RGDP et messagerie d’entreprise : un syndicat sanctionné
RGDP et messagerie d’entreprise : un syndicat sanctionné
Ce point juridique est utile ?
conseil juridique IP World

Les partenaires sociaux à un accord collectif sur l’utilisation de la messagerie électronique pour la communication syndicale, sont tenus de respecter les dispositions prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et le RGPD issu du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 sur les droits de la personne concernée, telles que rappelées expressément par l’avenant n°1 du 22 octobre 2019. L’employeur qui met à disposition des organisations syndicales la messagerie professionnelle pour une communication syndicale, doit par conséquent s’assurer que les données à caractère personnel sont traitées conformément à cette loi et au RGPD.

La liberté syndicale en entreprise

Aux termes de l’article L. 2142-5 du code du travail, ‘le contenu des affiches, publications et tracts est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve de l’application des dispositions relatives à la presse.’

L’article L. 2142-6 dudit code dispose que ‘un accord d’entreprise peut définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise.

A défaut d’accord, les organisations syndicales présentes dans l’entreprise et satisfaisant aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans peuvent mettre à disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l’intranet de l’entreprise, lorsqu’il existe.

Usage des outils numériques

L’utilisation par les organisations syndicales des outils numériques mis à leur disposition doit satisfaire l’ensemble des conditions suivantes :

1° Etre compatible avec les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique de l’entreprise ;

2° Ne pas avoir des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l’entreprise ;

3° Préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message.’

Il résulte de ce texte qu’en l’absence d’accord d’entreprise, les tracts et publications syndicales peuvent être mis à disposition sur un site syndical accessible sur l’intranet de l’entreprise quand il existe, de sorte que la diffusion des communications syndicales par l’utilisation de la messagerie professionnelle nécessite obligatoirement un accord entre les partenaires sociaux, à défaut duquel les syndicats ne pourraient utiliser ladite messagerie.

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 dont est issu l’article L. 2142-6, a donc prévu des dispositions particulières lorsque la communication syndicale utilise la messagerie professionnelle.

La position de la CNIL

La commission nationale informatique et liberté dans ses recommandations du 22 mars 2017, en suite de ces dispositions, a considéré que celles-ci rejoignaient les recommandations formulées par la CNIL dès mars 2001 dans son rapport sur la ‘cybersurveillance des salariés dans l’entreprise’ concernant ‘la définition des conditions internes d’utilisation des moyens informatiques par la négociation interne’, notamment :

– la nécessité d’une négociation préalable pour l’accès par les organisations syndicales à l’intranet et à la messagerie électronique de l’entreprise,

– le respect du principe de finalité, soit la mise à disposition de publications et tracts de nature syndicale,

– le respect des droits d’information et d’opposition préalable des salariés,

– assurer la confidentialité des échanges avec les organisations syndicales.

En outre, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa version désormais applicable au 1er janvier 2019 dispose en son article 4 que ‘les données à caractère personnel doivent être :

1- Traitées de manière licite, loyale et, pour les traitements relevant du titre II, transparente au regard de la personne concernée ;

2- Collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités […]

3- Adéquates, pertinentes et, au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, limitées à ce qui est nécessaire ou, pour les traitements relevant des titres III et IV, non excessives […]’.

En l’espèce, l’avenant n°1 du 22 octobre 2019 -signé par les organisations syndicales dont la CGT- à l’accord relatif à l’exercice du droit syndical qui fixe les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles au sein de la société Engie home services, n’a fait l’objet d’aucune remise en cause par l’une des organisations syndicales signataires au motif notamment d’une illicéité de son contenu.

Le préambule de cet avenant stipule que l’utilisation par les organisations syndicales des outils numériques mis à leur disposition doit satisfaire l’ensemble des conditions prévues à l’article L. 2142-6 du code du travail rappelé ci-dessus, qu’il énonce. Il indique également que cette utilisation doit se faire dans le strict respect des dispositions du Règlement Général des Protections des Données personnelles (RGPD).

