Monsieur [V] [R] demande réparation pour sa détention provisoire du 26 septembre 2017 au 20 avril 2018, sollicitant 50 000 euros pour préjudice moral et 5 974 euros pour préjudice matériel. L’agent judiciaire de l’État propose une réparation de 17 000 euros pour le préjudice moral, soulignant l’impact de l’éloignement familial et l’absence d’incarcération antérieure, tout en rejetant la demande de préjudice matériel liée à la perte de salaire, faute de preuves. Le procureur général soutient la recevabilité de la requête et reconnaît le choc carcéral, mais note l’absence de lien entre la détention et les troubles psychologiques, ainsi que l’absence de preuves concernant les conditions de détention. Il conclut également au rejet de la demande de préjudice matériel. La décision finale déclare la requête recevable, accorde 20 000 euros pour le préjudice moral, et rejette la demande de préjudice matériel, laissant les dépens à la charge de l’agent judiciaire de l’État.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE VERSAILLES
Chambre civile 1-7
Code nac : 96E
N°
N° RG 23/07616 – N° Portalis DBV3-V-B7H-WFXG
(Décret n° 2000-1204 du 12 décembre 2000 relatif à l’indemnisation à raison d’une détention provisoire)
Copies délivrées le :
à :
M. [R]
Me GOETHALS
AJE
Me SAIDJI
Min. Public
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
a été rendue, par mise à disposition au greffe, l’ordonnance dont la teneur suit après débats et audition des parties à l’audience en chambre du conseil du 12 JUIN 2024 où nous étions Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d’appel de Versailles assisté par Rosanna VALETTE, Greffière, le prononcé de la décision a été renvoyée à ce jour ;
ENTRE :
Monsieur [V] [R]
né le [Date naissance 4] 1997 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant, assisté par Me France GOETHALS-REMON, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000023
DEMANDEUR
ET :
AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
Direction des Affaires Juridiques, [Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Ali SAIDJI de la SCP SAIDJI & MOREAU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J076, substitué par Me Divine ZOLA DUDU, avocat au barreau de MEAUX, vestiaire : 7
DEFENDEUR
Le ministère public pris en la personne de Mme Sophie GULPHE BERBAIN, avocat général
Nous, Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d’appel de Versailles, assisté de Rosanna VALETTE, Greffière,
Vu l’arrêt de la cour d’Assises de l’Eure et Loire siégeant à [Localité 6] du 12 mai 2023, devenu définitif par un certificat de non-appel du 14 février 2024 ;
Vu la requête de monsieur [V] [R] né le [Date naissance 4] 1997 reçue au greffe de la cour d’appel de Versailles le 10 novembre 2023 ;
Vu les pièces jointes à cette requête, le dossier de la procédure ;
Vu les conclusions de l’agent judiciaire de l’Etat, reçues au greffe de la cour d’appel de Versailles le 12 juin 2024 ;
Vu les conclusions du procureur général, reçues au greffe de la cour d’appel de Versailles le 3 avril 2024 ;
Vu les lettres recommandées en date du 10 avril 2024 notifiant aux parties la date de l’audience du 12 juin 2024 ;
Vu les articles 149 et suivants et R26 du code de procédure pénale ;
Monsieur [V] [R] sollicite la réparation de sa détention provisoire sur la période du 26 septembre 2017 au 20 avril 2018 au centre pénitentiaire d'[Localité 8]-[Localité 9].
Il sollicite dans sa requête les sommes suivantes :
50 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
5 974 euros en réparation de son préjudice matériel ;
Dans ses conclusions reçues le 12 juin 2024, l’agent judiciaire de l’Etat sollicite une réparation du préjudice moral à hauteur de 17 000 euros. Il fait valoir que le requérant était âgé de 21 ans et père d’un enfant en bas âge. Il ajoute que l’absence d’incarcération antérieure rend le préjudice moral incontestable. Il retient comme facteur d’aggravation du préjudice moral l’éloignement familial du requérant avec sa fille, qu’il n’a pas vu grandir. Au titre du préjudice matériel, l’agent judiciaire de l’État conclut au rejet de la demande d’indemnisation du préjudice au titre de la perte de salaire au motif que le requérant n’établit ni l’existence ni l’étendue du préjudice.
