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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 10 MAI 2023
(n° 072/2023, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/16085 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEKEC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2021 – Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n° 21/03018 – 3ème chambre – 1ère section
APPELANT
M. [U] [Z]
Né le 29 mars 1971 à [Localité 7] (COLOMBIE)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Anne-Marie OUDINOT, avocate au barreau de PARIS, toque B 653
Assisté de Me Angélique VIBERT, avocate au barreau de PARIS, toque E 360
INTIMEES
Société ATELIER [U] [Z] B.V.,
Société de droit belge
Immatriculée au carrefour des entreprises sous le numéro 0875.129.446
Prise en la personne de son curateur, Me [C], domicilié [Adresse 5] Belgique
Ayant son siège social [Adresse 8]
[Localité 2]
BELGIQUE
Représentée par Me Pierre-Philippe FRANC, avocat au barreau de PARIS, toque D 189
Société BOX OF HEAT LIMITED,
Société de droit anglais,
Enregistrée sous le numéro 12290896
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social [Adresse 9]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 6]
ROYAUME UNI
S25 3AF
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocate au barreau de PARIS, toque D 2090
Assistée de Me Caroline BOUVIER plaidant pour la SELARL BERNARD – HERTZ – BEJOT, avocate au barreau de PARIS, toque P 57
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise BARUTEL, Conseillère, en présence de Mme Déborah BOHEE, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport
Mmes Françoise BARUTEL et Déborah BOHEE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, Présidente
Mme Françoise BARUTEL, Conseillère
Mme Déborah BOHEE, Conseillère
Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
Signé par Mme Isabelle DOUILLET, Présidente, et par Mme Karine ABELKALON, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
EXPOSE DU LITIGE
M. [U] [Z] est un créateur français de vêtements, bénéficiant d’une importante renommée, tant en France qu’à l’étranger.
Il est le titulaire inscrit des marques suivantes :
– la marque verbale internationale désignant le Japon et les Etats Unis d’Amérique « [U] [Z] », enregistrée le 23 décembre 2005 sous le n°879314 pour désigner des produits et services en classes 25, 41 et 42 et en particulier les vêtements en classe 25 ;
– la marque verbale de l’Union européenne « [U] [Z] » enregistrée le 3 mars 2006 sous le n°004826236 pour désigner différents produits et services en classes 25, 41 et 42 et en particulier les vêtements en classe 25 ;
– la marque verbale internationale désignant notamment l’Union européenne « [U] [Z] », enregistrée le 23 août 2010 sous le n°1056791 pour désigner des produits et services en classes 3, 18, 25 et 42 et en particulier les vêtements en classe 25.
La société ATELIER [U] [Z] est une société de droit belge qui a pour activité la fabrication et la vente de produits de mode de luxe, dont M. [U] [Z] était actionnaire.
La société BOX OF HEAT est une société de droit anglais qui a pour activité la vente dans le monde entier de produits de mode de luxe par le biais de son site internet accessible à l’adresse https://heat.io/.
Suivant un contrat du 17 juin 2005, intitulé « Contrat sur le transfert de propriété intellectuelle et des archives. Contrat de licence concernant l’utilisation du nom, de la marque et de l’image» et en complément d’un contrat de service exclusif du même jour, M. [U] [Z] s’est engagé à l’égard de la société EDU NV et de la société ATELIER [U] [Z], alors en cours de constitution, à, notamment, déposer la marque verbale « [U] [Z] », à accorder à cette société une licence exclusive, à la faire enregistrer et à procéder à toutes extensions dans tous pays sollicités par ces sociétés.
Un premier avenant a été régularisé le 21 août 2012 par lequel les droits de la société EDU NV aux termes du contrat de licence et du contrat de prestation de services ont été intégralement cédés à la société ATELIER [U] [Z] représentée par M. [U] [Z] et Mme [G] [B].
Par un avenant n°2 du 16 octobre 2015, les parties ont convenu d’une modification de leurs accords financiers et prévu une clause attribuant compétence aux Cours d’Anvers pour connaître de tout litige concernant cet avenant, expressément soumis au droit belge.
Par un avenant n°3 du 31 août 2016, la société ATELIER [U] [Z] a autorisé, par dérogation à l’accord de service exclusif, le créateur à accepter une mission pour la société BERLUTTI. Cet avenant, expressément soumis au droit belge, prévoit une clause attribuant compétence aux Cours d’Anvers pour connaître de tout litige le concernant.
