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Le cédant d’un fond de commerce a l’obligation de céder les réseaux sociaux avec ledit fond. Il est en effet préjudiciable pour une entreprise (par exemple une entreprise de service telle la photographie) de ne pas disposer de visibilité suffisante sur internet et notamment sur facebook où ce réseau social est particulièrement utilisé par les commerces. Statuant par infirmation partielle, la juridiction a indemnisé les cessionnaires de ce poste de préjudice.
N° 95
MF B
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Copie exécutoire
délivrée à :
– Me Peytavit,
le 13.03.2023.
REPUBLIQUE FRANCAISE
COUR D’APPEL DE PAPEETE
Chambre Commerciale
Audience du 9 mars 2023
RG 22/00273 ;
Décision déférée à la Cour : jugement n° 2022/58, rg n° 2020 001388 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 25 mars 2022 ;
Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 16 septembre 2022 ;
Appelants :
Mme [F] [O] épouse [G], née le 21 août 1986 à [Localité 5], de nationalité française, et
M. [C] [G], né le 3 avril 1984 à [Localité 4], de nationalité française, demeurant [Adresse 1] ;
Représentés par Me Loris PEYTAVIT, avocat au barreau de Papeete ;
Intimé :
M. [D] [Z], né le 4 mars 1970 à [Localité 5], de nationalité française, demeurant [Adresse 3] ;
Non comparant, assignation transformée en procès-verbal de recherches du 9 novembre 2022 ;
Ordonnance de clôture du 9 décembre 2022 ;
Composition de la Cour :
La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 12 janvier 2023, devant Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL et Mme PINET-URIOT, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;
Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;
Arrêt par défaut ;
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;
Signé par Mme BRENGARD, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
A R R E T,
Le 21 décembre 2020, M. [C] [G] et Mme [F] [O] épouse [G] ont engagé une action devant le tribunal mixte de commerce de Papeete à l’égard de M. [D] [Z], en exposant qu’en juillet 2019, il leur a vendu un fonds de commerce de photographie mais que leur consentement a été surpris par le dol commis par leur vendeur.
Les requérants demandaient donc l’annulation du contrat les liant outre la condamnation du vendeur a restitué la somme de 16 millions Fcfp et à leur payer des dommages-intérêts au titre de divers préjudices.
M. [Z] a demandé que les époux [G] soient déboutés de leurs demandes à son égard et reconventionnellement, a sollicité leur condamnation à lui verser la somme de 2 millions Fcfp au titre du solde du prix du fonds de commerce, outre des dommages-intérêts.
Suivant jugement n° 2022/58 rendu le 25 mars 2022, le tribunal a statué comme suit :
‘ a condamné les époux [G] solidairement à payer à M. [Z] la somme de 2 millions Fcfp pour solde du prix du contrat du 11 juillet 2019, outre les intérêts légaux à compter du 16 juillet 2019,
‘ a condamné M. [Z] à payer aux époux [G] la somme de 1 million Fcfp au titre de la méconnaissance de l’obligation de cession des réseaux sociaux,
‘ a ordonné l’exécution provisoire,
‘ a débouté les parties de leurs plus amples demandes et à laisser à chacune, la charge de ses dépens.
Le tribunal a retenu,
‘ que les époux [G] ne rapportaient pas la preuve du dol et de la réticence dolosive dont M. [Z] se serait rendu coupable à leur égard,
‘ que s’agissant des manquements contractuels dont ils se prévalent à titre subsidiaire, seul le manquement à l’obligation de cession des réseaux sociaux est établi car il apparaît que M. [Z] ne leur a pas donné les accès à l’ensemble des adresses Internet notamment de la page Facebook,
‘ que les époux [G] n’établissent pas avoir payé la totalité du prix de cession, et doivent ainsi s’acquitter du solde,
‘ que les préjudices moraux allégués de part et d’autres ne résistent pas à l’analyse, s’agissant d’un litige commercial et non familial.
Suivant déclaration reçue au greffe le 7 septembre 2022, les époux [G] ont relevé appel de la décision dont ils sollicitent l’infirmation en se référant aux articles 1108, 1109, 1116 et suivants, 1134, 1000 142, 1147 et 1382 du Code civil.
