Harcèlement moral et obligation de sécurité de l’employeur
Harcèlement moral et obligation de sécurité de l’employeur
Ce point juridique est utile ?
conseil juridique IP World

Face au signalement de souffrance d’un salarié, l’employeur a l’obligation d’agir sous peine de voir sa responsabilité engagée pour manquement à son obligation de sécurité.  A ce titre, les différences de traitement, des niveaux de communication différenciés selon les personnes et une remise en cause de leurs compétences professionnelles sont des indicateurs sérieux de harcèlement.  

 

Les conditions du harcèlement moral 

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L.1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

L’obligation de sécurité de l’employeur 

 

L’article L.1152-4 du code du travail impose à l’employeur de prendre les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. Respecte son obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail (actions de prévention, d’information, de formation…) et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

 

Agir rapidement 

 

En l’espèce, l’employeur démontre avoir mis en place les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L4121-2 du code du travail : rappel des textes prohibant le harcèlement dans le règlement intérieur, document unique d’évaluation des risques professionnels, mise en place d’une procédure de gestion des événements indésirables annoncée aux salariés et connue, puisque Mme [O] l’évoque lors de son audition dans le cadre de l’enquête diligentée par le CHSCT.

 

*      *      *

Cour d’appel de Lyon,

CHAMBRE SOCIALE B, 17 mars 2023, 20/00872

AFFAIRE PRUD’HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 20/00872 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M24P

[E]

C/

Association ASSOCIATION POUR LES PERSONNES EN SITUATION DE HAN DICAP NEUROMOTEUR ET LEUR FAMILLE – ODYNEO

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 10 Janvier 2020

RG : F18/02677

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRET DU 17 Mars 2023

APPELANTE :

[R] [E]

née le 15 Août 1973 à [Localité 7] (Laos)

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Adrien LEYMARIE, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON substitué par Me Alexandra MANRY, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

Association POUR LES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP NEUROMOTEUR ET LEUR FAMILLE – ODYNEO Anciennement dénommée ARIMC

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Philippe CHASSANY de la SELAFA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

DEBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 19 Janvier 2023

Présidée par Béatrice REGNIER, président et Catherine CHANEZ, conseiller, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistés pendant les débats de Rima AL TAJAR, greffier

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

– Béatrice REGNIER, président

– Catherine CHANEZ, conseiller

– Régis DEVAUX, conseiller

ARRET : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 17 Mars 2023 par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Béatrice REGNIER, président, et par Rima AL TAJAR, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

L’Association régionale Rhône Alpes des infirmes moteurs cérébraux (ARIMC), désormais dénommée Odyneo, est spécialisée dans l’accueil ou l’accompagnement d’enfants handicapés. Elle emploie au moins 11 salariés et applique la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

L’association a embauché Mme [R] [E] à compter du 2 mai 2000, suivant contrat à durée indéterminée à temps complet du 21 avril 2000, en qualité d’éducatrice de jeunes enfants.

Son lieu de travail était la halte-garderie [5], où elle a travaillé sans discontinuer jusqu’au 1er mai 2017.

Suivant avenant, Mme [E] a été reclassée, le 1er septembre 2015, sur la grille des éducateurs de jeunes enfants, échelon 5 avec un coefficient 537.

De novembre 2015 à mars 2016, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie professionnelle (tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite). Elle a repris son travail à temps partiel thérapeutique le 7 mars, puis à temps complet le 29 mars 2016, avant d’être à nouveau arrêtée du 11 au 15 avril 2016.

Du 22 novembre 2016 au 2 mai 2017, Mme [E] a été placée en arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif. A l’issue, elle a été autorisée à reprendre en temps partiel thérapeutique.

Le 14 décembre 2016, elle a alerté son employeur sur la dégradation de ses conditions de travail.

Le 21 décembre 2016, l’association lui a annoncé qu’elle déclencherait une enquête dès le début de l’année suivante. Une réunion du CHSCT a été fixée au 1er février 2017, afin de rendre les conclusions de cette enquête.

Le 16 mars 2017, l’association a évoqué un plan d’action en 6 axes en attente d’approbation.

