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SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 septembre 2022
Rejet
M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 920 F-D
Pourvoi n° J 19-22.923
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
La société France télévisions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3], a formé le pourvoi n° J 19-22.923 contre l’arrêt rendu le 11 juin 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l’opposant à M. [L] [E], domicilié [Adresse 1], [Localité 5] [Localité 5], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor et Périer, avocat de la société France télévisions, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [E], après débats en l’audience publique du 9 juin 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 juin 2019), M. [E] a été engagé par la société France 2, aux droits de laquelle se trouve la société France télévisions, à compter du 12 septembre 1994, en qualité de constructeur en décors-menuisier, suivant quatre cent-seize contrats à durée déterminée d’usage et contrats de remplacement de salariés permanents absents. La relation de travail a pris fin le 14 octobre 2012.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud’homale le 7 juin 2013.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L’employeur fait grief à l’arrêt de renvoyer les parties à faire leurs comptes de rappel de salaire et prime d’ancienneté pour la période du 7 juin 2008 au mois d’octobre 2012 inclus sur la base du salaire minimum conventionnel du groupe de qualification B 9-0 en prenant en considération l’avancement que le salarié aurait dû avoir compte tenu de son ancienneté et déduction faite des salaires perçus au titre de chacune des années, à faire leur calcul du montant de la prime de fin d’année due au salarié sur la même période que ci-dessus et en considération du salaire au 30 juin de l’année au titre de laquelle elle est due, à faire leurs comptes concernant la prime de décors en tenant compte de la requalification du contrat à temps plein et du montant des sommes déjà perçues à ce titre, de le condamner à payer au salarié une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois du dernier salaire qu’il aurait dû percevoir au mois d’octobre 2012 sur la base du salaire minimum conventionnel du groupe de qualification B 9-0 en prenant en considération l’avancement que le salarié aurait dû avoir compte tenu de son ancienneté, outre congés payés afférents, une indemnité conventionnelle de licenciement correspondant à un mois de salaire entre un et douze ans d’ancienneté et trois quarts de mois de rémunération entre douze ans et vingt ans d’ancienneté (l’ancienneté étant de dix-huit ans) sur la base du salaire minimum conventionnel du groupe de qualification B 9-0 en prenant en considération l’avancement que le salarié aurait dû avoir compte tenu de son ancienneté au mois d’octobre 2012, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de vingt-deux mois de salaire sur la base du salaire minimum conventionnel du groupe de qualification B 9-0 en prenant en considération l’avancement que le salarié aurait dû avoir compte tenu de son ancienneté au mois d’octobre 2012 et diverses sommes à valoir sur les sommes dues au titre des condamnations prononcées pour indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, indemnité de licenciement et indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ; que le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée requalifiés en un contrat à durée indéterminée ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles séparant chaque contrat que lorsqu’il a été contraint de se tenir à la disposition constante de l’employeur, en vue d’effectuer un travail, au cours de celles-ci ; que cette mise à disposition contrainte, qui doit se distinguer d’une simple disponibilité, résulte de la brièveté des périodes interstitielles, de l’impossibilité de prévoir les périodes de travail à venir, et de l’obligation, sous peine de ne plus être recruté, d’accepter la conclusion de contrats très peu de temps avant leur commencement d’exécution ; que pour condamner la société France télévisions à verser à M. [E] des rappels de salaire pour des périodes interstitielles, la cour d’appel s’est bornée à constater que M. [L] [E] devait être disponible pour répondre à toute demande de l’employeur, au risque potentiel de ne plus se voir proposer de contrat s’il répondait souvent ne pas être disponible pour assurer le renfort qui lui était demandé, que cette situation le maintenait dans une dépendance et une nécessité de disponibilité permanente à l’égard de la société France télévisions et qu’il n’était pas dans la possibilité de connaître à l’avance les périodes où il serait fait appel à lui ; qu’en se prononçant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que M. [E] était contraint de rester à la disposition de la société France télévisions, dès lors qu’il en résultait qu’il aurait pu refuser quelques contrats sans mettre en cause la relation contractuelle, et sans se prononcer sur la durée des périodes interstitielles, ainsi que sur les conditions dans lesquelles M. [E] acceptait les contrats compte tenu de la date de commencement de leur exécution, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles des articles L. 1221-1, L. 1245-1 et L. 3123-14 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1315 du code civil dans leur rédaction applicable en la cause ;
