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La faute grave qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié en entreprise. Si le salarié n’a pas commis de faute grave, l’employeur ne peut pas prononcer une mise à pied conservatoire et il est alors tenu de rémunérer le salarié pendant la période de mise à pied infondée.
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT AU FOND
DU 19 JANVIER 2023
N° 2023/
GM
Rôle N° RG 20/04131 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BFYU6
[P] [E]
C/
S.A.R.L. AGROBIO TECH
Copie exécutoire délivrée
le : 19/01/23
à :
– Me Lionel CARLES, avocat au barreau de NICE
– Me Jean-Nicolas CLEMENT-WATTEBLED, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NICE en date du 25 Février 2020 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F19/00390.
APPELANTE
Madame [P] [E], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Lionel CARLES, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
S.A.R.L. AGROBIO TECH, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-Nicolas CLEMENT-WATTEBLED, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Monsieur Antoine LEPERCHEY, Conseiller
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Janvier 2023.
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * *
***
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [P] [E] a été engagée par la société Agrobio Tech à compter du 9 novembre 2017, par contrat à durée déterminée et à temps partiel, pour la période du 9 novembre 2017 au 9 mars 2018, en qualité de secrétaire polyvalente.
Au cours de la relation contractuelle, deux avenants ont été régularisés :
– L’un en date du 1er février 2018 pour formaliser le passage au temps complet de la salariée,
– L’autre en date du 9 mai 2018 aux fins de renouvellement du CDD pour une nouvelle période du 10 mai au 9 novembre 2018.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d’étude techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987.
La société Agrobio Tech employait habituellement moins de onze salariés au moment du licenciement.
Par lettre remise en mains propres contre décharge le 4 octobre 2018, l’employeur de Mme [E] lui a remis une convocation a un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement.
I1 était également notifié une mise à pied à titre conservatoire jusqu’à la décision définitive de l’employeur « compte tenu de la gravité des agissements reprochés ».
La salariée a été placée en arrêt maladie du 4 octobre 2018 au 9 novembre 2018.
Par courrier daté du 22 octobre 2018, la société Agrobio Tech a notifié à Mme [P] [E] son licenciement pour faute gave, sans indemnité de préavis et de précarité. La lettre ajoutait que le temps de la mise à pied conservatoire ne serait pas payé.
Mme [P] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Nice suivant requête déposée le 11 avril 2019 en contestant notamment le bien-fondé de son licenciement.
Suivant jugement en date du 25 février 2020, le Conseil de Prud’hommes de Nice a :
– dit que le licenciement pour faute grave de la salariée est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté les parties de leurs prétentions tant principales que complémentaires,
– mis les dépens à la charge de Mme [P] [E].
Mme [P] [E] a interjeté appel de ce jugement dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 novembre 2022.
* * *
PRETENTIONS ET MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 janvier 2022, Mme [P] [E] demande à la cour de :
-infirmer l’ensemble des dispositions du jugement
statuant à nouveau
– dire que la mise à pied conservatoire prononcée le 4 octobre 2018 est nulle.
– dire que le licenciement pour faute grave doit être requalifié en licenciement denué de cause réelle et sérieuse
– condamner la société Agrobio Tech à lui payer :
l.785,05 euros correspondant à la rémunération qu’elle aurait perçue jusqu’au terme de son CDD,
178,50 euros au titre des congés payés y afférents,
1.825,14 euros au titre de l’indemnité de fin de contrat,
3.000 euros a titre de dommages et intérêts compte tenu du licenciement nul et de la rupture brutale,abusive et injustifiée dont elle a fait l’objet,
3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Agrobio Tech, au besoin avec astreinte, à procéder à la rectification des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat,
– condamner la société Agrobio Tech aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel,
– débouter la société Agrobio Tech de toutes ses demandes.
Tant sa mise à pied que son licenciement sont injustifiés.
