Double mandat de distribution d’oeuvres musicales : légal ou non ?

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Double mandat de distribution d’oeuvres musicales : légal ou non ?

La demande d’interdiction d’exploiter et de provision est rejetée car le trouble manifestement illicite allégué n’est pas établi. De plus, la demande de communication des redditions de comptes est également rejetée. La société Kpone Inc Music Groupe est condamnée aux dépens et doit payer à la société Universal Music France la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/50007 – N° Portalis 352J-W-B7H-CZ4WB

N° : 1/MM

Assignation du :
24 Mai 2023

[1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 08 janvier 2024

par Malik CHAPUIS, Juge, au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSE

Société KPONE INC MUSIC GROUP
[Adresse 3]
[Adresse 3] / QUEBEC

représentée par Maître Michael MAJSTER de l’AARPI Majster & Nehmé Avocats, avocats au barreau de PARIS – #D0727

DEFENDERESSES

S.A.S. UNIVERSAL MUSIC FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS – #E0329

S.E.L.A.R.L. AXYME, ès-qualités de liquidateur de la société E.47 AGENCY
[Adresse 2]
[Localité 4]

non constituée

DÉBATS

A l’audience du 02 Octobre 2023, tenue publiquement, présidée par Malik CHAPUIS, Juge,, assisté de Flore MARIGNY, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

1. Par acte du 24 mai 2023, la société de droit canadien Kpone Inc Music Group a assigné la société SAS Universal Music France et la société SELARL Axyme devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris.

2. A l’audience du 2 octobre 2023, la société de droit canadien Kpone Inc Music Group comparait représentée par son conseil, elle demande au juge des référés de :

-faire interdiction à la société SAS Universal Music France d’exploiter, commercialiser, promouvoir plusieurs enregistrements de l’artiste [T] et de l’artiste [S] selon détail à ses écritures, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par enregistrement,
-ordonner à la société SAS Universal Music France de lui communiquer l’intégralité des redditions de comptes certifiés conformes depuis le 31 décembre 2022 relatifs aux enregistrements de l’artiste [T] selon détail à ses écritures dans toutes leurs versions et pour toutes les références de ces enregistrements, à compter de la signification puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,
-ordonner à la société SAS Universal Music France de lui communiquer l’intégralité des redditions de comptes certifiés conformes depuis le 17 février 2023 relatifs aux enregistrements de l’artiste [S] selon détail à ses écritures dans toutes leurs versions et pour toutes les références de ces enregistrements, à compter de la signification puis sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,
-condamner la société SAS Universal Music France à lui payer la somme provisionnelle de 30 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des atteintes à ses droits voisins de producteur de phonogrammes,
-se réserver la liquidation des astreintes,
-condamner la société SAS Universal France aux dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

3. A cette même audience, la société SAS Universal Music France comparait représentée par son conseil, elle demande au juge des référés de :

-débouter la demanderesses de ses demandes,
-condamner la société KPONE à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

3.1. Assignée par acte remis à personne morale, la société SELARL Axyme ne comparait pas ni et ne constitue pas avocat. La décision est donc réputée contradictoire.

4. Il est renvoyé aux dernières écritures des parties et à leurs observations à l’audience pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qui y sont contenus.

5. La décision a été mise en délibéré au 8 janvier 2024.

SUR CE

6. Aux termes de l’article 835 du code de procédure civile « le président du tribunal judiciaire [peut] toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. / Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, [il peut] accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».
Sur la demande d’interdiction et la provision
7. Le trouble manifestement illicite constitue toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Doit être démontrée, selon le droit commun de la preuve, l’existence d’une règle de droit, sa méconnaissance, et le caractère manifeste de celle-ci.

8. Le juge des référés n’a pas le pouvoir d’interpréter un acte contractuel, sa licéité, ni la bonne foi des parties dans son exécution. Il doit toutefois appliquer les dispositions claires et précises du contrat liant les parties, pouvant ordonner à titre conservatoire leur exécution par une partie défaillante.

9. Le trouble manifestement illicite s’apprécie au jour où le juge statue et détermine les mesures conservatoires et de remise en état nécessaires, à le faire cesser, et à la préservation des droits des parties.

10. En l’espèce, une société SARLU East 47th Music conclut le 12 novembre 2018 un contrat intitulé « contrat de distribution physique et numérique » par lequel elle confie à la société SAS Universal Music France la distribution des supports phonographiques, vidéographiques et multimédia d’artistes non identifiés. La société Kpone Inc Music Group convient toutefois que Madame [V] [B] surnommée [S] et Monsieur [U] [T] surnommé [T] sont visés comme artistes par ce contrat.

11. Le contrat présente la société East 47th Music comme « titulaire des droits d’exploitation sur les phonogrammes, les vidéogrammes et plus généralement de tout contenu composant son catalogue (tel que défini ci-après) dont il est propriétaire ou dont il a acquis ou acquerra les droits d’exploitation exclusifs auprès de tiers ».