Le 23 juin 2020, la société BOX OF HEAT a commandé auprès de la société ATELIER [U] [Z] 1340 pièces issues de rééditions de précédentes collections créées par M. [U] [Z], le bon de commande étant signé par les deux parties.
Se plaignant d’un défaut de paiement des redevances en exécution du contrat de licence du 17 juin 2005 par la société ATELIER [U] [Z] et après plusieurs mises en demeure, M. [U] [Z] a, par une lettre du 30 octobre 2020, notifié à cette société la résiliation de ce contrat. Cette résiliation a été contestée par la société ATELIER [U] [Z] dans un courrier du 17 novembre 2020, qui a revendiqué la poursuite du contrat.
Déclarant avoir découvert le 7 décembre 2020 une utilisation non autorisée de ses marques sur le site internet à l’adresse , M. [U] [Z] a sollicité et obtenu l’autorisation de faire citer à jour fixe à l’audience du 11 mai 2021, les sociétés BOX OF HEAT LIMITED et ATELIER [U] [Z] devant le tribunal judiciaire de Paris, notamment en contrefaçon de marques.
Dans un jugement rendu le 8 juillet 2021 dont appel, le tribunal judiciaire de Paris :
– s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande relative au contrat du 17 juin 2005 et a renvoyé de ces chefs M. [U] [Z] à mieux se pourvoir ;
– s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes au titre de la contrefaçon de marques et a renvoyé de ces chefs M. [U] [Z] à mieux se pourvoir ;
– s’est déclaré compétent pour connaître de la demande fondée sur une atteinte à l’image de M. [U] [Z] ;
– a rejeté la demande de ce chef ;
– a condamné M. [U] [Z] aux dépens ;
– a condamné M. [U] [Z] à payer à la société BOX OF HEAT et à la société ATELIER [U] [Z] la somme de 5.000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– a ordonné l’exécution provisoire.
Le 31 août 2021, M. [U] [Z] a interjeté appel de ce jugement.
La société ATELIER [U] [Z] a fait l’objet d’une procédure de réorganisation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce d’Anvers le 18 décembre 2020. Puis elle a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 16 novembre 2021, Maître [C] étant désigné en qualité de curateur et ayant repris la procédure.
Par ordonnance du 13 septembre 2022, le conseiller de la mise en état saisi à la demande de la société BOX OF HEAT s’est déclaré incompétent pour statuer sur la fin de non recevoir tirée de l’irrecevabilité des prétentions nouvelles formulées en appel par M. [U] [Z].
Dans ses dernières conclusions, numérotées 4 et signifiées le 24 janvier 2023, M. [U] [Z] demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 9 et 1240 du code civil.
Vu les dispositions de l’article 125 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement et du Conseil du 14 juin 2017
Vu les dispositions de l’article 9 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement et du Conseil du
14 juin 2017
Vu les dispositions de l’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle
– dire M. [U] [Z] recevable et fondé en son appel
– dire M. [U] [Z] recevable en ses demandes indemnitaires qui ne sont pas nouvelles au sens de l’article 566 du code de procédure civile et plus largement débouter la société BOX OF HEAT de tous ses moyens d’irrecevabilité ;
1. réformer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 juillet 2021 en ce qu’il a rejeté la demande de M. [U] [Z] fondée sur l’atteinte à ses droits de la personnalité ;
Et statuant de nouveau,
– constater que la société BOX OF HEAT a, par le biais des pages publiées sur son site internet heat.io, porté atteinte aux droits de M. [U] [Z] sur son nom patronymique et à sa réputation ;
– condamner la société BOX OF HEAT à verser à M. [U] [Z] la somme de 250.000 euros au titre de l’atteinte précitée ;
– ordonner la publication de tout ou partie de la décision à intervenir dans trois journaux ou revues papier ou digitale, au choix de M. [U] [Z], aux frais de la société BOX OF HEAT, dans la limite de 5.000 (cinq mille) euros par publication ainsi qu’en haut de la page d’accueil du site Internet de la défenderesse disponible à l’adresse www.heat.io en police Times New Roman taille 12 pendant une durée de (1) un mois à compter de la signification de l’arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard pendant 90 jours à l’expiration du délai de (1) un mois courant dès la signification de l’arrêt à intervenir ;
2. réformer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 juillet 2021 en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaitre des demandes formées par M. [U] [Z] au titre de la contrefaçon de ses marques :
Et statuant de nouveau,
– juger que la reproduction non autorisée de la désignation « [U] [Z] » sur le site internet exploité par la société BOX OF HEAT à l’adresse heat.io est constitutive de contrefaçon tant de la part de la société ATELIER [U] [Z] que de la part de BOX OF HEAT LIMITED, et porte atteinte aux droits de M. [U] [Z] sur sa marque communautaire « [U] [Z] » n°4826236 enregistrée le 3 mars 2006 en classes 25, 41 et 42 ;
– condamner solidairement la société BOX OF HEAT et la société ATELIER [U] [Z] à verser à M. [U] [Z] la somme de 119.792 euros (sauf à parfaire) en indemnisation du préjudice subi du fait de la contrefaçon précitée.
