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Un système de video surveillance en magasin doit faire l’objet d’une consultation préalable du CSE et de l’information des salariés dès lors qu’il permet de filmer ces derniers, peu important l’autorisation préfectorale.
En la cause, la société LIDL ne démontre pas avoir rempli ces obligations et ne peut valablement arguer de ce que ses salariés connaissaient la présence de ce dispositif dès lors qu’elles se sont placées à la dernière caisse pour éviter d’être filmées lors de la réalisation des faits motivant le licenciement. Ce moyen de preuve est donc illicite. Pour autant, il revient au juge d’examiner la légitimité du contrôle, de rechercher si l’ employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens de preuve plus respectueux de la vie personnelle des salariés, enfin d’apprécier le caractère proportionné de la dite atteinte au regard du but poursuivi. L’installation de ce moyen de contrôle était légitime en raison des vols d’articles effectués par les clients dans un magasin de cette dimension. L’agrandissement de l’extrait n° 1 révèle que ce système était installé de manière à filmer l’ entrée du magasin et les rayons de marchandises. Les caisses étaient filmées parce que dans le champ de la caméra qui n’était pas focalisée sur elles ou l’une d’entre elles de sorte que l’atteinte à l’image de la salariée n’était pas disproportionnée. Aucun résultat identique n’aurait été atteint en l’absence de ce système de vidéo surveillance. Aux termes de ses écritures, la salariée admet avoir scanné des articles avant de les annuler de sorte que le seul contrôle de tickets de caisse n’était pas suffisant puisque, précisément, les marchandises n’étaient pas scannées. Les extraits de la vidéo surveillance n’ont donc pas été écartés. |
→ Résumé de l’affaireMadame [F] [W], employée libre-service-caissière, a été engagée par la société Mutant Distribution en 2006. Après plusieurs modifications de son contrat, elle a travaillé à temps complet. En mars 2014, la société Leader Price a repris le personnel de Mutant Distribution. En septembre 2017, Mme [W] a subi un accident du travail, entraînant un arrêt jusqu’en juillet 2018, date à laquelle elle a été déclarée apte avec certaines préconisations.
En octobre 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable à une mise à pied conservatoire, suite à des soupçons de vol. Elle a été licenciée pour faute grave le 25 octobre 2018, après plus de douze ans d’ancienneté. Mme [W] a contesté son licenciement et a saisi le conseil de prud’hommes, qui a confirmé la faute grave et débouté Mme [W] de ses demandes en février 2021. En 2023, la société Leader Price a été transférée à la SARL Aldi Marché, qui a été assignée par Mme [W] en novembre 2023. Elle demande l’infirmation du jugement précédent et réclame diverses indemnités, y compris des dommages-intérêts pour licenciement discriminatoire. Aldi Marché conteste les demandes de Mme [W] et demande la confirmation du jugement initial. L’affaire a été clôturée le 15 mars 2024 et sera examinée en audience le 9 avril 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
————————–
ARRÊT DU : 26 JUIN 2024
PRUD’HOMMES
N° RG 21/01213 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-L64E
Madame [F] [W]
c/
S.A.R.L. LEADER PRICE [Localité 4]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 février 2021 (R.G. n°F 19/00440) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 26 février 2021,
APPELANTE :
Madame [F] [W]
née le 06 Juin 1972 à [Localité 6] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1] – [Localité 3]
représentée par Me Magali BISIAU, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Société ALDI Marché [Localité 5] venant aux droits de la SARLU Leader Price [Localité 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2] – [Localité 4]
N° SIRET : 821 147 873 00011
représentée par Me Philippe LECONTE, avocat au barreau de PARIS et Me Hayat TABOHOUT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 avril 2024 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame ROUAUD-FOLLIARD Catherine, présidente chargée d’instruire l’affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Madame [F] [W], née en 1972, a été engagée en qualité d’employée libre-service-caissière par la société Mutant Distribution par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 9 janvier 2006.
Plusieurs avenants au contrat de travail ont suivi et le contrat de travail de Mme [W] s’est poursuivi pour une durée de travail à temps complet.
Le 15 mars 2014, est intervenue une reprise du personnel par la société Leader Price [Localité 4].
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Le 12 septembre 2017, Mme [W] a été victime d’un accident du travail. Elle a été placée en arrêt de travail à compter de cette date jusqu’au 1er juillet 2018.
