Financière de Blacailloux s’inscrit dans le long terme.

Ainsi au regard du caractère à long terme de l’investissement projeté l’interprétation du terme significatif inclut une question de durée des effets de l’évenement défavorable sur l’activité de la société ou sa situation financière.

S’agissant du chiffre d’affaire des sociétés cédées:

La société CG Finance qui est la société cédée par le biais de la cession de l’intégralité des parts de Maval actionnaire à 75% de CG Finance et de la cession des parts détenues à hauteur de 25% par [C], détient directement ou indirectement la société Circles Group, la société Circles Asia et la société Circles Brazil. Ces trois sociétés participent donc aux résultats financiers de CG Finance .

Par ailleurs le groupe Circles intègre également la société BCOH.

En 2017 le chiffre d’affaire du groupe était réalisé à hauteur de 63% pour la SAS Circles Group, de 13% par la société Circles Asia , 11% par Circles Brésil et 9% par BCOH .

Circles Group représentait 98% de l’Ebitda (rapport Grant Thorton) dans la mesure où les sociétés Circles Asia et Circles Brésil étaient en cours de développement et n’avaient pas atteint encore la taille critique permettant de générer des résultats bénéficiaires.

Il résulte ainsi des éléments versés aux débats et des conclusions des parties:

– que le chiffre d’affaire est majoritairement réalisé par la SA Circles Group

– que le résultat est quasi intégralement réalisé par la SA Circles Group

de telle sorte que les parties ont principalement discuté des effets de la pandémie sur l’activité de la SA Circles Group et que la Cour examinera donc le caractère significatif de l’évenement qu’est la pandémie de la covid 19 principalement sur l’activité de la société Circles Group.

S’agissant du chiffre d’affaire de la société Circles Group il est constitué par une commission sur le chiffre d’affaire généré par les polices qu’elle contracte, par une participation au bénéfice des porteurs de risque en fonction de la performance des contrats et par un honoraire fixe sur la gestion des sinistres.

La commission sur les polices représente la majorité du chiffre d’affaire: environ 80% en 2018 (rapport Grand Thorton page 24) et est perçue dès la souscription du contrat d’assurance.

La participation aux bénéfices est pour sa part très fluctuante et est calculée, et donc versée, l’année suivant la souscription du contrat, voire dans les deux à trois années après et est donc en décalage par rapport à l’activité de souscription de la société.

L’honoraire fixe sur la gestion des sinistres est résiduel et non significatif.

Les commissions sur les polices découlent principalement d’une part du domaine Cinéma et d’autre part du domaine Evénementiel: en 2018 à hauteur de 45% et de 40%. (rapport Grand Thorton page 25). Les contrats conclus le sont pour des durées déterminées car relatifs à des tournages ou des événements se déroulant sur des périodes précises et relèvent peu de contrats annuels reconduits.

Environ 15% de l’activité de la SA Circles Group relève d’autres risques assurés avec des contrats ponctuels ou annuels (équidés, objets d’art, bijoux…)

Enfin la plus grande partie de l’activité du groupe est réalisée en Europe: en Belgique (34%) et en France (33%) et pour une moindre part en Espagne (15%) selon la présentation de son activité faite par le groupe Circles en mars 2019 lorsqu’il a été en recherche d’un acquéreur (pièce 1, page 10, de l’intimée) .

Comme il a été rappelé ci dessus, compte tenu du renversement de la charge du risque qu’amène la mise en oeuvre de la clause de circonstances nouvelles défavorables il appartient au cessionnaire qui s’en prévaut de rapporter la preuve des effets négatifs significatifs affectant la société dans son activité ou sa situation financière.

A ce titre il ne saurait être retenu des considérations générales concernant les acteurs du marché de l’assurance comme mode de preuve des effets spécifiques sur la société cible.