3. débouter la société BOX OF HEAT et la société ATELIER [U] [Z] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
4. condamner solidairement la société BOX OF HEAT et la société ATELIER [U] [Z] à verser à M. [U] [Z] la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens avec le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, transmises le 21 mars 2022, la société ATELIER [U] [Z] B.V représentée par son curateur Maître [C], demande à la cour de :
Vu les articles 75 à 91 du code de procédure civile
Vu les règlements européen 44/2001, 593/2008 et 125/2012
Vu l’article 1247 du code civil belge
– confirmer le jugement ;
– condamner au surplus M. [U] [Z] à payer à la société ATELIER [U] [Z] la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– le condamner aux dépens.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 et notifiées le 2 janvier 2023, la société BOX OF HEAT LIMITED demande à la cour de :
Vu les articles 5, 32-1, 75 à 91, 202, 514, 564 à 566, 840, 844, 695 à 700, 768 et 779 du code de procédure civile,
Vu les articles 1200 et 1240 du code civil,
Vu les Règlements européens n°593/2008, n°1215/2012 et n°2017/1001,
Vu la jurisprudence citée,
Vu l’ensemble des pièces versées au débat,
In limine litis
Sur la demande relative au contrat de licence du 17 juin 2005 :
– constater que M. [U] [Z] ne sollicite pas la réformation du jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande relative au contrat du 17 juin 2005 et en ce qu’il a renvoyé M. [U] [Z] à mieux se pourvoir ;
– confirmer le jugement entrepris de ce chef.
Sur les demandes de M. [U] [Z] relatives à l’atteinte à ses droits de la personnalité:
– déclarer la société BOX OF HEAT LIMITED bien fondée en son appel incident,
En conséquence,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il s’est déclaré compétent pour connaître de la demande fondée sur une atteinte à l’image de M. [U] [Z] ;
– et statuant à nouveau, se déclarer incompétente au profit des juridictions belges.
Sur les demandes de M. [U] [Z] relatives à la contrefaçon de la marque de l’Union Européenne « [U] [Z] » n°48226236 :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré les juridictions françaises incompétentes.
Si, par extraordinaire, la Cour venait à se déclarer compétente pour statuer sur les demandes de M. [U] [Z] :
Sur les demandes de M. [U] [Z] relatives à l’atteinte à ses droits de la personnalité:
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [U] [Z] ;
– déclarer irrecevables les demandes indemnitaires de M. [U] [Z] et subsidiairement l’en débouter.
Sur les demandes de M. [U] [Z] relatives à la contrefaçon de la marque de l’Union Européenne « [U] [Z] » n°48226236 :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [U] [Z] ;
– déclarer irrecevables les demandes indemnitaires de M. [U] [Z] et subsidiairement l’en débouter.
En tout état de cause :
– écarter des débats la pièce de M. [U] [Z] n°33 intitulée « Attestation de Madame [I] [D] + copie du passeport + justificatifs de commande sur le site heat.io »;
– constater que le tribunal judiciaire de Paris a omis de statuer sur la demande indemnitaire de la société BOX OF HEAT LIMITED ;
– réparer cette omission et en conséquence :
– condamner M. [U] [Z] au paiement d’une amende civile d’un montant laissé à la discrétion de la cour ;
– condamner M. [U] [Z] au paiement de la somme de 735.000 euros à la société BOX OF HEAT LIMITED.