L’article 3 de l’accord intitulé ‘la communication syndicale via l’utilisation de la messagerie professionnelle’ indique notamment que ‘les organisations syndicales sont seules responsables des publications et communications effectuées par le biais des technologies de l’information et de la communication mis à leur disposition dans le cadre du présent avenant.’ (Article 3.4)

Il est également indiqué à ce même article que ‘le contenu des messages doit respecter les dispositions sur le droit à l’image, de la presse et ne doit à ce titre contenir ni injure, ni diffamation, ni atteinte à la vie privée, ni contenir de données à caractère personnel dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Le contenu des informations diffusées doit également respecter les dispositions relatives au secret professionnel. L’entreprise n’exercera pas de contrôle en amont sur les communications syndicales.’

Si l’article L. 2142-5 précité ne vise que la seule réserve de l’application des dispositions relatives à la presse, pour le contenu des affiches, publications et tracts librement déterminé par les organisations syndicales, de sorte que l’employeur qui ne dispose pas d’un droit de contrôle sur la teneur de ces supports syndicaux ne peut que saisir la justice pour obtenir leur suppression, l’article L. 2142-6 permet aux organisations syndicales d’utiliser un outil informatique auquel elles n’ont accès qu’en raison de l’accord des partenaires sociaux, les conditions et modalités prévues par ledit accord devant s’appliquer.

Droit de sanction validé

Dans cette affaire, la société Engie home services était en droit de sanctionner un manquement de l’organisation syndicale CGT.

Il résulte du message litigieux adressé le 2 novembre 2020 via la messagerie professionnelle par les représentants de la CGT, que ces derniers ont adressé à l’ensemble de la liste de diffusion CGT, soit à l’échelle de toute l’entreprise selon l’employeur ce que ne conteste pas le syndicat, un message reproduisant in extenso celui d’un responsable d’agence adjoint, adressé aux seuls salariés de son agence, comportant ses nom, prénom, qualité, numéro de téléphone portable, qui faisait état d’une grève initiée par la CGT le 3 novembre 2020.

La communication de la CGT, en en-tête de la communication, traite M. [H] ‘d’irresponsable d’agence adjoint’ qui rédige ‘des âneries de la sorte’. Outre le caractère injurieux des termes utilisés et diffusés à l’ensemble des salariés de l’entreprise par la CGT, le mail qui est un ‘copier/coller’ de celui de M. [H] n’est pas anonymisé, permettant ainsi aux destinataires de l’identifier et est donc contraire aux termes de l’accord d’entreprise en vigueur.

Une donnée personnelle est toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable, une personne pouvant être identifiée directement (nom, prénom) ou indirectement (notamment un numéro de téléphone).

L’employeur justifie en outre que, précédemment, le syndicat CGT a adressé à la liste de diffusion, un document appelé ‘voyage en absurdie’ visant le comportement supposé de responsables d’agences dans des termes peu avenants mais sans les nommer, de sorte que les représentants du syndicat connaissaient parfaitement les règles instituées par l’accord du 22 octobre 2019.

Il justifie également que le syndicat CGT a fait l’objet d’un rappel à l’ordre le 2 juillet 2020 au motif d’un non-respect des horaires d’envoi, l’accord d’entreprise prévoyant notamment une diffusion syndicale de 8 heures à 17 heures les jours ouvrés (article 3.7) et d’une numérotation erronée de la communication syndicale. Selon l’article 3.8 de l’accord, le second manquement signalé était sanctionné par un blocage de la messagerie de l’organisation syndicale pendant un mois.