Concernant le licenciement litigieux, la société Agrobio Tech allègue qu’elle a commis une erreur dans la rédaction d’un courriel adressé a un client.Or, elle avait reçu l’instruction de rédiger ce courriel, sous la dictée du gérant. Ce prétendu courriel qui lui est attribué n’a pas été signé par elle. En tout état de cause, l’erreur commise par le salarié ne peut pas être constitutive d’un motif réel et sérieux de licenciement lorsqu’elle n’a pas eu d’incidence concrète sur l’entreprise.
Il est également allégué sans le démontrer qu’elle aurait “soudainement fait usage répété du broyeur pendant plusieurs dizaines de minutes’. Le licenciement pour faute grave ne repose sur aucun motif réel et sérieux.
S’agissant de la méconnaissance de l’importance du suivi des créances des clients, la salariée répond qu’il n’est pas démontré que l’employeur lui avait confié cette mission.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er septembre 2020, la société Agrobio Tech demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes,
– condamner Mme [E] [P] à lui payer 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’employeur soutient que les faits retenus à l’encontre de la salariée sont constitutifs d’une faute grave.
La lettre de licenciement reproche à la salariée :
– une négligence grave ayant entraîné la perte d’un marché avec un client potentiel et au-delà ayant entraîné une dégradation de l’image de la société,
– un usage anormal de la broyeuse de documents sans autorisation de la direction,
– un comportement d’insubordination par esprit de contradiction systématique à l’encontre du gérant.
Le 21 septembre 2018, il a été demandé à Mme [P] [E] d’adresser un courriel à un client potentiel. Or, ce courriel a ainsi été rédigé par la salariée : ‘ de plus, nous sommes les seuls experts en France pour lesquels les assurances ne couvrent pas de façon formelle tous Ies risques liés au diagnostic de l’arbre, ce qui nécessite une grande précision dans l’analyse ».
ll est évident que la rédaction de ce courriel pose le problème de la garantie et des assurances liées à l’expertise de la société. Dans ses écritures en réplique devant le conseil de prud’hommes, l’appelante soutient qu’elle a reçu instruction de rédiger ce courriel, sous la dictée du gérant. ll est impensable que le gérant de la société intimée ait demandé à sa secrétaire de rédiger un courriel avec la mention d’absence de garantie.
ll conviendra de s’interroger sur les intentions de la requérante, qui a longuement utilisé la broyeuse après avoir été recadrée par le gérant sur son erreur commise dans la rédaction du courriel.
* * *
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail
1-Sur la rupture anticipée pour faute grave
Selon l’article L 1243-1 du code du travail : Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.Lorsqu’il est conclu en application du 6° de l’article L. 1242-2, le contrat de travail à durée déterminée peut, en outre, être rompu par l’une ou l’autre partie, pour un motif réel et sérieux, dix-huit mois après sa conclusion puis à la date anniversaire de sa conclusion.
La faute grave qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié en entreprise.
La preuve du comportement du salarié incombe à la société Agrobio Tech, la faute grave étant reprochée.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
‘ Nous vous avons convoqué ci un entretien préalable pour le 17 octobre 2018, auquel vous ne vous êtes pas rendue, du fait de votre arrêt maladie.Vous avez toutefois anticipé nos reproches qui n’ont pas pu être exprimés du fait de votre absence.En effet, en date du 10 octobre 2018, vous nous avez adressé par lettre recommandée, par lettre simple et par courriels une contestation de la mise a pied du 04/10/2018 (sic).D’après le contenu de votre courrier, vous nous reprochez de ne pas connaître les fautes que nous vous reprochons puisque précisément, ces fautes devaient être évoquées lors de l’entretien préalable.Ceci est bien révélateur de votre attitude lors de l’exécution de vos fonctions au sein de notre établissement.En effet, vous n’avez eu de cesse d’anticiper ce que décidait la direction, en prenant vous-même des décisions contraires à nos attentes.
En outre, nous nous inscrivons en faux dans les allégations que vous exprimez quant a une soi-
disant volonté de vous licencier de façon abusive, sans motif réel et sérieux dans un contexte
lourd d’hostilité dont nous aurions fait preuve à votre égard et soi-disant difficilement supportable et nuisible à votre santé. Vous soutenez que nous aurions entretenu à votre égard une agressivité latente et qui aurait explosé le 28 septembre 201Tout ceci est bien entendu faux.