Le 6 juillet 2018, suite à une visite de reprise, Mme [W] a été déclarée apte à son poste de travail. Étaient préconisées l’absence de port de charges supérieures à huit kgs et la mise à disposition d’un fauteuil ergonomique.
Le 1er octobre 2018, Mme [W] a été convoquée à un entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire.
Le 13 octobre 2018, le directeur du magasin a déposé une plainte auprès des services de police suite à un contrôle des achats de Mme [R] du 21 septembre 2018 et le visionnage des images de la vidéo surveillance du 20 septembre 2018.
Mme [W] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre datée du 25 octobre 2018.
A la date du licenciement, Mme [W] avait une ancienneté de douze ans et neuf mois.
Par courrier du 6 novembre 2018, Mme [W] a demandé des précisions quant aux motifs du licenciement. L’ employeur a indiqué maintenir les termes de la lettre de licenciement.
Par une lettre du 24 novembre 2018, Mme [W] a contesté son licenciement. Ce même jour, elle a également adressé un courrier pour demander la délivrance de ses documents de rupture.
Contestant son licenciement et réclamant diverses indemnités, Mme [W] a saisi le 21 mars 2019 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement du 11 février 2021, a :
– jugé que le licenciement de Mme [W] repose sur une faute grave,
– débouté Mme [W] de l’ensemble de ses demandes,
– condamné Mme [W] à payer les entiers dépens,
– débouté la société Leader Price [Localité 4] de sa demande reconventionnelle;
Par déclaration du 26 février 2021, Mme [W] a relevé appel de cette décision, notifiée le 11 février 2021.
Au cours de l’année 2023, la société Leader Price [Localité 4] a fait l’objet d’une transmission universelle de patrimoine au profit de la SARL Aldi Marché [Localité 5].
Mme [W] a assigné en intervention forcée la société Aldi Marché [Localité 5] le 22 novembre 2023.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 13 mars 2024, Mme [W] demande à la cour de :
– infirmer, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bordeaux le 11 février 2021,
Statuant de nouveau,
A titre principal,
– condamner la société Aldi Marché [Localité 5] à lui régler les sommes suivantes
* 30.000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul car discriminatoire,
* 4.913,25 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 491,33 euros au titre des congés payés afférents,
* 5.595,65 euros à titre d’indemnité de licenciement,
* 1.359,88 euros au titre du salaire retenu pendant la mise à pied conservatoire,
* 135,99 euros au titre des congés payés afférents,
A titre subsidiaire,
– la condamner à lui régler les sommes suivantes :
* 30.000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 4.913,25 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 491,33 euros au titre des congés payés afférents,
* 5.595,65 euros à titre d’indemnité de licenciement,
* 1.359,88 euros au titre du salaire retenu pendant la mise à pied conservatoire,
* 135,99 euros au titre des congés payés afférents,
En tout état de cause,
– la condamner à lui régler les sommes suivantes :
* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire, * 5.000 euros à titre des dommages et intérêts pour avoir été soumise à un contrôle illicite,
* 5.000 euros à titre des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
* 2.000 euros à titre des dommages et intérêts pour retard pris dans la remise des documents de rupture,
* 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux dépens d’instance et frais éventuels d’exécution,
– assortir les condamnations des intérêts à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes,
– assortir les condamnations de nature indemnitaire des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 27 décembre 2023, la société Aldi Marché [Localité 5], venant aux droits de la société Leader Price [Localité 4] demande à la cour de’:
A titre principal,
– la déclarer recevable en son action et bien fondée dans ses demandes,
– débouter Mme [W] de toutes ses demandes,
Y faisant droit,
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bordeaux en ce qu’il a
* jugé que le licenciement de Mme [W] repose sur une faute grave,
* débouté Mme [W] de l’ensemble de ses demandes,
* condamné Mme [W] à payer les dépens,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour de céans devait réformer le jugement du conseil de prud’hommes il est demandé à la cour de céans de :
– juger le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
– la déclarer recevable en son action et bien fondée dans ses demandes,
– juger que le licenciement de Mme [W] repose sur une cause réelle et sérieuse (faute simple),
Et en conséquence,
– limiter le montant des condamnations aux sommes suivantes :
* au titre de l’indemnité légale de licenciement : 5.057,79 euros,