 


 

11 mai 2023
Cour d’appel de Versailles
RG n°
21/02538

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 84D

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 21/02538 –

N° Portalis DBV3-V-B7F-UWDC

AFFAIRE :

S.A.S.U. ENGIE HOME SERVICES

C/

Syndicat CGT DES PERSONNELS DE ENGIE HOME SERVICES REGION OUEST

Syndicat CGT ENGIE HOME SERVICES T8

Syndicat CGT DES PERSONNELS DE ENGIE HOME SERVICES T9

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Juillet 2021 par le Tribunal judiciaire de NANTERRE

N° RG : 21/02395

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Martine DUPUIS

Me Mélina PEDROLETTI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant initialement être rendu le 13 avril 2023 et prorogé au 11 mai 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

S.A.S.U. ENGIE HOME SERVICES

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentants : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Hortense GEBEL de la SELARL LUSIS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0081

APPELANTE

****************

Syndicat CGT DES PERSONNELS DE ENGIE HOME SERVICES REGION OUEST représenté par Monsieur [T] [L], membre du bureau

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentants : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Elisabeth REPESSE de l’AARPI ESTERRE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Syndicat CGT ENGIE HOME SERVICES T8 représenté par Monsieur [N] [K] son secrétaire

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentants : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Elisabeth REPESSE de l’AARPI ESTERRE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Syndicat CGT DES PERSONNELS DE ENGIE HOME SERVICES T9 représenté par Madame [Z] [V] sa secrétaire

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentants : Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 et Me Elisabeth REPESSE de l’AARPI ESTERRE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 février 2023, Madame Catherine BOLTEAU SERRE, présidente ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier en pré-affectation lors des débats : Madame Domitille GOSSELIN

Vu le jugement rendu le 26 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre,

Vu la déclaration d’appel de la société Engie home services du 5 août 2021,

Vu les conclusions de la société Engie home services du 26 avril 2022,

Vu les conclusions des syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9 du 28 janvier 2022,

Vu l’ordonnance de clôture du 18 janvier 2023.

EXPOSE DU LITIGE

La société Engie home services, dont le siège social est [Adresse 1], est spécialisée dans l’installation, la réparation et l’entretien de chauffage. Elle emploie environ 4 600 salariés.

La convention collective applicable est celle de la métallurgie du 13 mars 1972.

Les conditions et les moyens d’exercice de l’activité syndicale sont régis par un accord collectif du 14 mars 2019 et par son avenant n°1du 22 octobre 2019 relatif aux modalités d’utilisation de la messagerie professionnelle pour les communications syndicales.

Le 2 juillet 2020, la société Engie home services a notifié un premier rappel à l’ordre au syndicat CGT pour avoir diffusé une communication en dehors des horaires d’envoi autorisés par l’accord.

Le 15 décembre 2020, la société Engie Home services a informé le syndicat CGT d’une mesure de suspension de la messagerie professionnelle pour une durée d’un mois dans les termes suivants :

‘Je fais suite à nos échanges concernant la communication syndicale que vous avez diffusée le 2 novembre dernier par le biais de la messagerie professionnelle.

Si Engie Home services veille à respecter la liberté d’expression des organisations syndicales dans la définition du contenu des communications qu’elles diffusent, elle est tout aussi attachée à ce que ces communications respectent les droits individuels des salariés, et en particulier à ce qu’elles ne portent pas atteinte à l’image et la réputation d’un collaborateur. Cette préoccupation légitime de la société est notamment relayée par l’article 3.4 de l’avenant n°1 à l’accord de droit syndical du 22 octobre 2019, qui rappelle que le contenu des messages diffusés doit respecter « les dispositions sur le droit à l’image, de la presse et ne doit pas à ce titre contenir ni injure, ni diffamation, ni atteinte à la vie privée, ni contenir de données à caractère personnel.’

Votre communication du 02 novembre dernier se place en contradiction avec ces règles, en mettant nommément en cause le Responsable d’Agence adjoint de la Rochelle puisqu’elle contient nom, prénom, adresse mail et numéro de téléphone de ce dernier (cf. pièce jointe K « communication syndicale CGT Numéro 5 »).

En date du 2 juillet, nous vous avions déjà adressé un rappel des règles portant sur le non-respect des dispositions prévues par notre avenant n°1 portant sur la communication syndicale précitée, en raison d’une communication diffusée en dehors des horaires prévus.