Au contraire, nous avons toujours cherché a préserver les droits de nos salariés, et vous y compris et notamment en respectant parfaitement la procédure disciplinaire engagée.Quant a la présence de trois jeunes hommes comme vous I’écrivez qui vous ont laissé seule dans votre bureau, ceci n’a rien à voir avec la procédure disciplinaire qui a été engagée à votre encontre.
Il s’agit de trois salariés de l’entreprise qui vaquaient à leurs obligations envers notre société.
En outre, le 12 octobre 2018, fort étrangement et alors même que nous n’avons toujours pas pris notre décision puisque I’entretien préalable n’avait pas encore eu lieu, vous nous avez adressé un courrier nous demandant de vous tenir vos documents de fin de contrat.
Encore une fois, vous vous êtes illustrée dans une anticipation belliqueuse qui traduit votre état d’esprit depuis plusieurs mois.Enfin, vous niez nous avoir remis sous votre autorité le 04 octobre 2018 le badge d’entrée de l’immeuble, la clé de boîte a lettres, la clé pour entrer dans Ies locaux, un badge d’autoroute et le badge d’entrée de la copropriété.Vous allez même soutenir que nous vous avons demandé ces objets.Alors que c’est vous-même qui avez imposé cette remise et vous avez voulu rédiger vous-même sur le papier à en-tête de la société les deux attestations de reçu et de solde de caisse. Des témoins peuvent en attester. Et vous le savez fort bien !
Concernant les faits qui nous ont contraints a vous convoquer a I’entretien préalable, le 21
septembre 2018, vous avez adressé un courriel a un de nos principaux clients lui affirmant que
nous sommes les seuls experts en France pour lesquels les assurances ne couvrent pas de façon
formelle tous les risques liés au diagnostic de l’arbre !
Non seulement cette information à notre client est fausse, mais en plus elle génère une très mauvaise image de notre société puisque vous précisez au client que nous serions l’unique société en France non couverte par les assurances !!
Par chance, nous avons lu ce mail et nous avons pu adresser immédiatement au client un mail
de rectification et d’y joindre l’attestation d’assurance démontrant que nous sommes bien assurés pour la réalisation du diagnostic biomécanique permettant une analyse de la dangerosité de l’arbre.
Non seulement notre image est écornée dans notre professionnalisme auquel nous sommes très attachés et qui a forgé notre Cette faute grave n’est pas isolée.
Plus récemment, le 28 septembre 2018, alors que notre chargé de formation, situé a [Localité 3], vous a appelé pour un renseignement ponctuel a vérifier dans un dossier, vous ne lui avez apporté aucune réponse. Lorsqu’il m’a téléphoné pour avoir cette information, vous avez alors surgi dans notre bureau nous demandant « ce qui était le plus urgent à faire ». Lorsque nous vous avons dit de répondre aux urgences, vous nous avez répondu, de façon obséquieuse avec une inclinaison excessivement prononcée : bien Monsieur. Nous vous avons répondu ça suffit et je vous demande de cesser de nous parler avec un air hautain et dédaigneux et de faire votre travail et vous êtes sortie de notre bureau en criant j’ai peur ! et devant témoins. Juste après, nous vous avons entendu au téléphone ci tenir des conversations d’ordre privé et utiliser le broyeur afin de détruire des documents dont nous ignorons de quoi il s’agit. Ce qui est parfaitement inacceptable.
Votre emploi et votre qualification ne vous permettent en aucun cas de détruire des documents de votre propre initiative. Combien même il s’agirait de documents peu importants.
Enfin, vous n’avez pas a passer des appels téléphoniques d’ordre privé durant votre temps de
travail, sauf à justifier d’une urgence. Nous vous avons demandé a chaque réunion de service de faire un compte rendu synthétique et vous n’en avez rédigé aucun, malgré les indications que nous vous avions formulé.Vous n’avez pas effectué régulièrement les relances des impayés clients, malgré nos demandes de faire.
Les difficultés financières que nous avons traversées sont importantes, pour mémoire, il restait, sur l’exercice 2017, plus de 9000 euros d’impayés, ce qui ne manque pas d’avoir un impact direct sur notre trésorerie.
Bien que vous ne vous êtes pas présentée à l’entretien préalable du fait de votre arrêt maladie, compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés et selon le contenu des deux courriers que vous nous avez adressés les 10 et 12 octobre 2018, leurs termes ne nous permettent pas de considérer que vous soyez dans l’état d’esprit de vous ressaisir, nous sommes contraints de vous licencier pour faute grave.
En effet, les faits qui vous sont reprochés sont constitutifs d’une faute grave.
Nous vous rappelons que nous vous avons notifié une mise à pied conservatoire le 04 octobre 2018”.
S’agissant du grief tenant au fait que la salariée n’a pas établi un compte-rendu synthétique après chaque réunion de service, les éléments des débats ne le caractérisent pas. Un tel grief ne peut être retenu à l’encontre de la salariée.
Pour ce qui est des appels téléphoniques d’ordre privé par la salariée durant son temps de travail, il en est de même. Ce grief n’est pas non plus établi.
Concernant l’absence de relance des impayés clients, Mme [P] [E] soutient qu’il n’entrait pas dans ses attributions de relancer les clients mauvais payeurs. Pour autant, la salariée a été engagée en qualité de secrétaire polyvalente, ce qui ne permet pas de dire qu’elle n’avait pas à effectuer une telle tâche.Cependant, ce grief est insuffisamment caractérisé par les pièces versées. Un tel grief ne peut être retenu à l’encontre de Mme [P] [E].
L’employeur reproche encore à la salariée d’avoir adressé à l’un de ses principaux clients un courriel le 21 septembre 2018 affirmant que la société était la seule experte en France pour laquelle : ‘ les assurances ne couvrent pas de façon formelle tous Ies risques liés au diagnostic de l’arbre’.
La société Agrobio Tech produit aux débats le courriel reproché du 21 septembre 2018, lequel est rédigé ainsi : ‘Les demandes d’abattage, s’il y a lieu, peuvent être également remplies. De plus, nous sommes les seuls experts en France pour lesquels les assurances ne couvrent pas de façon formelle tous les risques liés au diagnostic de l’arbre. Ce qui nécessite une grande précision dans l’analyse. Nous vous proposons donc, si le cas se présente, de vous accompagner dans vos démarches a posteriori, sauf bien sûr si elles nécessitent la présence extérieure à une réunion.’
Or, la société Agrobio Tech produit aux débats son attestation d’assurance de responsabilité civile de la compagnie d’assurance Gan Assurances dont il résulte qu’elle était bien garantie pour sa responsabilité civile professionnelle. Le courriel reproché à la salariée contenait donc une information fausse, conformément aux termes de la lettre de licenciement.
En outre, l’envoi d’un tel courrier est très problématique pour l’entreprise dans la mesure où il porte atteinte à son image. La lettre de licenciement relève légitimement que le professionnalisme de l’entreprise est écorné.
Dans ses dernières écritures, la salariée reconnaît qu’elle a bien rédigé ce courriel puisqu’elle indique ‘Or, Mme [E] a bien reçu l’instruction de rédiger ce courriel, sous la dictée du gérant M. [X]’. Elle ajoute que dans son courrier du 12 octobre 2018, elle disait déjà ceci : ‘il s’avère que le mail fut envoyé fut le résultat de ce que vous m’aviez dicté afin de justifier les prix pratiqués, vos propres mots que j’ai fidèlement restitués et envoyés à ce client’.
La question n’est donc pas de déterminer si la salariée a rédigé elle-même ce courriel mais plutôt de savoir si les mots relatifs au fait que l’entreprise n’avait pas d’assurance lui ont été dictés par le gérant ou si la salariée elle-même en est à l’origine et ce à l’insu de ce dernier.