* au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés : 3.222,66 euros bruts (2 mois), Mme [W] ne justifiant pas être MDPH ou travailleur handicapé par aucune pièce à l’appui de sa prétention,
* au titre des congés payés y afférents : 322,26 euros bruts,
* au titre d’un rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire : 1.359,88 euros bruts,
* au titre des congés payés y afférents : 135,98 euros bruts,
– débouter Mme [W] de toutes ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la cour de céans devait réformer le jugement du conseil de prud’hommes et juger le licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,
– limiter le montant des condamnations aux sommes suivantes :
* au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse : 9.667,98 euros (6 mois de salaire),
* au titre de l’indemnité légale de licenciement : 5.057,79 euros,
* au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés : 3.222,66 euros bruts (2 mois), Mme [W] ne justifiant pas être MDPH au moment de son licenciement par aucune pièce à l’appui de sa prétention,
* au titre des congés payés y afférents : 322,26 euros bruts,
* au titre d’un rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire : 1.359,88 euros bruts,
* au titre des congés payés y afférents : 135,98 euros bruts,
– débouter Mme [W] de toutes ses demandes,
En tout état de cause,
– juger que « le contrôle » opéré est parfaitement licite et que ses moyens de preuve sont licites,
– juger l’absence de mouchard, non étayé par Mme [W] et juger recevable les preuves tirées de la caisse enregistreuse,
– juger que Mme [W] ne justifie pas de circonstances brutales et vexatoires entourant son licenciement,
– juger que Mme [W] ne justifie pas d’un préjudice résultant de la supposée remise tardive des documents de fin de contrat,
– juger qu’elle ne justifie ni du principe ni du quantum quant à un préjudice distinct résultant d’une supposée exécution déloyale du contrat,
– fixer le salaire de référence à la somme de 1.611,33 euros bruts,
– condamner Mme [W] à lui régler la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter Mme [W] de l’ensemble de ses demandes.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience du 9 avril 2024
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
le licenciement
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
‘nous déplorons des manoeuvres frauduleuses que vous avez commises au préjudice du magasin le 20 septembre 2018.
En effet, dans le cadre de l’enquête menée sur les comportements frauduleux de Mme [R], adjointe de direction, nous avons découvert votre complicité active dans les agissements de cette dernière.
Ainsi, il est apparu que vous permettiez à cette dernière de bénéficier de caddies de complaisance.
Lors de l’étude du ticket de caisse, il a été constaté que le montant réglé par Mme [R] à votre caisse était seulement de 1,19 euros alors que le total des courses s’élevait à 102,79 euros.
Nous constatons donc avec regret que vous avez abusé de notre confiance et de vos fonctions pour procéder à des manipulations frauduleuses en caisse, au préjudice de notre société.
Un tel comportement est intolérable (…)
Les faits que nous vous reprochons constituent un manquement fautif à vos obligations contractuelles (…).
Lors de l’entretien qui s’est tenu le 8 octobre 2018, (…), vous vous êtes justifiée en disant que Mme [R] ‘ vous avait donné l’ordre de ne pas encaisser ‘ (…) Vous saviez parfaitement que ce que vous faisiez n’était pas régulier et vous pouviez alors en informer le directeur, ce que vous n’avez pas fait(…)’.
A titre principal, Mme [W] prie la cour de dire son licenciement nul comme étant discriminatoire en raison de son état de santé. À titre subsidiaire, elle demande que son licenciement soit dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.
a- la nullité du licenciement
Mme [W] fait valoir que son état de santé et la préconisation du médecin du travail de la mise à disposition d’un siège ergonomique, combinés avec la chronologie des événements, établissent une discrimination sanctionnée par la nullité du licenciement.
La société répond que Mme [W] a reconnu la matérialité des faits qui lui sont reprochés et corroborés notamment par les images vidéo et les listings de caisse ; que, sans l’avoir évoqué dans sa lettre de contestation de son licenciement, elle instrumentalise ici son état de santé sans produire d’autre élément qu’une lettre à la médecine du tavail inopérante, enfin, qu’elle ne portait pas de charge supérieure à huit kilogrammes et travaillait debout; qu’en tout état cause, tel n’est pas le motif du licenciement.
Aux termes des articles L.1332-1 et L.1132-4 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé et la contravention à cette règle constitue une discrimination sanctionnée par la nullité du licenciement .