Si par extraordinaire, la cour considérait que le tribunal judiciaire de Paris a, par son silence, rejeté la demande indemnitaire formée par la société BOX OF HEAT LIMITED :
– infirmer le jugement entrepris ;
et statuant à nouveau :
– condamner M. [U] [Z] au paiement d’une amende civile d’un montant laissé à la discrétion de la cour ;
– condamner M. [U] [Z] au paiement de la somme de 735.000 euros à la société BOX OF HEAT LIMITED ;
– débouter M. [U] [Z] de ses plus amples demandes ;
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [U] [Z] à payer à la société BOX OF HEAT LIMITED la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Et, y ajoutant,
– condamner M. [U] [Z] à payer à la société BOX OF HEAT LIMITED la somme de 50.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et le condamner aux entiers dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef du jugement non contesté
La cour constate que le jugement n’est pas contesté en ce que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande relative au contrat du 17 juin 2005 et a renvoyé de ces chefs M. [U] [Z] à mieux se pourvoir.
Le jugement est donc définitif sur ce point.
Sur l’exception d’incompétence
La société BOX OF HEAT soutient essentiellement qu’il existe un lien évident entre le litige de nature contractuelle liant M. [U] [Z] et la société ATELIER [U] [Z] et les faits, de nature délictuelle, que lui reproche l’appelant, de sorte que les juridictions belges, déjà désignées par le tribunal pour connaître du contrat de licence, doivent connaître de l’intégralité du litige. Elle précise en effet que l’objet du litige dont est saisie la cour impose de déterminer quels étaient les droits dont disposaient la société ATELIER [U] [Z] lorsqu’elle l’a autorisée à utiliser et reproduire le nom [U] [Z] et la marque éponyme, pour vendre les vêtements de la collection «[U] [Z]» sur son site internet, selon un accord formalisé le 23 juin 2020, dans le cadre du contrat de licence concédé par l’appelant et toujours valable à cette date, contrat dont elle peut se prévaloir, selon elle, en application de l’article 1200 du code civil. Elle estime en outre que le contrat de licence n’a pas été résilié le 30 octobre 2020 par M. [Z] car les conditions d’une telle résiliation n’étaient pas réunies.
La société BOX OF HEAT souligne, qu’en tout état de cause, les juridictions françaises ne peuvent être compétentes en raison de l’absence de démonstration d’un préjudice subi en France par M. [Z] du fait de prétendus actes de contrefaçon de marque ; que lorsque le for alternatif du territoire sur lequel « le fait de contrefaçon a été commis » est choisi, l’action en contrefaçon est limitée au territoire du seul Etat membre, en l’espèce la France ; qu’aucun préjudice n’est prouvé sur ce territoire, le constat d’huissier établi le 14 décembre 2020 n’étant pas un constat d’achat des boîtes « BOX OF HEAT x [U] [Z] ».
La société ATELIER [U] [Z] soutient que les juridictions compétentes pour connaître de ce litige de nature contractuelle sont les juridictions belges tant en raison de la clause contractuelle insérée dans les avenants qu’en vertu du droit positif.
M. [Z] soutient que sa demande fondée sur l’atteinte à ses droits de la personnalité en vertu de l’article 9 du code civil est dirigée contre la société BOX OF HEAT, avec qui il n’a jamais eu de relation contractuelle ; que la victime d’une atteinte à ses droits de la personnalité au moyen de contenus disponibles sur Internet peut saisir le tribunal du lieu où se situe le centre de ses intérêts, et donc du lieu de sa résidence habituelle ; qu’il réside à Paris et qu’ainsi le tribunal judiciaire et la cour d’appel de Paris sont compétents.
S’agissant des demandes au titre de la contrefaçon, M. [Z] soutient que le site de BOX OF HEAT était notamment destiné à des consommateurs français ; qu’il permet de passer des commandes depuis la France et d’obtenir une livraison sur le territoire français; que les conditions générales de vente publiées par BOX OF HEAT prévoient la vente des produits partout dans le monde; qu’aucune affaire concernant les relations entre M. [Z] et ATELIER [U] [Z] n’est portée devant quelque juridiction que ce soit, qu’ainsi la cour n’est pas en mesure de se dessaisir au profit d’une juridiction belge; que le contrat de licence ne prévoit aucune clause précisant la loi applicable ni le tribunal compétent, et qu’en tout état de cause, la société BOX OF HEAT n’est pas partie à ce contrat ; que ses demandes ne portent pas sur le paiement des redevances dues, mais sur la contrefaçon de sa marque européenne « [U] [Z] ».
