M. [V] [E], né en 1979, a été mis en examen en janvier 2017 pour viols et agressions sexuelles sur mineur de 15 ans, puis placé en détention provisoire. En mars 2020, il a été mis en accusation devant la cour d’assises, qui l’a condamné en février 2021 à 10 ans de réclusion. Cependant, il a été acquitté en mai 2022 par la cour d’assises d’appel, décision devenue définitive. En novembre 2022, M. [E] a déposé une requête pour obtenir une indemnisation de sa détention provisoire, sollicitant des sommes pour préjudice moral, perte de revenus, et autres frais. L’Agent Judiciaire de l’État a reconnu la recevabilité de la requête tout en proposant des montants inférieurs à ceux demandés. Le procureur général a également conclu à la recevabilité de la requête et à une réparation du préjudice. Par ordonnance rendue le 16 septembre 2024, la requête a été déclarée recevable, et M. [E] a obtenu des indemnités pour préjudice moral, perte de revenus, frais de défense, et une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, tandis que le surplus de ses demandes a été rejeté. Les dépens ont été laissés à la charge de l’État.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 16 Septembre 2024
(n° , 8 pages)
N°de répertoire général : N° RG 23/01353 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CG66F
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 5], demeurant Domicilé au cabinet de Me SCIARAFFA Albane – [Adresse 3] ;
non comparant
Représenté par Me Talïa COQUIS, avocat au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 03 Juin 2024 ;
Entendu Me Talïa COQUIS représentant M. [V] [E],
Entendu Me Célia DUGUES, avocat au barreau de PARIS substituant Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,
Entendue Madame Brigitte AUGIER DE MOUSSAC, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [V] [E], né le [Date naissance 2] 1979, de nationalité française, a été mis en examen par un juge d’instruction du tribunal judiciaire de Créteil des chefs de viols sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité et d’agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité le 17 janvier 2017, puis placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de [Localité 7] par le juge des libertés et de la détention de cette même juridiction.
Le 06 mars 2020, le magistrat instructeur a rendu une décision de mise en accusation du requérant devant la cour d’assises des chefs précités qui a été maintenu en détention provisoire.
Par arrêt du 26 février 2021, la cour d’assises de Créteil a condamné M. [E] à la peine de 10 ans de réclusion criminelle des chefs précités.
Sur appel de l’accusé, par arrêt du 31 mai 2022, la cour d’assises d’appel de Seine-et-Marne a acquitté M. [E] des faits dont il était poursuivi et cette décision est devenue définitive à l’égard du requérant, comme en atteste le certificat de non-pourvoi du 10 juin 2022.
Le 25 novembre 2022, M. [E] a adressé une requête au premier président de la cour d’appel de Paris en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci :
– Dire qu’il est recevable et bien fondé en sa demande ;
– Lui allouer une somme de 1 116 840 euros en réparation de son préjudice moral
– Lui allouer la somme de 50 186,07 euros au titre de la perte de revenus durant l’incarcération
– Lui allouer la somme de 65 796 euros au titre de la perte de chance de percevoir les revenus de son entreprise durant la période d’incarcération
– Lui allouer la somme de 30 000 euros au titre de la perte de chance de poursuivre le projet [8] après la période étudiée, correspondant à la sortie de la détention et à la période de recherche d’emploi
– Lui allouer la somme de 1 350 euros au titre de l’indemnisation des frais engagés en vue de la création de son entreprise
– Lui allouer la somme de 7 974,36 euros au titre de la perte de revenus durant la période de recherche d’emploi
– Lui allouer la somme de 1 800 euros au titre des frais de défense en matière de libertés
– Condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner l’Etat aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions en réponse déposées le 29 décembre 2023 et soutenues oralement, M. [E] a maintenu ses demandes indemnitaires.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 11 avril 2024, développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de :
– Juger recevable la requête de M. [E],
– Allouer à M. [E] la somme de 66 000 euros en réparation du préjudice moral subi par la détention du 17 janvier 2019 au 31 mai 2022,
– Allouer à M. [E] la somme de 38 003,83 euros au titre de la perte de revenus pendant son incarcération,
– Allouer à M. [E] la somme de 1 800 euros au titre des honoraires d’avocat,
– Débouter M. [E] du surplus de ses demandes au titre du préjudice matériel,
– Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général a, dans ses dernières conclusions notifiées le 10 avril 2024 et soutenues oralement à l’audience de plaidoiries du 06 mai 2024, conclu :
– A la recevabilité de la requête pour une détention de 943 jours ;
– A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;
– A la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées ;
Le requérant a eu la parole en dernier.