Aux termes de l’ article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige
en raison de la méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie adverse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination
Mme [W] était caissière et, à la suite d’un accident du travail survenu le 12 septembre 2017, le médecin du travail a préconisé l’absence de port de charge manuelle supérieure à huit kg et la mise à disposition d’un fauteuil ergonomique.
Mme [W] n’a pas évoqué de discrimination liée à son état de santé en écrivant à l’ employeur le 24 novembre 2018 pour contester son licenciement.
Mme [W] n’a mentionné son état de santé qu’aux termes d’une lettre versée sous cote 11, datée du 17 octobre 2018 et transmise au service de santé du travail qu’elle informe de ce que l’ employeur n’a pas mis à sa disposition le fauteuil ergonomique, l’obligeant ainsi à rester debout et à souffrir d’un mal de dos, de migraines et d’une dépression. Cela aurait eu des conséquences sur la qualité de son travail qu’on lui reproche.
La cour constate qu’en se plaignant ainsi du défaut de respect par l’ employeur d’une des deux préconisations, Mme [W] n’a évoqué que la qualité de son travail et non, alors qu’elle avait été convoquée à l’ entretien préalable, un lien entre cette circonstance et un manquement disciplinaire.
Aucune pièce antérieure à la convocation de Mme. [W] à un entretien préalable n’établit l’existence d’un différent entre cette dernière et son employeur à ce sujet.
La préconisation médicale et cette lettre, prises dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l’existence d’une discrimination et le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme. [W] de sa demande de dire son licenciement nul.
b- le bien – fondé du licenciement
Mme [W] entend relever des contradictions entre les termes de la lettre de licenciement, ceux de la plainte pénale déposée par l’ employeur et ses conclusions devant le premier juge. Elle affirme que Mme [R], sa supérieure hiérarchique et qui devait être devenir la directrice du magasin, s’est présentée à sa caisse et qu’elle même a commencé à scanner les produits, que Mme [R] l’a informée ne pas avoir sa carte de paiment et qu’elle réglerait les achats plus tard, comme toléré dans l’ entreprise et qu’elle n’avait pas de raison de remettre en cause ; elle a alors annulé les articles scannés. Ensuite, elle est partie en congé le lendemain midi et Mme [R] était en arrêt de travail pour maladie à son retour et elle n’a pu procédé à une régularisation d’autant qu’elle ignorait ce que sa collègue avait fait pendant son absence.
Selon Mme [W], l’ employeur a attendu dix jours avant de la convoquer à un entretien préalable et non dans le délai contraint exigé en cas de faute grave et la sanction était, en tout état de cause, disproportionnée au regard de son ancienneté de douze années.
Mme [W] fait aussi valoir que le système de vidéo surveillance dont l’ employeur se servait pour contrôler l’activité des salariés est un moyen de preuve illicite parce que les représentants du personnel n’avaient pas été consultés et que les salariés n’en étaient pas informés.
Mme [W] dit enfin que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse parce que la signataire de la lettre de licenciement n’ avait pas ce pouvoir. Cette lettre n’a pas été signée par M. [U], gérant de la société, mais par Mme [B] dont le contrat de travail n’est pas produit, qui exerce ses fonctions à [Localité 7], n’est pas salariée de la société LP [Localité 4] et à laquelle il ne pouvait être conféré une délégation de signature pour notifier un licenciement.
La société répond que :
– Mme [W] connaissait les régles posées par le règlement intérieur qui faisait obligation aux salariés de régler immédiatement leurs achats et de faire signer le ticket par un membre de l’encadrement;
– Mme [W] a reconnu les faits, peu important qu’elle se soit sentie obligée de suivre les instructions de Mme [R] et elle n’a pas informé son supérieur hiérarchique,
– les faits sont établis par l’extrait de la video surveillance qui montrent que Mme [W] passe à Mme [R] les articles que celle- ci a déposés sur le tapis de caisse, sans les scanner, qu’il y avait tant de marchandises que Mme [R] est allée prendre un second caddie sans payer la valeur réelle des marchandises ;
-la lettre de licenciement a été signée pour ordre par la responsable juridique du pôle social de la maison mère, qui détient une délégation de signature des gérants des sociétés qui peut ne pas être écrite;
– le système de videoprotection – et non de vidéo surveillance destiné aux parties non accessibles au public- était déclaré et autorisé par la préfecture dont l’arrêté était affiché; ce système filmait les caisses mais les salariés étaient filmés de loin et le système destiné à protèger les personnes et les biens était proportionné.
