Concurrence déloyale entre prestataires

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Concurrence déloyale entre prestataires
Ce point juridique est utile ?

Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu’il a débouté la société ADM 21 de ses demandes indemnitaires à l’encontre de la société Arc Informatique, à défaut de démonstration d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme de cette dernière.
* * *
COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 39H

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 2 MARS 2023

N° RG 18/01209 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SGEJ

AFFAIRE :

SARL ADM 21

C/

[Y] [O]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 1

N° RG : 14/06828

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Monique TARDY

Me Christian COUVRAT

Me Martine DUPUIS

TJ NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SARL ADM 21

RCS Nanterre n° 417 736 972

[Adresse 5]

[Localité 8]

Représentée par Me Monique TARDY de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 et Me Franck LAVAIL, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1633

APPELANTE

****************

Madame [Y] [O]

née le 14 Avril 1967 à [Localité 12]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Christian COUVRAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0462

SAS ARC INFORMATIQUE

RCS Nanterre n° 320 695 356

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Joël HESLAUT de la SELARL NEMEZYS, Plaidant, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 758

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 18 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur François THOMAS, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL ADM 21, créée en 1998, a pour objet la vente en gros de matériels informatiques et électroniques. Son activité récente s’est centrée sur l’importation et la distribution de matériels informatiques en provenance de pays asiatiques, son principal fournisseur étant la société taïwanaise Moxa.

A compter du 6 février 2006, la société ADM 21 a employé Mme [Y] [O], ingénieur de formation, pour exercer les fonctions de secrétaire commerciale chargée notamment de l’ensemble des devis, de la recherche de nouvelle clientèle et des relations avec les clients.

Mme [O] a donné sa démission le 6 mai 2011 et a quitté la société ADM 21 le 31 mai 2011.

Le 6 juin 2011, elle a été embauchée en qualité d’ingénieur commercial par la SAS Arc Informatique, société créée en 1981 qui exerce notamment une activité d’édition de logiciels informatiques.

Saisi par requête de la société ADM 21, le président du tribunal de commerce de Nanterre a autorisé cette société, par ordonnances des 24 novembre et 26 décembre 2013, à faire procéder à des opérations de constat et de saisie de pièces dans les locaux de la société Arc Informatique ainsi qu’au domicile de Mme [O]. Deux procès-verbaux de constat ont été dressés par huissier de justice le 23 janvier 2014.

C’est dans ce contexte que la société ADM 21 a, par acte du 19 mai 2014, fait assigner Mme [O] et la société Arc Informatique devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de leurs agissements déloyaux.

Par jugement contradictoire du 23 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

– Dit la société Arc Informatique et Mme [O] irrecevables à soulever la nullité des ordonnances sur requête rendues respectivement le 22 novembre 2013 par le président du tribunal de commerce de Nanterre et le 26 décembre 2013 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre et des constats d’huissier de justice subséquents dressés le 23 janvier 2014 ;

– Débouté la société ADM 21 de l’ensemble de ses demandes formées au titre des agissements déloyaux ;

– Débouté Mme [O] de sa demande indemnitaire au titre de l’action en justice engagée par la société ADM 21 ;

– Débouté la société Arc Informatique de sa demande indemnitaire au titre des opérations de constats d’huissier de justice ;

– Débouté l’ensemble des parties de leurs demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire ;

– Condamné Mme [O] aux dépens, lesquels pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 20 février 2018, la société ADM 21 a interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 9 mai 2019, le conseiller de la mise en état de la 12e chambre de la cour d’appel de Versailles, saisi par la société ADM 21, a :

– Déclaré recevable la demande d’expertise, mais l’a rejetée en l’état ;

– Rejeté le surplus des demandes ;

– Dit que les dépens de l’incident suivront le sort de l’instance principale.

Par arrêt contradictoire et avant dire droit du 26 septembre 2019, la cour a :

– Confirmé le jugement rendu le 22 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nanterre, en ce qu’il a déclaré la société Arc Informatique et Mme [O] irrecevables à soulever la nullité des ordonnances sur requête rendues respectivement le 22 novembre 2013 par le président du tribunal de commerce de Nanterre et le 26 décembre 2013 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre et des constats d’huissier de justice subséquents dressés le 23 janvier 2014 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

– Ordonné avant dire-droit une expertise judiciaire qui sera confiée à M. [I] [R], expert près la cour d’appel de Paris, [Adresse 11], Tél : [XXXXXXXX01], Port. : [XXXXXXXX02], Email : [Courriel 10], lequel recevra pour mission de :

* Se faire communiquer par l’huissier instrumentaire, l’intégralité des éléments saisis lors des opérations de constat qui se sont déroulées le 23 janvier 2014 à la requête de la société ADM 21, tant dans les locaux de la société Arc Informatique qu’au domicile de Mme [O], procéder à leur analyse ;

* Etablir un état des e-mails, dont la date est postérieure au 30 mai 2011, qui ont été saisis dans le cadre des opérations de constat, qui comportent l’intitulé « adm21 » ou « devis@adm21 » dans leur adresse, et :

– préciser s’ils ont été créés à partir du matériel de la société Arc Informatique ou de Mme [O] ou exportés à partir d’une base de données extérieure, plus généralement donner toutes informations utiles sur l’origine de ces e-mails,

– indiquer ceux qui ont été reçus et/ou, le cas échéant, interceptés par la société Arc Informatique ou Mme [O], plus généralement donner toutes informations utiles sur l’origine de ces e-mails,

– en indiquer le nombre et les adresses destinataires,

– les analyser et indiquer s’ils sont établis ou destinés, par ou à, un personnel de la société ADM 21,

* Dans l’affirmative, autoriser l’expert à annexer lesdits e-mails à son rapport ;

– Dit que pour l’exécution de sa mission, l’expert pourra obtenir copie des fichiers et e-mails de la requérante aux fins d’en comparer le contenu à ceux saisis ;

– Dit que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu’il déposera son rapport en un exemplaire original au greffe de la 12ème chambre de la cour d’appel de Versailles, dans un délai de six mois à compter de l’avis de consignation sauf prorogation de ce délai dûment sollicité en temps utile auprès du juge chargé du contrôle des expertises ;

– Dit que l’expert devra, lors de l’établissement de sa première note aux parties, indiquer les pièces nécessaires à l’exercice de sa mission, le calendrier de ses opérations et le coût prévisionnel de la mesure d’expertise ;

– Dit qu’après avoir rédigé un document de synthèse, l’expert devra fixer aux parties un délai pour formuler leurs dernières observations ou réclamations en application de l’article 276 du code de procédure civile et rappelé qu’il ne sera pas tenu de prendre en compte les observations ou réclamations tardives ;

– Dit que le président de la 12ème chambre de la cour d’appel de Versailles suivra la mesure d’instruction et statuera sur les incidents ;

– Dit que l’expert devra rendre compte à ce juge de l’avancement de ses travaux d’expertise et des diligences accomplies et qu’il devra l’informer de la carence éventuelle des parties dans la communication des pièces nécessaires à l’exécution de sa mission, conformément aux dispositions des articles 273 et 275 du code de procédure civile ;

– Fixé à la somme de 5.000 € la provision à valoir sur la rémunération de l’expert qui devra être consignée par la société ADM 21 ou par la plus diligente des parties dans les mains du régisseur d’avances et de recettes de la cour d’appel de Versailles dans le délai maximum de six semaines à compter du prononcé de l’arrêt, sans autre avis ;

– Dit que faute de consignation dans ce délai impératif, la désignation de l’expert sera caduque et privée de tout effet ;

– Ordonné le sursis à statuer sur les autres demandes ;

– Réservé les dépens.

L’expert a déposé son rapport le 24 novembre 2021, dans lequel il indique qu’il n’a pu remplir sa mission faute de pouvoir se faire communiquer les éléments saisis lors des opérations de constat.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 18 février 2022, la société ADM 21 demande à la cour de :

– Constater que l’appel interjeté par la société ADM 21 est régulier ;

– Confirmer la décision déférée en ce qu’elle a jugé irrecevables Mme [O] et la société Arc Informatique de leurs demandes d’annulation des opérations de constat ;

En conséquence,

– Débouter Mme [O] et la société Arc Informatique de leur appel incident ;

– Déclarer la société ADM 21 recevable en son action et l’y déclarant bien fondée ;

Y faisant droit,

– Infirmer la décision déférée en ce qu’elle a débouté la société ADM 21 de sa demande d’indemnisation formulée à l’encontre de Mme [O] et de la société ADM 21 ;

En conséquence,

– Constater que la société Arc Informatique et Mme [O] ont commis de graves actes déloyaux au préjudice de la société ADM 21 ;

– Dire et juger que ces actes déloyaux ont causé un préjudice à la société ADM 21 ;

En conséquence, statuant à nouveau,

A titre principal,

– Condamner in solidum la société Arc Informatique et Mme [O] à verser à la société ADM 21 les sommes de :

– 188.364,83 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts au titre de sa perte de chiffre d’affaires et de marge corrélative,

– 100.000 € à titre de dommages et intérêts au titre de l’atteinte à son image et parasitisme ;

– Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir, aux frais exclusifs de la société Arc Informatique, dans les publications spécialisées suivantes :

– PEI Magazine,

– J’Automatise,

– Le Monde de l’Industrie,

– Mesures,

– Electronique Mag ;

– Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir, aux frais exclusifs de la société Arc Informatique, sur les sites internet de la société Arc Informatique :

– http://www.arcinfo.com/

– http://www.pcvuesolutions.com/

et sur le site de la requérante : http://www.adm21.fr/ ;

– Débouter Mme [O] et la société Arc Informatique de leurs demandes reconventionnelles ;

– Réserver les dépens ;

En toute hypothèse,

– Dire et juger la société Arc Informatique irrecevable en sa demande d’indemnisation pour préjudice moral ;

– Débouter Mme [O] et la société Arc Informatique de l’intégralité de leurs demandes fins et conclusions ;

– Condamner in solidum la société Arc Informatique et Mme [O] à payer à la société ADM 21, la somme de 22.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, comprenant les frais de constat et d’expertise, que Me Monique Tardy, avocat aux offres de droit, pourra recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 31 août 2022, Mme [O] demande à la cour de :

– Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre en date du 17 novembre 2017 en ce qu’il a :

– Débouté la société ADM 21 de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées contre Mme [O] ;

– Réformer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [O] de ses demandes reconventionnelles et statuant à nouveau ;

– Condamner la société ADM 21 à payer à Mme [O] la somme de 100.000 € en réparation du préjudice subi du fait de l’action engagée ;

– Condamner la société ADM 21 à payer à Mme [O] la somme de 15.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société ADM 21 aux entiers dépens dont le recouvrement sera effectué conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 30 août 2022, la société Arc informatique demande à la cour de :

– Recevoir la société Arc Informatique en ses conclusions ;

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société ADM 21 de l’ensemble de ses demandes formées au titre des agissements déloyaux ;

En conséquence,

– Débouter la société ADM 21 de l’ensemble de ses demandes ;

– Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :

– Débouté la société Arc Informatique de ses demandes au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Et statuant à nouveau,

– Condamner la société ADM 21 à payer à la société Arc Informatique la somme de 25.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société ADM 21 aux entiers dépens de l’instance, lesquels seront recouvrés par la SELARL Lexavoué dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 15 septembre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Il est rappelé à titre liminaire qu’en vertu de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Les demandes des parties seront donc examinées dans l’ordre et dans les limites du dispositif de leurs conclusions respectives.

Sur la nullité des ordonnances sur requête et des constats d’huissier

La société ADM 21 sollicite la confirmation de la décision déférée en ce qu’elle a jugé irrecevables les demandes d’annulation des opérations de constat d’huissier formées par Mme [O] et la société Arc Informatique.

La société Arc Informatique prend acte de la décision de la cour dans son arrêt avant dire droit du 26 septembre 2019 et indique qu’elle retire ses développements sur ce point dans ses dernières conclusions.

Mme [O] considère que les opérations de constat d’huissier menées à son domicile le 23 janvier 2014 sont entachées de nullité mais elle ne formule plus aucune prétention dans le dispositif de ses conclusions.

*****

Par son arrêt avant dire droit rendu le 26 septembre 2019, la cour a tranché ce point et confirmé le jugement rendu le 22 (sic) novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nanterre, en ce qu’il a déclaré la société Arc Informatique et Mme [O] irrecevables à soulever la nullité des ordonnances sur requête rendues respectivement le 22 novembre 2013 par le président du tribunal de commerce de Nanterre et le 26 décembre 2013 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre et des constats d’huissier de justice subséquents dressés le 23 janvier 2014.

Cette demande est dès lors devenue sans objet.

Sur les actes de concurrence déloyale

La société ADM 21 prétend avoir été victime d’actes de concurrence déloyale commis par Mme [O] et la société Arc Informatique. Elle reproche à cette dernière de s’être livrée à un démarchage systématique de ses clients et d’avoir initié une politique agressive à l’égard du fournisseur Moxa, à compter de l’embauche de Mme [O] au mois de juin 2011, soulignant que jusqu’à cette date, la société Arc Informatique ne travaillait pas avec ce fournisseur. Elle indique avoir observé une baisse notable de son chiffre d’affaires concomitamment au départ de Mme [O], les sociétés Aurecom et RG2I ayant totalement cessé de travailler avec elle pour travailler avec la société Arc Informatique. Elle prétend que Mme [O] a détourné de nombreux documents confidentiels appartenant à son ancien employeur, qu’elle a utilisé des procédés dénigrants et que depuis son départ de la société ADM 21, elle n’a cessé de l’espionner en utilisant l’adresse e-mail ‘[Courriel 9]’, et ce au profit de la société Arc Informatique, son concurrent direct. L’appelante ajoute qu’au mois de juin 2013, elle a été victime d’une manoeuvre d’un concurrent indélicat qui, usurpant l’identité du directeur commercial de la société, a adressé un faux e-mail pour retirer la candidature d’ADM 21 dans un appel d’offres ouvert par la société Clemessy, laquelle a ensuite passé le marché avec la société Arc Informatique et cessé toute collaboration avec la société ADM 21. Elle affirme que cette manoeuvre n’a pu être réalisée que par une personne connaissant le mot de passe de l’adresse générique utilisée et désigne Mme [O] comme auteur de l’e-mail litigieux.

Elle avance que la société Arc Informatique n’a embauché Mme [O] que dans le but d’exploiter le savoir-faire acquis chez son ancien employeur, notamment pour ce qui concerne la gamme des produits Moxa , et de capter la clientèle de son concurrent, au besoin en utilisant des moyens illicites. Elle considère que, si la mesure d’expertise sollicitée n’avait pas pour finalité de rapporter la preuve des préjudices allégués mais seulement d’en appréhender l’entière portée, les constats effectués, tant dans les locaux de la société Arc Informatique qu’au domicile de Mme [O], ont démontré les détournements de fichiers opérés par les intimées et leur utilisation à des fins déloyales.

Elle prétend que le détournement de clientèle opéré par Arc Informatique représente un chiffre d’affaires de 323.058,50 € qui lui a été frauduleusement soustrait ; que du fait des agissements des intimées, elle a en outre été privée d’une progression moyenne de 7,75 % du chiffre d’affaires Moxa. Elle fait enfin état d’actes de parasitisme et d’une atteinte à son image de marque auprès de ses clients et de ses partenaires habituels.

La société Arc Informatique répond qu’elle n’a pas dénigré la société ADM 21, qu’elle n’a pas cherché à créer une confusion entre elle et la société ADM 21, qu’elle n’a pas détourné de fichier appartenant à la société ADM 21 ni profité de l’utilisation de tels fichiers par l’entremise de Mme [O], qu’elle ne s’est pas placée dans le sillage de la société ADM 21.

Elle soutient qu’à aucun moment elle n’a cherché à débaucher Mme [O] puisque c’est celle-ci qui lui a spontanément adressé sa candidature en février 2011. Elle rappelle que Mme [O] est ingénieur diplômé d’Etat, qu’elle a été engagée par la société ADM 21 en qualité de secrétaire commerciale, qu’elle a postulé auprès de la société Arc informatique au sein de laquelle elle pensait avoir l’opportunité de valoriser à la fois sa compétence technique d’ingénieur et son expérience professionnelle, qu’ainsi elle a été recrutée par la société Arc Informatique en qualité d’ingénieur commercial, statut cadre, avec pour mission de proposer aux clients des solutions informatiques complètes, intégrant notamment les logiciels développés par l’entreprise. Elle précise à cet égard que la société ADM 21 ne peut valablement soutenir qu’elle est « sa concurrente directe » dans la mesure où l’appelante exerce uniquement l’activité de revendeur de produits électroniques et informatiques importés, tandis qu’Arc Informatique est une société spécialisée dans l’édition de logiciels informatiques, qui conçoit, réalise et effectue des opérations de maintenance des logiciels.

Elle fait observer que la société ADM 21 ne rapporte pas la preuve d’actes de concurrence déloyale de sa part ; qu’elle n’établit pas la baisse alléguée de son chiffre d’affaires ; qu’elle est mal venue à affirmer qu’elle a détourné les ‘clients’ Aurecom et RG2I, lesquels sont en réalité des distributeurs qui achètent en fonction de leurs intérêts économiques ; que son chiffre d’affaires concernant le marché Moxa a au contraire augmenté ; qu’enfin aucun élément probant ne vient non plus étayer l’atteinte à l’image invoquée.

Mme [O] soutient quant à elle n’avoir commis aucun acte de concurrence « contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale ». Elle remet en cause la force probante du constat d’huissier du 23 janvier 2014 au regard des conditions de déroulement du constat opéré à son domicile en son absence, de l’absence de mention de l’heure sur le procès-verbal, du défaut de justification d’un mandat pour agir.

Elle admet avoir informé ses interlocuteurs de son départ de la société ADM 21, sans que ce comportement puisse être qualifié de fautif, et précise que les emails transférés l’ont été sur son adresse de messagerie professionnelle [Courriel 15]. S’agissant des fichiers ADM 21 qui ont été retrouvés sur son disque dur externe, elle explique qu’elle utilisait son propre matériel pour la sauvegarde de son poste de travail professionnel, que ces fichiers avaient été supprimés du disque dur et que l’huissier y a eu accès en utilisant des outils de récupération des fichiers supprimés. Elle souligne que la dernière date de modification de ces fichiers (26 mai 2011) démontre qu’elle était encore dans l’entreprise lorsqu’elle a consulté pour la dernière fois ces fichiers.

Elle confirme qu’elle n’a pas été débauchée par la société Arc Informatique, qu’elle a contacté cette société en 2011 pour lui proposer ses services et qu’elle a démissionné de son précédent poste en raison du climat au sein de la société ADM 21 qu’elle ne supportait plus. Elle considère que l’usurpation d’identité qui lui est imputée constitue une accusation gratuite, sans preuve, qui démontre l’animosité que la société ADM 21 nourrit à son égard. Elle fait valoir que l’huissier n’a constaté aucun détournement de clientèle, que les clients de la société ADM 21 qui sont partis ont décidé de changer de fournisseur pour des motifs sans relation avec elle.

*****

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement de son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La notion de concurrence déloyale, appréciée à l’aune du principe de la liberté du commerce, consiste dans des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.

En pratique, les litiges en concurrence déloyale couvrent des situations juridiques variées, parmi lesquelles la création d’un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur, le dénigrement, la violation d’une réglementation et la désorganisation d’une entreprise, qui peut consister en un débauchage de salariés ou le détournement de fichiers stratégiques.

Au cas présent, la société ADM 21 se prévaut de plusieurs faits fautifs au soutien de la concurrence déloyale alléguée.

Elle invoque tout d’abord un détournement de fichiers lui appartenant, qui aurait permis à la société Arc Informatique, sa concurrente directe, de connaître ses clients, ses méthodes commerciales, ses prix.

Elle s’appuie essentiellement sur le procès-verbal de constat d’huissier du 23 janvier 2014 relatant les opérations effectuées au domicile de Mme [O] et au cours desquelles a notamment été saisi un disque dur externe dans lequel ont été trouvés des fichiers contenant dans leur intitulé une référence à la société ADM 21 (fichier ‘ADM21 Air Fright Rate fro…’ modifié le 20 février 2013, fichier ‘Price list ADM21 June’ modifié le 5 juin 2008, fichier ‘ADM21″ modifié le 23 janvier 2014, fichier ‘Devis ADM21″ modifié le 20 avril 2011, fichier ‘Base contact adm21″ modifié le 20 avril 2011, fichier ‘Tarif ADM21-be” modifié le 9 mai 2011, fichier ‘Facture ADM21-be1″ modifié le 26 mai 2011, fichier ‘contact adm21-be’ modifié le 26 mai 2011).

La cour observe à cet égard que les arguments opposés par Mme [O] pour dénier toute force probante au constat d’huissier du 23 janvier 2014 sont inopérants dans la mesure où l’huissier instrumentaire a été dûment désigné par ordonnance du 26 décembre 2013 du président du tribunal de commerce de Nanterre qui lui a donné mission de se rendre au domicile de Mme [O], en recourant le cas échéant aux services d’un serrurier pour y pénétrer, et de rechercher notamment sur le matériel informatique de l’intéressée des fichiers appartenant à la société ADM 21 et toute trace de connexion sur l’adresse électronique ‘devis@adm 21.fr’.

La société ADM 21 affirme que les fichiers exportés par la salariée et saisis par l’huissier le 23 janvier 2014 consistaient en des logiciels conçus par son ancien employeur et destinés à gérer ses clients (base contacts fournisseurs et clients, logiciels de réalisation de devis et de calcul de prix). Les éléments communiqués ne mettent cependant pas la cour en mesure d’apprécier si ces fichiers, qui ne sont pas annexés au procès-verbal de constat, contenaient, comme le prétend l’appelante, des « données ultra confidentielles » lui appartenant, en particulier des fichiers clients qui auraient permis à la société Arc Informatique de détourner sa clientèle.

L’appelante prétend encore avoir constaté la disparition d’un disque dur et de plusieurs dossiers, concomitamment au départ de Mme [O] mais n’en rapporte pas la preuve, le jugement entrepris ayant au demeurant souligné à raison qu’aucun de ces éléments n’a été retrouvé chez l’intéressée lors des opérations de constat d’huissier.

Les premiers juges ont en revanche constaté, au terme d’une analyse que la cour fait sienne, que Mme [O] avait, alors qu’elle était salariée de la société Arc Informatique, détourné les devis de quatre clients de la société ADM21 pour l’achat de produits Moxa, soit la société SPIE 68 Mulhouse, la société Actemium, la société SPIE 64 Sarrat Industries et la société Eiffage Energie Val de Loire, sachant que l’intéressée a reconnu, lors des opérations de constat, avoir pu utiliser à une ou deux reprises l’adresse ‘devis@adm 21.fr’ après qu’elle a quitté la société ADM21.

Il est également établi par les pièces versées aux débats que Mme [O] a intercepté deux courriels des 8 et 9 avril 2013 ayant pour objet ‘PRF Siemens’, échangés entre Mme [K] [G] de la société ADM21 et M. [C] [V] de la société Moxa, dont copie a été envoyée à l’adresse ‘[Courriel 9]’ portant sur le prix d’une commande de produits Moxa pour le compte de la société Siemens (soit 110 produits MB317 à 135 euros l’unité), et que Mme [O] a transféré de sa messagerie personnelle [Courriel 14] à sa messagerie professionnelle [Courriel 13].

Il n’est pour autant aucunement démontré que la société Arc Informatique a eu un rôle quelconque dans le détournement de ces éléments, ni même qu’elle se les est appropriés.

Si Mme [O] a transféré le 18 avril 2013 les courriels des 8 et 9 avril 2013 à M. [U] [E], responsable commercial au sein de la société Arc Informatique, aucun élément n’établit que les informations communiquées ont été utilisées par la société Arc Informatique.

La preuve n’est pas non plus rapportée que les sociétés Aurecom et RG2I, sur lesquels la société ADM 21 concentre ses développements pour indiquer qu’elle aurait perdu ces clients après la démission de Mme [O], ont effectivement été détournés par la société Arc Informatique. Les tableaux chiffrés produits par la société ADM 21 ne sont pas probants, en l’absence de certification par un expert-comptable, et des incohérences peuvent être relevées entre les chiffres reportés dans ces tableaux manifestement établis pour les besoins de la cause.

Il doit par ailleurs être tenu compte de la signature d’un accord de distribution des produits Moxa conclu par la société Arc Informatique avec ce fournisseur dès 2010, accord versé aux débats, ce qui vient anéantir l’argument de la société ADM 21 selon lequel, avant l’embauche de Mme [O] en juin 2011, la société Arc Informatique ne travaillait pas avec Moxa et qu’elle aurait profité déloyalement de la connaissance des produits Moxa de sa nouvelle salariée.

En définitive, la société ADM 21 ne rapporte pas la preuve que les informations dont disposait Mme [O] ont été utilisées, ni ne justifie d’un préjudice y afférent.

La société ADM21 fait ensuite grief à Mme [O] d’être à l’origine de l’usurpation de l’identité de son directeur commercial, M. [D] [P], au moyen duquel elle aurait été évincée de manière déloyale d’un marché remporté par la société Arc Informatique. Elle se fonde sur un courriel adressé le 14 janvier 2013 depuis l’adresse ‘[Courriel 9]’ à la société Clemessy l’informant du retrait de l’offre de tarifs envoyée la veille par des collaborateurs de la société ADM21. Elle prétend que ce courriel, qui lui a été transféré par la société Clemessy, n’a jamais été envoyé par la société ADM 21, que ce faux courriel n’a pu être adressé que par une personne connaissant le mot de passe de l’adresse générique ‘[Courriel 9]’, opérant pour le compte d’un concurrent indélicat, et qu’il ne peut s’agir que de Mme [O].

Si Mme [O] a reconnu, lors des opérations de constat, qu’il était possible qu’elle ait utilisé une ou deux fois l’adresse ‘[Courriel 9]’ après son départ de la société ADM 21, ce qui correspond au nombre d’emails (2) comportant cette adresse saisis sur son poste informatique dans les locaux de la société Arc Informatique, il n’est pas établi que le courriel litigieux en faisait partie, ni qu’il a été envoyé de l’adresse personnelle ou professionnelle de Mme [O], celle-ci soulignant qu’elle n’était pas la seule à disposer du mot de passe permettant d’accéder à cette adresse de messagerie générique. Comme le fait en outre observer Mme [O], la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles, saisie d’une requête en annulation de pièces dans le cadre d’une plainte avec constitution de partie civile déposée par la société ADM 21 pour faux, usage de faux et usurpation d’identité, a mentionné dans son arrêt rendu le 12 mars 2019, que lors des investigations effectuées sur le matériel informatique de Mme [O], aucun document bureautique n’est apparu comme étant falsifié et aucun courriel d’annulation d’offre n’a été découvert par les enquêteurs.

Les faits d’usurpation d’identité ne sont ainsi pas avérés.

La société ADM 21 reproche encore à la société Arc Informatique le débauchage de Mme [O], qui aurait été recrutée dans le but d’exploiter le savoir-faire acquis chez son précédent employeur, notamment pour ce qui concerne la gamme des produits Moxa, et de capter la clientèle de la société ADM 21.

Si le débauchage, s’entendant également de la démission provoquée, n’est pas en lui-même fautif, il devient déloyal si une faute peut être caractérisée à l’égard du nouvel employeur, consistant notamment en des man’uvres pour détourner le salarié vers soi, dans un but déterminé tel que l’utilisation des connaissances acquises par le salarié, le détournement d’une clientèle ou la connaissance du savoir-faire de l’entreprise et ayant pour objet ou pour effet de désorganiser l’entreprise victime.

Or, l’appelante ne communique aucun élément permettant de retenir que Mme [O] a été débauchée par la société Arc Informatique, alors que, comme l’ont notamment constaté les premiers juges, les courriels échangés entre Mme [O] et la société Arc Informatique entre le 18 février et le 6 mai 2011 établissent que la salariée a personnellement et spontanément démarché cette société dans le cadre d’une recherche d’un nouvel emploi, adressant sa démission le 6 mai 2011 à la société ADM 21, avec laquelle elle se trouvait par ailleurs en désaccord à la suite de la suppression de la partie variable de son salaire. Au surplus, il n’est pas discuté que Mme [O] n’était tenue à aucune obligation de non-concurrence à l’égard de son précédent employeur.

Enfin, concernant le parasitisme dont se prévaut la société ADM 21, il doit être rappelé qu’il consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

S’il a été précédemment constaté que Mme [O] avait intercepté deux courriels et quatre devis de la société ADM 21 comportant des éléments tarifaires, la preuve n’est pas rapportée que la société Arc Informatique ou que Mme [O] en ont tiré profit. Dans ces conditions, le parasitisme n’apparaît pas établi comme l’ont justement retenu les premiers juges.

Ceux ci méritent en conséquence d’être suivis en ce qu’ils ont débouté la société ADM 21 de ses demandes formées à l’encontre de son ancienne salariée.

Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu’il a débouté la société ADM 21 de ses demandes indemnitaires à l’encontre de la société Arc Informatique, à défaut de démonstration d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme de cette dernière.

Sur le préjudice moral invoqué par Mme [O]

Mme [O] sollicite la condamnation de la société ADM 21 à lui verser la somme de 100.000 € au titre de son préjudice moral. Elle expose qu’elle a dû subir une perquisition à son domicile ainsi qu’une mise en cause personnelle devant ses nouveaux collègues et son employeur. Elle estime que la société ADM 21 cherche, par son action, à mettre en péril la relation de travail existant avec Arc Informatique

La société ADM 21 s’oppose à cette demande.

*****

Mme [O] ne justifiant pas d’un préjudice moral, elle apparait mal fondée en sa demande de dommages-intérêts et doit donc en être déboutée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur la publication de la décision à intervenir

Au regard de la décision prise par la cour confirmant le jugement rejetant les prétentions de l’appelante, cette dernière doit également être déboutée de sa demande tendant à obtenir la publication de la décision, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les autres demandes

La cour observe que la société Arc Informatique ne formule plus, en cause d’appel, de demande indemnitaire au titre d’un préjudice moral. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur ce point.

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles et de ses propres dépens d’appel. Compte tenu du sens de la présente décision, les frais de constat et d’expertise demeureront à la charge de la société ADM 21.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nanterre ;

Y ajoutant,

DIT que chaque parties assumera la charge de ses propres dépens d’appel, les frais de constat et d’expertise restant à la charge de la société ADM 21 ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


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