Il est impossible pour le gérant d’avoir demandé à sa secrétaire de rédiger et d’envoyer un tel courriel portant atteinte aussi gravement au professionnalisme et à la réputation de son entreprise. C’est bien la salariée qui était l’auteur d’un tel courriel contenant une information ‘fausse’ et générant une ‘très mauvaise image’ de la société (termes de la lettre de licenciement).
S’il est établi que c’est bien la salariée qui a rédigé ce courriel, l’employeur ne verse toutefois aucune pièces sur les conséquences de l’envoi de ce message. En particulier, rien ne permet d’affirmer que l’affaire a été perdue après l’envoi de ce courriel.
Ce grief est caractérisé.
La lettre de licenciement reproche aussi à la salariée d’avoir utilisé la broyeuse afin de détruire des documents dont l’employeur ne connaissait pas la teneur. Cette lettre précise que l’emploi et la qualification de la salariée ne lui permettent pas de détruire des documents de sa propre initiative, ‘quand bien même il s’agirait de documents peu importants.’
L’employeur verse aux débats une attestation d u 6 août 2019 de M. [F] [Z], salarié de sa société. Ce dernier relate que : ‘lors de l’échange de propos vifs entre Mme [E] et Monsieur [X], survenu le 28 septembre 2018 (…) Je me trouvais dans mon bureau (…). Pour donner suite à cela, Mme [E] a soudainement fait usage répété du broyeur pendant plusieurs dizaines de minutes (…)’
Sur ce point, cette attestation présente des garanties suffisantes pour emporter la conviction du tribunal contrairement à ce que soutient la salariée. Son auteur a bien indiqué qu’il avait un lien de subordination avec la société Feeligreen. De plus, ce témoignage est détaillé et très précis.
Si cette attestation établit l’usage de la broyeuse par la salariée pendant ‘plusieurs dizaines de minutes’ et ce de manière répétée, les éléments du débat ne permettant pas pour autant de caractériser la teneur des documents détruits. En outre, la procédure d’utilisation de la broyeuse n’est pas non plus établie, de sorte que rien ne permet d’affirmer que Mme [P] [E] n’avait jamais le droit d’utiliser la broyeuse sans accord de son employeur, même pour des documents sans importance.
Ce grief ne peut être retenu à l’encontre de la salariée.
La lettre de licenciement reproche à la salariée ‘ une anticipation belliqueuse qui traduit votre état d’esprit depuis plusieurs mois.’
Cependant, rien ne démontre les comportements suivants imputés à la salariée :
– le fait que le jour de la convocation à son entretien préalable, la salariée a remis le badge d’entrée de l’immeuble, la clé de la boîte aux lettres, la clé pour entrer dans les locaux, ainsi que d’autres badges,
– le fait qu’elle a rédigé elle-même une attestation de reçu avec l’en-tête de la société,
– le fait qu’elle n’a apporté aucune réponse à un chargé de formation qui l’avait appelée pour un renseignement ponctuel à vérifier dans un dossier.
Finalement il résulte de tout ce qui précède que’un seul des griefs de la lettre de licenciement est établi, celui relatif à l’envoi par la salariée d’un courriel à un client contenant une information fausse et ayant généré une très mauvaise image de la société.
La salariée a en effet rédigé un courriel le 21 septembre 2018 dans lequel elle affirme au client de la société Agrobio Tech que cette société est la seule en France qui n’a pas d’assurance couvrant tous les risques ‘liés au diagnostic de l’arbre’.
Cependant, l’employeur ne démontre pas l’existence de quelconques conséquences en lien avec cette faute de la salariée.
Cette unique négligence fautive de la salariée ne permet pas de considérer qu’elle a commis une faute grave qui rendait impossible son maintien dans l’entreprise y compris durant le préavis.
Il y a lieu de dire que la rupture anticipée pour faute grave est infondée.
Le jugement est infirmé.
2-Sur la demande d’annulation de la mise à pied à titre conservatoire :
La faute grave qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié en entreprise.
Si le salarié n’a pas commis de faute grave, l’employeur ne PEUT pas prononcer une mise à pied conservatoire et il est alors tenu de rémunérer le salarié pendant la période de mise à pied infondée.
En l’espèce, Mme [P] [E] n’ayant pas commis une faute grave, la société Agrobio Tech ne pouvait pas prononcer une mise à pied conservatoire.
La mise à pied conservatoire sera annulée.
3-Sur la demande en paiement des salaires jusqu’au terme du contrat de travail à durée déterminée
L’article L 1243-1 du code du travail dispose : Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail. Lorsqu’il est conclu en application du 6° de l’article L. 1242-2, le contrat de travail à durée déterminée peut, en outre, être rompu par l’une ou l’autre partie, pour un motif réel et sérieux, dix-huit mois après sa conclusion puis à la date anniversaire de sa conclusion.
L’article L 1243-4 du même code ajoute : La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8.
Toutefois, lorsque le contrat de travail est rompu avant l’échéance du terme en raison d’un sinistre relevant d’un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat. Cette indemnité est à la charge de l’employeur.
La salariée soutient à juste titre que si le contrat à durée déterminée n’avait pas été rompu de façon anticipée le 22 octobre 2018, elle aurait pu percevoir les rémunérations prévues jusqu’au terme initialement convenu du 9 novembre 2018. L’employeur ne conteste pas que ces rémunérations dont elle a été privée s’élèvent à 1785, 05 euros.
Il y a lieu de condamner la société Agrobio Tech à payer à Mme [P] [E] la somme de 1785,05 euros au titre des rémunérations outre celle de 178,50 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement est infirmé à ce titre.
4-Sur la demande en paiement de l’indemnité de fin de contrat
L’article L 1243-8 du code du travail dispose, lorsque, à l’issue d’un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation. Cette indemnité est égale à 10 % de la rémunération totale brute versée au salarié. Elle s’ajoute à la rémunération totale brute due au salarié. Elle est versée à l’issue du contrat en même temps que le dernier salaire et figure sur le bulletin de salaire correspondant.
Le contrat de travail à durée déterminée ayant été à tort rompu de façon anticipée par l’employeur, la salariée a le droit au paiement de l’indemnité de précarité. L’appelante soutient que la somme due est de 1825, 14 euros (soit 10 % de 18 251, 37 euros) ce que ne conteste pas l’employeur.
Il y a lieu de condamner la société Agrobio Tech à payer à Mme [P] [E] la somme de 1825,14 euros correspondant à l’indemnité de précarité.
Le jugement est infirmé à ce titre.
5-Sur la demande de dommages intérêts en lien avec la rupture abusive
Il appartient au juge d’évaluer souverainement le montant du préjudice subi par le salarié en raison de cette rupture. Le montant de la somme allouée peut donc être supérieur à celle que le salarié aurait perçue jusqu’au terme de son contrat.
La salariée produit aux débats une attestation délivrée par le Pôle Emploi qui établit qu’elle a perçu des indemnités du 22 novembre 2018 au 31 juillet 2019. Cependant, comme le fait observer l’employeur, la salariée ne démontre pas que la rupture anticipée de son CDD a modifié ses droits aux allocations d’aide au retour à l’emploi. La salariée ne justifie pas d’un préjudice en lien avec sa perte d’emploi anticipée, ce d’autant que la cour indemnise sa perte de salaires.
Mme [P] [E] est déboutée de sa demande de dommages intérêts pour licenciement nul. Le jugement est confirmé sur ce point.
6-Sur la demande de dommages intérêts pour rupture brutale
En l’espèce, l’appelante ne démontre pas un préjudice distinct de celui résultant de la rupture anticipée de son CDD, lié à une faute de l’employeur dans les circonstances entourant cette rupture.
Mme [P] [E] est déboutée de sa demande de dommages intérêts pour rupture brutale Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur la remise de documents
La cour ordonne à la société Agrobio Tech de remettre à Mme [P] [E] les documents de fin de contrat rectifiés : l’attestation destinée au Pôle emploi, le certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision.
Il n’est pas nécessaire d’assortir cette obligation d’une astreinte.La demande en ce sens est rejetée.
Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société Agrobio Tech sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 1800 euros.
La société Agrobio Tech est déboutée de sa demande d’indemnité de procédure.