Droit à l’image des œuvres : affaire La Demeure du Chaos
Droit à l’image des œuvres : affaire La Demeure du Chaos
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Sur le terrain de la fiscalité (comme en droits d’auteur), cession de droit à l’image sur une œuvre d’art contemporaine et cession des droits de reproduction sur ladite œuvre sont deux notions distinctes.

Redressement fiscal du groupe serveur  

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI), l’administration fiscale, estimant que la société avait exercé une activité commerciale, a, notamment, remis en cause les revenus fonciers que celle-ci avait déclarés au titre des années 2006 et 2007 et établi un bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos en 2006 d’un montant de 1,16 million d’euros.

Contrat de cession de droits

Par un contrat du 9 décembre 1999 signé entre la SCI et quatre artistes-auteurs, dont M. A…, dirigeant et principal associé de la SCI VHI ainsi que de la société Groupe Serveur, la SCI a accepté la transformation du domaine en un « corpus d’œuvres d’art », dénommé « Nutrisco et Extinguo, l’esprit de la salamandre » ou « Demeure du Chaos » et reçu la concession, par les auteurs, de l’usufruit de l’œuvre.

Par un avenant à ce contrat, signé le 21 juin 2005, le droit de reproduction des œuvres a été concédé à la SCI pour une durée de sept ans.

Par un autre contrat du 30 juin 2006, la SCI VHI a concédé à la société Groupe Serveur l’utilisation exclusive de l’image de la « Demeure du Chaos » et des œuvres qui la composent, pour une durée de trois ans, avec effet au 1er janvier 2006, en contrepartie d’une rémunération de 900 000 euros HT.

Par un troisième contrat du 31 décembre 2006, la SCI VHI a transféré à une autre filiale du groupe, la société L’Organe, également dénommée Musée de l’Organe, la prise en charge des frais de réalisation des œuvres et de la gestion des droits de celles-ci, pour une durée de trois ans avec effet au 30 juin 2006, en contrepartie d’une rémunération de 900 000 euros HT.

Il ressort du contrat du 9 décembre 1999 accordant l’usufruit de l’œuvre monumentale « Nutrisco et Extinguo, l’esprit de la salamandre » ou « Demeure du Chaos » à la société VHI, que toute utilisation de l’image de l’œuvre devait faire l’objet d’une demande écrite soumise à l’accord des artistes. Par l’avenant du 21 juin 2005 au contrat du 9 décembre 1999, la SCI a obtenu des artistes-auteurs la concession du droit à la reproduction des œuvres qui composent la « Demeure du Chaos ».

Mauvaise qualification juridique

En jugeant que le contrat du 30 juin 2006 entre la SCI VHI et la société Groupe Serveur avait uniquement porté sur la concession d’un droit à l’image et n’impliquait pas la sous-concession de droits de reproduction d’œuvres d’art dont la SCI était concessionnaire, l’administration a commis une erreur de droit.

Imposition aux BIC et à l’IS  

D’une part, aux termes de l’article 34 du code général des impôts : « Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l’application de l’impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l’exercice d’une profession commerciale, industrielle ou artisanale ».

Aux termes de l’article 206 du même code : « 1. (…) sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet (…) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. (…) 2. Sous réserve des dispositions de l’article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu’elles ne revêtent pas l’une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ».

D’autre part, aux termes de l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle : « Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ».

Si, aux termes de l’article 544 du code civil, « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements », le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci.

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
 
Conseil d’État, 9ème chambre
28 septembre 2022
 
N° 459886, Inédit au recueil Lebon
 
 
Vu la procédure suivante :
 
La société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI) a demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations primitives d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos le 31 décembre 2006 et le 31 décembre 2007 ainsi que des pénalités afférentes aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période courant du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2007. Par un jugement du 5 février 2019 n°s 1708187, 1708303, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
 
Par un arrêt n° 19LY01300 du 4 novembre 2021, la cour administrative d’appel de Lyon a, sur appel de la société VHI, prononcé la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes en litige et rejeté le surplus des conclusions de la requête.
 
Par un pourvoi enregistré le 28 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande au Conseil d’Etat :
 
1°) d’annuler les articles 1er, 2 et 3 de cet arrêt ;
 
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de la société VHI.
 
Vu les autres pièces du dossier ;
 
Vu :
 
 – le code civil ;
 
 – le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
 
 – le code de la propriété intellectuelle ;
 
 – le code de justice administrative ;
 
Après avoir entendu en séance publique :
 
— le rapport de M. Olivier Pau, auditeur,
 
— les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
 
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI) ;
 
Considérant ce qui suit :
 
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite d’une vérification de comptabilité de la société civile immobilière (SCI) Vae Homini Injusto (VHI), l’administration fiscale, estimant que la société avait exercé une activité commerciale, a, notamment, remis en cause les revenus fonciers que celle-ci avait déclarés au titre des années 2006 et 2007 et établi un bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos en 2006 d’un montant de 1,16 million d’euros. Le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de la SCI tendant à la décharge de la cotisation d’impôt sur les sociétés, assortie de la majoration pour manquement délibéré, résultant de cette rectification. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande l’annulation des articles 1er à 3 de l’arrêt du 4 novembre 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a prononcé la décharge de ces impositions.
 
2. D’une part, aux termes de l’article 34 du code général des impôts : « Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l’application de l’impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l’exercice d’une profession commerciale, industrielle ou artisanale ». Aux termes de l’article 206 du même code : « 1. (…) sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet (…) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. (…) 2. Sous réserve des dispositions de l’article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu’elles ne revêtent pas l’une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ».
 
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle : « Le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ».
 
4. Enfin, si, aux termes de l’article 544 du code civil, « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements », le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci.
 
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI VHI, filiale d’un groupe dont la société mère est la société Groupe Serveur, est propriétaire d’un bien immobilier dénommé « Domaine de la Source », situé à Saint-Romain-au-Mont-d’Or (Rhône). Par un contrat du 9 décembre 1999 signé entre la SCI et quatre artistes-auteurs, dont M. A…, dirigeant et principal associé de la SCI VHI ainsi que de la société Groupe Serveur, la SCI a accepté la transformation du domaine en un « corpus d’œuvres d’art », dénommé « Nutrisco et Extinguo, l’esprit de la salamandre » ou « Demeure du Chaos » et reçu la concession, par les auteurs, de l’usufruit de l’œuvre. Par un avenant à ce contrat, signé le 21 juin 2005, le droit de reproduction des œuvres a été concédé à la SCI pour une durée de sept ans. Par un autre contrat du 30 juin 2006, la SCI VHI a concédé à la société Groupe Serveur l’utilisation exclusive de l’image de la « Demeure du Chaos » et des œuvres qui la composent, pour une durée de trois ans, avec effet au 1er janvier 2006, en contrepartie d’une rémunération de 900 000 euros HT. Par un troisième contrat du 31 décembre 2006, la SCI VHI a transféré à une autre filiale du groupe, la société L’Organe, également dénommée Musée de l’Organe, la prise en charge des frais de réalisation des œuvres et de la gestion des droits de celles-ci, pour une durée de trois ans avec effet au 30 juin 2006, en contrepartie d’une rémunération de 900 000 euros HT.
 
6. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué qu’après avoir estimé que le contrat conclu le 30 juin 2006 entre la SCI VHI et la société Groupe Serveur avait uniquement porté sur la concession, à cette dernière, de « l’utilisation exclusive de l’image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent » et n’avait pas prévu la sous-concession du droit de reproduction des œuvres, la cour a jugé que l’administration fiscale n’avait pu, au motif que le contrat du 30 juin 2006 impliquait la réalisation d’actes de gestion du patrimoine d’autrui et par suite relevait de l’agence d’affaires et, à ce titre, d’une activité commerciale, assujettir la SCI VHI à l’impôt sur les sociétés.
 
7. Il ressort du contrat du 9 décembre 1999 accordant l’usufruit de l’œuvre monumentale « Nutrisco et Extinguo, l’esprit de la salamandre » ou « Demeure du Chaos » à la société VHI, que toute utilisation de l’image de l’œuvre devait faire l’objet d’une demande écrite soumise à l’accord des artistes. Par l’avenant du 21 juin 2005 au contrat du 9 décembre 1999, la SCI a obtenu des artistes-auteurs la concession du droit à la reproduction des œuvres qui composent la « Demeure du Chaos ». Par suite et compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 et 4, la concession par la SCI VHI, en juin 2006, du droit à « l’image véhiculée par la Demeure du Chaos et les œuvres qui la composent » s’analyse nécessairement comme la sous-concession de ce droit à reproduction, ainsi que le confirme le rapport établi le 30 janvier 2009 par le cabinet BMetA à la demande de M. A… pour la société Groupe Serveur, dont l’objet consistait à évaluer « la valeur du droit exclusif de reproduction de la Demeure du Chaos concédé par la SCI VHI à Groupe Serveur ».
 
8. Dès lors, en jugeant que le contrat du 30 juin 2006 entre la SCI VHI et la société Groupe Serveur avait uniquement porté sur la concession d’un droit à l’image et n’impliquait pas la sous-concession de droits de reproduction d’œuvres d’art dont la SCI était concessionnaire, la cour a dénaturé la portée des stipulations contractuelles en cause.
 
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l’annulation des articles 1er à 3 de l’arrêt qu’il attaque.
 
10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
 
D E C I D E :
 
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Article 1er : Les articles 1er à 3 de l’arrêt du 4 novembre 2021 de la cour administrative d’appel de Lyon sont annulés.
 
Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d’appel de Lyon.
 
Article 3 : Les conclusions présentées par la SCI VHI au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
 
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société civile immobilière Vae Homini Injusto.
 

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