Diffamation par le salarié

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Diffamation par le salarié

La cour rappelle que la diffamation est une allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne. En l’espèce, les termes utilisés par la salariée ne s’adressent pas directement à l’employeur mais concernent le contexte du procès. Il ne s’agit donc pas de propos diffamatoires directement émis à l’encontre de Mme [F]. Le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 


 

ARRÊT DU

07 MARS 2023

PF/CO

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N° RG 21/00607 –

N° Portalis DBVO-V-B7F-C4W6

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[K] [F] venant aux droits de [Y] [F]

C/

[W] [C]

———————–

Grosse délivrée

le :

à

ARRÊT n° 38 /2023

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le sept mars deux mille vingt trois par Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président, assistée de Chloé ORRIERE, greffier

La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire

ENTRE :

[K] [F] en sa qualité d’ayant droit de [Y] [F]

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Julie CELERIER, avocat inscrit au barreau d’AGEN

APPELANTE d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AGEN en date du 04 Mai 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F19/00120

d’une part,

ET :

[W] [C]

née le 10 Juillet 1993 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Camille GAGNE, avocat inscrit au barreau d’AGEN

(bénéficiaire d’une aide juridictionnelle totale numéro 2021/002586 du 02/07/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle d’AGEN)

INTIMÉE

d’autre part,

A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 03 janvier 2023 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller rapporteur, assistée de Chloé ORRIERE, greffier. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré rendu compte à la cour composée, outre lui-même, de Hélène GERHARDS et Benjamin FAURE, conseillers, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l’arrêt serait rendu.
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* *

*

FAITS ET PROCÉDURE :

Selon contrat à durée indéterminée à temps partiel à compter de juin 2016, Mme [W] [C] a été engagée par M. [F], âgé de 94 ans, en qualité d’auxiliaire de vie.

Le retour de congé maternité de Mme [W] [C] était prévu le 24 septembre 2018.

Elle était placée en arrêt maladie du 15 avril au 14 mai 2018.

La salariée prenait attache téléphonique le 23 septembre avec son employeur afin d’organiser sa reprise à son poste de travail.

La salariée adressait un courrier le 1er octobre à Mme [K] [F], fille de son employeur M. [F].

Le 10 octobre 2018, la salariée était convoquée à un entretien préalable à un licenciement fixé au 24 octobre et ne s’y présentait pas.

Le 29 novembre 2018, la salariée saisissait le conseil de prud’hommes d’Agen en sa formation de référé puis se désistait de son instance.

Le 18 novembre 2018, la salariée était de nouveau convoquée à un entretien préalable à un licenciement fixé au 2 janvier 2019 avec mise à pied conservatoire à compter du 18 novembre.

Le 7 janvier 2019, l’employeur lui notifiait son licenciement pour faute grave.

Le 10 septembre 2019, Mme [C] a saisi le conseil de prud’hommes d’Agen afin de contester son licenciement.

Mme [K] [F] vient aux droits de son père, M. [F], décédé le 26 mars 2020.

Par jugement du 4 mai 2021, le conseil de prud’hommes a considéré que l’employeur ne démontrait pas qu’il était au courant de la situation de Mme [W] [C], a dit que le licenciement tardif de la salariée pour faute grave notifié le 7 janvier 2019 était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a ainsi condamné Mme [K] [F] en sa qualité d’ayant droit de M. [F] à lui payer les sommes suivantes :

– 700 euros de dommages et intérêts pour préjudice distinct

– 4789,30 euros net pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

– 2719,60 euros net au titre du préavis

– 271,96 euros de congés payés afférents

– 849,88 euros brut au titre de l’indemnité de licenciement

– 3 796,61 euros net de rappel de salaire

– 379,66 euros au titre des congés payés afférents

– 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [F] aux dépens

– condamné Mme [C] à payer à Mme [F] 137,10 euros au titre du remboursement de la somme de versée à l’hôpital par avis à tiers détenteur

– débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 4 juin 2021, Mme [K] [F] a régulièrement déclaré former appel du jugement en visant les chefs de jugement critiqué qu’elle cite dans sa déclaration d’appel.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 17 novembre 2022.
* * *

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

I. Moyens et prétentions de Mme [K] [F] appelante principale

Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au greffe le 3 septembre 2021, auxquelles la cour se réfère expressément, Mme [K] [F] demande à la cour de :

– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Madame [C] à lui payer la somme de 137,10 euros à titre de remboursement du paiement de la facture hospitalière ;

– Infirmer le jugement en ce qu’il :

– a considéré que l’employeur échouait à démontrer qu’il n’était pas au courant de la situation de Madame [W] [C]

– dit et jugé que le licenciement tardif de Madame [W] [C] pour faute grave notifié

le 7 janvier 2019 était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

– l’a condamnée en sa qualité d’ayant-droit à verser à Madame [W] [C] les sommes de :

* 700 euros nets de dommages et intérêts pour préjudice distinct ;

* 4 789,30 euros nets pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 2 719,60 euros nets au titre du préavis ;

* 271,96 euros nets au titre des congés payés afférents ;

* 849,88 euros bruts au titre de l’indemnité de licenciement ;

* 3 796,61 euros nets au titre de rappel de salaire ;

* 379,66 euros nets au titre des congés payés afférents ;

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– l’a condamnée aux entiers dépens

– a condamné Madame [C] à lui payer 137,10 euros au titre du remboursement de la somme versée à l’hôpital selon avis tiers détenteur

– a débouté les parties du surplus de leurs demandes

Statuant à nouveau :

– Débouter Madame [W] [C] de l’ensemble de ses demandes ;

– Condamner Madame [W] [C] à lui verser les sommes suivantes :

– 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

– 2.000 eurosau titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner Madame [W] [C] aux entiers dépens.

A l’appui de ses prétentions, Mme [K] [F] fait valoir que :

– début 2018, la salariée l’a informée de sa déclaration de grossesse avec un repos postnatal à compter du 4 juin 2018

– elle n’a pas eu de nouvelles de la salariée pendant 5 mois jusqu’à son appel le 23 septembre l’informant qu’elle reprendrait son poste le lendemain

– les griefs justifiant le licenciement ne sont pas prescrits car ils datent de moins de deux mois avant la convocation du 18 décembre 2018

– l’absention de communiquer le courrier de la CPAM

– en première instance, le conseil de prud’hommes ne s’est pas prononcé sur ce grief

– contrairement à ce qu’a considéré le conseil de prud’hommes en les jugeant prescrits, le licenciement ne repose pas sur une absence injustifiée à compter du 16 mai 2018 mais sur la rétention volontaire d’un document officiel nécessaire à sa reintégration

– elle lui a demandé de justifier la date de l’accouchement et de fournir le justificatif de la CPAM afin d’écarter toute hypothèse d’abandon de poste

– le récapitulatif des indemnités journalières que la salariée produit ne démontre pas qu’elle a justifié son absence auprès de son employeur

– la salariée a d’abord déclaré ne pas avoir reçu le document de la CPAM puis a menti en déclarant l’avoir déposé dans sa boîte aux lettres

– ce document, qui était en la possession de la salariée depuis le 25 juin 2018, lui a été finalement communiqué par le conseil de cette dernière le 18 décembre 2018

– les accusations mensongères :

– le licenciement repose sur des mensonges, grief que le conseil n’a pas examiné

– elle conteste les termes du courier du 1er octobre 2018 par lequel la salariée soutient avoir été menacée de licenciement

– elle produit l’attestation de Mme [P], salariée de M. [F], pour justifier le contenu de la conversation téléphonique enregistrée du 23 septembre

– l’enregistrement n’est pas produit en procédure. Elle verse une simple attestation

– sur l’avis d’opposaition à tiers détenteur :

– elle a reçu un avis d’opposition à tiers détenteur du centre hospitalier d'[Localité 3]-[Localité 5] concernant une facture impayée de la salariée

– son salaire était maintenu à 100% par la CPAM, elle avait par conséquent les moyens financiers de régler sa facture

– l’absence de salaire à compter du 23 septembre est uniquement de son fait car il lui suffisait d’adresser le courrier de la CPAM qu’elle lui réclamait

– sur les propos diffamatoires :

– la salariée a porté atteinte à son image et à sa réputation via les réseaux sociaux sur sa page Facebook le 10 décembre 2018

– c’est un tiers, Mme [J], qui l’en a informée

– la salariée a ouvert ses publications aux amis d’amis donc à un nombre illimité de personnes

– il ne s’agit pas d’une atteinte à la vie privée de la salariée

– ces faits justifient une sanction disciplinaire

– sur le quantum des demandes :

– si le licenciement est requalifié sans cause réelle et sérieuse, il conviendra de limiter les dommages et intérêts à 0,5 mois de salaire soit 679,90 euros

– la salariée a travaillé un peu mois de deux ans pour M. [F]

– le débat sur l’applicabilité du barème Macron est surperfétatoire car elle ne justifie d’aucun préjudice

– la salariée ne justifie pas sa situation professionnelle après le 31 juillet 2019

– les indemnités chômage perçues ouvrent droit à leur prise en compte au titre des cotisations retraite. Ses droits futurs ne sont pas compromis

– elle ne justifie pas la perte de son niveau de vie, ni l’humiliation due à la situation de chômage ni un préjudice moral

– sur le rappel de salaire :

– son licenciement pour faute grave étant justifié, elle ne peut solliciter de rappel de salaire du 18 décembre 2018 au 7 janvier 2019

– elle n’a fourni le justificatif demandé que le 18 décembre 2018 contrevenant aux dispositions applicables

– sur le préjudice distinct :

– elle lui a réclamé le courrier de la CPAM afin de la réintégrer

– la salariée s’en est abstenue volontairement

– les documents de fin de contrat lui ont été remis le 18 janvier 2019

– la salariée n’apporte pas la preuve de circonstances vexatoires

– l’octroi d’une indemnité de ce chef n’est pas motivé par le conseil de prud’hommes

– la procédure contre M. [F] est abusive

– la salariée a volontairement refusé de remettre le courrier de la CPAM qu’elle lui réclamait ce qui lui aurait permis d’être réintégrée

II. Moyens et prétentions de Mme [W] [C] intimée sur appel principal

Selon dernières conclusions enregistrées au greffe de la cour le 30 juin 2022 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’intimée, Mme [W] [C] demande à la cour de :

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen du 4 mai 2021 en ce qu’il a requalifié son licenciement en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et a en conséquence condamné Madame [K] [F] au paiement des sommes suivantes :

– 2719,60 euros nets au titre du préavis,

– 271,96 euros nets au titre des congés payés afférents,

– 849,88 euros net au titre de l’indemnité de licenciement, le jugement devant seulement être infirmé en ce qu’il a condamné Madame [K] [F] au paiement d’une indemnité brute et non nette,

– 3796,61 euros nets au titre de rappel de salaire,

– 379,66 euros nets au titre des congés payés afférents.

– Infirmer le jugement du 4 mai 2021 en ce qu’il a limité son indemnisation de au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 4 789,30 euros et statuant à nouveau :

– Ecarter le montant maximal d’indemnisation prévu par l’article L.1235- 3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l’OIT et le droit au procès équitable, ou à défaut faire une appréciation in concreto du préjudice subi par le salarié.

– Condamner en conséquence Madame [F] à lui verser la somme nette de 13 598 euros correspondant à 10 mois de salaire, en réparation de l’ensemble des préjudices professionnels,financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement.

A titre subsidiaire, si la cour ne retenait pas l’inopposabilité du plafonnement, confirmer le jugement du 4 mai 2021 en ce qu’il a condamné Madame [F] à lui verse la somme nette de 4 789,30 euros, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l’article L.1235- 3 du code du travail.

– Ordonner la remise des documents de fin de contrat ainsi que d’un bulletin de salaire mentionnant les sommes versées au titre des condamnations prononcées.

– Infirmer le jugement du 4 mai 2021 en ce qu’il a limité son indemnisation au titre du préjudice distinct et statuant à nouveau condamner Madame [F] au paiement de la somme de 4 000 euros.

– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Madame [F] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Y ajoutant, Madame [F] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de

l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’appel.

A l’appui de ses prétentions, Mme [W] [C] fait valoir que :

– l’attestation de Mme [P] produite sur propos tenus après enregistrement d’une comminication téléphonique constitue un moyen de preuve déloyal et devra être déclaré irrecevable

– Mme [P] ne témoigne pas d’une conversation qu’elle a directement entendue mais de propos écoutés après un enregistrement à son insu

– la procédure a été mise en place trop tardivement pour préserver ses droits

– aucune visite médicale de reprise n’a été organisée par l’employeur qui a cessé de verser les salaires et d’établir les bulletins de paie ce qui démontre la volonté de l’employeur de rompre le contrat

– cette volonté ressort des termes du courrier pour entretien préalable du 10 octobre 2018

– elle n’a perçu aucun salaire à compter du 24 septembre et le 10 octobre en raison de l’inertie de l’employeur

– sur la prescription :

– les griefs tirés de l’absence injustifiée et de la remise tardive des documents de reprise sont prescrits car ils datent de plus deux mois avant la convocation à entretien préalable

– le pouvoir disciplinaire de l’employeur était épuisé car il ne l’a pas licenciée après la première convocation

– à compter du 15 mai, l’employeur avait considéré le contrat rompu de fait ce qui corrobore sa version concernant les propos tenus par téléphone le 23 septembre lui faisant injonction de ne pas se représenter

– les griefs sont injustifiés :

– sur l’avis à tiers détenteur :

– l’employeur n’a pas mis en demeure la salariée de justifier de son absence

– l’employeur a eu connaissance de la fin de son congé postnatal lors de l’appel téléphonique pour reprise le 23 septembre

– à la fin de son congé postnatal, elle a été privée de toute ressource contrairement à ce que soutient l’employeur

– les salaires restaient dus en l’absence de rupture du lien contractuel

– l’employeur était par conséquent débiteur et la saisie sur salaire était recevable dans son principe

– ce n’est pas de la compétence du conseil de prud’hommes et ne peut fonder une faute grave

– sur les propos diffamatoires :

– il s’agit de commentaires à audiences limitées qui relèvent de la vie privée et l’employeur n’est pas autorisé à accéder aux informations extraites du compte facebook de la salariée

– il est inopérant et devra être écarté

– la procédure suivie est irrégulière :

– aux termes de l’article L.1232-2, la sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien

– l’employeur l’a convoquée le 10 octobre 2018 pour un entretien fixé au 24 octobre

– elle a reçu la notification de son licenciement le 7 janvier 2018

– l’employeur tente d’invoquer de nouvelles fautes justifiant la convocation à un second entretien

– le délai d’un mois étant expiré, la procédure est irrégulière

– les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de l’indemnité légale de licenciement doivent être prononcées en brut et non en net

– sur les rappels de salaire :

– les salaires pendant la mise à pied conservatoire sont dus en l’absence de faute grave soit du 24 septembre 2018 au 18 janvier 2019

– le salaire net est de 1045 euros calculé sur une moyenne de 110 heures mensuelles sur les 3 derniers mois travaillés

– le rappel est de 3796,61 euros outre 379,66 euros de congés payés afférents

– sur l’inapplicabilité du barème de l’article L.1235-3 du code du travail en vertu des textes internationaux garantissant aux salariés licenciés sans motif valable de recevoir une indemnité adéquate

– le contrôle de conventionnalité est dévolu au juge prud’homal

– sa situation est précaire car elle n’a pas retrouvé d’emploi et a déposé un dossier de surendettement et une procédure d’expulsion pour loyers impayés est en cours

– la privation de l’emploi entraîne des conséquences sur ses droits futurs à la retraite

– elle a subi une perte de niveau de vie

– elle subit l’humiliation due au chômage et un préjudice moral en lien direct avec l’attitude de son employeur

– sur le préjudice distinct :

– il est fondé sur l’article 1240 du code civil et le cumul avec des dommages et intérêts pour licenciement abusif est reconnu par la Cour de cassation

– il est justifié par l’absence de visite de reprise et l’arrêt du paiement des salaires à compter du 24 septembre 2018

– le non paiement des salaires a généré un stress important outre les conséquences financières ci-dessus exposées
* * *
MOTIFS :

I- Sur le licenciement :

Il résulte des dispositions des articles L.1232-1 et L.1235-1 du Code du Travail, que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et qu’en cas de litige relatif au licenciement, le juge auquel il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Toutefois, s’il invoque une faute grave pour justifier le licenciement, l’employeur doit en rapporter la preuve, étant rappelé que la faute grave, privative de préavis et d’indemnité de licenciement, est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pour la durée limitée du délai-congé.

Par courrier du 7 janvier 2019, qui fixe les limites du litige, Mme [C] a été licenciée pour faute grave en ces termes :

« Début 2018, vous m’avez transmis un courrier de la CPAM accusant réception d’une déclaration de grossesse et précisant que l’accouchement était prévu le 16 juillet 2018 pour un début de repos prénatal au 4 juin 2018.

Cependant, bien avant votre congé maternité, votre contrat de travail a été suspendu du 15 avril au 15 mai 2018 en raison d’un arrêt de travail.

Alors que le repos prénatal ne devait commencer, au plus tôt, que le 4 juin suivant, vous n’avez pas repris votre poste de travail le 16 mai 2018, sans justifier de votre absence de plus de 2 semaines et demie malgré les demandes en ce sens.

Ma fille a été contrainte de s’organiser dans l’urgence pour subvenir à mes besoins. Vous n’êtes pas sans savoir que je suis totalement dépendant et ne peux accomplir seul les gestes du quotidien.

Votre absence demeure injustifiée à ce jour.

Par ailleurs, alors que j’étais sans nouvelle de votre part depuis plus de 5 mois, vous avez indiqué à ma fille le dimanche 23 septembre 2018 avoir l’intention de réintégrer votre poste le lendemain, lundi 24 septembre 2018.

Il vous a été demandé de justifier de la date de votre accouchement et de fournir un justificatif de la CPAM indiquant la date de fin de repos postnatal afin d’écarter l’hypothèse d’un abandon de poste depuis le 16 mai 2018 ou d’un allongement de votre repos postnatal de 3 semaines comme la loi vous l’y autorisait.

Vous avez soutenu tour à tour n’avoir pas reçu ce document de la CPAM, l’avoir fait déposer dans ma boîte aux lettres ou encore l’avoir transmis en main propre à ma fille.

C’est seulement le 18 décembre 2018 que vous m’avez communiqué, par la voie de votre Conseil, un courrier de la CPAM daté du 25 juin 2018, document qui était nécessairement en votre possession auparavant.

En ne fournissant pas ce courrier malgré la demande expresse qui vous en a été faite, tout en exigeant votre réintégration, laquelle demeurait impossible, vous m’avez placé en porte à faux à votre égard.

En outre vous m’avez adressé un courrier recommandé le 1 er octobre 2018 faisant état d’accusations mensongères selon lesquelles il aurait été question de vous licencier.

Votre attitude caractérise à tout le moins une négligence et une carence fautives de votre part et je m’interroge sur les intentions de nuire qu’elle révèle, étant concomitante à votre demande de voir votre contrat de travail rompu.

D’autre part, j’ai reçu le 19 octobre 2018 un avis d’opposition à tiers détenteur sur rémunérations faisant état de factures émises par le centre hospitalier d'[Localité 3]-[Localité 5] à votre attention et demeurant impayée, factures dont l’administration nous réclame désormais le paiement et dont nous devons supporter la charge.

Enfin, j’ai pris connaissance de propos diffamatoires à mon encontre publiés publiquement sur les réseaux sociaux portant atteinte à mon image et ma réputation. La méconnaissance répétée de vos obligations contractuelles mais surtout votre attitude inacceptable à mon égard a irrémédiablement compromis le lien de confiance que rend pourtant indispensable l’importance de votre présence à mes côtés au quotidien.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien, même temporaire, à mon service s’avère impossible.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement, à la date d’envoi de la présente lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

La période non travaillée de mise à pied conservatoire du 18 décembre 2018 au 7 janvier 2019 ne sera pas rémunérée. »

Il ressort de la lettre de licenciement quatre griefs, à savoir :

– une absence injustifiée à compter du 16 mai pendant 2 semaines et demi

– la remise tardive d’un document administratif

– la réception d’un avis d’opposition à tiers détenteur

– des propos diffamatoires

Sur l’absence injustifiée :

La cour confirme le jugement entrepris en ce qu’il a considéré les faits prescrits conformément à l’article L.1332-4 du code du travail car antérieurs de plus de deux mois à la convocation à entretien préalable du 10 octobre 2018 mais en précisant que les dates de l’absence injustifiée sont celles des 16 mai au 4 juin et non du 15 avril au 15 mai comme mentionné incorrectement dans le jugement, dates qui correspondent à l’arrêt maladie. L’employeur n’a pas adressé de lettre recommandée préalable à la salariée

Sur l’absence de remise de document nécessaire à la reprise :

L’attestation de Mme [P] du 17 décembre 2022 est contestée par la salariée qui la considère comme produite à la suite d’un procédé déloyal.

La cour rappelle qu’en matière prud’homale la preuve est libre.

Cependant, en l’espèce, l’attestation de Mme [P] a été obtenue à la suite de l’enregistrement d’une conversation téléphonique à l’insu du correspondant, Mme [C].

Ce type de preuve n’est pas conforme à l’égalité des armes entre les parties et aux règles d’un procès équitable.

En conséquence, l’attestation de Mme [P] ayant été obtenue au moyen d’un procédé déloyal est irrecevable.

Sur l’avis à tiers détenteur :

La cour observe que ce grief ne relève pas de la compétence du conseil de prud’hommes et n’est donc pas fondé.

Sur les propos diffamatoires :

La cour rappelle que la diffamation est une allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne.

En l’espèce, les termes utilisés par la salariée ne s’adressent pas directement à l’employeur mais concernent le contexte du procès. Il ne s’agit donc pas de propos diffamatoires directement émis à l’encontre de Mme [F].

Le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

II- Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

La cour rappelle que les condamnations de nature salariale calculées sur la base du salaire brut de référence et les dommages et intérêts sont prévus en brut et non en net. La cour rectifie le jugement entrepris en ce sens.

1. Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Aux termes de l’article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont le point de départ est fixé par la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement

Les premiers juges ont opéré un calcul de l’indemnité de préavis conforme aux dispositions de l’article L.1234-5 du code du travail dont les modalités ne sont pas utilement discutées par l’employeur

La cour confirme le quantum des condamnations prononcées par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a alloué à Mme [C] la somme de 2719,60 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 271,96 euros au titre des congés payés sur l’indemnité compensatrice de préavis mais l’infirme s’agissant de condamnations qui doivent être prononcées en brut et non en net.

2. Sur le rappel de salaires

Seule la faute grave peut justifier le non paiement du salaire pendant la mise à pied.

Mme [C] a donc droit, du fait de son licenciement pour cause réelle et sérieuse, au paiement de son salaire durant le temps de la mise à pied conservatoire

Les premiers juges ont opéré un calcul de l’indemnité de préavis conforme aux pièces salariales du dossier dont les modalités ne sont pas utilement discutées par l’employeur

Le jugement du conseil de prud’hommes d’Agen sera confirmé sur le quantum en ce qu’il a alloué à Mme [C] la somme de 3 796,61 euros au titre d’un rappel de salaire sur la période de mise à pied conservatoire et 379,66 euros de congés payés afférents mais l’infirme s’agissant de condamnations qui doivent être prononcées en brut et non en net.

3. Sur l’indemnité de licenciement

Aux termes de l’article L.1234-9 du code du travail, ‘le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée licencié alors qu’il compte 8 mois ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul ‘de cette indemnité’ sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminées par voie réglementaire’.

Contrairement à ce que sollicite la salariée, le montant fixé au titre de l’indemnité de licenciement s’entend en brut et non en net puisque le salaire de référence est le salaire mensuel brut.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé en ce qu’il a condamné Mme [K] [F] à payer à Mme [C] la somme de 849,88 euros brut au titre de l’indemnité de licenciement.

4. Sur les dommages et intérêts

L’article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à l’espèce, prévoit que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Par arrêts du 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’était pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail, que le juge français ne peut écarter même au cas par cas, l’application du barême au regard de cette convention internationale et que la loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct.

En conséquence, Mme [C], âgée de 25 ans à la date du licenciement, a déposé un dossier de surendettement et une procédure d’expulsion pour loyers impayés est en cours. En conséquence, la cour condamne Mme [F] à lui payer la somme de 679,90 euros brut, soit 0,5 de mois de salaire brut, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé sur ce point.

III- Sur la remise des documents

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande tendant à la remise de documents sociaux conformes et d’un bulletin de salaire rectifié est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif.

IV- Sur le préjudice distinct

La cour infirme le jugement du conseil de prud’hommes qui a condamné l’employeur à verser à Mme [C] une somme de 700 euros au titre d’un préjudice distinct.

En effet, la salariée ne justifie pas de circonstances vexatoires ayant entouré son licenciement dans un tel contexte de rupture et sans contacter son employeur pendant plusieurs mois alors qu’elle intervenait auprès d’une personne âgée et malade.

V- Sur la procédure abusive

Mme [F] sollicite des dommages et intérêts estimant que la procédure initiée par Mme [C] est abusive.

L’exercice d’une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s’il s’agit d’une erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, il ne ressort pas de l’examen du litige que Mme [C] soit de mauvaise foi.

En conséquence, il convient de débouter Mme [F] de sa demande de dommages et intérêts.

VI. Sur la demande en remboursement de l’avis à tiers détenteur

Comme il a été précédemment indiqué au paragraphe I A, cette demande ne relève pas de la compétence du conseil de prud’hommes. En conséquence, la cour infirme le jugement entrepris de ce chef.

VII. Sur le remboursement des indemnités chômage

Il résulte enfin des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail que, lorsque le juge condamne l’employeur à payer au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l’article L.1235-3 du même code, il ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage. Il convient de faire application de ces dispositions au cas d’espèce

Sur les demandes annexes :

Mme [K] [F], qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel et la cour confirme sa condamnation aux dépens de première instance.

La cour infirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné Mme [K] [F] à payer à payer à Mme [W] [C] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer 300 euros à ce titre outre 600 euros en cause d’appel.


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