Selon le considérant 16 du Règlement (UE)N° 1215/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, « Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation», et selon le considérant 21 «Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au minimum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans différents États membres. (….)». Enfin, selon le considérant 24, « Lorsqu’elle tient compte de la bonne administration de la justice, il convient que la juridiction de l’État membre concerné évalue l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Ces circonstances peuvent inclure les liens entre les faits du cas d’espèce, les parties et l’État tiers concerné, l’état d’avancement de la procédure dans l’État tiers au moment où la procédure est engagée devant la juridiction de l’État membre et la probabilité que la juridiction de l’État tiers rende une décision dans un délai raisonnable. Cette évaluation peut également porter sur la question de savoir si la juridiction de l’État tiers a une compétence exclusive dans le cas d’espèce dans des circonstances où la juridiction d’un État membre aurait une compétence exclusive.»
Ainsi, si l’article 7 du règlement susvisé prévoit des règles de compétence différentes en matière de responsabilités contractuelle et délictuelle, l’article 8 de ce même règlement dispose que, «Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite:
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément;
2) s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente;
3) s’il s’agit d’une demande reconventionnelle qui dérive du contrat ou du fait sur lequel est fondée la demande originaire, devant la juridiction saisie de celle-ci; (…)»
Il est constant que M. [U] [Z], dans le cadre d’un contrat de licence intitulé «Contrat sur le transfert de propriété intellectuelle et des archives. Contrat de licence concernant l’utilisation du nom, de la marque et de l’image», complété ensuite par des avenants, a concédé un certain nombre de droits à la société ATELIER [U] [Z], et notamment le droit d’utiliser son nom (page 5 de ses conclusions), même si le détail et l’étendue des droits cédés sont contestés dans les écritures de l’appelant.
Il est également établi que la société BOX OF HEAT a régulièrement passé commande auprès de la société ATELIER [U] [Z] le 23 juin 2020 pour l’achat et la livraison de 1340 pièces issues de la réédition de précédentes collections créées par M. [U] [Z], pour un montant total de 334.399,20 euros, facturés le 5 novembre 2020, les étiquettes «[U] [Z] EXCLUSIVELY FOR HEAT» ayant été fournies avec les vêtements par la société ATELIER [U] [Z].
Il ressort également des échanges entre les parties, soit M. [U] [Z], la société ATELIER [U] [Z] et la société BOX OF HEAT, qu’a été envisagée également la création d’une «collection capsule exclusive» qui n’a finalement pas abouti.
Les vêtements issus de la réédition de précédentes collections ont été proposés à la vente sur le site internet anglais de la société BOX OF HEAT à compter du 2 décembre 2020, la commercialisation étant interrompue le 17 décembre 2020. A cette occasion, la société BOX OF HEAT a communiqué sur sa collaboration avec le créateur en mentionnant notamment son nom sur son site internet et dans certains articles de presse.
C’est dans ce contexte, et après avoir notifié le 30 octobre 2020 à la société ATELIER [U] [Z] la résiliation du contrat du 17 juin 2015 qui les liait, que M. [U] [Z] a fait constater la vente de ces produits sur le site internet de la société BOX OF HEAT, puis a introduit la présente instance, dénonçant à la fois des actes de contrefaçon de sa marque par la société BOX OF HEAT et la société ATELIER [U] [Z] et une atteinte à son droit à l’image par la société BOX OF HEAT.
