Clause de cession du journaliste : qui doit prouver quoi ?

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Clause de cession du journaliste : qui doit prouver quoi ?
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Afin de donner effet à la clause de cession du journaliste, la juridiction a l’obligation de rechercher l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal intervenue plusieurs années auparavant. 


Il résulte de l’article L. 7112-5 du Code du travail qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du journaliste professionnel, celui-ci a droit à l’indemnité de rupture prévue par les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail lorsque la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique.

L’article L. 7112-5 du code du travail n’impose aucun délai aux journalistes pour mettre en oeuvre la « clause de conscience ». Il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l’une des circonstances qu’il énumère.

Dans cette affaire, pour condamner l’employeur au paiement de l’indemnité prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail, l’arrêt retient qu’à la date du 25 juillet 2017, le journaliste pouvait parfaitement prendre l’initiative de la rupture de son contrat de travail à raison de la clause de cession du périodique au sein duquel il exerçait ses fonctions, sans que puisse lui être opposée la moindre prescription de ce droit, le législateur ne l’ayant enfermé dans aucun délai. Il ajoute que, pour le journaliste professionnel, le droit de rompre son contrat de travail, en application du 1° de l’article L. 7112-5 du code du travail pour cause de cession du journal ou du périodique trouve son fondement dans un acte juridique objectif, en l’espèce non contesté, de cession du périodique, qu’il ne se prescrit pas et n’est soumis à aucune condition de délai, qu’il n’est pas davantage soumis à une appréciation des circonstances de sa formulation, quand bien même à cette occasion le journaliste professionnel élèverait des griefs à l’encontre de son employeur et qu’il est indépendant de celui que prévoit le 3° du même article en cas de changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou du périodique de nature à porter atteinte à l’honneur, la réputation ou, d’une manière générale, aux intérêts moraux du journaliste professionnel, qui n’a donc pas besoin de remettre en cause sa ligne éditoriale. Il en déduit que c’est bien la cession du périodique qui est la cause de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.

Selon la Cour de cassation, en se déterminant ainsi, sans rechercher l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal intervenue trois ans auparavant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

 

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Cour de cassation, Chambre sociale, 14 décembre 2022, 21-17994

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 14 décembre 2022

Cassation partielle

Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 1396 F-D

Pourvoi n° T 21-17.994

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022

La société Editions air et cosmos, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-17.994 contre l’arrêt rendu le 4 mars 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l’opposant à M. [K] [Z], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller doyen, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Editions air et cosmos, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [Z], après débats en l’audience publique du 16 novembre 2022 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président et rapporteur, MM. Sornay, Flores, conseillers, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris,4 mars 2021), M. [Z] a été engagé en qualité de responsable du service photo par la société Editions air et cosmos (la société) suivant contrat à durée indéterminée du 21 juin 2005.

2. Le 1er novembre 2013, la société Discom est devenue actionnaire majoritaire de la société.

3. Par avenant du 20 juin 2014, le salarié a été promu directeur artistique, journaliste reporter photographe.

4. Par lettre du 25 juillet 2017, il a fait connaître à la société sa volonté de quitter l’entreprise en application de la clause de cession.

5. Le 12 janvier 2018, il a saisi la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir, à titre principal, paiement de l’indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de manquements graves et répétés de son employeur.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de l’indemnité prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail et de remettre à l’intéressé une attestation Pôle emploi conforme à la décision, alors « qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du journaliste professionnel, celui-ci a droit à l’indemnité de rupture prévue par les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail, lorsque la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique ; que pour condamner la société à payer une indemnité de 51 757,55 euros au salarié, l’arrêt, après avoir pourtant constaté que la société Discom était devenue l’actionnaire majoritaire de la société employeur dès le 1er novembre 2013, se borne à retenir que la rupture du contrat de travail à l’initiative du journaliste n’était enfermée dans aucun délai, que le salarié pouvait donc prendre le 25 juillet 2017 l’initiative de la rupture de son contrat de travail à raison de la clause de cession et que ce droit de rompre trouvait son fondement dans un acte juridique objectif de cession du périodique et n’était soumis à aucune appréciation des circonstances de sa formulation, de sorte que c’était bien ladite cession qui était la cause de la rupture litigieuse ; qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal intervenue plus de trois ans auparavant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 7112-5,1°, du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 7112-5, 1°, du code du travail :

8. Il résulte de ce texte qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du journaliste professionnel, celui-ci a droit à l’indemnité de rupture prévue par les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail lorsque la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique.

9. L’article L. 7112-5 du code du travail n’impose aucun délai aux journalistes pour mettre en oeuvre la « clause de conscience ». Il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l’une des circonstances qu’il énumère.

10. Pour condamner l’employeur au paiement de l’indemnité prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail, l’arrêt retient qu’à la date du 25 juillet 2017, le journaliste pouvait parfaitement prendre l’initiative de la rupture de son contrat de travail à raison de la clause de cession du périodique au sein duquel il exerçait ses fonctions, sans que puisse lui être opposée la moindre prescription de ce droit, le législateur ne l’ayant enfermé dans aucun délai. Il ajoute que, pour le journaliste professionnel, le droit de rompre son contrat de travail, en application du 1° de l’article L. 7112-5 du code du travail pour cause de cession du journal ou du périodique trouve son fondement dans un acte juridique objectif, en l’espèce non contesté, de cession du périodique, qu’il ne se prescrit pas et n’est soumis à aucune condition de délai, qu’il n’est pas davantage soumis à une appréciation des circonstances de sa formulation, quand bien même à cette occasion le journaliste professionnel élèverait des griefs à l’encontre de son employeur et qu’il est indépendant de celui que prévoit le 3° du même article en cas de changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou du périodique de nature à porter atteinte à l’honneur, la réputation ou, d’une manière générale, aux intérêts moraux du journaliste professionnel, qui n’a donc pas besoin de remettre en cause sa ligne éditoriale. Il en déduit que c’est bien la cession du périodique qui est la cause de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.

11. En se déterminant ainsi, sans rechercher l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal intervenue trois ans auparavant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation prononcée n’emporte pas cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant l’employeur aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, justifiés par d’autres condamnations prononcées à l’encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Editions air et cosmos à payer à M. [Z] la somme de 51 757,55 euros au titre de l’indemnité prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail et la condamne remettre à M. [Z] une attestation Pôle emploi conforme à sa décision, l’arrêt rendu le 4 mars 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [Z] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société Editions air et cosmos

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Editions air et cosmos SAS fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamnée à payer à M. [K] [Z] la somme de 51 757,55 euros au titre de l’indemnité prévue par l’article L. 7112-3 du code du travail et de l’avoir condamnée à remettre à l’intéressé une attestation Pôle emploi conforme au dit arrêt ;

Alors qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du journaliste professionnel, celui-ci a droit à l’indemnité de rupture prévue par les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail, lorsque la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique ; que pour condamner la société Editions air et cosmos SAS à payer une indemnité de 51 757,55 euros à M. [Z], l’arrêt, après avoir pourtant constaté que la société Discom était devenue l’actionnaire majoritaire de la société employeur dès le 1er novembre 2013, se borne à retenir que la rupture du contrat de travail à l’initiative du journaliste n’était enfermée dans aucun délai, que le salarié pouvait donc prendre le 25 juillet 2017 l’initiative de la rupture de son contrat de travail à raison de la clause de cession et que ce droit de rompre trouvait son fondement dans un acte juridique objectif de cession du périodique et n’était soumis à aucune appréciation des circonstances de sa formulation, de sorte que c’était bien ladite cession qui était la cause de la rupture litigieuse ; qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir l’existence d’un lien de causalité entre la rupture du contrat de travail et la cession du journal intervenue plus de trois ans auparavant, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 7112-5 1° du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

La société Editions air et cosmos SAS fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamnée à payer à M. [K] [Z] la somme de 3 000 euros pour absence de visites médicales ;

Alors qu’un manquement de l’employeur à ses devoirs ou obligations n’ouvre droit à indemnisation au profit du salarié que si ce manquement lui a causé un préjudice indemnisable ; que pour condamner la société Editions air et cosmos SAS à payer une indemnité à M. [Z], l’arrêt se borne à retenir que la société Editions Air et Cosmos ne conteste pas que le salarié n’a bénéficié d’aucune visite médicale depuis la cession du périodique en 2013 et notamment de visites médicales après ses arrêts de travail en 2017, avant la rupture de son contrat de travail, de sorte qu’elle doit le dédommager à hauteur de 3 000 euros ; qu’en se déterminant ainsi, sans indiquer la nature du préjudice que les dommages-intérêts alloués avaient pour objet de réparer, ni caractériser de lien de causalité avec le manquement imputé à l’employeur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147, devenu 1231-1 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

La société Editions air et cosmos SAS fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamnée à payer à M. [K] [Z] la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de la rémunération proportionnelle du droit d’exploitation de ses droits d’auteur pour les produits en ligne ;

Alors que le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que pour condamner la société Editions air et cosmos SAS à payer à M. [Z] un certain montant de dommages et intérêts au titre de la rémunération proportionnelle du droit d’exploitation de ses droits d’auteur pour les produits en ligne, l’arrêt retient que l’employeur était en capacité de produire le nombre d’abonnés à la version numérique et ainsi de justifier de l’assiette de la rémunération proportionnelle que le journaliste pouvait solliciter de ce chef et qu’à défaut pour la société Editions air et cosmos SAS d’en avoir justifié, la cour fera droit à la demande indemnitaire de 5 000 euros formée par M. [Z] ; qu’en allouant ainsi au salarié la somme que celui-ci demandait en la qualifiait lui-même d’indemnisation forfaitaire de son préjudice, la cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l’article 1147, devenu 1231-1 du code civil.

 


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