Mais surtout la rédaction de la clause impose de caractériser les effets au moment où la clause en mise en oeuvre ou à tout le moins si les effets ne se sont pas encore fait ressentir et qu’il est fait état d’hypothèses de fonder les prévisions concernant l’activité ou la situation financière de la société sur des éléments factuels issus de l’activité de la société.

En premier lieu, la société Financière de l’Eclosion soutient que le risque était accru du fait de la pandémie et que Circles a été impactée à plusieurs titres par la sinistralité colossale liée au Covid 19 (page 51 des conclusions).

Or aucun élément n’est versé aux débats concernant la sinistralité de Circles Group par la Financière de l’Eclosion au 24.03.2020.

Aucun élément n’est versé aux débats concernant le risque de sinistralité de Circles Group.

En particulier il n’est pas établi que Circles Group assurait le risque de pandémie.

Les contrats type de Circles Group, tel qu’ils figurent en pièces 86 et 87 du dossier des appelants, rapportent, au contraire, la preuve que le risque de pandémie faisait partie des causes d’exclusion.

L’intimée produit aux débats une décision rendue le 29.07.2022 par le tribunal d’Anvers. La lecture de la décision rendue le 29.07.2022 par le tribunal d’Anvers rapporte la preuve que le risque de pandémie et d’épidémie non saisonnière était exclu.

La société Financière de l’Eclosion ne rapporte pas la preuve qu’une couverture différente intégrant le risque de pandémie a été proposée de façon importante par la société Circles Group de telle sorte que le chiffre d’affaire était amené à être affecté de façon importante et durablement par une sinistralité en hausse.

Elle ne verse aux débats aucun contrat conclu en 2019 et début 2020 par Circles Group couvrant la pandémie permettant d’établir qu’une sinistralité importante s’annonçait.

Elle fait valoir le courrier de Monsieur [M] pour soutenir que celui ci reconnait que Circles assure les risques liés à l’épidement. Or contrairement à ce que soutient l’intimée Monsieur [M] dans son courrier du 23.03.2020 ne dit pas que Circles Group assure les risques liés à l’épidémie mais écrit: vous n’êtes pas sans savoir que sur le marché français aujourd’hui la majorité des assureurs si pas la totalité n’acceptent plus de nouveaux risques et de nouvelles souscriptions en assurance audiovisuel et en évènements alors que Circles Group est toujours là et continue. Ce courrier signifie que Circles continue à assurer mais ne signifie pas qu’elle assure la pandémie.

Les cédants versent pour leur part un document établi par Monsieur [D] responsable du département sinistre de la société Circles Group indiquant que sur les 3504 contrats souscrits entre novembre 2019 et mars 2020 seuls 8 assuraient explicitement par dérogation aux conditions générales contre la pandémie.

Le fait que certains acteurs de l’assurance tel AXA aient fait valoir une hausse de sinistralité ne rapporte pas la preuve que concernant le secteur particulier dans lequel opérait Circles Group la même hausse de sinistralité existait, tout dépendant des contrats souscrits et de la couverture proposée dont il est rappelé que pour les contrats conclus par Circles Group ils excluaient la pandémie et les épidémies non saisonnières.

Le fait que de nombreux événements aient été annulés, des rencontres sportives jusqu’aux JO 2020 et des festivals et salons ne rapporte pas non plus la preuve que la sinistralité pour Circles Group avait ou allait augmenter en l’absence de preuve que Circles Group assurait les événements annulés pour un risque de pandémie. Par contre il ressort des éléments versés aux débats que des remboursements de prime ont eu lieu pour les événements annulés dès mars 2020 (rapport [P] page 5, pièce 85 des appelants).

Les hypothèses concernant l’absence de participation bénéficiaire effectués par Grand Thorton dans son rapport établi en juillet 2020 ne reposent donc sur aucun élément factuel spécifique à la société Circles Group et ne sont établies que sur la base de déclarations effectuées par des compagnies d’assurance concernant l’ensemble de leurs activités sans distinction entre leurs domaines d’activité.