Compte tenu de ce qui précède et conformément à l’article 3.8 du même avenant, nous vous informons de la suspension de l’usage de votre messagerie professionnelle pendant la durée d’un mois à compter de ce jour sur le périmètre de l’entreprise.

En conséquence, il ne vous sera pas possible de communiquer à l’ensemble du personnel par ce biais jusqu’au 13 février 2021.’

Par ordonnance sur requête du 12 mars 2021, le président du tribunal judiciaire de Nanterre a autorisé les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT des personnels de Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home Services T9 à faire assigner à jour fixe la société Engie home services.

Par acte du 17 mars 2021, les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT des personnels de Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9, contestant la sanction, en ont demandé l’annulation ainsi que la condamnation de la société Engie home services au paiement de dommages-intérêts pour le préjudice subi.

La société Engie home services a, quant à elle, conclu devant le tribunal au débouté de l’ensemble de ces demandes, et sollicité à titre ‘reconventionnel’ la condamnation solidaire des syndicats demandeurs aux dépens et à lui payer une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 26 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

– annulé la sanction infligée à l’organisation syndicale CGT le 15 décembre 2020,

– condamné la société Engie home services à payer aux syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT des personnels de Engie home services T8, et CGT des personnels de Engie home services T9 Siège à [Localité 5], à chacun d’entre eux, la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils ont subi,

– condamné la société Engie home services à payer aux syndicats CGT demandeurs la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Engie home services aux dépens de la présente instance et dit qu’ils pourront être recouvrés directement par les soins de Me Elisabeth Repesse conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 5 août 2021, la société Engie Home services a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions en date du 26 avril 2022, la société Engie home services demande à la cour de :

– déclarer recevable et bien fondée la société Engie home services en son appel,

Y faisant droit,

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 26 juillet 2021 en ce qu’il a :

– annulé la sanction infligée à l’organisation syndicale CGT le 15 décembre 2020,

– condamné la société Engie home services à payer aux syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT des personnels de Engie home services T8, et CGT des personnels de Engie home services T9 siège [Localité 5], à chacun d’entre eux, la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils ont subi,

– condamné la société Engie home services à payer aux syndicats CGT demandeurs la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Engie home services aux dépens de la présente instance et dit qu’ils pourront être recouvrés directement par les soins de Me Elisabeth Repesse conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Et, statuant à nouveau :

– débouter les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9 de l’ensemble de leurs demandes,

– les condamner, à titre solidaire, au paiement d’une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner aux entiers dépens.

Aux termes de leurs conclusions en date du 28 janvier 2022, les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9 demandent à la cour de :

– déclarer la société Engie home services mal fondée en son appel, l’en débouter,

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 26 juillet 2021 en ce qu’il a :

– annulé la sanction infligée à l’organisation syndicale CGT le 15 décembre 2020,

– condamné la société Engie home services à payer à chacun des syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT des personnels de Engie home services T8, et CGT des personnels de Engie home services T9 siège à [Localité 4], des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils ont subi,

– déclarer le syndicat CGT des personnels deé home services région ouest, le syndicat CGT Engie home services T8 et le syndicat CGT des personnels de Engie home services T9 siège à [Localité 5] recevables et bien fondés en leur appel incident,

– réformer le jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 26 juillet 2021 sur le quantum en ce qu’il a condamné la société Engie home services à payer aux syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT des personnels de Engie home services T8, et CGT des personnels home services T9 siège à [Localité 4], à chacun d’entre eux, la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’ils ont subi,

Statuant à nouveau,

– condamner la société Engie home services à verser au syndicat CGT des personnels deé home services région ouest, au syndicat CGT home services T8 et au syndicat CGT des personnels de Engie home services T9 siège à [Localité 5] la somme totale de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

– condamner la société Engie home services à verser la somme de 1 700 euros à chacun des syndicats CGT demandeurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Engie home services aux entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés directement par les soins de Me Mélina Pedroletti, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l’audience et rappelées ci-dessus.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- sur la sanction