Dans ses conclusions en date du 3 avril 2024, le procureur général conclut à la recevabilité de la requête et s’en rapporte à l’appréciation du premier président s’agissant du montant de la réparation du préjudice moral subi. Il fait valoir que l’absence d’incarcération antérieure et la situation familiale du requérant rendent le choc carcéral incontestable et aggravent le préjudice moral. Il relève toutefois que le requérant ne démontre pas de lien de causalité entre la détention provisoire et les troubles psychologiques. Il soutient que la rupture familiale avec la fille du requérant, provisoirement placée à l’Aide Sociale à l’Enfance, découle de l’absence de droit de visite médiatisé et est sans lien avec l’incarcération. S’agissant des conditions de détention, le requérant n’apporte aucune justification caractérisant des conditions personnelles difficiles de détention. Le procureur général relève que le rapport de détention fait état d’une bonne conduite ainsi que d’une participation aux activités proposées. Il retient néanmoins une prise en considération de la surpopulation carcérale du centre pénitencier d'[Localité 8]-[Localité 9]. Au titre du préjudice matériel, le procureur général conclut au rejet de la demande d’indemnisation du requérant au titre de la perte de salaire, au motif que ce dernier ne démontre pas l’existence d’un préjudice financier en lien avec la détention provisoire.
Sur la recevabilité de la requête :
Aux termes des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
La requête en indemnisation doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l’article R26. Elle doit être présentée au premier président de la cour d’appel dans un délai de six mois à compter du jour où la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement acquiert un caractère définitif.
En l’espèce, il ressort de la fiche pénale du requérant que sa détention provisoire a démarré le 26 septembre 2017 jusqu’au 20 avril 2018, jour de sa remise en liberté sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Chartres.
La requête, respectant en tous points les conditions posées par ces articles, est recevable.
Sur le préjudice moral :
Monsieur [V] [R] a été incarcéré 206 jours, alors qu’il était âgé de 21 ans.
Le choc carcéral subi par le requérant sera retenu comme critère d’aggravation du préjudice moral, du fait de sa première incarcération.
Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.
S’agissant des conditions de détention, il appartient au requérant de justifier des conditions difficiles qu’il allègue.
En l’espèce, le rapport de détention du requérant fait état d’une bonne conduite ainsi que d’une participation aux activités. Toutefois, sera considéré comme facteur d’aggravation du préjudice moral les conditions de détention au sein du centre pénitencier d'[Localité 8]-[Localité 9], dont la surpopulation endémique et les conditions d’hygiène ont été constatées par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Le requérant sera donc indemnisé sur ce chef.
La séparation avec ses proches, inhérente à la détention, ne sera pas retenue comme facteur d’aggravation du préjudice moral. La fille du requérant a fait l’objet d’un placement provisoire à l’Aide Sociale à l’Enfance par une ordonnance du 14 septembre 2017, modifiée le 21 septembre 2017 prononçant son placement jusqu’au 31 mars 2020 ainsi que la suspension des droits de visite et de correspondance des parents. Dès lors, la séparation avec sa fille est imputable à la procédure et se trouve sans lien avec la détention provisoire.
Le requérant sera donc débouté de ce chef.
La somme de 20 000 euros paraît proportionnée eu égard à la période de détention injustifiée et de la prise en compte d’un facteur d’aggravation du préjudice moral subi. Il convient donc d’allouer à monsieur [V] [R] la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel :
Sur la perte de rémunération
Le requérant a droit à l’indemnisation de l’ensemble des salaires non perçus pendant la période de détention. Il doit néanmoins apporter la preuve qu’il exerçait un travail et percevait des salaires avant son placement en détention.
En l’espèce, le requérant sollicite l’indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 5 974 euros en fournissant deux avis d’imposition sur les revenus de 2017 et 2018 ainsi qu’un contrat de travail à durée déterminée en temps partiel signé le 9 avril 2017, lequel ne mentionne ni la date de fin de contrat ni le montant du salaire mensuel. Ainsi, le requérant n’établit ni l’existence ni l’étendue du préjudice matériel.
Le requérant sera donc débouté sur ce chef.
Statuant par ordonnance contradictoire,
DÉCLARONS recevable la requête de monsieur [V] [R] ;
DÉBOUTONS Monsieur [V] [R] de sa demande d’indemnisation du préjudice matériel ;
ALLOUONS à monsieur [V] [R] :
La somme de VINGT MILLE EUROS (20 000 euros) en réparation de son préjudice moral ;
LAISSONS les dépens de la présente procédure à la charge de l’agent judiciaire de l’Etat.
Prononcé par mise à disposition de notre ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées selon les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
ET ONT SIGNÉ LA PRÉSENTE ORDONNANCE
Jean-François BEYNEL, premier président de la cour d’appel de Versailles
Rosanna VALETTE, greffier
LE GREFFIER LE PREMIER PRÉSIDENT