Il en résulte que s’agissant de la participation bénéficiaire reversée par les compagnies en fonction de la performance des contrats, la cessionnaire ne rapporte pas la preuve que le fait significatif défavorable était de nature à affecter la situation financière de la société Circles Group.

Il convient cependant de rappeler que la participation aux bénéfices des porteurs de risque est d’une part très fluctuante, d’autre part versée en décalage (les sinistres déclarés en 2020 affectant les versements attendus pour 2021 voire 2022) et enfin ne représentent tout au plus que 20% du chiffre d’affaire de la SA Circles Group.

En second lieu, s’agissant des commissions sur les contrats conclus qui constituent l’essentiel du chiffre d’affaire de la société Circles Group l’intimée fait valoir un arrêt des activités assurées par la SA Circles Group au 24.03.2020 au soutien de la mise en oeuvre de la clause de circonstances nouvelles défavorables.

A cette date les mesures prises par les gouvernements des 3 principaux pays dans lesquels la société exerce son activité, pour enrayer le développement de la pandémie, étaient les suivantes:

– en France les rassemblements de plus de 1000 personnes ont été interdits à compter du 8.03.2020, puis les rassemblements de plus de 100 personnes par arrêté du 13 mars, le confinement a débuté le 16.03 initialement pour une période de 15 jours au moins, le renouvelement de la mesure étant alors, d’ores et déjà, envisagé,

– en Belgique des mesures de confinement se sont appliqués à compter du 17.03 jusqu’au 5 avril

– en Espagne le confinement a débuté le 15.03 pour une durée initiale de 15 jours avec interdiction de pratiquer certaines activités professionnelles et d’effectuer tous déplacements non essentiels, le 22 mars l’état d’alerte était prolongé de 15 jours supplémentaires.

Au 24.03.2020, date de mise en oeuvre de la clause litigieuse, après deux mois d’activité en janvier et février 2020 marqués par une activité plus importante qu’à la même époque l’année précédente, l’activité de la société Circles Group a donc connu un ralentissement très important en relation avec l’arrêt des activités non essentielles qu’elle assurait, induites par les confinements dans les différents pays, et par l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes qui ont amené l’annulation de tous les événements (salons, foires, expositions, festivals, concerts) qu’elle assurait.

Les éléments chiffrés produits démontrent une baisse importante du chiffre d’affaire en mars 2020: par rapport à février 2020 et par rapport à mars 2019 (rapport [P] page 4, pièce 85 des appelants) même si le détail jour par jour n’est pas produit aux débats

Dans le secteur de l’assurance de la production audiovisuelle les primes encaissées sont ainsi inférieures de 50% en mars 2020 par rapport à mars 2019 avec un taux de commission équivalent et les contrats conclus sont inférieurs de 40%.

Dans le secteur de l’assurance évenementielle les primes encaissées sont inférieures de 25% en mars 2020 par rapport à mars 2019, mais inférieures de plus 30% par rapport à février 2020et les nombre de contrats conclus en mars 2020 diminuent de plus de la moitié par rapport au mois précédent.

En outre des remboursements de prime d’assurance sont effectués pour les événements annulés, ce qui dégrade d’autant plus le chiffre d’affaire de la société.

Il résulte du rapport [P] en page 3 et 4 que les contrats assurant les autres activités (équins, oeuvres d’art, diamant etc…) ont augmenté sur la même période, mais ces activités ne représentant que 20 % de l’activité de Circles Group l’augmentation des contrats et donc des primes n’a pas compensée la diminution des contrats concernant les productions audiovisuelles et les événements.

Au 24.03.2020 on assiste donc à une diminution très importante de la souscription des contrats d’assurance, par rapport à mars 2019 et par rapport à février 2020, diminution qui par son importance affecte l’activité de la société la plus importante du groupe qui assure l’essentiel du chiffre d’affaire et l’essentiel des résultats.