Le licenciement doit être notifié au salarié par l’ employeur; la lettre de licenciement ne peut valablement être signée par une personne étrangère à l’ entreprise; elle peut l’être par une personne de l’ entreprise ayant expressément reçu pouvoir de le faire, cette délégation n’étant pas nécessairement écrite. Le directeur du personnel engagé par la société mère pour exercer ses fonctions au sein de la société et de ses filiales en France n’est pas une personne étrangère à l’ entreprise et peut recevoir mandat pour procéder à l’ entretien préalable et signer la lettre de licenciement.
La lettre de licenciement de Mme [W] a été signée pour ordre de M. [U], gérant de la société. Mme [B] atteste avoir signé la lettre de licenciement en sa qualité de ‘responsable juridique pôle social ‘.
Est aussi produit, daté du 1er mars 2018, un pouvoir de signature pour ordre conféré par M. [U] à Mme [B] responsable juridique pôle social pour signer tout document en son nom et pour son compte ou celui de la société dans le cadre de toutes procédures à l’égard des salariés de la société Leader Price [Localité 4] dans le cadre des procédures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. ‘ elle pourra en vertu de ce pouvoir procéder en mon nom à la signature de tout courrier (convocation, sanction disciplinaire, licenciement) s’inscrivant dans le cadre de ces procédures.’ Cette délégation a été acceptée par Mme [B].
Il n’est pas contesté que la société employeur appartient à un groupe dont la société mère employait alors une responsable du pôle social des filiales, détentrice du pouvoir de signer pour ordre la lettre de licenciement de Mme [W] dont le moyen est ici inopérant.
Quant à la licéité du système de video surveillance, celui-ci devait faire l’objet d’une consultation préalable du CSE et de l’information des salariés dès lors qu’il permettait de filmer ces derniers, peu important l’autorisation préfectorale.
Ici, la société ne démontre pas avoir rempli ces obligations et ne peut valablement arguer de ce que Mesdames [R] et [W] connaissaient la présence de ce dispositif dès lors qu’elles se sont placées à la dernière caisse pour éviter d’être filmées lors de la réalisation des faits motivant le licenciement.
Ce moyen de preuve est donc illicite.
Pour autant, il revient au juge d’examiner la légitimité du contrôle, de rechercher si l’ employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens de preuve plus respectueux de la vie personnelle des salariés, enfin d’apprécier le caractère proportionné de la dite atteinte au regard du but poursuivi.
L’installation de ce moyen de contrôle était légitime en raison des vols d’articles effectués par les clients dans un magasin de cette dimension.
L’agrandissement de l’extrait n° 1 révèle que ce système était installé de manière à filmer l’ entrée du magasin et les rayons de marchandises.
Les caisses étaient filmées parce que dans le champ de la caméra qui n’était pas focalisée sur elles ou l’une d’entre elles de sorte que l’atteinte à l’image de Mme [W] n’était pas disproportionnée.
Aucun résultat identique n’aurait été atteint en l’absence de ce système de vidéo surveillance. Aux termes de ses écritures, Mme [W] admet avoir scanné des articles avant de les annuler de sorte que le seul contrôle de tickets de caisse n’était pas suffisant puisque, précisément, les marchandises n’étaient pas scannées.
Les extraits de la vidéo surveillance ne seront donc pas écartés.
Ils établissent que Mme [W] a participé à la sortie d’articles dont le volume a nécessité l’emploi d’un second caddie et qui n’ont pas été payés par Mme [R].
Il n’est pas établi que le règlement intérieur dont se prévaut la société ait été donné à Mme [W] dont le contrat de travail ne le mentionne pas et qui n’y est pas annexé.