12. La société East 47th Music contracte avec la société Kpone Inc Music Group le 15 janvier 2019 et le 17 février 2021 des contrats de mandat pour la représentation, respectivement, des artistes [T] et [S]. La société Kpone Inc Music Group estime avoir résilié ces contrats à effet respectivement le 31 décembre 2022 et le 17 février 2023.

13. La société Kpone Inc Music Group estime que le contrat du 12 novembre 2018 est aujourd’hui résilié à la suite de la résiliation de ces deux mandats, et que la société Universal Music France est dépourvue du droit d’exploiter les œuvres des artistes [S] et [T] qui en sont l’objet.

14. Or, contrairement au moyen de la société Kpone Inc Music Group, il n’est pas possible de dire que les contrats de mandat du 15 janvier 2019 et du 17 février 2021 l’ont habilité à signer le contrat de distribution à la date, antérieure, du 12 novembre 2018, alors que ces mandats stipulent pour l’avenir à compter de leur signature selon leurs articles 3. Leur éventuelle résiliation, à la supposer établie, est donc indifférente au regard de l’objet du présent litige.

15. Le contrat du 12 novembre 2018 est conclu pour une durée de trois années expirant donc le 12 novembre 2021. Il prévoit à son article 3 une reconduction tacite pour une période d’une année « par l’une ou l’autre des parties, sauf dénonciation par écrit dans un délai de 3 (trois) mois avant l’expiration de chaque période ».

16. Aucune dénonciation du contrat n’est produite, en l’état celui-ci est donc toujours en vigueur. Il en va de même du contrat du 16 avril 2020 portant sur trois albums de l’artiste [S] qui contient une clause identique.

17. En outre, en réponse au moyen de la société Kpone Inc Music Group, le contrat du 12 novembre 2018 stipule en son article 11.4 que « en ce qui concerne la distribution numérique, dans l’hypothèse où le producteur viendrait à perdre les droits d’exploitation d’un ou plusieurs contenus objet du présent contrat, le producteur pourra faire cesser toute commercialisation dudit ou destits contenus (…) ». Il n’est pas établi que la société SARLU East 47th Music, qui est le « producteur » visé par cette disposition, ait fait cesser la commercialisation des contenus numériques visés par cette clause. Il en va de même du contrat du 16 avril 2020 portant sur trois albums de l’artiste [S] qui contient une clause identique.

18. Pour le surplus, la société Kpone Inc Music Groupe reconnaît que les droits dont elle se prévaut pour demander l’interdiction d’exploitation ont été transférés par le contrat du 12 novembre 2018 qui, en l’état des éléments de la cause est toujours en vigueur. S’agissant de l’artiste [S], un contrat ultérieur du 3 février 2022 prévoit que East 47th Music concède pour une période de 10 ans à compter du 1er janvier 2022 « l’exploitation exclusive des enregistrements audio et/ou audiovisuels ». La société Universal Music France n’est donc pas dépourvue du droit d’exploiter.

19. Au regard des faits qui précèdent, la société Kpone Inc Music Group représentée par son gérant, Monsieur [U] [T], demande que le contrat signé par Monsieur [U] [T], gérant de la société East 47th Music, avec Universal Music France, soit réputé inexistant car ce même gérant a, postérieurement, signé deux mandats habilitant East 47th Music à représenter Kpone Inc Music Groupe, pour ensuite révoquer ces mandats, en s’écrivant à lui-même, ès qualités. Cette argumentation ne saurait prospérer avec l’évidence requise en référé.

20. Le trouble manifestement illicite allégué n’est donc pas établi.

21. La demande portant interdiction d’exploiter est rejetée. La demande de provision, fondée sur l’exploitation sans droit est également rejetée.

Sur la demande de communication

22. La demande de communication des redditions de comptes est présentée de façon indistincte au visa de l’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle sans viser spécifiquement l’un des alinéa de l’article 834 ou de l’article 835 du code de procédure civile figurant au visa du dispositif des conclusions en demande.

23. La demande sera donc, à défaut d’autre précision, étudiée sur le fondement du trouble manifestement illicite que la société Kpone Inc Music Group désigne comme fondant son préjudice consécutif à l’exploitation.

24. Ainsi qu’il précède, cette argumentation est écartée.

25. Le trouble manifestement illicite allégué n’est donc pas établi.

Sur les demandes accessoires

26. La société Kpone Inc Music Groupe, partie perdante, est condamnée aux dépens et à payer à la société Universal Music France la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, somme fixée en équité à défaut d’accord des parties sur son montant ou de jusitificatifs.

PAR CES MOTIFS

Nous, juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, par ordonnance publique, réputée contradictoire et en premier ressort,

Disons n’y avoir lieu à référé,

Condamnons la société de droit canadien Kpone Inc Music Groupe à payer à la société SAS Universal Music France la somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons la société de droit canadien Kpone Inc Music Groupe aux dépens.

Fait à Paris le 08 janvier 2024

Le Greffier,Le Président,

Flore MARIGNYMalik CHAPUIS

 


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