2°/ que la société France télévisions faisait valoir que M. [E] ne pouvait pas être considéré comme étant resté à sa disposition permanente durant les périodes interstitielles séparant ses contrats à durée déterminée puisqu’il exerçait, durant celles-ci, les fonctions de gérant de la société SCI Cadrixel, au titre d’une entraide familiale ; que pour retenir que M. [E] établissait être à la disposition permanente de la société France télévisions malgré l’exercice de ces fonctions, la cour d’appel s’est bornée à relever que l’expert-comptable assurait qu’en tant qu’associé de la SCI Cadrixel, M. [E] n’avait pas perçu de revenus fonciers, la société devant rembourser l’emprunt souscrit pour l’acquisition de l’immeuble et que M. [E] ne percevait aucun revenu à quelque titre que ce soit dans cette société ; qu’en se déterminant ainsi, cependant qu’il était indifférent, quant au fait de savoir si M. [E] était contraint de rester à la disposition de la société France télévisions durant les périodes interstitielles, que l’activité qu’il avait pu exercer durant lesdites périodes fût rémunérée ou non, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1221-1, L. 1245-1 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1315 du code civil dans leur rédaction applicable en la cause ;
3°/ que la requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail pendant les périodes effectivement travaillées ; qu’en cas de requalification de contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée à temps complet, le salarié ne peut obtenir de rappel de salaires pour les périodes interstitielles qu’à la condition de prouver qu’il a été contraint de rester, durant ces périodes, à la disposition de l’employeur ; qu’au cas présent, après avoir affirmé que la société France télévisions ne parvenait pas à rapporter différents éléments de preuve, la cour d’appel a simplement retenu que M. [E] établissait, d’une part, que la société France télévisions faisait appel à lui chaque mois pour une durée inconnue à l’avance, ce dont il résultait que M. [E] se trouvait dans l’impossibilité de connaître à l’avance le rythme de ses jours de travail dans le mois et, d’autre part, qu’il n’avait pas d’autre employeur et ne percevait pas de rémunération pour son activité d’entraide familiale auprès de la SCI Cadrixel ; qu’en statuant de la sorte, cependant que ces deux dernières constatations ne suffisaient pas à démontrer que M. [E] était contraint de se tenir à la disposition de la société France télévisions durant les périodes interstitielles, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles L. 1221-1, L. 1245-1, ensemble l’article 1315 du code civil dans leur rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
4. Appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d’appel a constaté, d’une part, que le salarié devait être disponible pour répondre à toute demande de l’employeur, au risque potentiel de ne plus se voir proposer de contrat, et, d’autre part, que cette situation maintenait le salarié dans une dépendance et une nécessité de disponibilité permanente à l’égard de la société France télévisions, dont il est établi qu’elle faisait appel à lui chaque mois pour une durée inconnue à l’avance, de sorte qu’il s’était tenu à la disposition permanente de l’employeur.
5. La cour d’appel, qui en a exactement déduit que le salarié pouvait prétendre à un rappel de salaire pour les périodes interstitielles, a par ces seuls motifs, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants, critiqués par la troisième branche, légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à verser au salarié une certaine somme au titre de l’indemnité de requalification, alors « que par application des dispositions de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation de l’arrêt en ce qu’il a jugé que M. [E] était contraint de se tenir à la disposition de la société France télévisions durant les périodes interstitielles entraînera par voie de conséquence la cassation de ce même arrêt en ce qu’il a condamné la société France télévisions à verser la somme de 5 000 euros, supérieure au minimum fixé par la loi, au titre de l’indemnité de requalification, dès lors que le montant de cette somme a été calculé en considération de la durée de la relation pendant laquelle le salarié a été privé des avantages liés au statut d’un salarié permanent. »