Mme [W] ne pouvait cependant ignorer que les articles, fussent-ils sortis du magasin par une salariée de la société, devaient être payés immédiatement à la caisse. Elle produit un document manuscrit établi au nom de Mme [P] aux termes duquel ‘ il arrivait parfois que des employés Leader Price, lorsqu’ils ne possédaient pas suffisamment de moyen de paiement, effectuaient leurs courses, faisaient noter leurs achats par la caissière et les payaient le lendemain à la caissière concernée en poste la veille’. Cela n’indique pas l’accord de l’ employeur et Mme [W] ne peut valablement faire état de ce qu’elle partait en congés le lendemain midi et qu’à son retour, Mme [R] était en arrêt de travail et qu’elle ne savait pas ce qui avait été fait pendant son absence. Elle aurait pu s’enquérir du paiement des articles sortis du magasin par sa collègue le lendemain matin ou après son départ en congé.
Enfin, les contradictions visées par Mme [W], entre les termes de la lettre de licenciement, de la plainte pénale déposée par l’ employeur et les conclusions de la société devant le conseil des prud’hommes ne sont pas opérantes. Il importe peu que la société n’ait pas déclaré devant les policiers le montant de 102,90 euros mentionné dans la lettre de licenciement, et aucune incohérence portant sur cette somme, celle de 1,19 euros ou les horaires n’est avérée ou utile.
Mme [W] a donc permis à Mme [R] de sortir de nombreux articles déposés dans deux caddies sans les payer et sans opérer quelque régularisation que ce soit.
Le délai de dix jours entre la date des faits (20 septembre ) et la convocation à l’ entretien préalable ( 1er octobre) est conforme au délai contraint d’autant que la salariée a été en congé plusieurs jours.
La circonstance que Mme [R] était destinée à exercer les fonctions de directrice du magasin n’est pas établie. En tout état de cause, Mme [W] a commis des agissements répréhensibles en violation de l’ obligation de loyauté à laquelle elle était soumise, peu important l’attestation de Mme [P] indiquant que Mme [W] ‘paraissait très entière et appréciée de tous.’
Les faits ainsi établis étaient d’une gravité telle qu’elle ne permettait pas la poursuite du contrat de travail et le licenciement de Mme [W] pour faute grave est bien- fondé.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de ses demandes en paiement de dommages et intérêts, indemnités de rupture et salaire de la mise à pied conservatoire.
c- le licenciement vexatoire
Mme [W] reproche à l’ employeur d’avoir déposé plainte contre elle devant auprès du commissariat de police, d’avoir affiché dans l’ entreprise une note mentionnant son licenciement et d’avoir remis en cause sa probité en dépit de son ancienneté de douze années.
La société oppose que le document produit par Mme [W] n’est pas daté et est tronqué, aucun affichage n’étant avéré, que le licenciement n’ a été annoncé qu’après avoir été notifié dès lors qu’il nécessitait une nouvelle répartition des tâches, qu’une plainte pénale peut être déposée en cas d’infraction, d’autres salariés pouvant devoir être entendus.
La pièce cotée 15 de la salariée n’a ni origine ni date certaine et n’établit pas que son licenciement a été affiché sur les lieux de travail des autres salariés;
Au regard des manquements de Mme [W], la société a déposé plainte sans abus avéré et la remise en cause de la probité de la salariée en dépit de son ancienneté a été justifiée supra.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de ce chef.
l’exécution du contrat de travail
a – un contrôle illicite
Mme [W] reproche à l’ employeur d’avoir mis en place un système de vidéo surveillance illicite et d’avoir installé un mouchard dans les caisses sans déclaration à la CNIL.
L ‘ employeur oppose ses développements explicités supra et conteste la pose de mouchards.
La cour a retenu que le système de vidéo surveillance était illicite mais qu’il pouvait être utilisé dans le cadre de l’examen du bien-fondé du licenciement.
L’existence d’un mouchard dans la caisse n’est pas avérée.
Mme [W] n’établit pas la nature et l’étendue d’un préjudice qui aurait résulté du défaut d’information du système de vidéo surveillance et le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de ce chef.
b- les autres causes
Mme [W] reproche à l’employeur l’absence d’entretien professionnel permettant d’assurer l’adaptation à son poste de travail et le maintien de son employabilité.
Elle reproche aussi à l’ employeur de l’avoir mise à pied alors que Mme [R] ne l’a pas été, de l’avoir privée de sa prime d’ ancienneté pendant son arrêt de travail pour accident du travail et de n’avoir pas pris les mesures de nature à assurer la protection de sa santé et de sa sécurité en dépit de plusieurs signalements d’agressions par un client.