Cependant, comme il a été rappelé supra, l’interprétation du terme significatif impose de caractériser une affectation de l’activité s’inscrivant dans une certaine durée compte tenu du caractère à long terme de l’investissement réalisé par la cessionnaire.

A la date du 24.03.2020 la durée des mesures de lutte contre la pandémie est marquée par l’incertitude:

– la durée des confinements n’est pas connue: ils ont été dans les trois principaux pays indiqués pour une durée initiale d’au moins 15 jours mais d’ores et déjà l’Espagne avait renouvelé la période de confinement. Il n’est donc pas possible de déterminer la date d’une reprise des activités courantes ou non essentielles comme les tournages de production audiovisuelle,

– En France l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes est toujours en vigueur sans qu’aucune date ne soit avancée s’agissant de la levée de cette interdiction qui affecte particulièrement la tenue des évenements assurés par la société Circles Group.

S’agissant de l’activité de production audiovisuelle la bonne tenue de l’activité de BCOH, qui est courtier uniquement dans ce domaine, ne permet pas à elle seule de lever l’incertitude existant sur l’activité de la SA Circles Group. ,

Cette incertitude s’inscrivait en effet dans le cadre d’un environnement sanitaire marquée par la léthalité du virus, par l’absence de traitement médical pour prévenir, atténuer ou soigner le virus, par l’absence de vaccins pour s’en protéger mais également par l’indisponibilité des dispositifs de protection par rapport à la propagation du virus du fait du manque de masque et de gel hydro-alcoolique, seuls dispositifs qui permettaient d’envisager une reprise des activités économiques en l’absence de traitement médical et de vaccin.

Cette situation sanitaire, sociale et économique établie dans sa gravité et incertaine dans sa durée, a profondément destabilisé l’activité de la société Circles Group, en affectant son chiffre d’affaire de façon importante et immédiate, sans qu’au 24.03.2020 aucun élément ne permette d’effectuer des prévisions fiables de reprise d’activité, ce qui amène à caractériser de significatives les conséquences de la pandémie sur l’activité de la société au 24.03.2020.

C’est donc à juste titre que la société Financière de l’Eclosion a mis en oeuvre la clause critiquée.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris et de rejeter l’ensemble des demandes principale d’exécution forcée du contrat et subsidiaire d’indemnisation, présentées par les cédants.

Sur la demande de restitution

Les cédants demandent la restitution des prestations réalisées et du savoir-faire transmis dans le cadre de la préparation du rapprochement entre CIRCLES GROUP et ALBINGIA, sur le fondement des articles 1186, 1187, 1352-5,

Les cessionnaires estiment cette demande irrecevable puisque ce n’est selon eux pas la société Financière de l’Eclosion mais bien le groupe ALBINGIA qui a profité des supposés avantages fournis par CIRCLES GROUP.

Ils ajoutent que même si la Cour jugeait cette demande recevable, elle n’en resterait pas moins infondée. Ils rappellent en effet que conformément à une jurisprudence abondante, dans le cadre de la caducité d’un contrat, des dommages et intérêts ne peuvent être alloués à titre de restitution lorsque cette caducité n’est pas imputable à la faute de l’une des parties.

En l’espèce, ils considèrent donc qu’aucune faute d’une partie n’ayant été constatée, toute demande d’indemnisation au titre de la restitution est infondée.

Sur ce

L’article 1187 du code civil dispose que la caducité met fin au contrat, elle peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.

L’article 1352 dispose que la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent a lieu en nature ou lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution.

La demande de restitution n’est pas fondée sur la faute mais sur la remise des parties dans l’état dans lesquels elles se trouvaient avant la conclusion du contrat dont la caducité a été constatée ou prononcée.

Il ne s’agit donc pas de dommages et intérêts et la demande n’est pas faite en application du contrat devenu caduc mais du fait de la caducité de celui ci. Il est donc tout à fait inopérant que le contrat ait pu prévoir comme le soutient l’intimée l’absence de dommages et intérêts.

Le contrat signé entre les parties, devenu caduc suite à la réalisation d’une des conditions suspensives prévues, est un contrat de cession de titres et en conséquence la caducité du contrat amène à annuler la cession des titres.

Or il n’est pas contesté que la transmission des titres n’a pas eu lieu, préalablement à la caducité. Il n’y a donc pas lieu à restitution.

Les prestations réalisées par les cédants en ce qu’ils ont d’une part participé à la gouvernance de la société Albingia, d’autre part ont communiqué les résultats mensuels des sociétés du groupe Circle et enfin participé à l’élaboration d’un outil numérique de souscription de contrat ne constituent pas l’objet du contrat caduc mais un commencement d’exécution de celui ci de telle sorte que l’indemnisation réclamée ne relève pas du domaine de la restitution prévue par les articles 1352 et suivants du code civil.

Il convient donc de débouter les cédants de leurs demandes à ce titre.

Sur l’enrichissement abusif

Les appelants demandent à être indemnisés au titre de l’enrichissement abusif tel que défini par les articles 1303 et suivants du Code Civil. Ils font en effet valoir que le travail non rémunéré fourni par Circles Group au bénéfice d’Albingia a entrainé un appauvrissement de Circles Group et a généré la perte d’un avantage concurrentiel puisque des informations confidentielles ont été mises à la disposition d’un concurrent. Ils précisent que Circles Group n’aurait jamais consenti à de telles cessions d’informations dans un cadre autre que celui de la cession totale du groupe Circles au profit du groupe Albingia, et que dans ce contexte, ces concessions ne relevaient pas de leur intention libérale. Par ailleurs, les cédants demandent à la Cour de prendre en compte non seulement le coût de réalisation des prestations apportées parCircles Group à Albingia, mais également les plus-values générées a posteriori pour le groupe Albingia

Le cessionnaire demande à la Cour de rejeter la demande des cédants au titre de l’enrichissement abusif. Il indique en premier lieu que les prestations dont il est demandé paiement ont profité selon les cédants à la société Albingia qui n’est pas dans la cause en concluant que cette demande est donc irrecevable. Il rappelle ensuite que si celui qui s’est appauvri a agi de sa propre initiative et à ses risques et périls dans son intérêt personnel, alors il n’y a pas lieu de demander une indemnisation. Or il estime justement que c’est ce qui s’est produit en l’espèce puisque les cédants ont agi de leur plein gré en considérant la cession comme acquise à l’avance et en mettant certaines ressources du groupe Circles à la disposition du groupe Albingia alors même que les conditions suspensives de la vente n’étaient pas encore levées.

Sur ce

L’article 1303 du code civil dispose qu’en dehors des cas de gestion d’affaires, et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement.

L’article 1303-2 du code civil dispose dans son premier alinéa qu’il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel.

Les appelants font valoir trois types d’appauvrissement: le temps passé à participer à la gestion d’Albingia par la participation au comité de direction et les frais de déplacement et de logement induits par cette participation, la communication d’informations confidentielles sur l’activité de Circles, la transmissiond du savoir faire de Circles s’agissant de la construction d’un outil de souscription en ligne de contrats d’assurance au bénéfice d’Albingia.

Le fait que l’appauvrissement ait servi à enrichir la société Albingia alors que celle ci n’est pas dans la cause ne justifie pas de dire la demande articulée sur le fondement de l’article 1303 à l’encontre de la Financière de l’Eclosion irrecevable dans la mesure où cette dernière étant la société holding de la société Albingia bénéficie directement de l’enrichissement de cette dernière. C’est donc à juste titre que les cédants articulent une demande d’indemnisation à son encontre.

Contrairement à ce que soutient, de très mauvaise foi, l’intimée, il n’y a pas lieu de faire application de l’alinéa 1 de l’article 1303-2 du code civil dans la mesure où les trois préjudices subis par Circles relèvent non pas de décisions de sa part dans son intérêt propre mais de décision de la Financière de l’Eclosion au profit d’Albingia dans le cadre du rapprochement opéré entre les deux sociétés par le biais de l’acquisition par la holdinf d’Albingia du groupe Circles. Il résulte en effet des éléments versés aux débats que c’est en réalité la Financière de l’Eclosion qui a imposé à Messieurs [J] et [M], de participer aux comités de direction d’Albingia en leur confiant des responsabilités, avant même la réalisation de la cession (pièce 80 des appelants), leur a demandé de communiquer les chiffres de leur activité (pièce 73 des appelants) et leur a demandé d’élaborer un outil numérique au profit d’Albingia.

S’agissant de la communication des indicateurs de l’activité de la SA Circles Group, ses dirigeants ont d’ailleurs indiqué qu’il leur apparaissait plus adapté d’analyser et de discuter les résultats de Circles Group et des sociétés affiliées lors de réunions séparées, plutôt que dans les comités de direction d’Albingia, avant de s’incliner.

L’application de l’article 1303 du code civil impose de caractériser l’appauvrissement du demandeur, ce qui en l’espèce résulte principalement du temps consacré par Messieurs [J] et [M] mais également par Monsieur [U], IT Manager à la société Albingia, filiale de la Financière de l’Eclosion, mais également l’enrichissement de celui à qui est demandé l’indemnité.

Or en l’espèce les cédants ne caractérisent pas l’enrichissement qui a résulté pour la Financière de l’Eclosion, via Albingia, de leur implication et de celle des salariés de Circles Group dans la société Albingia.

En effet il n’est pas établi que la participation de Messieurs [J] et [M] au comité de direction d’Albingia et leur investissement dans leurs fonctions respectives de responsable des produits d’Albingia à l’international pour Monsieur [M] et de directeur de la transformation d’Albingia pour Monsieur [J] aient eu des conséquences en terme de développement pour Albingia qui ont eu un impact sur le chiffre d’affaire et le résultat de celle ci au profit de son actionnaire, la Financière de l’Eclosion. Aucun élément n’est en effet produit à ce titre.

Il n’est pas plus établi que la communication d’informations sur l’activité du groupe Circles ait été utilisée par Albingia pour développer, après la caducité du contrat, une activité sur le même secteur professionnel que celui du groupe Circles, en s’appropriant les éléments dont elle avait eu connaissance, en particulier concernant les clients et les courtiers.

Les différents logos et supports de communication élaborés dans le cadre de la cession pour présenter le rapprochement des sociétés ont été abandonnés du fait de la caducité du contrat et ne constituent donc pas des éléments d’enrichissement pour l’intimée.

Enfin aucun élément ne rapporte la preuve que l’outil digital que la SA Circles Group avait commencé à élaborer pour Albingia (en particulier pièce 78 des appelants) a continué à être développé par celle ci et est opérationnelle de telle sorte qu’un transfert de technologie a eu lieu entre les cédants et le cessionnaire dans le cadre d’une exécution anticipée du contrat de cession finalement caduc caractérisant un enrichissement d’Albingia et donc de la Financière de l’Eclosion et un appauvrissement correlatif de la société cédée au regard du temps consacré à ce developpement.

En conséquence il convient de rejeter les demandes des appelants fondées sur l’article 1303 du code civil.

Sur les demandes au titre de l’article 700 du Code de Procédure civile

Les appelants demandent à la Cour l’indemnisation de leurs frais irrépétibles dans le cadre de la présente instance, et demandent donc à la Cour de condamner la société Financière de l’Eclosion de leur verser la somme de 100.000€, à charge pour eux de se la répartir.