Sur la recevabilité de la demande
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.
En l’espèce, M. [E] a présenté sa requête aux fins d’indemnisation le 25 novembre 2022. La décision d’acquittement a été rendue le 31 mai 2022 par la cour d’assises d’appel de Seine-et-Marne e cette décision est devenue définitive comme en atteste le certificat de non pourvoi du 10 juin 2022. M. [E] a ainsi présenté sa requête dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive. Cette requête contenant l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision d’acquittement n’est pas fondée sur un des cas d’exclusions visé à l’article 149 du code de procédure civile.
La demande de M. [E] est donc recevable.
Il convient toutefois de noter que M. [E] a été détenu pour autre cause du 17 janvier 2019 au 27 mars 2019 en exécution du jugement du 25 février 2015 du tribunal correctionnel de Créteil. Il a ensuite été détenu pour autre cause du 27 mars 2019 au 09 mai 2019 en exécution du jugement du 21 juillet 2015 du tribunal correctionnel de Paris. Il a enfin été détenu pour autre cause du 3 juillet 2020 au 22 décembre 2020 en exécution d’un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 12 novembre 2019.
C’est ainsi que la requête de M. [E] est recevable au titre d’une détention provisoire indemnisable du 943jours.
Sur l’indemnisation
– Sur l’indemnisation du préjudice moral
M. [E] soutient qu’il a subi un choc carcéral particulièrement conséquent. En effet, les conditions de détention à la maison d’arrêt de [Localité 7] sont déplorables en raison de la surpopulation carcérale, de son insalubrité et ses mauvaises conditions d’hygiène et de confort qui sont attestées par un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et plusieurs condamnations de l’Etat français par le Conseil d’Etat, à des dates contemporaines au séjour du requérant dans ce lieu de détention, notamment en décembre 2021à une injonction de mettre l’établissement pénitentiaire en conformité, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.. Par courrier du 05 novembre 2021, le Contrôleur général confirmait les dysfonctionnements relevés par M. [E]. Il convient de relever également que le requérant a perdu au cours de la période de détention provisoire son fils de 9 ans qui était atteint d’une maladie dégénérative et il n’a pas pu être à ses côtés lors de ses derniers moments et lors de son enterrement. Il souffre donc d’un sentiment de culpabilité massif. Il expose avoir été victime à plusieurs reprises de menaces et de violence en détention de la part de ses codétenus qui avaient eu connaissance des faits pour lesquels il était mis en examen. M. [E] précise également qu’il a souffert de lourds problèmes de santé qui ont rendus plus difficiles encore ses conditions de détention. Son état de santé s’est d’ailleurs dégradé en détention avec un amaigrissement important, des affections somatiques et des troubles psychiques. Il soutient enfin qu’il a subi une atteinte à son honneur et à sa considération en raison de sa longue période de détention où tout le monde le croyait coupable et un délinquant important et dangereux. Il considère qu’il doit être pris en considération l’aggravation de son préjudice moral, résultant notamment d’une stigmatisation carcérale en lien avec les faits pour lesquels il était mis en examen. C’est pourquoi, M. [E] sollicite une somme de 116 850 euros en réparation de son préjudice moral.
L’agent judiciaire de l’Etat indique qu’il convient de prendre en compte l’âge du requérant, le fait qu’il vivait en couple et était père d’un enfant de 6 ans, mais il n’est pas démontré que ce dernier soit décédé durant le temps de détention de son père. En outre, le casier judiciaire de M. [E] porte trace de 8 condamnations et a été [6] a plusieurs reprises durant la période de sa détention provisoire. Les mauvaises conditions de détention sont attestées par un courrier du Contrôleur général et par une décision du Conseil d’Etat et devront être prises en compte au titre de l’aggravation du choc carcéral Les violences en détention ne sont par contre pas démontrées et ne pourront être retenues. Ses problèmes de santé en détention sont réels et constituent également un facteur d’aggravation du préjudice moral. Par contre, le requérant n’apporte élément justifiant qu’il ait subi une atteinte à son honneur et à sa considération. Au vu de ces différents éléments, l’agent judiciaire de l’Etat propose l’allocation d’une somme de 60 000 euros en réparation du préjudice moral de M. [E].