L’appelante soutient que le tribunal a fait une application erronée des dispositions de l’avenant du 22 octobre 2019 en considérant qu’elle ne pouvait s’opposer à une publication ni procéder ou faire procéder à son retrait, alors qu’elle n’a pas prononcé le retrait de la publication litigieuse ; que l’usage de la messagerie électronique qui doit être autorisé par un accord d’entreprise contrairement au site syndical créé sur l’Intranet, doit être conforme aux dispositions de cet accord ; que l’utilisation de la messagerie électronique par les syndicats est subordonnée au respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à la protection des données à caractère personnel ; que l’accord peut prévoir des sanctions en cas de manquement aux règles d’utilisation et de diffusion des communications syndicales par le biais de la messagerie électronique ; qu’en l’espèce, la CGT a délibérément manqué aux stipulations conventionnelles qu’elle avait signées.

Les intimés font valoir que la loi depuis 1968 prévoit que le contenu des communications syndicales est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve que la communication soit de nature syndicale et qu’elle ne soit ni injurieuse ni diffamatoire, la loi renvoyant aux dispositions relatives à la liberté de la presse ; que la seule limite est donc prévue par la loi ; que l’accord d’entreprise ne peut régir le contenu des communications syndicales mais uniquement définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques ; que la CGT a été sanctionnée au motif que la communication litigieuse porterait atteinte à l’image et à la réputation d’un collaborateur et contiendrait des données à caractère personnel, et ce en application d’une disposition conventionnelle qui restreint la libre détermination des communications ; que la loi du 6 janvier 1978 visée par l’accord exclut la presse de son champ d’application ; que l’accord ne peut sanctionner un fait que la loi n’interdit pas.

Aux termes de l’article L. 2142-5 du code du travail, ‘le contenu des affiches, publications et tracts est librement déterminé par l’organisation syndicale, sous réserve de l’application des dispositions relatives à la presse.’

L’article L. 2142-6 dudit code dispose que ‘un accord d’entreprise peut définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise.

A défaut d’accord, les organisations syndicales présentes dans l’entreprise et satisfaisant aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance, légalement constituées depuis au moins deux ans peuvent mettre à disposition des publications et tracts sur un site syndical accessible à partir de l’intranet de l’entreprise, lorsqu’il existe.

L’utilisation par les organisations syndicales des outils numériques mis à leur disposition doit satisfaire l’ensemble des conditions suivantes :

1° Etre compatible avec les exigences de bon fonctionnement et de sécurité du réseau informatique de l’entreprise ;

2° Ne pas avoir des conséquences préjudiciables à la bonne marche de l’entreprise ;

3° Préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message.’

Il résulte de ce texte qu’en l’absence d’accord d’entreprise, les tracts et publications syndicales peuvent être mis à disposition sur un site syndical accessible sur l’intranet de l’entreprise quand il existe, de sorte que la diffusion des communications syndicales par l’utilisation de la messagerie professionnelle nécessite obligatoirement un accord entre les partenaires sociaux, à défaut duquel les syndicats ne pourraient utiliser ladite messagerie.

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 dont est issu l’article L. 2142-6, a donc prévu des dispositions particulières lorsque la communication syndicale utilise la messagerie professionnelle.

La commission nationale informatique et liberté dans ses recommandations du 22 mars 2017, en suite de ces dispositions, a considéré que celles-ci rejoignaient les recommandations formulées par la CNIL dès mars 2001 dans son rapport sur la ‘cybersurveillance des salariés dans l’entreprise’ concernant ‘la définition des conditions internes d’utilisation des moyens informatiques par la négociation interne’, notamment :

– la nécessité d’une négociation préalable pour l’accès par les organisations syndicales à l’intranet et à la messagerie électronique de l’entreprise,

– le respect du principe de finalité, soit la mise à disposition de publications et tracts de nature syndicale,

– le respect des droits d’information et d’opposition préalable des salariés,

– assurer la confidentialité des échanges avec les organisations syndicales.