Les intimés demandent à la Cour de confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a condamné les cédants à verser à la société Financière de l’Eclosion la somme de 50.000€ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Ils demandent également de condamner les appelants à verser solidairement à la société Financière de l’Eclosion la somme de 100.000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et au titre des frais irrépétibles de l’instance d’appel. Ils demandent enfin que soient mis les entiers dépens de première instance et d’appel à la charge des appelants.

Sur ce

La présente instance ne s’est imposée qu’au regard du fait que l’agrément du commissariat aux assurances du Luxembourg a été très long à obtenir et n’a été obtenu que le 20.03.2020 alors que le contrat de cession a été signé le 3.07.2019.

Cette difficulté d’obtention de l’agrément n’est due qu’à la complexité de l’actionnariat de la Financière de l’Eclosion s’agissant d’une part de la création d’une société intermédiaire entre Eurazéo et la Financière de l’Eclosion la société LH 65 qui n’ayant pas d’existence avant l’entrée au capital d’Eurazeo a suscité des interrogations du CAA et d’autre d’une société intermédiaire entre La Financière de l’Eclosion et Albingia: la société Miro dont les fonds propres sont inférieurs à ceux de sa filiale Albingia et dont on peine à comprendre l’existence.

La multiplication des sociétés intermédiaires entre les personnes physiques ou morales porteuses de parts et la cessionnaire a rendu difficile le contrôle par le CAA sur la solidité financière de la cessionnaire.

Si la structure de l’actionnariat avait été plus transparent et compréhensible l’agrément serait à l’évidence intervenu dans le courant du mois de janvier 2020, ou au plus tard en février 2020, soit avant la diffusion de la pandémie et le contrat aurait été parfait à cette date sans qu’il puisse être fait état par la cessionnaire de la condition suspensive de circonstances nouvelles défavorables.

Par ailleurs les relations entre les parties sont marquées par une volonté de la cessionnaire d’exécution du contrat avant même la réalisation de la cession puisque c’est de la seule volonté de la Financière de l’Eclosion que les cédants se sont trouvés à participer à la gérance de la société Albingia, à communiquer des informations confidentielles sur l’activité du groupe Circles et à partager leur outil digital, sans pouvoir réellement s’opposer à cette volonté de la cessionnaire sauf à risquer de porter atteinte à la confiance qui devait présider aux relations qui devaient perdurer après la cession. Cette volonté d’exécution du contrat s’est appliquée jusqu’à la dernière minute y compris de façon ubuesque lorsqu’il a été demandé par mail du 12.03.2020 par [K] [I] à [N] [M] des prévisionnels d’activité de 2019 à 2023 alors que la situation économique rendait obsolète tous les prévisionnels élaborés, rendait impossible l’établissement de nouveaux prévisionnels et imposait une gestion au jour le jour.

Il s’ensuit qu’au regard des ces deux éléments et faisant application de son pouvoir souverain dans l’appréciation du principe d’équité visé à l’article 700 du code de procédure civile la cour décide d’infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné les cédants à payer une indemnité de 50.000 euros au cessionnaire sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la Financière de l’Eclosion à payer en retour une indemnité du même montant aux cédants.

Enfin chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés, en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu le 18.209.2020 sauf en ce qu’il a condamné Messieurs [M] et [J], la SA [C] FNV et la SA Circles Group à payer à la société Financière de l’Eclosion la somme de 50.000 euros et à supporter les dépens de première instance,

Et y ajoutant

Déboute Messieurs [M] et [J], la SA [C] FNV et la SA Circles Group de leurs demandes de restitution fondées sur les articles 1187 et 1352 du code civil

Déboute Messieurs [M] et [J], la SA [C] FNV et la SA Circles Group de leurs demandes d’indemnisation fondée sur les articles 1303 et suivants du code civil

Condamne la société Financière de l’Eclosion à payer à Messieurs [M] et [J], la SA [C] FNV et la SA Circles Group la somme de 50.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

Dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens par elle exposés en première instance et en cause d’appel.

La greffière La présidente

 


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