Par ailleurs, comme déjà relevé, le jugement dont appel est devenu définitif en ce que le tribunal judiciaire de Paris s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande relative au contrat du 17 juin 2005, intitulé « Contrat sur le transfert de propriété intellectuelle et des archives. Contrat de licence concernant l’utilisation du nom, de la marque et de l’image» et a renvoyé de ces chefs M. [U] [Z] à mieux se pourvoir. Le tribunal a retenu notamment que le contrat en cause a été rédigé en langue néerlandaise, que toutes les parties étaient domiciliées à Anvers, tandis qu’à la suite de l’établissement de M. [U] [Z] en France, elles avaient entendu soumettre à la loi belge leurs relations et qu’il en résulte que c’est avec la loi belge que le contrat présente les liens les plus étroits et qu’aussi bien l’application de l’article 4 du Règlement de Bruxelles I Bis que son article 7, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, désignent les juridictions belges pour connaître du litige lié à l’inexécution du contrat de licence.
L’objet du litige dont la cour reste saisie porte, d’une part, sur une atteinte aux droits de la personnalité alléguée par M. [U] [Z] commise par la société BOX OF HEAT et, d’autre part, sur des faits de contrefaçon de la marque « [U] [Z]» commis par la société BOX OF HEAT et la société ATELIER [U] [Z].
Or, l’examen du bien fondé de ces demandes implique nécessairement, au préalable, de déterminer quels étaient les droits dont disposaient la société ATELIER [U] [Z], titulaire d’un contrat de licence exclusif depuis le 17 juin 2005, lorsqu’elle a effectivement accepté de procéder, le 23 juin 2020, à la réédition de 1340 modèles issus de précédentes collections créées par M. [U] [Z] pour que la société BOX OF HEAT les commercialise sur son site internet, à une date, où, en tout état de cause, le contrat de licence n’était pas résilié.
En effet, les intimées opposent précisément à M. [U] [Z] les dispositions de ce contrat de licence pour conclure au rejet de l’ensemble des demandes formées à leur encontre, M. [U] [Z], lui-même, dans ses écritures, contestant le périmètre et l’étendue des droits cédés dans ce cadre, la société ATELIER [U] [Z], ayant dénoncé au surplus, sa rupture unilatérale injustifiée par l’appelant.
En conséquence, dans la mesure où le tribunal a jugé définitivement, sans être contesté, qu’il n’était pas compétent pour connaître des demandes relatives au contrat de licence du 17 juin 2005, comme relevant de la loi et des juridictions belges, et que les demandes dont la cour reste saisie implique d’examiner nécessairement la question de l’étendue des droits cédés par M. [U] [Z] à la société ATELIER [U] [Z] dans le cadre de ce même contrat de licence, dont se prévaut également la société BOX OF HEAT en vertu de l’article 1200 du code civil, de sorte que les demandes sont liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger ensemble, ce litige doit en conséquence être porté dans son intégralité devant les juridictions belges, qui apprécieront l’étendue des droits ainsi concédés, s’agissant tant des marques que du nom de l’appelant, à la société ATELIER [U] [Z] lorsqu’elle a conclu ce contrat avec la société BOX OF HEAT et, ainsi, le bien fondé des demandes formulées par M. [U] [Z].
Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes au titre de la contrefaçon de marques et infirmé en ce qu’il s’est reconnu compétent pour connaître de l’atteinte à l’image de M. [U] [Z].
Sur les demandes reconventionnelles de la société BOX OF HEAT
La cour n’est pas davantage compétente pour apprécier les demandes reconventionnelles présentées par la société BOX OF HEAT à l’encontre de M. [U] [Z] tant au titre de la procédure abusive que de l’amende civile.
Sur les autres demandes
M. [U] [Z], succombant, sera condamné aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’il a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
Enfin, l’équité et la situation des parties commandent de condamner M. [U] [Z] à verser à la société BOX OF HEAT une somme de 4.000 euros et à la société ATELIER [U] [Z], représentée par son curateur, une somme de 2.000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement déféré sauf en ce que le tribunal:
– s’est déclaré compétent pour connaître de la demande fondée sur une atteinte à l’image de M. [U] [Z] ;
– a rejeté la demande de ce chef ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Se déclare incompétente pour connaître de la demande fondée sur l’atteinte aux droits de la personnalité et renvoie de ce chef M. [U] [Z] à mieux se pourvoir;
Se déclare incompétente pour statuer sur les demandes reconventionnelles de la société BOX OF HEAT et la renvoie de ces chefs à mieux se pourvoir;
Condamne M. [U] [Z] aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. [U] [Z] à verser à la société BOX OF HEAT une somme de 4.000 euros et à la société ATELIER [U] [Z], représentée par son curateur, une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE