Agressions entre collègues : l’employeur condamné pour harcèlement moral

Agressions entre collègues : l’employeur condamné pour harcèlement moral

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Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 9, 5 avril 2023, 20/02895

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 5 AVRIL 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02895 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB2AJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 4 Mars 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LONGJUMEAU – Section Commerce – RG n° F18/00654

APPELANTE

SAS MASSYQUOISE DE DISTRIBUTION exploitant le centre LECLERC DE MASSY

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Virginie FRENKIAN SAMPIC, avocat au barreau de PARIS, toque : A0693

INTIMÉ

Monsieur [A] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Nathalie FAUDOT, avocat au barreau d’ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 9 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Philippe MICHEL, président de chambre

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Mme Nelly CHRETIENNOT, conseillère

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée déterminée à compter du 13 septembre 2016 puis contrat à durée indéterminée à compter du 1er août 2017, M. [U] a été engagé en qualité d’employé commercial par la société massyquoise de distribution (exploitant le centre Leclerc de Massy), ladite société employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire du 12 juillet 2001.

Après avoir fait l’objet d’une mise à pied conservatoire et été convoqué, suivant courrier recommandé du 12 janvier 2018, à un entretien préalable fixé au 25 janvier 2018, M. [U] a été licencié pour faute grave suivant courrier recommandé du 9 février 2018.

Invoquant l’existence de faits de harcèlement moral, contestant le bien-fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [U] a saisi la juridiction prud’homale le 28 juin 2018.

Par jugement du 4 mars 2020, le conseil de prud’hommes de Longjumeau a :

– fixé la moyenne des salaires de M. [U] à 1 358,65 euros,

– prononcé la nullité du licenciement,

– condamné la société massyquoise de distribution à payer à M. [U] les sommes suivantes :

– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

– 478,92 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 1 358,65 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 135,86 euros au titre des congés payés y afférents,

– 1 380,20 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 138 euros au titre des congés payés y afférents,

– 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture vexatoire,

– 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,

– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les intérêts légaux courront à compter du 3 juillet 2018, date de réception de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation, pour les créances salariales et du prononcé pour les autres créances,

– ordonné la remise de documents : attestation Pôle Emploi, certificat de travail et fiche de paie valant solde de tout compte sous astreinte de 20 euros par jour de retard et par document à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement et ce pendant 2 mois,

– dit que le conseil se réserve le droit de liquider l’astreinte,

– débouté la société massyquoise de distribution de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire au titre de l’article 515 du code de procédure civile,

– condamné la société massyquoise de distribution aux entiers dépens de l`instance.

Par déclaration du 31 mars 2020, la société massyquoise de distribution a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 17 mars 2020.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 17 juin 2020, la société massyquoise de distribution demande à la cour de :

– dire que le licenciement repose sur une faute grave,

– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– débouter M. [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner M. [U] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 août 2020, M. [U] demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a reconnu qu’il était victime de harcèlement moral, retenu la nullité du licenciement, constaté le non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité et retenu le caractère vexatoire du licenciement,

– infirmer le jugement quant aux montants retenus par le conseil de prud’hommes et, statuant à nouveau,

– condamner la société massyquoise de distribution à lui payer les sommes suivantes :

à titre principal,

– dommages-intérêts pour harcèlement moral : 9 000 euros,

– dommages-intérêts pour licenciement nul : 12 000 euros,

– indemnité compensatrice de préavis : 1 753,07 euros et congés payés : 175,30 euros

– indemnité légale de licenciement : 657,40 euros,

– dommages-intérêts pour rupture vexatoire : 5 000 euros,

– dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité : 9 000 euros,

– article 700 du code de procédure civile (première instance) : 3 000 euros,

– article 700 du code de procédure civile (appel) : 4 000 euros

à titre subsidiaire,

– dommages-intérêts pour rupture abusive : 3 506,14 euros

à titre très subsidiaire,

– dommages-intérêts pour procédure irrégulière : 1 753,07 euros,

en tout état de cause,

– condamner la société massyquoise de distribution au paiement de la somme de 3 600 euros au titre de la liquidation de l’astreinte prononcée,

– ordonner la remise, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, d’un certificat de travail conforme à l’arrêt à intervenir,

– dire que la cour se réserve la compétence de la liquidation de l’astreinte,

– dire que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation et d’orientation et en ordonner la capitalisation sur le fondement de l’article 1154 du code de procédure civile,

– condamner la société massyquoise de distribution aux entiers dépens.

L’instruction a été clôturée le 29 novembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 9 janvier 2023.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

La société appelante fait valoir que l’intimé ne rapporte pas la preuve de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, que le harcèlement est en réalité le fait de l’intimé et que son licenciement est pleinement justifié par la faute grave qu’il a commise.

L’intimé réplique que dès le début de la relation contractuelle, il a été victime des violences verbales et physiques d’un collègue de travail (M. [C]), qu’il subi pendant plusieurs mois des brimades, insultes, menaces et provocations, que la violence de son collègue n’a cessé de s’aggraver jusqu’au 11 janvier 2018, date à laquelle ce dernier l’a physiquement agressé en l’aspergeant de gaz lacrymogène devant témoins, et que le conseil de prud’hommes a ainsi justement considéré que son licenciement était nul car fondé sur des faits de harcèlement. A titre subsidiaire, il soutient que l’employeur ne rapporte pas la preuve de la faute grave invoquée à son encontre. A titre très subsidiaire, il conclut au caractère irrégulier de la procédure de licenciement.

Aux termes de l’article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instructions qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, le salarié licencié pour faute grave n’ayant pas droit aux indemnités de préavis et de licenciement.

L’employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, l’article L. 1152-2 du même code prévoyant qu’aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Il résulte par ailleurs de l’article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :

« Nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave à la suite de faits avérés et réitérés de harcèlement, manifestations de violence et d’insultes à l’égard d’autres salariés de notre Société.

Pour mémoire, vous avez été engagé au sein de la Société MASSYDIS, suivant contrat écrit à durée indéterminée du 01/08/2017 en qualité d’employé du rayon frais.

Le 26 septembre 2017, au cours d’un entretien professionnel avec Madame [L], directrice générale, nous avons cru bien faire en vous proposant d’intégrer, à compter du mois de mars 2018, une formation pour accéder au poste d’adjoint de rayon.

Or, depuis lors, votre comportement à l’égard de votre responsable et de vos collègues n’a eu de cesse de se dégrader.

Vous multipliez en effet les provocations verbales, les gestes d’humeur, et les manifestations de violence.

Ainsi, plusieurs de vos collègues (Mr [X], Mr [V], Melle [Z], Mr [J], Mme [K], entre autres) nous ont fait part d’agressions verbales et physiques de votre part, de propos dégradants, de tentatives de rabaissement.

Tous se plaignent d’être traités comme des « moins que rien », certains font état d’un salarié poussé à démissionner’ !

Dans un premier temps, nous avons sanctionné ce comportement par deux avertissements successifs, les :

*16/12/2017 : pour un manque de respect envers votre responsable et des critiques de vos collègues en des termes inacceptables « branleurs, ne foutent rien »’

*04/01/2018 : pour insulte et simulation de coup de tête envers un autre salarié.

Nous espérions alors que vous prendriez conscience au travers de ces sanctions de la nécessité de changer radicalement de comportement.

Or, il n’en a rien été, bien au contraire.

Ainsi, non seulement les propos humiliants, l’attitude méprisante, l’agressivité ‘ physique et verbale ‘ ont continué à l’égard des membres du personnel mais en outre, vous avez pris comme victime attitrée l’un de vos collègues, Monsieur [O] [C], employé traiteur LS.

Les témoins de votre comportement à son égard nous ont ainsi rapportés : des dénigrements quotidiens auprès de son responsable Monsieur [F], des brimades, une agressivité verbale et physique, des provocations, le tout manifestement afin de le pousser à bout, aux dires des témoins de votre comportement.

Et votre but fut manifestement atteint puisque Monsieur [C] a fini par craquer et par vous asperger de gaz lacrymogène le 11/06/2018 aux environs de 6H, sur le parking du magasin.

Bien évidemment, un tel comportement de la part de Monsieur [C] est inacceptable et nous avons donc immédiatement entamé la procédure de licenciement qui s’imposait à l’égard de ce dernier.

Mais nous ne pouvons pas plus tolérer plus longtemps votre propre comportement qui conduit des salariés à un mal être pour les uns, à une démission pour un autre, ou à un acte de violence pour un autre encore.

Nous vous avons donc notifié votre mise à pied conservatoire le 12/01/2018 et convoqué à un entretien fixé au 25/01/2018.

Dans l’intervalle et compte tenu de votre absence sur le lieu de travail, la parole de vos collègues s’est libérée et nous avons pu recueillir des témoignages sur votre attitude à leur égard.

Le résultat est édifiant, ce dont nous vous avons fait part lors de votre entretien.

Vous n’avez d’ailleurs pas nié les faits et vous avez même reconnu, par exemple, les insultes, les provocations, avoir bloqué Mr [C] dans les vestiaires, lui avoir mis une claque derrière la tête etc’

Mais selon, vous, tout cela ne serait qu’une réponse de votre part à des propos et des regards de votre collègue qui vous ont déplu.

Toutefois, de telles explications ne constituent en rien une excuse valable à votre comportement.

En outre, rien ne vient expliquer l’attitude que vous avez eue à l’égard d’autres membres du personnel.

Or, comme par ailleurs, vous vous posez en victime, sans aucune remise en question de votre comportement, rien ne nous permet d’envisager un redressement rapide et durable de votre part, bien au contraire.

Dans ces conditions, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité de licenciement. (‘) »

Au soutien de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral, le salarié produit les éléments suivants :

– une déclaration de main courante du 29 décembre 2017 relativement à des faits d’injures et de menaces avec un cutter commis par M. [C],

– un procès-verbal de plainte du 29 décembre 2017 pour dégradations commises sur son véhicule personnel (crevaison d’un pneu),

– un procès-verbal de plainte du 11 janvier 2018 pour violences aggravées commises par M. [C] (aspersion avec du gaz lacrymogène sur le parking du magasin),

– des certificats d’arrêt de travail pour accident du travail à compter du 11 janvier 2018,

– la convocation à un entretien préalable assortie d’une mise à pied conservatoire du 12 janvier 2018,

– un compte-rendu de l’entretien préalable du 25 janvier 2018,

– des attestations et témoignages établis par d’anciens collègues de travail (MM. [P], [N] et [E] ainsi que Mmes [D] et [B]) ayant personnellement été témoins des conditions de travail de l’intéressé,

– une ordonnance rendue le 3 juillet 2018 par le juge délégué du tribunal de grande instance d’Evry dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité de M. [C] pour les faits de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail supérieure à 8 jours (2 jours) commis le 11 janvier 2018 sur la personne de M. [U] avec usage ou menace d’une arme (bombe lacrymogène) aux termes de laquelle a notamment été homologuée la proposition de peine du procureur de la république à hauteur de 4 mois d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve pendant 18 mois,lesdits éléments faisant état de l’adoption et de la mise en oeuvre par un collègue de travail de l’intimé (M. [O] [C]) exerçant les fonctions d’employé traiteur libre service, de propos irrespectueux et injurieux ainsi que d’un comportement agressif et menaçant tant verbalement que physiquement ayant finalement abouti aux faits de violences avec arme commis sur la personne de l’intimé le 11 janvier 2018, ce dernier, qui faisait pourtant l’objet d’un arrêt de travail pour cause d’accident du travail à compter de cette même date, ayant fait l’objet dès le 12 janvier 2018 d’une convocation à un entretien préalable ainsi que d’une mise à pied conservatoire de la part de l’employeur, lesdits agissements ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d’altérer la santé physique et mentale du salarié ainsi que cela résulte des éléments médicaux versés aux débats.