En outre, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa version désormais applicable au 1er janvier 2019 dispose en son article 4 que ‘les données à caractère personnel doivent être :

1- Traitées de manière licite, loyale et, pour les traitements relevant du titre II, transparente au regard de la personne concernée ;

2- Collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement d’une manière incompatible avec ces finalités […]

3- Adéquates, pertinentes et, au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées, limitées à ce qui est nécessaire ou, pour les traitements relevant des titres III et IV, non excessives […]’.

En l’espèce, l’avenant n°1 du 22 octobre 2019 -signé par les organisations syndicales dont la CGT- à l’accord relatif à l’exercice du droit syndical qui fixe les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles au sein de la société Engie home services, n’a fait l’objet d’aucune remise en cause par l’une des organisations syndicales signataires au motif notamment d’une illicéité de son contenu.

Le préambule de cet avenant stipule que l’utilisation par les organisations syndicales des outils numériques mis à leur disposition doit satisfaire l’ensemble des conditions prévues à l’article L. 2142-6 du code du travail rappelé ci-dessus, qu’il énonce. Il indique également que cette utilisation doit se faire dans le strict respect des dispositions du Règlement Général des Protections des Données personnelles (RGPD).

L’article 3 de l’accord intitulé ‘la communication syndicale via l’utilisation de la messagerie professionnelle’ indique notamment que ‘les organisations syndicales sont seules responsables des publications et communications effectuées par le biais des technologies de l’information et de la communication mis à leur disposition dans le cadre du présent avenant.’ (Article 3.4)

Il est également indiqué à ce même article que ‘le contenu des messages doit respecter les dispositions sur le droit à l’image, de la presse et ne doit à ce titre contenir ni injure, ni diffamation, ni atteinte à la vie privée, ni contenir de données à caractère personnel dans le respect de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Le contenu des informations diffusées doit également respecter les dispositions relatives au secret professionnel. L’entreprise n’exercera pas de contrôle en amont sur les communications syndicales.’

Si l’article L. 2142-5 précité ne vise que la seule réserve de l’application des dispositions relatives à la presse, pour le contenu des affiches, publications et tracts librement déterminé par les organisations syndicales, de sorte que l’employeur qui ne dispose pas d’un droit de contrôle sur la teneur de ces supports syndicaux ne peut que saisir la justice pour obtenir leur suppression, l’article L. 2142-6 permet aux organisations syndicales d’utiliser un outil informatique auquel elles n’ont accès qu’en raison de l’accord des partenaires sociaux, les conditions et modalités prévues par ledit accord devant s’appliquer.

Ainsi, au-delà des dispositions relatives à la presse, les partenaires sociaux à l’accord collectif sur l’utilisation de la messagerie électronique pour la communication syndicale, sont tenus de respecter les dispositions prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et le RGPD issu du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 sur les droits de la personne concernée, telles que rappelées expressément par l’avenant n°1 du 22 octobre 2019.

L’employeur qui met à disposition des organisations syndicales la messagerie professionnelle pour une communication syndicale, doit par conséquent s’assurer que les données à caractère personnel sont traitées conformément à cette loi et au RGPD.

En conséquence, la société Engie home services, si elle estime que les termes de l’accord d’entreprise n’ont pas été respectés, est en droit de sanctionner un manquement de l’organisation syndicale.

L’article 3.8 de l’accord intitulé ‘sanctions’ prévoit notamment l’organisation d’une formation à l’attention des interlocuteurs référents et des délégués syndicaux centraux, puis un premier rappel à l’ordre en cas de premier manquement, et en cas d’utilisation non conforme réitérée, le blocage de la messagerie professionnelle de l’organisation syndicale pendant un mois, en fonction du périmètre concerné, par le représentant de la direction d’Engie home services ou celui de l’établissement concerné. Il est enfin prévu en cas de récidive la suppression des services pendant la durée des mandats en cours, au périmètre de l’entreprise.