Le 2 mai 2017, suivant avenant au contrat de travail signé le 1er mai, Mme [E] a été mutée au sein de l’institut médico psychologique [6], dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique afin de prendre en charge de jeunes enfants en situation de handicap.

Le 4 mai 2017, le médecin du travail a déclaré Mme [E] apte à une reprise à temps partiel thérapeutique dans le même établissement.

Du 30 juin 2017 au 2 juillet 2018, Mme [E] a été placée en arrêt de travail pour un syndrome anxio-dépressif. Sa pathologie a été reconnue en affection longue durée à partir du 5 juillet 2017.

Le 3 juillet 2018, le médecin du travail a rendu un avis d’aptitude pour un poste au [5], avec des propositions de mesures individuelles prévoyant « un aménagement du poste de travail en fonction de la réalité du contexte professionnel », après échanges avec l’employeur.

Le 10 juillet 2018 puis le 12 juillet 2018, le médecin du travail a établi une attestation de suivi, puis un avis d’aptitude pour un poste à l’IMP [6] accompagné de propositions de mesures individuelles, après échanges avec l’employeur, et prévoyant « Régularisation administrative (nouvelle erreur de saisie le 10 juillet 2017) sur dossier envoyé par courrier/courriel. Aménagement du poste de travail en fonction du contexte professionnel »

La qualité de travailleur handicapé a été reconnue à Mme [E] pour la période du 19 septembre 2018 au 31 août 2020.

Par requête du 13 juillet 2018, Mme [E] a saisi le conseil des prud’hommes de Lyon, statuant en la forme des référés, pour contester l’avis d’aptitude.

Par jugement du 26 septembre 2018, le conseil des prud’hommes a ordonné une expertise, confiée au médecin inspecteur régional.

Sur appel de l’association, par arrêt du 11 avril 2019, la cour d’appel a confirmé le jugement entrepris et étendu la mission du médecin inspecteur régional à l’avis d’aptitude du 12 juillet 2018.

L’expert a conclu à une inaptitude définitive au poste d’éducatrice de jeunes enfants.

Entre temps, par courrier recommandé du 28 juillet 2018, Mme [E] a notifié à l’association une prise d’acte de rupture du contrat de travail dans ces termes :

« Je vous écris cette lettre pour vous exposer que je considère que notre contrat de travail est rompu par votre faute.

En effet, je travaille depuis 18 années au sein de votre association, en qualité d’Educatrice de Jeunes Enfants. Je n’ai jamais eu de problèmes de santé ou rencontré de difficultés d’ordre psychologique, si ce n’est en novembre 2015 (durée 4 mois) où j’ai dû être mise en arrêt de travail, en raison d’un problème de la coiffe des rotateurs qui a été reconnu comme maladie professionnelle.

Depuis ma reprise au mois de mars 2016 jusqu’au 21 novembre 2016, j’ai été victime de faits de harcèlement moral de la part de ma Chef de service. Madame [G] [V].

Alors que tout le monde dans le service était au courant des dysfonctionnements et maltraitance dont j’étais victime et alors que j’avais aussi alerté oralement à plusieurs reprises Madame [I] [A], Directrice du Pôle Petite Enfance, il a fallu que je vous expédie un courriel d’alerte le 14 décembre 2016, alors que j’étais arrêtée depuis le 21 novembre 2016 pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel.

Après mon courrier, je n ‘ai jamais eu aucun retour rassurant qui m ‘aurait permis de reprendre mon travail dans de bonnes conditions. Je dénonçais des faits précis et attendais à tout le moins des réponses sur les faits dénoncés. J’ai le sentiment de n ‘avoir jamais été écoutée correctement.

En effet, vous ne m ‘avez jamais adressé les conclusions de l’enquête, et ce malgré ma demande, et qu’un membre du personnel, qui souhaite garder l’anonymat, m ‘a finalement remise au printemps 2017.

II apparait que les conclusions de cette enquête, rendues après « une brève analyse » ne se prononcent pas sur les faits que j’ai subis st donc totalement insatisfaisants et ne pouvaient pas me permettre de me reconstruire et reprendre le travail dans de bonnes conditions.

En dépit de constats qui sont accablants, il apparaît que la Chef de service, dont il était noté qu’elle n’apportait pas de réponses directes aux questions posées, n ‘a fait l’objet d’aucune sanction puisqu’il semblerait qu’elle se soit orientée vers une demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail.

De même, la responsabilité éventuelle de Madame [I] [A], Directrice du Pôle Petite Enfance, Présidente du CHSCT, qui a omis de relayer les alertes que je lui avais faites ou les faits qu’elle avait pu personnellement constater, ne semble pas avoir davantage été envisagée.

Ainsi vous avez manqué à votre obligation de prévenir les faits de harcèlement moral, d’en sanctionner l’auteur et les responsables éventuels, de répondre à la victime des faits et de mettre un terme aux conséquences que ces faits avaient eus pour cette dernière.

En outre, alors que je vous ai exprimé mon besoin de soutien à plusieurs reprises, vous ne m ‘avez jamais témoigné le moindre soutien, renforçant encore la sensation d ‘isolement dans lequel les faits dénoncés m’avaient déjà plongés.

En dépit de mon souhait de continuer à travailler au [5], vous m’avez proposé à compter du 2 mai 2017 une mutation dans un Institut Médico-Psychologique [6] sur un poste vacant en raison d’un congé parental à mi-temps, et avec des conditions de travail très différentes qui imposaient une prise en charge d’enfants handicapés de quatre à sept ans. Par le biais de la Directrice de l’Institut [6], Madame [T] [S], il m’a été même demandé de faire prolonger mon mi-temps thérapeutique pour des besoins administratifs et de façon concomitante avec l’employée en congé parental à mi-temps.

Ma reprise avait été manifestement très mal préparée puisqu’on ne m’a assigné aucune mission précise. Je ne savais pas quoi faire. Régulièrement les autres employés me demandaient ce que je faisais là. Je me suis sentie inutile. Je devais essuyer les critiques de certains collègues. J ‘ai compris par la suite qu’ils avaient formé une personne pour combler ce poste et que dorénavant je leur étais imposée à la place.

T’ai rapporté ces situations difficiles à Madame [T], Directrice de I’IMP [6] ainsi qu’à Madame [U], Chef de service, qui m’ont vue en situation de détresse, en larmes à plusieurs reprises. Là encore, vous ne m ‘avez pas apporté d’aide et vous n’avez pas pris les mesures adéquates pour y mettre fin.

Ce poste était d’autant plus difficile pour moi, qu’il nécessitait d’assister des enfants en situation de handicap, de les porter, de pousser leurs fauteuils, d’effectuer des transferts fauteuil roulant/tapis de sol/fauteuil roulant alors que j’étais en difficulté concernant mon atteinte articulaire (reconnue maladie professionnel(e), C’est aussi pour cela qu’un aménagement ergonomique avait été fait à la crèche Le [5].

Madame [Z] [C] la Directrice des Ressources Humaines d’ODYNEO, lors d’un entretien seule avec elle dans son bureau (elle a refusé que je sois accompagnée), m ‘a dit qu’il était bon de « partir et de faire autre chose. » Cet entretien m ‘a bien évidemment anéantie.

Ainsi, après avoir dû faire face au harcèlement de Madame [G] [V], ma Chef de Service à la crèche ; j’ai dû être confrontée à l’insistance malsaine de ma hiérarchie pour que je quitte mon travail, dans des termes me mettant en cause, alors que j’estime avoir été la victime dans cette affaire.

Je vous ai aussi fait écrire par l’intermédiaire de mon conseil un courrier du 13 juillet 2018 afin de chercher un règlement amiable au présent litige, auquel vous n ‘avez même pas daigné répondre.

Aujourd’hui, je ne suis plus en état médicalement de continuer à travailler pour votre structure…()

Pour l’ensemble de ces motifs non exhaustifs, que sont le harcèlement moral que j ‘ai subi, l’exécution déloyale qui a été faite de mon contrat de travail et vos manquements récurrents et répétés à vos obligations de protéger ma santé et ma sécurité, je me considère comme licenciée par votre faute d’un licenciement nul… »

C’est dans ces conditions que, par requête du 10 septembre 2018, Mme [E] a saisi le conseil de prud’hommes afin de solliciter la requalification de la prise d’acte en licenciement nul et la condamnation de l’association sur le plan salarial et indemnitaire, notamment pour harcèlement moral et manquements à son obligation de sécurité.

Par jugement du 10 janvier 2020, le conseil de prud’hommes a débouté Mme [E] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens.

Par déclaration du 13 décembre 2020, Mme [E] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 3 novembre 2020, elle demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée et condamnée aux dépens et en conséquence, statuant à nouveau, de :

Condamner l’association à lui payer la somme de 33 150 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis du fait des agissements répétés de harcèlement moral et des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité ;

Requalifier la prise d’acte en rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’association en un licenciement nul ou, à titre subsidiaire en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamner l’association à lui verser les sommes suivantes :

4 817,88 euros d’indemnité compensatrice de préavis, outre 481,78 euros de congés payés afférents ;

783,44 euros d’indemnité légale de licenciement ;

65 000 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à titre infiniment subsidiaire, 34 929,63 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Ordonner la remise de l’attestation Pôle emploi, du certificat de travail et des bulletins de salaire conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à partir du 1er jour suivant la notification de l’arrêt ;

Juger que les sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’association de la convocation devant le bureau de jugement ;

Infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamner l’association à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la première instance ;

Condamner l’association à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre du présent appel ;

Condamner l’association aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 25 juin 2020, l’association demande à la cour de :

Sur le harcèlement moral :

À titre principal, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [E] de sa demande au titre du manquement à son obligation de sécurité et la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à son obligation de sécurité ;

À titre subsidiaire, débouter Mme [E] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à son obligation de sécurité et très subsidiairement, ramener le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions ;

Sur la prise d’acte :

À titre principal, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la prise d’acte produirait les effets d’une démission ;

Infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis ;

Condamner Mme [E] à lui verser la somme de 3 360 euros nets à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

Débouter Mme [E] de ses demandes ;

A titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnité compensatrice allouée à Mme [E] à la somme de 4 381,40 euros bruts (2 mois de salaire) ;

Limiter le montant de l’indemnité de licenciement allouée à Mme [E] à la somme de 10 405,83 euros ;

Débouter Mme [E] de sa demande d’astreinte ;

A titre infiniment subsidiaire, limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement nul à la somme de 13 144,20 euros et débouter Mme [E] de sa demande d’astreinte ;

En tout état de cause :

Débouter Mme [E] de sa demande d’exécution provisoire ;

Débouter Mme [E] de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [E] à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Mme [E] aux dépens.

La clôture est intervenue le 13 décembre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.


MOTIFS DE LA DÉCISION


A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.

1-Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement de l’employeur à son obligation de sécurité

1-1-Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L.1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [E] soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de Mme [G], la nouvelle cheffe de service du [5], à compter du mois de mars 2016.

Elle affirme notamment que Mme [G] l’a mise à l’écart, ne s’adressant qu’à Mme [O], sa collègue avec laquelle elle était en binôme, qu’elle ne tenait aucun compte de ses avis et remarques, qu’elle s’interposait entre elle et les familles des enfants accueillis, qu’elle exigeait d’elle des tâches ne relevant pas de ses fonctions habituelles, sans en faire de même avec les autres salariés et qu’elle l’a accusée à tort de ne pas respecter les consignes, ce qui a porté atteinte à son image au sein de son entourage professionnel.

Mme [E] apporte aux débats des pièces montrant que sa santé a été gravement altérée : attestation d’accompagnement thérapeutique par une psychologue de juin 2017 à décembre 2019 et de suivi psychiatrique à compter de septembre 2017 pour des troubles anxio-dépressifs, avec demande de reconnaissance de maladie professionnelle; ordonnances médicales de novembre 2016 à novembre 2018 (Alprazolam et Escitalopram).

Le médecin psychiatre précise dans un courrier destiné au médecin du travail daté du 19 juin 2018, que Mme [E] « est en proie à une anxiété massive associée au même vécu d’injustice » (‘) « dès que la question de son employeur est évoquée »

Les faits décrits, qui seraient répétés sur plusieurs mois et qui sont confirmés par les attestations produites, en particulier celles de Mmes [O] et [Y], et par le compte-rendu de la réunion du 1er février 2017 du CHSCT, doivent être considérés comme des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.

L’employeur échoue à prouver que ces agissements n’étaient pas constitutifs d’un harcèlement moral et qu’ils étaient justifiés par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, se contentant de faire valoir que :

– l’enquête diligentée suite au courrier du 14 décembre 2016 de Mme [E] a fait ressortir des difficultés de communication, mais n’a pas confirmé la situation décrite par la salariée, ce qui est inexact, puisque le bilan des auditions de salariés montre que 6 d’entre eux sur 10 ont fait valoir des différences de traitement, des niveaux de communication différenciés selon les personnes et une remise en cause de leurs compétences professionnelles et que le CHSCT conclut ainsi : « L’association a pris en compte rapidement les difficultés rencontrées au sein de cette équipe, la souffrance de certains professionnels et plus particulièrement l’une d’entre elles » ;

– certaines des attestations communiquées émanent de personnes extérieures au service ;

– Mme [G] s’est expliquée sur l’ensemble des faits reprochés, alors qu’elle s’est souvent contentée de les contester et que l’absence de Mme [E] pour maladie ne saurait justifier qu’elle ait donné exclusivement la parole à Mme [O] sur le projet bibliothèque qu’elle portait depuis plusieurs années ;

– sa relation contractuelle avec Mme [G] a cessé par l’effet d’une rupture conventionnelle, homologuée le 22 mars 2017 par la DIRECCTE, ce qui n’a pas d’incidence sur le harcèlement moral qu’elle a pu faire subir à Mme [E] ;

– Mme [M], déléguée syndicale et secrétaire du comité d’entreprise, qui a assisté aux entretiens, atteste qu’elle a constaté des dysfonctionnements (problèmes relationnels, difficultés managériales), mais que les éléments recueillis excluent toute situation de harcèlement moral, notamment vis-à-vis de Mme [E], ce qui ne constitue qu’un avis personnel.

La cour considère en conséquence que Mme [E] a bien été victime de harcèlement moral de la part de Mme [G].

1-2- Sur l’obligation de sécurité

L’article L.1152-4 du code du travail impose à l’employeur de prendre les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Respecte son obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail (actions de prévention, d’information, de formation…) et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

Mme [E] reproche à son employeur d’avoir réagi trop tardivement à son signalement, de ne pas avoir mis en place de mesures préventives et de l’avoir mutée à l’IMP [6] où elle aurait subi des conditions de travail difficiles et inadaptées à son état de santé.

L’employeur démontre avoir mis en place les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L4121-2 du code du travail : rappel des textes prohibant le harcèlement dans le règlement intérieur, document unique d’évaluation des risques professionnels, mise en place d’une procédure de gestion des événements indésirables annoncée aux salariés et connue, puisque Mme [O] l’évoque lors de son audition dans le cadre de l’enquête diligentée par le CHSCT.

Mme [E] affirme avoir évoqué le harcèlement moral dont elle était victime dès le mois de septembre 2016 avec Madame [A] [I], directrice du Pôle Petite Enfance, mais celle-ci le conteste et Mme [K], salariée de l’association qui atteste avoir assisté à 2 conversations entre Mme [E] et Mme [I] à ce sujet ne les a pas évoquées lorsqu’elle a été entendue sur la base du questionnaire dans le cadre de l’enquête. Mme [K] apparait d’ailleurs à travers ses réponses comme très peu au fait des événements vécus par Mme [E]. L’association fait en outre valoir avec pertinence que dans son courrier du 14 décembre 2016, Mme [E] indique simplement : « J’avais aussi alerté oralement à plusieurs reprises Madame [I] [A] », sans préciser quelle avait été la teneur de leurs échanges.

La cour considère donc que l’employeur n’a eu connaissance du harcèlement moral subi par Mme [E] que par son courrier du 14 décembre 2016.

L’association a ensuite rapidement réagi, puisque dès le 20 décembre, Mme [C], directrice des ressources humaines, écrivait à la salariée, alors en arrêt de travail, afin de lui proposer un rendez-vous en début d’année, que le lendemain, elle lui annonçait l’ouverture d’une enquête au cours de laquelle des auditions de salariés ont été menées entre fin décembre 2016 et janvier 2017 et qu’une réunion exceptionnelle du CHSCT s’est tenue le 1er février 2017.

Mme [E], qui regrette de ne pas avoir eu connaissance des conclusions de l’enquête, ne peut exciper d’aucun fondement textuel qui aurait imposé à son employeur de l’en tenir informée. De même, elle ne peut s’immiscer dans le pouvoir disciplinaire de l’employeur en arguant de l’absence de sanction prononcée contre Mme [G] ou Mme [I].

Enfin, l’association a proposé une nouvelle affectation à Mme [E] par courrier du 21 mars, un poste se libérant à l’IMP [6] à compter du 26 avril. Cette proposition ne s’est heurtée à aucune opposition de la part de Mme [E], qui était alors toujours en arrêt de travail, a demandé des précisions pratiques et rencontré la directrice de l’établissement, puis accepté de signer un avenant à son contrat.

S’agissant d’un poste d’éducatrice de jeunes enfants comme celui qu’elle occupait au [5], Mme [E] n’avait besoin d’aucune formation complémentaire et le médecin du travail l’a déclarée apte à ce nouveau poste sans préconisations particulières.

La salariée, qui conteste la façon dont le médecin du travail a accompli ses missions et justifie avoir saisi le conseil de l’ordre, ne peut reprocher à son employeur d’avoir pris son avis en considération ainsi qu’il y était tenu.

Enfin, comme le fait remarquer l’association, Mme [E], écrit dans sa lettre de prise d’acte avoir eu connaissance du départ négocié de Mme [G] mais n’a jamais demandé à revenir au [5].

L’employeur démontre en conséquence qu’il n’a pas failli à son obligation de sécurité.

Sur ce, la cour, eu égard aux faits de harcèlement moral subis par Mme [E] de mars à novembre 2016, à ses conséquences financières documentées (séances de psychothérapie à hauteur de 3 600 euros) et à la souffrance morale endurée par celle-ci, fixe à la somme de 10 000 euros le montant des dommages et intérêts que l’association devra lui verser en réparation. Le jugement sera réformé de ce chef.

Cette somme sera assortie d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 code civil.

3-Sur la prise d’acte

Dans son courrier de prise d’acte du 28 juillet 2018, Mme [E] se fonde sur :

-les faits de harcèlement moral dont elle a été victime de la part de Mme [G], sans que sa situation n’ait entraîné une réponse suffisante de la part de l’association, tant à son endroit, en termes de soutien, qu’à celui de Mme [G] et de Mme [I] ;

-sa mutation non souhaitée et non préparée à l’IMP [6], dans un contexte difficile, s’agissant de prendre en charge des enfants en situation de très grand handicap nécessitant des manutentions que son état ne permettait pas, alors que son poste avait été aménagé au [5], et sans que la directrice des ressources humaines de l’association ne prenne en compte ses difficultés.

Or, si la cour a effectivement retenu que Mme [E] avait été victime de harcèlement moral, la salariée n’était plus exposée à de tels faits le 28 juillet 2018, puisqu’elle ne travaillait plus sous la direction de Mme [G] depuis novembre 2016.

Par ailleurs, la cour a considéré que l’association n’avait commis aucun manquement à l’occasion de sa mutation à l’IMP [6] et que Mme [E] ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir sanctionné Mmes [G] et [I].

Au 28 juillet 2018, il n’existait donc aucun motif de rupture aux torts de l’employeur. La prise d’acte doit s’analyser comme une démission, ainsi qu’en a jugé le conseil de prud’hommes. La demande de remise de documents de fin de contrat rectifiés devient sans objet.

4-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

L’association sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de la condamner à payer à Mme [E] la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS



Confirme le jugement prononcé le 10 janvier 2020 par le conseil de prud’hommes de Lyon, sauf en ce qu’il a débouté Mme [R] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il l’a condamnée aux dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne l’association Odynéo à verser à Mme [R] [E] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, cette somme étant assortie d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Condamne l’association Odynéo aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne l’association Odynéo à payer à Mme [R] [E] la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la procédure d’appel;

Le Greffier La Présidente  


Chat Icon