* * *
Ils demandent ainsi à la cour, statuant à nouveau,
‘ dire que M. [Z] n’a pas respecté les principes contractuels essentiels auxquels il était obligé engageant de ce fait, sa responsabilité,
‘ condamné M. [Z] à leur verser une somme totale de 16’789’200 Fcfp à titre de dommages-intérêts, décomposée comme suit :
* 1’000’000 Fcfp pour le manquement à l’obligation de bonne foi et d’information,
* 1’000’000 Fcfp en réparation du préjudice découlant du manquement contractuel de M. [Z] relatif à la transmission de clientèle,
* 4’000’000 Fcfp en réparation du préjudice découlant du manquement contractuel relatif à la cession des réseaux sociaux,
* 2’000’000 Fcfp en réparation du préjudice découlant du manquement contractuel relatif à la clause de non-concurrence,
* 3’789’200 Fcfp en réparation du préjudice découlant du manquement contractuel relatif à la jouissance de l’activité cédée,
* 5’000’000 Fcfp en réparation du préjudice moral.
En tout état de cause, condamner l’intimée à leur verser la somme de 500’000 Fcfp au titre des frais irrépétibles de première instance d’appel en plus des dépens.
M. [D] [Z] a été assigné devant la cour d’appel suivant acte d’huissier délivré le 9 novembre 2022 à sa dernière adresse connue à [Localité 2]. En dépit des diligences effectuées par l’huissier, sa nouvelle adresse n’a pu être retrouvée et il a été cité selon les modalités de l’article 396-2 du code de procédure civile. L’arrêt sera donc rendu par défaut .
* * *
MOTIFS DE LA DECISION :
L’article 1108 du Code civil définit les conditions de régularité du contrat.
L’article 1109 fixe les conditions de validité du consentement.
Ces deux textes sont généraux et ne fondent pas une action en justice.
L’article 1116 du Code civil dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man’uvres pratiqués par l’une des parties sont-elles, qu’il est évident que, sans ces man’uvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.
L’article 1117 précise que la convention contractée notamment par dol n’est pas nulle de plein droit mais qu’elle donne lieu à une action en nullité.
Si le dol est admis, le consentement est affecté de nullité de sorte qu’il manque une condition de validité du contrat qui doit être annulé.
Si le dol n’est pas admis et que les conditions de validité du contrat sont réunies, l’article 1134 s’applique et régit alors les effets du contrat.
Le dol s’apprécie au moment où le contrat a été signé au regard des circonstances ayant précédé et accompagné la signature de l’acte, mais ne peut s’analyser par rapport aux faits survenus postérieurement.
Le dol est un stratagème, un mensonge caractérisé ou le silence du contractant sur une caractéristique déterminant du contrat, avec l’intention de tromper l’autre partie en vue d’obtenir le consentement qu’elle n’aurait pas donné en l’absence des man’uvres dolosives.
Il faut que la dissimulation soit intentionnelle et traduise la mauvaise foi du cocontractant, et qu’elle concerne une information que le vendeur avait l’obligation de délivrer.
En aucun cas la réticence dolosive ne peut porter sur l’estimation que le cocontractant fait lui-même de la valeur de la prestation.
La victime d’une réticence dolosive peut également agir sur la base de l’article 1382 en invoquant le manquement de son cocontractant à son devoir d’information.
***
L’acte argué de nullité par les époux [G] porte sur la vente du fonds de commerce de photographie connu sous le nom commercial ‘Iaorana Pictures Bora Bora’ que leur a vendu M. [D] [Z] le 17 juillet 2019.
Le prix total convenu est de 18 millions Fcfp s’appliquant exclusivement aux éléments incorporels (nom commercial, clientèle, matériel photographique, réseaux sociaux), payable au moyen de deniers personnels et prêts bancaires à hauteur de 16 millions, et d’un prêt personnel pour le solde de 2 millions.
Aucune clause inusitée – ni d’ailleurs contestée – ne figure dans ce contrat qui mentionne sur les déclarations du vendeur, le chiffre d’affaires des trois années antérieures à la vente et les bénéfices dégagés pour ces mêmes années 2016 à 2018.
***
A l’appui de leur appel, les époux [G] soutiennent que leur consentement à l’achat du fonds de commerce a été vicié par une erreur provoquée par les agissement de leur vendeur :
– en premier lieu, le dol est constitué car c’est à l’aide de fraudes, tromperies et mensonges que M.[Z] a extorqué leur consentement. Il a profité de leur situation de détresse et de faiblesse dans laquelle ils se trouvaient à la suite du décès de la mère de Mme [F] [G] et des conditions difficiles d’exercice de leur métier d’agents de police en métropole. Il les a convaincus de venir en Polynésie, abandonnant la situation professionnelle et matérielle qu’il avaient en France, en leur faisant miroiter les bénéfices qu’ils obtiendraient s’ils reprenaient son commerce de photographe à [Localité 2], et en dénigrant systématiquement la vie en France. Il leur a fait croire qu’ils pourraient facilement se reconvertir dans la photographie et reprendre sa clientèle, sans courir aucun risque financier.Il leur a déconseillé de passer par un notaire pour établir l’acte de cession du fonds de commerce alors qu’un professionnel du droit aurait pu les éclairer. Il leur a laissé penser qu’ils reprenaient une activité générant des bénéfices importants, de l’ordre de 12 millions ‘alors qu’il n’en était rien’ (sic).
– en second lieu, M. [Z] est responsable de réticence dolosive car il leur a laissé entendre qu’il leur cèderait sa clientèle qu’il qualifiait d’importante constituée par plusieurs établissement hôteliers mais moins d’un an après la signature du contrat litigieux, deux hôtels, le MERIDIEN et le BORA BORA PEARL ont fermé, ce que M. [Z] ne pouvait ignorer mais qu’il ne leur a pas révélé.
M. [Z] n’a pas été cité à personne et n’a pas constitué avocat. Toutefois, d’après l’article 280 alinéa 2 du code de procédure civile de Polynésie française, même en l’absence du défendeur, le juge ne fait droit à la demande que s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée sur la base des éléments de preuve qui sont nécessairement versés aux débats par le requérant.
En l’espèce, la cour relève comme l’a d’ailleurs fait le tribunal, que,
– les premiers échanges de mails entre M. [Z] et les époux [G] datent de septembre 2016, soit trois ans avant que le contrat ne soit signé le 11 juillet 2019, ce qui constitue une période suffisante de réflexion et d’étude de la proposition de reprise d’un fonds de commerce ;
– le prix initial de 45 millions de Fcfp a fait l’objet d’une négociation réussie par les époux [G] qui l’ont finalement acquis pour 18 millions de Fcfp ;
– même si les époux [G] sont profanes en matière de gestion d’une entreprise commerciale surtout de photographie, leur appartenance professionnelle au corps de la police ne permet pas de présumer qu’ils étaient des personnes vulnérables et en tout état de cause, ils ne font état d’aucune pression physique de M. [Z] pour les convaincre d’abandonner leur situation stable en métropole pour venir en Polynésie française acheter un fonds de commerce.
– quant à la pression morale, elle ne résulte pas des éléments versés aux débats ; si, dans ses mails, M. [Z] leur a fait miroiter une vie de rêve à l’autre bout du monde, le ton emphatique de ses messages et l’absence de contenu comptable concret auraient dû suffire à les faire réfléchir ou au moins, les conduire à demander des éléments précis sur le chiffre d’affaire de l’entreprise et sur les contrats en cours avec des clients, ce qu’ils n’ont pas fait.
Or, les éléments de preuve figurant au dossier de plaidoirie de époux [G] ne suffisent pas à justifier,
– que les chiffres d’affaires et bénéfices rapportés dans le contrat litigieux sont erronés et notamment qu’ils auraient été volontairement surévalués,
– que les contrats passés avec les hôtels n’existaient pas : la seule pièce produite (31) est un contrat de partenariat avec l’hôtel Bora Bora Pearl resort de [Localité 2] signé le 28 avril 2020 entre M. [G] et la directrice générale de l’établissement. L’hôtel aurait fermé ensuite, mais la cour ignore à quelle date et dans quelles conditions, puisqu’il n’est communiqué aucune autre pièce que les attestations de deux témoins, MM. [P] et [R] se déclarant photographes, établies en novembre 2020, qui indiquent seulement qu’ils avaient été informés de cette fermeture avant juillet 2019. Du reste, la convention produite a été passée entre M. [G] et l’hôtel sans l’entremise de M. [Z],
-que l’activité du fonds de commerce n’était pas pérenne ou a périclité uniquement parce que M. [Z] ne leur a pas cédé une clientèle suffisante ou parce qu’il a menti ou occulté la réalité à propos d’un des éléments du fonds de commerce.
Quant à la réticence dolosive qui doit porter sur une information que le vendeur aurait été obligé de leur communiquer, force est de constater qu’elle n’est pas caractérisée, et ce, d’autant qu’il était facile pour les acquéreurs, en arrivant sur l’île de Bora Bora le 1er avril 2019 ( cf billets d’avion versés aux débats) de se renseigner personnellement, sur l’avenir de la filière photographie et plus concrètement sur la situation financière du commerce qu’ils avaient l’intention de reprendre.
Du reste, s’ils produisent leurs billets retour établis en juillet 2020, ils ne communiquent absolument, aucun document permettant de savoir dans quelles conditions ils ont mis fin à l’activité du fonds ‘Iaorana Pictures Bora Bora’.
En conséquence, les appelants n’établissent pas que le consentement qu’ils ont donné au contrat passé le 11 juillet 2019 est affecté d’un dol.
– Sur les manquements du vendeur à ses obligations contractuelles –
L’argumentaire et les moyens développés par les époux [G] au soutien de leurs prétentions subsidiaires fondées sur l’article 1134 du code civil reposent sur les mêmes éléments mais ne résistent pas davantage à l’analyse.
En effet,
– Sur le manquement à l’obligation d’information du vendeur, ils font valoir que le portefeuille des clients cédés par M.[Z] était composé en partie des deux hôtels qui ont fermé en 2020, et font grief à leur vendeur d’avoir caché cette information. Mais d’une part, il a déjà été répondu sur ce point au titre de la réticence dolosive et d’autre part, la cour ne dispose pas du fichier ‘clients’ que M. [Z] s’est engagé à céder.
– Sur leur absence de formation à la photographie : ils prétendent que M. [Z] se serait engagé à les former à la photographie mais l’obligation contractuelle dont ils se prévalent ainsi ne ressort ni du contrat qui fait la loi entre les parties, ni des messages électroniques figurant au dossier.
– Sur la mauvaise foi de M. [Z] dans la transmission de clientèle : le contrat ne contient aucune stipulation d’une obligation du vendeur de présenter son successeur à ses clients ; et il a été dit plus haut que la liste des clients et des contrats cédés qui n’est pas jointe au contrat, ne figure pas non plus dans les pièces communiquées à la cour.
– Sur le non-respect de la clause de non-concurrence : le contrat contient effectivement une lcause interdisant au vendeur de se rétablir dans un commerce similaire à celui qui est cédé, à Bora Bora et pendant 5 années.
Les époux [G] versent aux débats un extrait du répertoire des entreprises montrant que le 30 octobre 2020, M. [Z] était enregistré comme photographe installé à Bora Bora . Ils produisent également une capture d’écran de la page internet de ‘Iaorana pictures’ établie le 17 août 2021. Cependant, les époux [G] ont quitté Bora Bora en juillet 2020 et n’expliquent pas quel grief leur aurait causé la réinstallation de M. [Z] après leur départ.
‘ Sur l’entrave à la jouissance de l’activité : les époux [G] soutiennent qu’après la vente du fonds de commerce, M. [Z] continuait à se comporter comme propriétaire de l’activité et ce, jusqu’à son départ effectif de l’entreprise le 15 octobre 2019. Pour autant, ils n’expliquent pas avoir été contraints par M. [Z] de le laisser représenter le fonds de commerce qu’ils venaient d’acquérir et ne produisent pas de pièce établissant qu’il leur a causé un préjudice matériel quelconque.
‘ Mais sur le non-respect de l’obligation de cession des réseaux sociaux –
M. [Z] n’a pas comparu pour se défendre de la condamnation au titre de la méconnaissance de l’obligation de cession des réseaux sociaux que le tribunal a chiffré à 1 million mais pour lequel les époux [G] réclament 4 millions. Or, il est préjudiciable pour une entreprise de service telle la photographie de ne pas disposer de visibilité suffisante sur internet et notamment sur facebook surtout en Polynésie française où ce réseau social est particulièrement utilisé par les commerces.
Statuant par infirmation partielle sur ce point, la cour portera à 2 millions les dommages intérêts alloués de ce chef aux époux [G].
Les époux [G] admettent n’avoir réglé que 16 millions sur les 18 millions qu’ils se sont engagés à payer pour le fonds de commerce de sorte que la cour ne peut que confirmer sur ce chef de condamnation.
En conséquence, la cour statuant tant par motifs adoptés du tribunal que par motifs propres, confirmera le jugement excepté sur le montant des dommages intérêts mis à la charge de M. [Z] pour le non-respect de l’obligation de cession des réseaux sociaux.
– Sur les frais de procédure,
Les appelants succombent sur l’essentiel de leurs demandes et supporteront donc les entiers dépens d’appel. Leur demande au titre des frais irrépétibles d’appel sera rejetée.