Le Ministère Public rappelle que le préjudice moral ne doit être apprécié qu’au regard de l’âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d’éventuelles condamnations antérieures, soulignant l’existence de précédentes incarcérations et du fait que le requérant a été [6] à trois reprises durant sa période de détention provisoire.
Il rappelle que la réparation provisoire n’a pas vocation à remettre en cause la procédure judiciaire qui a mené au placement en détention. Le requérant ne peut non plus invoquer la lourdeur de la peine encourue comme facteur d’aggravation de son préjudice moral car celle-ci est liée à sa mise en examen et au déroulement de la procédure. En effet, conformément à la jurisprudence de la Commission Nationale de Réparation des Détentions (CNRD) ces éléments ne peuvent être pris en considération dans le cadre d’une indemnisation au titre de l’article 149 du code de procédure pénale.
Il est également de jurisprudence constante que le choc carcéral ne prend pas compte le sentiment d’injustice qu’a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire.
En l’espèce, M. [E], âgé de 39 ans au moment de son incarcération, vivait en couple et était père d’un fils âgé de 6 ans. Il a donc souffert de la séparation avec ces derniers. Il sera en outre tenu compte de l’éloignement familial notamment d’avec son fils de 6 ans qui est atteint d’une pathologie dégénérative et qui serait décédé alors que M. [E] était en détention selon les attestations de la mère et du frère du requérant.
Il ne s’agissait pas d’une première incarcération pour lui, car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire porte trace de 11 condamnations entre 1999 et 2016 dont 8 à des peines d’emprisonnement ferme. Au moment de son incarcération, il exécutait par ailleurs trois peines d’emprisonnement ferme en qualité de détenu pour autre cause ([6]). C’est ainsi que le choc carcéral peut être considéré comme très largement atténué.
M. [E] était mis en examen des chefs de viols et agressions sexuelles aggravés pour lesquelles il encourrait une peine de 20 ans de réclusion criminelle, ce qui a pu légitimement générer un sentiment d’angoisse chez lui. Pour autant, il ne démontre pas en quoi ces qualifications pénales ont eu une incidence sur ses conditions de détention, dès lors que les menaces et les violences dont il fait état de la part de ses codétenus ne sont étayées par aucun élément objectif, tel qu’une plainte, un rapport d’incident, un certificat médical ou une procédure disciplinaire.
S’agissant des conditions matérielles de détention, M. [E] évoque la surpopulation carcérale, la promiscuité, l’impossibilité d’accéder quotidiennement aux douches, l’eau des douches glacée et la présence de punaises et de cafards. Ces éléments sont confirmés par un courrier du 05 novembre 2021 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui indique avoir déjà constaté ces dysfonctionnements en 2019 et qu’il intégrait son témoignage dans son prochain rapport. De même, le Conseil d’Etat, par un arrêt du mois de décembre 2021, a demandé à cet établissement pénitentiaire de se mettre en conformité avec les injonctions qu’il lui avait a dressé en 2017, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard. C’est ainsi qu’il y a lieu de tenir compte de ces conditions de détention indignes au sein de la maison d’arrêt de [Localité 7], qui sont contemporaines de la période de détention de M. [E] et qui sont un facteur d’aggravation de son préjudice moral.
Il en est de même des problèmes importants de santé de M. [E] qui sont attestés par les documents produits aux débats, (certificats médicaux et compte-rendu d’hospitalisation) qui ont rendus ses conditions de détention plus difficiles et qui se sont aggravés en détention comme le confirme le rapport d’enquête de personnalité qui fait état d’un amaigrissement important, des affections somatiques et des troubles dépressifs. De même, un courrier de la mère du requérant adressé au défenseur des droits du 17 octobre 2020 atteste de l’aggravation de cet état de santé qui constitue un facteur d’aggravation du préjudice moral.
L’atteinte à l’honneur et à la considération invoquée par le requérant résulte davantage de la procédure pénale et des chefs de sa mise en examen que de son placement en détention provisoire. En outre, il n’est pas démontré que cette affaire ait fait l’objet d’une large publicité dans la presse. Les menaces dont il fait état ne sont pas documentées et la seule plainte produite est relative à l’incendie du local associatif, sans qu’il soit démontré qu’il ait un lien avec le placement en détention provisoire de M. [E].
C’est ainsi, qu’au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [E] une somme de 65 000 euros en réparation de son préjudice moral.
– Sur l’indemnisation du préjudice matériel
– Sur la perte de revenus : M. [E] indique qu’il exerçait une activité professionnelle rémunérée antérieurement à son placement en détention provisoire, en qualité de médiateur audio-visuel au sein d’une association » [4] » pour un salaire mensuel de 1 204,20 euros à compter de 2017. C’est pourquoi, il sollicite une somme de 50 186,07 euros à ce titre.
L’agent judiciaire de l’Etat et le procureur général indiquent que le requérant produit les pièces qui sont de nature à justifier le montant du préjudice sollicité et qu’il convient de faire droit à sa demande, mais en tenant compte des périodes pour lesquels il était détenu pour autre cause.
En l’espèce M. [E] a été salarié de l’association » [4] » à compter de l’année 2017 en qualité de médiateur par l’audio-visuel. Il a ainsi signé un contrat de travail à durée indéterminée le 30 mai 2016 et sa rémunération nette mensuelle s’élevait selon ses bulletins de paie à la somme de 1 186,97 euros. Si l’on tient compte de la réévaluation du SMIC, cela donne un salaire mensuel de 1 204,20 euros, puis de 1 230,61 euros et enfin de 1 269, 03 euros. Pour autant, M. [E] a été [6] à trois reprises. C’est ainsi que pour la période du 10 mai 2019 au 02 juillet 2020 cela donne le calcul suivant : 1 204,20 euros x 7 + 1 20,20 euros x 0,3+ 1 230,61 x6 + 1 230,60 : 31 = 16 613,46 euros.
Pour la période du 23 décembre 2020 au 31 mai 2022, cela donne : 1 230,61 euros x 12 + 1 230,61 :31 X7 + 1 269,03 x5 = 21 39037 euros.
C’est ainsi qu’il sera alloué au total à M. [E] une somme de 38 003,83 euros au titre de la perte de revenus.
– Sur le projet professionnel en cours : M. [E] indique qu’il a perdu une chance de percevoir des revenus de l’entreprise de création de vêtements prêt à porter intitulée » Ghetto Tentation » et sollicite à ce titre une somme de 65 796 euros.
L’agent judiciaire de l’Eta considère que le requérant se fonde sur un chiffre d’affaires prévisible et non pas effectivement réalisé alors qu’elle a été créée en 2018, soit avant son placement en détention provisoire. Il s’agit là d’un préjudice purement hypothétique et il n’est pas avéré qu’il soit de surcroit en lien direct avec son placement en détention provisoire. Il demande à ce que M. [E] soit débouté de sa demande.
Le Ministère Public conclut dans le même sens.
En l’espèce, M. [E] produit le chiffre d’affaires prévisible pour les années 2018, 2019, 2020 et 2021, de la société [8] qu’il a créé en 2018 selon l’extrait Kbis joint, mais il n’y a aucun bilan, compte de résultat ou compte d’exploitation, alors que cette société a semble-t-il fonctionné en 2018. En outre, le chiffre d’affaires prévisible de cette dernière ne résulte que des propres calculs du requérant et non pas d’un prévisionnel établi par un expert-comptable. Enfin, selon la jurisprudence de la CNRD, le préjudice subi par une société ne peut pas être indemnisé sur le fondement de l’article 149 du code de procédure pénale qui ne concerne que les personnes physiques.
C’est ainsi qu’en présence d’un préjudice purement hypothétique et qui concerne une personne morale, il y a lieu de rejeter la demande de M. [E].
Sur la perte de chance de poursuivre son projet de société :
M. [E] sollicite l’allocation d’une somme de 30 000 euros car il n’a pas pu mener à son terme le projet de développement de la société [8].
L’agent judiciaire de l’Etat estime qu’il n’est pas démontré que l’échec de ce projet est dû à la détention injustifiée, alors que le requérant a été [6] du 17 janvier au 09 mai 2019 et qu’il n’a entamé aucune démarche lors de sa sortie de prison pour poursuivre l’activité de cette société dont il n’avait fait que déposer les statuts et établir un business plan. Il conclut au rejet de la demande.
Le Ministère Public considère que l’impossibilité de poursuivre son projet n’est pas en lien direct et exclusif avec la détention provisoire et, à ce titre, elle ne pourra pas être réparée au titre de la perte de chance.
En l’espèce, M. [E] produit seulement un extrait Kbis et un business plan d’une société qu’il souhaitait développer. Il y a lieu de noter qu’il a été par ailleurs détenu pour autre cause à trois reprises durant sa période de détention provisoire et que dans ces conditions tout n’est pas imputable au placement en détention. En outre, il est étonnant de constater que le requérant n’a pas poursuivi ce projet à da sortie de la maison d’arrêt de [Localité 7], de sorte que l’on peut s’interroger sur sa volonté de poursuivre ce projet. Enfin, il n’est pas démontré que l’arrêt de ce projet est en lien exclusif et direct avec son placement en détention provisoire. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter cette demande.
Sur le préjudice lié aux frais engagés en vue de la création de son entreprise :
M. [E] sollicite la somme de 1 360 euros au titre des frais engagés en vue de la création de son entreprise en détaillant les différents postes de préjudices.
L’AJE et le Ministère Public estiment que le requérant ne produit aucune facture à l’appui de ses allégations et que ces frais ne sont pas, en tout état de cause, en lien direct avec son placement en détention provisoire. Il y a donc lieu de rejeter cette demande.
En l’espèce, M. [E] sollicite une somme de 1 360 euros correspondant, selon lui, aux frais liés à la création de sa nouvelle société, sans pour autant en justifier par la production de factures ou de reçus correspondants aux sommes qu’il aurait déboursées.
Faute de justificatifs, sa demande sera rejetée.
Sur le préjudice lié à la perte de revenus durant la période de recherche d’emploi :
M. [E] sollicite une somme de 7 974,36 euros au titre de la perte de revenus sur la base du SMIC durant la période de recherche d’emploi à l’issue de sa libération.
L’AJE considère que le requérant ne précise qu’être inscrit au RSA mais ne justifie d’aucune démarche qu’il aurait réalisée en vue de la recherche active d’un emploi. Sa demande doit donc être rejetée.
Le Ministère Public estime que si le requérant produit sa première convocation à un rendez-vous avec le service d’action sociale, mais aucune autre pièce démontrant avoir entrepris par la suite, ou antérieurement à celui-ci des recherches d’emploi. C’est ainsi que la demande sera rejetée.
En l’espèce la CNRD considère qu’il est possible d’indemniser le préjudice matériel résultant de la période nécessaire à la recherche d’un emploi postérieurement à la libération du requérant, si ce dernier démontre avoir entrepris des recherches d’emploi.
Or, au-delà du fait que M. [E] percevrait le RSA et qu’il a eu un rendez-vous avec le service d’action sociale, aucun élément n’est produit aux débats permettant d’établir que le requérant a effectué des recherches actives d’emploi à sa libération.
Faute de tels justificatifs, sa demande sera rejetée.
– Sur le préjudice lié aux frais de défense :
M. [E] sollicite une somme de 1 800 euros en remboursement des frais d’avocat qu’il a dû payer en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire.
L’AJE et le Ministère Public considèrent que cette demande et justifiée et qu’il convient d’y faire droit.
En l’espèce, M. [E] produit une facture de son conseil datée du 25 février 2022 pour un montant de 1 800 euros TTC correspondant à l’audience en vue de la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire devant la chambre de l’instruction. C’est ainsi que ces diligences sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire et il sera donc alloué, à ce titre, une somme de 1 800 euros à M. [E].
– Sur les frais irrépétibles :
Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu’il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Statuant par ordonnance contradictoire,
Déclarons recevable la requête de M. [V] [E] pour une détention d’une durée de 943 jours ;
Allouons à M. [V] [E] :
– La somme de 65 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
– La somme de 38 003,83 euros en réparation de la perte de revenus durant la détention ;
– La somme de 1 800 euros au titre des frais de défense ;
– La somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [V] [E] du surplus de ses demandes ;
Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l’Etat ;
Décision rendue le 16 Septembre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