La société répond que la classification de Mme [W] a évolué, que Mme [R] était absente de son travail pour cause d’arrêt maladie, que la salariée n’apporte pas de précision quant à la prime d’ ancienneté pendant son arrêt de travail et qu’aucun manquement à son obligation de sécurité n’est établi dès lors que Mme [W] aurait dû contacter le directeur plutôt que d’intervenir elle- même.
Aux termes de l’ article L.6315-1 du code du travail, le salarié bénéficie d’un entretien professionnel avec son employeur tous les deux ans, consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle notamment en termes de qualification et d’emploi. Il comporte aussi des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience, à l’activation par le salarié de son compte personnel de formation , aux abondements de ce compte que l’ employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle. Tous les six ans, l’ entretien professionnel fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié.
Aux terrmes de l’ article L.6321-1, l’ employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail ; il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et dess organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences.
L’ employeur ne conteste pas n’avoir pas organisé d’entretien professionnel depuis l’embauche de la salariée en 2006. Aucune action d’adaptation à son poste de travail n’est alléguée.
Le contrat de travail ne mentionne pas la classification de la salariée et les bulletins de paye antérieurs à l’année 2017 ne sont pas versés de sorte qu’il n’est pas établi que Mme [W] a bénéficié d’une évolution de sa classification qui n’aurait pas été fondée sur sa seule ancienneté.
Mme [W] a été privée des informations sus visées qui lui auraient permis d’envisager des formations pour maintenir sa capacité à occuper un emploi en dépit de l’évolution des systèmes d’encaissement participant à la raréfaction des emplois de caissière.
La notification d’une mise à pied conservatoire avant le prononcé d’un licenciement pour faute grave légitimé par la cour ne peut valoir manquement à l’ obligation d’exécution loyale du contrat de travail.
Mme [W] n’explicite pas le défaut de paiement de la prime d’ ancienneté pendant son arrêt de travail.
S’agissant enfin de l’ obligation de sécurité, Mme [W] verse un mail daté du 23 août 2017 aux termes duquel, une autre salariée et elle même. informent l’ employeur avoir subi, une fois de plus, les menaces d’un client en train de voler des bouteilles de vin ; les salariées craignent pour leur véhicule automobile et pour elles mêmes devant les personnes attendant en face du magasin.
Elles indiquent avoir déjà signalé ce problème sans résultat.
L’ employeur est tenu de prendre les mesures de nature à protéger la santé et la sécurité des salariés. La société ne produit aucun élément établissant qu’il a pris en compte les craintes de Mme [W] et ne peut valablement reprocher à cette dernière d’être intervenue elle même.
Considération prise de ces éléments et de l’ ancienneté de Mme [W], celle -ci a subi un préjudice qui sera indemnisé à hauteur de 3 000 euros.
la remise tardive des documents de rupture
Selon Mme [W], ces documents lui ont été transmis le 3 décembre 2018 soit plus d’ un mois après le licenciement et en dépit de ses relances. Ce retard l’aurait empêchée de faire valoir ses droits au chômage alors qu’elle avait déjà subi une mise à pied conservatoire.
La société oppose que les documents sont quérables et non portables, qu’elle les a transmis dès réception de la relance de Mme [W] qui par ailleurs n’établit pas la réalité de son préjudice.
Les documents de fin de contrat de travail sont quérables et il revient donc à la salariée de les prendre dans l’ entreprise. Pour autant, la lettre de licenciement ne précise pas cette donnée ; au contraire, l’ employeur écrit qu’il transmettra les documents de fin de contrat dont l’attestation Pôle Emploi, de sorte que le retard de transmission des pièces ne peut être imputé à Mme [W]. Celle- ci ne produit cependant pas d’attestation du Pôle Emploi établissant la perte de revenus.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de cette demande.
Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
Vu l’équité, la société sera condamnée à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre des procédures de première instance et d’appel.
La société supportera les dépens des procédures de première instance et d’appel.
la cour,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande relative à l’exécution du contrat de travail,
statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société Aldi Marche [Localité 5] à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit n’y avoir lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant;
Condamne la société Aldi Marché [Localité 5] à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros au titre des frais irréprétibles engagés dans le cadre dess procédures de première instance et d’appel ;
Condamne la société Aldi Marché [Localité 5] aux dépens des procédures de première instance et d’appel.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard