Affaire Castorama : licenciement pour harcèlement sexuel
Affaire Castorama : licenciement pour harcèlement sexuel
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Les allusions sexuelles déplacées, appuyées, récurrentes d’un salarié justifient son licenciement pour faute dès lors que les collègues concernées  se voient réduites à un objet sexuel et que les propos tenus ont porté atteinte, par leur caractère humiliant, à la dignité de celles-ci et ont constitué pour elles une situation pesante de nature à dégrader fortement les conditions de travail.

Dans cette affaire, aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, la société Castorama France a reproché avec succès à un salarié d’avoir régulièrement des gestes déplacés, de l’ordre de l’intimité qui mettaient mal à l’aise une collègue, d’avoir tenu régulièrement à celle-ci des propos à connotation sexuelle qui l’importunent, voire la mettaient mal à l’aise (blagues sexuelles, tenue de propos obscènes, propos sur le physique des collaboratrices), n’hésitant pas à user dans ce cadre de sa position hiérarchique, qui lui conférait la maîtrise des plannings, et d’avoir poursuivi ces comportements et propos dérangeants, voire insisté lourdement, en dépit des demandes répétées de cesser ses agissements que la salariée lui a adressées.

L’ensemble des propos, comportements et attitudes ci-dessus évoquées relevant d’une forme de harcèlement sexuel et étant contraires au règlement intérieur, qui prévoit que le personnel est tenu d’adopter dans l’exercice de ses fonctions une tenue, un comportement et des attitudes qui respectent la liberté et la dignité de chacun et rappelle les dispositions du code du travail prohibant le harcèlement moral et le harcèlement sexuel.


COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 MARS 2023

N° RG 21/01274 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UPCI

AFFAIRE :

[F] [R]

C/

S.A.S.U. CASTORAMA FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Mars 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ARGENTEUIL

N° Section : C

N° RG : 19/00303

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Virginie NGUYEN CONG

Me Jérôme WATRELOT de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 05 janvier 2023, prorogé au 02 février 2023, puis prorogé au 02 mars 2023, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Monsieur [F] [R]

né le 13 Septembre 1971 à Bezons (95870)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Virginie NGUYEN CONG, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0654

APPELANT

****************

S.A.S.U. CASTORAMA FRANCE

N° SIRET : 451 678 973

Zone Industrielle

[Localité 1]

Représentant : Me Jérôme WATRELOT de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0100 – Représentant : Me Myriam ANOUARI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K100

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Octobre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Thierry CABALE, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
* * *
EXPOSÉ DU LITIGE

M. [F] [R] a été engagé à compter du 7 octobre 2013 par la société Castorama France par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de chef de rayon, 1er échelon, coefficient 220, catégorie agent de maîtrise. Il était classé en dernier lieu chef de rayon, 2ème échelon, coefficient 250, était rémunéré sur la base d’un salaire mensuel brut de 2 429,05 euros et a perçu d’avril à juin 2019 une rémunération mensuelle brute moyenne de 3 499,43 euros. Il était affecté au rayon bois du secteur Bâti du magasin de [Localité 4] (95).

Les relations entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du bricolage (vente au détail en libre-service).

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 juin 2019, la société Castorama France a notifié à M. [R] une mise à pied conservatoire et une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement fixé au 2 juillet 2019. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 juillet 2019, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes d’Argenteuil, par requête reçue au greffe le 27 décembre 2019, afin d’obtenir la condamnation de la société Castorama à lui payer diverses sommes.

Par jugement du 25 mars 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes d’Argenteuil a :

– jugé que le licenciement de M. [R] est fondé sur une faute grave,

– débouté M. [R] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné M. [R] au versement de la somme de 1 000 euros à la société Castorama France au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– mis les dépens à la charge de M. [R].

M. [R] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 29 avril 2021.
* * *

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 13 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [R] demande à la cour de :

¿ infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 mars 2021 par le conseil de prud’hommes d’Argenteuil,

¿ et statuant à nouveau,

– dire que les faits de harcèlement sexuel qui lui sont reprochés ne sont pas caractérisés ;

– dire en conséquence que son licenciement ne repose sur aucune faute grave ni aucune cause réelle et sérieuse,

– en conséquence, condamner la société Castorama à lui verser les sommes suivantes :

*à titre d’indemnité compensatrice de préavis : 6 998,86 euros,

*au titre des congés payés afférents : 699,89 euros,

*à titre d’indemnité légale de licenciement : 5 176,24 euros,

*à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20 996,58 euros ;

*à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire : 20 000 euros ;

– ordonner la délivrance par la société Castorama des documents sociaux de fin de contrat conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de l’arrêt,

– condamner la société Castorama à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Castorama aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 11 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, la société Castorama demande à la cour :

A titre principal, de :

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [R] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– déclarer irrecevable la demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

– en tout état de cause, débouter M. [R] de sa demande ;

– y ajoutant, condamner M. [R] à la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour devait considérer que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, de :

– fixer le salaire mensuel de référence à la somme de 3 311,71 euros bruts ;

– limiter le montant de l’indemnité compensatrice à 6 623,42 euros bruts outre 662,34 euros bruts à titre de congés payés afférents ;

– limiter l’indemnité de licenciement à la somme de 4 746,77 euros bruts ;

– débouter M. [R] du surplus de ses demandes.

À titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la cour devait considérer que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, de :

– limiter le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 9 935,13 euros conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail ;

– débouter Monsieur [F] [R] du surplus de ses demandes.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 19 octobre 2022.
* * *
MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le bien-fondé du licenciement

Aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, la société Castorama France reproche à M. [R] d’avoir régulièrement des gestes déplacés, de l’ordre de l’intimité qui mettent mal à l’aise Mme [N], de tenir régulièrement à celle-ci des propos à connotation sexuelle qui l’importunent, voire la mettent mal à l’aise (blagues sexuelles, tenue de propos obscènes, propos sur le physique des collaboratrices), n’hésitant pas à user dans ce cadre de sa position hiérarchique, qui lui conférait la maîtrise des plannings, et d’avoir poursuivi ces comportements et propos dérangeants, voire insisté lourdement, en dépit des demandes répétées de cesser ses agissements que Mme [N] lui a adressées, l’ensemble des propos, comportements et attitudes ci-dessus évoquées relevant d’une forme de harcèlement sexuel et étant contraires au règlement intérieur, qui prévoit que le personnel est tenu d’adopter dans l’exercice de ses fonctions une tenue, un comportement et des attitudes qui respectent la liberté et la dignité de chacun et rappelle les dispositions du code du travail prohibant le harcèlement moral et le harcèlement sexuel ; qu’il a également usé de propos à connotation sexuelle envers une autre collaboratrice, Mme [B], reçue à la demande de M. [R] le 20 juin 2019.

M. [R] fait valoir que la preuve du harcèlement sexuel, qu’il conteste, n’est pas rapportée en l’absence de témoin direct des faits dénoncés par Mme [N], que la société Castorama France, qui ne justifie ni avoir appliqué la charte d’entreprise sur les procédures applicables en cas de harcèlement, ni avoir convoqué le CSE, ni avoir diligenté une enquête, ni entendu les membres de l’équipe et d’autres salariés du magasin, a fait preuve de partialité et de précipitation dans la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, que les faits s’inscrivent dans un contexte d’ambiance grivoise de travail, de familiarité réciproque et de camaraderie excessive, que Mme [N] n’était ni importunée ni mal à l’aise avec les propos à connotation sexuelle, que les gestes déplacés ne sont pas démontrés et que Mme [N] n’a pas subi de pression ou de situation intimidante, hostile ou offensante.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu’il invoque à l’appui du licenciement.

M. [R] qui soutient que la société Castorama France n’a pas appliqué la charte d’entreprise sur les procédures applicables en cas de harcèlement ne justifie pas de l’existence d’une telle charte.

La preuve des propos à connotation sexuelle que M. [R] aurait tenus à Mme [B] cités dans la lettre de licenciement n’est pas rapportée.

S’agissant des faits qu’il est reproché à M. [R] d’avoir commis à l’égard de Mme [N], il est établi :

– par l’attestation de M. [A], que Mme [N] et lui, qui vivaient en couple depuis deux ans, se sont séparés le 15 juin 2019, que son ex-compagne est quelqu’un de fragile et de pudique ;

– par l’attestation de M. [V], oncle de Mme [N], que celle-ci, venue lui rendre visite ainsi qu’à sa femme, les a informés de ce que son ami et elle avaient décidé de rompre et leur a dit vouloir se rapprocher de sa mère qui habite en province, qu’à la question posée portant sur ce qu’elle comptait faire pour son travail, elle a répondu qu’elle ne voulait pas y retourner et qu’elle envisageait de rompre son contrat de travail, qu’ils ont essayé de lui trouver une solution pour qu’elle puisse être hébergée jusqu’à la fin de son contrat, que très stressée par cette discussion, elle leur a dit que le problème n’était pas là, qu’après beaucoup d’insistance de leur part, elle leur a expliqué qu’elle ne supportait plus le comportement de son manager, à savoir ses blagues à connotation sexuelle, ses gestes et propos déplacés qui se répètent au quotidien, qu’elle pleurait et tremblait en leur relatant les faits, qu’il lui a dit qu’elle devait signaler ce comportement à la responsable des ressources humaines et qu’ils se sont alors rendus au magasin où elle travaille où ils ont été reçus par cette dernière, à qui sa nièce a pu exposer les faits ;

– par le mail adressé par Mme [L], responsable des ressources humaines de l’établissement, au médecin du travail le 18 juin 2019, que le dimanche 16 juin 2019, aux environs de 18h30, Mme [N], conseillère de vente engagée par contrat de travail à durée déterminée depuis la fin mars 2019 pour remplacer une salariée absente pour congé maternité, s’est présentée avec son oncle, qu’après avoir pleuré et tremblé, elle est parvenue, après 10 minutes, à se calmer et lui a relaté les comportements et propos à connotation sexuelle subis de la part de M. [R] ; que la responsable des ressources humaines a fait un exposé détaillé et précis de ces faits au médecin du travail et l’a informé de ce que Mme [N] souhaitait le rencontrer et qu’elle pensait que celle-ci aurait également besoin de rencontrer un psychologue du travail ;

– par le SMS produit par M. [R] que celui-ci a écrit à Mme [N] le dimanche 16 juin à 19h03 : ‘Çà va [P]”’ ;

– par l’attestation de M. [A], que M. [R] est venu le voir sur son lieu de travail le lundi 17 juin à 9h30 afin de se justifier concernant les faits dénoncés par Mme [N] ; qu’il lui a déclaré que travaillant dans le même milieu professionnel que lui, la vente de matériaux de construction, il était en mesure de comprendre ses agissements et que si Mme [N] était fragile, elle n’était pas gênée par un quelconque harcèlement et que c’était de sa propre volonté qu’elle avait des discussions d’ordre sexuel très poussées avec lui et lui a demandé s’il serait possible qu’il témoigne en sa faveur, ce qui l’a estomaqué ;

– que Mme [N] a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 17 juin 2019, ainsi qu’il résulte de l’avis d’arrêt de travail produit ;

– que M. [R] lui a adressé les SMS suivants :

*le 17 juin 2019 à 12h22 : ‘Salut [P] peux-tu me rappeler [U] [M. [J]] aimerait savoir ce que tu fais rapidement. Merci.’

*le 17 juin 2019 à 13h49 : ‘Je te remercie tu m’appelles même pas pour me dire que tu es en maladie après ton cinéma d’hier tes pleurnicheries. Et bien nous aussi on va traiter avec [T] [Mme [L]]. A voir un manque de franchise comme ça avec moi pas de problème.’

– que Mme [N] a confirmé dans une attestation du 20 juin 2019 les comportements, propos et gestes imputés à M. [R] ;

– qu’elle a confirmé les faits dénoncés dans une déclaration de main-courante effectuée le 2 juillet 2019 ;

– qu’elle a été en arrêt de travail ininterrompu pour maladie du 17 juin au 1er septembre 2019, s’est effondrée à sa reprise du travail le 18 septembre 2019, ainsi qu’en atteste M. [X], chef de secteur technique du magasin Castorama de [Localité 4] et a été en arrêt de travail ininterrompu pour maladie du 19 septembre au 1er décembre 2019.

L’attestation émanant du seul M. [D], client de l’entreprise, établie le 10 juillet 2019, confirmée par son auteur le 23 avril 2021, dont il ressort qu’il a vu Mme [N] pleurer sur son lieu de travail le 16 juin 2019 au matin devant deux vendeurs de l’entreprise et que M. [R] lui a expliqué, après s’être entretenu avec elle, qu’elle venait de se faire larguer par son copain, qu’elle lui avait demandé de la licencier et qu’il ne pouvait pas le faire, n’est pas de nature à remettre en cause l’attestation de M. [V] concernant la raison profonde pour laquelle la salariée envisageait de quitter son emploi.

Les circonstances de la révélation des faits, la constance de Mme [N] dans ses déclarations, le caractère précis et circonstancié de celles-ci quant aux comportements et propos à connotation sexuelle subis de la part de M. [R] et la vive émotion exprimée par la jeune femme à leur évocation démontrent suffisamment la réalité et la gravité des faits qu’elle a subis de la part de son supérieur hiérarchique, relatés dans la lettre de licenciement.

Le fait que, lors de l’entretien d’embauche, M. [R] ait informé Mme [N] qu’il utilisait un langage cru et qu’elle ait répondu que cela ne la dérangeait pas, qu’elle avait l’habitude, n’est pas de nature à justifier le comportement de M. [R].

Les attestations de M. [J], chef de secteur Bâti, de M. [W], chef de secteur Jardins et de Mme [I], chargée de l’information sur le lieu de vente, produites par M. [R], qui ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, à défaut notamment de mentionner qu’elles sont établies en vue de leur production en justice et que leur auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales, ne peuvent être retenues comme ayant une valeur probante suffisante pour remettre en cause les pièces produites par l’employeur. Les deux premières ont été d’ailleurs rétractées par leurs auteurs, qui indiquent qu’ils n’avaient pas connaissance de tous les éléments à la date de leur rédaction, M. [W] précisant qu’avec le recul, il a pris conscience que si une blague un peu lourde peut éventuellement faire sourire, la répétition et récurrence peut détruire. La troisième, établie par Mme [I] en date du 29 juin 2019, qui n’a pas été confirmée par une attestation conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, ne peut être retenue comme fiable et spontanée, alors qu’il est établi que M. [R] a cherché à orienter les témoignages de ses collègues ainsi qu’il résulte du courrier électronique du 28 juin 2019 adressant à un collaborateur, M. [M], un modèle d’attestation en sa faveur rédigée en ces termes : ‘Je soussigné M. [M] [H] certifie sur l’honneur que Mme [P] [N] rigolait toujours avec M. [R] sur les blagues qu’il lui disait et même elle lui répondait par une autre blague. A aucun moment j’ai pu constaté que Mme [P] [N] était intimidé ou même stressé d’être avec M. [R]. Mme [P] [N] à chaque prise de poste cherchait M. [R] et dès qu’elle le voyait, elle restait souvent avec lui et avec [U] dans le bureau. Mme [P] a souvent, afin d’éviter de faire ses tâches, voulu un peu me charmer pour que je les fasse à sa place.’

Les attestations produites par M. [R] émanant de Mme [C] et de M. [Y], établies pour l’une le 22 juillet 2021 et pour l’autre le 29 août 2021, ne sont pas non plus de nature à remettre en cause la sincérité des éléments produits par l’employeur comme ayant été établies plus de deux ans après les faits, par de simples clients de l’entreprise.

S’il résulte des attestations établies en 2019/2020 par trois salariés de l’entreprise, M. [S], M. [K] et M. [G], confirmées par ceux-ci en 2021, produites par M. [R], que Mme [N] n’a jamais exprimé en leur présence qu’elle désapprouvait les plaisanteries à connotation sexuelle et les conversations portant sur le sexe et qu’elle y participait et qu’apparemment elle s’entendait bien avec M. [R], participant le 20 avril 2019 avec son compagnon, sa meilleure amie, M. [G] et lui, après l’annulation de plusieurs autres personnes, à une soirée et acceptant début juin 2019 l’invitation de M. [R] à participer avec son compagnon à sa soirée d’anniversaire le 14 septembre 2019, il n’en ressort pas que la salariée ait admis qu’au-delà de plaisanteries à connotation sexuelle, M. [R] lui fasse des remarques déplacées sur sa tenue vestimentaire, sur ses seins, sa taille de soutien-gorge, ses fesses, lui demande de lui envoyer des photographies de sa poitrine, cherche à deviner si son sexe était épilé ou non, lui dise la voyant croiser les jambes que ça lui faisait une demi-molle, lui dise alors qu’elle était baissée qu’il voyait sa lune et plus profond que ça mais ne savait pas si elle avait mis une culotte, et lui dise qu’il était intéressé par une nuit, qu’un 5 à 7 lui dirait bien. Ces attestations ne sont donc pas de nature à remettre en cause la sincérité des pièces produites par l’employeur qui établissent la réalité des faits reprochés à M. [R].

Les allusions sexuelles déplacées, appuyées, récurrentes de M. [R] à l’égard de Mme [N], la réduisant à un objet sexuel, ont porté atteinte, par leur caractère humiliant, à la dignité de celle-ci et ont constitué pour elle une situation pesante de nature à dégrader fortement ses conditions de travail. M. [R] ne pouvait, compte-tenu de son âge, 47 ans, ignorer le malaise que son comportement et ses propos réitérés à connotation sexuelle, humiliants pour elle, étaient de nature à susciter chez cette jeune femme de 26 ans, placée sous sa subordination, qui dépendait notamment de lui pour la détermination de son planning de travail, ainsi qu’il le lui a d’ailleurs rappelé. Il importe peu dès lors que, cherchant à s’intégrer dans son milieu de travail et croyant que M. [R] se lasserait, Mme [N] se soit abstenue dans un premier temps d’exprimer à celui-ci le profond malaise que son comportement suscitait chez elle.

Les faits concernant Mme [N] reprochés à M. [R] dans la lettre de licenciement étant établis et d’une gravité telle qu’elle rendait impossible le maintien de ce dernier dans l’entreprise et justifiait la cessation immédiate de son contrat de travail par l’employeur, tenu en application de l’article L. 4121-1 du code du travail, d’une obligation de sécurité envers ses salariés, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement pour faute grave fondé et a débouté en conséquence M. [R] de ses demandes d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d’indemnité de licenciement.

Sur le caractère brutal et vexatoire du licenciement

La demande en paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ‘pour rupture brutale et vexatoire’ formée par M. [R] en cause d’appel reposant sur le même fondement et tendant à la même fin que la demande en paiement de la somme de 19 206 euros à titre de dommages-intérêts ‘pour exécution déloyale du contrat de travail’ formée en première instance, ne constitue pas une prétention nouvelle mais correspond à la même prétention que celle formulée en première instance dont seuls l’intitulé et le montant ont été modifiés.

La société Castorama France est donc mal fondé à opposer à M. [R] l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel.

Il n’est pas démontré que la société Castorama France ait fait preuve de partialité et de précipitation dans la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, en ne diligeantant pas une enquête au préalable, alors qu’il est établi qu’elle disposait d’éléments circonstanciés précis et concordants concernant le comportement de M. [R].

Les motifs du licenciement étant fondés, M. [R] est mal fondé à se prévaloir de ce que ceux-ci ont porté atteinte à son image et à sa réputation.

La preuve de circonstances brutales et vexatoires de la rupture ayant causé à M. [R] un préjudice distinct de celui résultant de la perte, justifiée, de son emploi n’étant pas rapportée, il convient de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire, intitulée en première instance demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur les dépens et l’indemnité de procédure

M. [R] succombant à l’instance sera condamné aux dépens de première instance et d’appel et débouté de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Il sera condamné à payer à la société Castorama France la somme de 200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés par celle-ci en cause d’appel, en sus de la somme de 1 000 euros qu’il a été condamné par le conseil de prud’hommes à payer à celle-ci pour les frais irrépétibles exposés en première instance.


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