Les mails produits par l’appelante (pièces n°3 à 9) démontrent que, d’avril 2020 à janvier 2021, l’employeur a organisé des formations et effectué un suivi régulier rappelant et expliquant les différentes modalités et conditions de l’utilisation de la messagerie professionnelle. Il n’est pas allégué que les représentants des syndicats CGT n’ont pas bénéficié de ces formations et recommandations.

En l’espèce, il résulte du message litigieux adressé le 2 novembre 2020 via la messagerie professionnelle par les représentants de la CGT (pièce n°15 appelante ; pièce n°5 intimés), que ces derniers ont adressé à l’ensemble de la liste de diffusion CGT, soit à l’échelle de toute l’entreprise selon l’employeur ce que ne conteste pas le syndicat, un message reproduisant in extenso celui de M. [M] [H], responsable d’agence adjoint, adressé aux seuls salariés de son agence, comportant ses nom, prénom, qualité, numéro de téléphone portable, qui faisait état d’une grève initiée par la CGT le 3 novembre 2020.

La communication de la CGT, en en-tête de la communication, traite M. [H] ‘d’irresponsable d’agence adjoint’ qui rédige ‘des âneries de la sorte’.

Outre le caractère injurieux des termes utilisés et diffusés à l’ensemble des salariés de l’entreprise par la CGT, le mail qui est un ‘copier/coller’ de celui de M. [H] n’est pas anonymisé, permettant ainsi aux destinataires de l’identifier et est donc contraire aux termes de l’accord d’entreprise tels que visés à son article 3.4 précité.

Il sera rappelé qu’une donnée personnelle est toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable, une personne pouvant être identifiée directement (nom, prénom) ou indirectement (notamment un numéro de téléphone).

L’employeur justifie en outre que, précédemment, le 23 octobre 2020, le syndicat CGT (pièce n°16 appelant) a adressé à la liste de diffusion, un document appelé ‘voyage en absurdie’ visant le comportement supposé de responsables d’agences dans des termes peu avenants mais sans les nommer, de sorte que les représentants du syndicat connaissaient parfaitement les règles instituées par l’accord du 22 octobre 2019.

Il justifie également (pièce n°11) que le syndicat CGT a fait l’objet d’un rappel à l’ordre le 2 juillet 2020 au motif d’un non-respect des horaires d’envoi, l’accord d’entreprise prévoyant notamment une diffusion syndicale de 8 heures à 17 heures les jours ouvrés (article 3.7) et d’une numérotation erronée de la communication syndicale.

Selon l’article 3.8 de l’accord, le second manquement signalé est sanctionné par un blocage de la messagerie pendant un mois.

Contrairement à ce qu’ont considéré les premiers juges, la société Engie home services n’a pas procédé ou fait procéder au retrait de la publication de la CGT – ce qui techniquement était impossible – mais a appliqué les termes de l’accord d’entreprise prévoyant que le contenu des messages ne peut contenir ni injure, ni diffamation, ni atteinte à la vie privée, ni contenir de données à caractère personnel dans le respect de la loi du 6 janvier 1978. Elle n’avait donc pas à saisir la justice pour contester la communication litigieuse qui a été diffusée mais a appliqué l’accord d’entreprise auquel le syndicat a adhéré.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a annulé la sanction infligée au syndicat CGT et condamné la société Engie home services au paiement de dommages-intérêts pour préjudice subi.

Les intimés seront déboutés de leurs demandes d’annulation de la sanction et de condamnation à des dommages-intérêts.

2- sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Les intimés seront condamnés à payer à la société Engie home services la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.

Ils seront déboutés de leurs demandes à ce titre et condamnés aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 26 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9 de leur demande d’annulation de la sanction infligée à l’organisation syndicale CGT le 15 décembre 2020,

Les déboute de leur demande de dommages-intérêts,

Condamne solidairement les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9 à payer à la société Engie home services la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9 de leurs demandes respectives à ce titre,

Condamne les syndicats CGT des personnels de Engie home services région ouest, CGT Engie home services T8 et CGT des personnels de Engie home services T9 aux dépens de première instance et d’appel.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x