Dès lors, il apparaît que l’intimé présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur se limitant principalement en réplique à contester les affirmations du salarié et à critiquer les pièces produites par ce dernier en faisant valoir que l’intéressé n’avait jamais fait état de faits de harcèlement moral avant la rupture du contrat de travail et qu’il aurait uniquement cherché à « parfaire son scénario de supposée victime », tout en mettant en avant le propre comportement agressif, dégradant et provoquant de l’intimé tant à l’encontre de M. [C] que de ses autres collègues de travail, la société appelante n’ayant de surcroît pas hésité à affirmer dans la lettre de licenciement que l’intimé, pourtant victime des faits de violences avec arme précités de la part de M. [C] (ce dernier ayant reconnu sa culpabilité ainsi que cela résulte de l’ordonnance d’homologation susvisée), aurait finalement atteint son but en faisant craquer M. [C] (« Et votre but fut manifestement atteint puisque Monsieur [C] a fini par craquer et par vous asperger de gaz lacrymogène le 11/06/2018 aux environs de 6H, sur le parking du magasin »), la cour retient que l’employeur, qui a engagé la procédure de licenciement litigieuse dès le lendemain des faits précités alors que le salarié était en arrêt de travail pour accident du travail, ne démontre pas que les agissements litigieux ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il sera ainsi notamment relevé que les seules attestations de salariés, toujours sous lien de subordination, produites en réplique par l’employeur, sont manifestement inopérantes et insuffisantes pour remettre en cause les éléments circonstanciés et concordants produits par le salarié et ne sont en toute hypothèse aucunement de nature à excuser l’attitude et le comportement adoptés par M. [C] ou à faire porter à l’intimé la responsabilité des derniers actes de violences commis sur sa propre personne comme l’affirme de manière pour le moins surprenante l’employeur dans le cadre de la lettre de licenciement (« Mais nous ne pouvons pas plus tolérer plus longtemps votre propre comportement qui conduit des salariés à un mal être pour les uns, à une démission pour un autre, ou à un acte de violence pour un autre encore »). Il sera enfin observé, ainsi que cela résulte des termes de la lettre de licenciement, du compte-rendu d’entretien professionnel du 26 septembre 2017 et du compte-rendu d’entretien préalable du 25 janvier 2018, que dans la perspective d’accéder à court terme à une formation au poste d’adjoint de rayon, il avait été demandé au salarié par la directrice générale de faire remonter à la hiérarchie les éventuels manquements des autres salariés de l’équipe du secteur des produits frais, ce qui est de nature à expliquer que les salariés ayant rédigé les attestations produites par l’employeurs indiquent que l’intimé ne cessait de leur faire des remarques plus que négatives sur leur travail et qu’ils s’étaient alors sentis maltraités et rabaissés.

Par conséquent, l’existence de faits de harcèlement moral étant caractérisée en l’espèce et le salarié justifiant d’un préjudice spécifique résultant des agissements de harcèlement moral dont il a fait l’objet de la part d’un collègue de travail durant plusieurs mois, la cour lui accorde une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts de ce chef, et ce par confirmation du jugement.

Par ailleurs, étant rappelé que les obligations résultant des articles L. 1152-1 et L. 1152-4 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à réparation, la cour relevant en l’espèce que l’employeur ne justifie, au vu des seuls éléments produits, ni du fait d”avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ni, une fois informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral (ainsi que cela résulte du compte-rendu d’entretien préalable du 25 janvier 2018 ainsi que des attestations rédigées par MM. [P], [N] et [E] ainsi que par Mmes [D] et [B] dont il ressort que l’intimé avait fait remonter à ses supérieurs hiérarchiques toutes les informations relatives au comportement de plus en plus agressif de M. [C] et qu’il leur avait demandé d’agir en conséquence), d’avoir pris les mesures immédiates propres à le faire cesser, la société appelante ayant ainsi manqué à son obligation de sécurité en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, il convient, compte tenu du préjudice spécifique non contestable subi par le salarié au regard des répercussions sur son état de santé, de lui accorder en réparation une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, et ce par infirmation du jugement sur le quantum.

Etant rappelé qu’en application de l’article L. 1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul, compte tenu des développements précédents concernant la caractérisation de faits de harcèlement moral et au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, la cour relève que le licenciement prononcé à l’encontre de l’intimé s’inscrit dans le contexte précité de harcèlement moral dont le salarié faisait l’objet, ce dernier ayant manifestement été licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

Dès lors, il convient, sans avoir dans une telle hypothèse à examiner les autres faits énoncés dans la lettre de licenciement, de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré nul le licenciement prononcé à l’encontre de l’intimé.

Sur les conséquences financières de la rupture

Il résulte de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, que l’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées à l’alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l’exercice d’un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu’aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

En application des dispositions des articles L. 1234-1, L. 1234-9, R. 1234-2 et R. 1234-4 du code du travail ainsi que de celles de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, étant rappelé que lorsque le licenciement est nul, le salarié a droit à l’indemnité compensatrice de préavis, peu important les motifs de la rupture, l’indemnité compensatrice de préavis étant intégralement due bien que le salarié, irrégulièrement licencié, n’ait pas été en état d’exécuter un préavis, la cour accorde à l’intimé, sur la base d’une rémunération de référence de 1 753,07 euros, la somme de 1 380,20 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire outre 138 euros au titre des congés payés y afférents, une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 1 753,07 euros (correspondant à un préavis d’une durée de 1 mois) outre 175,30 euros au titre des congés payés y afférents et, compte tenu d’une ancienneté globale de 1 an et 6 mois, une somme de 657,40 euros à titre d’indemnité de licenciement, et ce par infirmation du jugement sur le quantum des indemnités de préavis (et congés payés afférents) et de licenciement.

Enfin, eu égard à l’ancienneté précitée dans l’entreprise (1 an et 6 mois), à l’âge du salarié (23 ans) et à la rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l’intéressé ayant retrouvé un emploi en mars 2018, la cour lui accorde, par infirmation du jugement sur le quantum, la somme de 11 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire

Le salarié fait valoir qu’il a été évincé de la société du jour au lendemain alors qu’il avait été victime d’une agression physique de la part d’un collègue devant témoins, que l’employeur n’a pas hésité à engager une procédure de licenciement avec mise à pied conservatoire alors qu’il était en arrêt de travail pour les violences dont il venait d’être victime, qu’il a été accusé à tort d’être un agresseur et un harceleur et que de telles accusations portent nécessairement atteinte à son image et à sa réputation.

L’employeur conclut au rejet de cette demande.

Au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations du salarié, la cour relève que ce dernier ne justifie ni du principe et du quantum du préjudice allégué ni en toute hypothèse de son caractère distinct des seuls effets et conséquences dommageables du harcèlement moral et du licenciement nul déjà réparés par l’attribution des sommes et indemnités précitées.

Dès lors, la cour déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts formée à ce titre, et ce par infirmation du jugement.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné la remise au salarié d’un bulletin de paie récapitulatif, d’un certificat de travail et d’une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision, les circonstances de l’espèce ne rendant cependant pas nécessaire d’assortir cette décision d’une mesure d’astreinte, le jugement devant être infirmé de ce dernier chef et le salarié devant en conséquence être débouté de sa demande afférente à la liquidation de l’astreinte.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné à verser au salarié, au titre des frais exposés en cause d’appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 2 500 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ce qu’il a fixé la moyenne des salaires de M. [U] à 1 358,65 euros, sur le montant des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement nul, en ce qu’il a condamné la société massyquoise de distribution au paiement de la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture vexatoire et ordonné une astreinte au titre de la remise des documents de fin de contrat ;

Le confirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société massyquoise de distribution à payer à M. [U] les sommes suivantes :

– 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral,

– 1 753,07 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 175,30 euros au titre des congés payés y afférents,

– 657,40 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 11 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société massyquoise de distribution de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus ;

Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil ;

Déboute M. [U] de sa demandes de dommages-intérêts pour rupture vexatoire ;

Rejette la demande d’astreinte et déboute M. [U] de sa demandes afférente à la liquidation de l’astreinte ;

Condamne la société massyquoise de distribution à payer à M. [U] la somme supplémentaire de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamne la société massyquoise de distribution aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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