Reconduite à la frontière et Données Personnelles : Tribunal administratif de Dijon, REFERE, 18 avril 2023, 2300975
Reconduite à la frontière et Données Personnelles : Tribunal administratif de Dijon, REFERE, 18 avril 2023, 2300975

M. A, ressortissant guinéen né en 2000 et entré irrégulièrement en France à une date indéterminée, s’est présenté le 7 décembre 2022 devant les services de la préfecture de Saône-et-Loire pour solliciter son admission provisoire au séjour afin de saisir l’Office de protection des réfugiés et apatrides d’une demande de protection internationale. Par deux arrêtés du 6 avril 2023, le préfet du Doubs, d’une part, a décidé de remettre l’intéressé aux autorités italiennes et, d’autre part, l’a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A demande l’annulation de ces deux arrêtés.

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Tribunal administratif de Dijon, REFERE, 18 avril 2023, 2300975 Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 avril 2023, M. E A, représenté par Me de Mesnard, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 6 avril 2023 par lequel le préfet du Doubs a décidé de le remettre aux autorités italiennes en vue de l’examen de sa demande d’asile ;

2°) d’annuler l’arrêté du 6 avril 2023 par lequel le préfet du Doubs l’a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;

3°) d’enjoindre au préfet du Doubs de procéder au réexamen de sa situation à compter de la notification du jugement ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A soutient que :

– l’arrêté de transfert est entaché d’un vice d’incompétence et d’une insuffisance de motivation ;

– l’arrêté de transfert est entaché d’une erreur de fait et méconnait les articles 4, 5 et 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

– l’arrêté d’assignation à résidence est entaché d’un vice d’incompétence, d’une insuffisance de motivation et, en outre, est illégal par voie de conséquence de l’illégalité entachant l’arrêté de transfert.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2023, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.

Le préfet soutient que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;

– le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Boissy, président, pour statuer sur les litiges relevant de l’article R. 776-15 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. B,

– les observations de Me de Mesnard, pour M. A, qui a développé oralement un nouveau moyen en faisant valoir que l’arrêté de remise aux autorités italiennes méconnaissait l’article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 du fait de l’instauration par l’Italie d’un  » état d’urgence migratoire  » depuis le 11 avril 2023.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit

:

1. M. A, ressortissant guinéen né en 2000 et entré irrégulièrement en France à une date indéterminée, s’est présenté le 7 décembre 2022 devant les services de la préfecture de Saône-et-Loire pour solliciter son admission provisoire au séjour afin de saisir l’Office de protection des réfugiés et apatrides d’une demande de protection internationale. Par deux arrêtés du 6 avril 2023, le préfet du Doubs, d’une part, a décidé de remettre l’intéressé aux autorités italiennes et, d’autre part, l’a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. A demande l’annulation de ces deux arrêtés.

Sur l’admission à l’aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes du premier alinéa l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :  » Dans les cas d’urgence (), l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d’aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président « .

3. La présente requête présente les caractéristiques de l’urgence prévue par les dispositions citées au point 2. Il y a donc lieu d’admettre, à titre provisoire, M. A au bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l’arrêté de transfert :

4. En premier lieu, par un arrêté n° 25-2023-01-24-00006 du 24 janvier 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Doubs a délégué sa signature à M. Portal, secrétaire général de la préfecture, pour ce qui concerne, notamment, les décisions de transfert des étrangers dont l’examen de la demande d’asile relève de la compétence d’un autre Etat membre de l’Union Européenne et les décisions d’assignation à résidence et, en cas d’absence ou d’empêchement de ce dernier, à Mme D, sous-préfète et directrice du cabinet du préfet du Doubs. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C n’aurait pas été absent ou empêché le 6 avril 2023. Par suite, le moyen tiré de ce que Mme D n’était pas compétente pour signer l’arrêté de transfert en litige manque en fait et doit être écarté.

5. En deuxième lieu, l’arrêté attaqué, qui comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, n’a pas méconnu l’exigence de motivation mentionnée à l’article L. 572-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

6. En troisième lieu, aux termes de l’article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :  » Droit à l’information / 1. Dès qu’une demande de protection internationale est introduite au sens de l’article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l’application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d’une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d’un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l’Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu’une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n’est pas fondée sur ces critères ; / c) de l’entretien individuel en vertu de l’article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d’exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l’existence du droit d’accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l’objet d’un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l’article 35 examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. () / 3. La Commission rédige, au moyen d’actes d’exécution, une brochure commune (), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. () La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres () « . Le modèle de cette brochure commune figure sous l’annexe X au règlement n° 118/2014 du 30 janvier 2014.

7. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de Saône-et-Loire a remis à M. A, le 7 décembre 2022, la brochure commune en langue française, en l’absence de brochures rédigées en langue maninke par la commission Européenne, qui lui a été traduite par l’intermédiaire d’un interprète, qu’un entretien individuel avec l’intéressé a été conduit, le même jour, avec un agent qualifié de la préfecture du Doubs et s’est déroulé avec l’assistance d’un interprète en langue maninke et qu’à l’issue de cet entretien M. A en a signé un résumé. Les moyens tirés de la violation des articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent par suite être écartés.

8. En quatrième lieu, aux termes de l’article 23 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 :  » 1. Lorsqu’un État membre auprès duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (« hit »), en vertu de l’article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) no 603/2013. / () 4. Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l’aide d’un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de la personne concernée, qui permettent aux autorités de l’État membre requis de vérifier s’il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement () « .

9. Il ressort des pièces du dossier que le préfet du Doubs justifie avoir saisi les autorités italiennes d’une requête aux fins de reprise en charge de la demande de protection internationale de M. A, le 9 décembre 2022, soit moins de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac, le 7 décembre 2022, et que les autorités italiennes ont accepté implicitement cette reprise en charge le 10 février 2023. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 23 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 doit par suite être écarté. Le préfet du Doubs n’a pas davantage entaché l’arrêté de transfert d’une erreur de fait à ce titre.

10. En dernier lieu, aux termes de l’article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :  » 1. Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (). / 2. L’État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l’État membre responsable, ou l’État membre responsable, peut à tout moment, avant qu’une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n’est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit « .

11. Il ne ressort ni des pièces du dossier ni de l’instauration d’un  » état d’urgence migratoire  » en Italie que le préfet du Doubs, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire de l’article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait en l’espèce commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation. Le moyen tiré de la violation de l’article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit par suite être écarté.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l’arrêté d’assignation à résidence :

12. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui ont été énoncés au point 4, le moyen tiré de ce que Mme D n’était pas compétente pour signer l’arrêté d’assignation à résidence en litige manque en fait et doit être écarté.

13. En deuxième lieu, l’arrêté attaqué, qui comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, n’a pas méconnu l’exigence de motivation mentionnée à l’article L. 732-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

14. En dernier lieu, l’arrêté de transfert n’étant pas entaché d’illégalité, le moyen invoqué par la voie de l’exception à l’encontre de l’arrêté d’assignation à résidence, tiré de l’illégalité de cet arrêté, doit être écarté.

15. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation présentées par M. A doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

16. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d’annulation présentées par M. A, n’implique, par lui-même, aucune mesure d’exécution. Par suite, les conclusions à fin d’injonction présentées par le requérant doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions combinées du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, une quelconque somme au bénéfice du conseil de M. A au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : M. A est admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : La requête de M. A est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. E A, au préfet du Doubs et à Me de Mesnard.

Une copie de ce jugement sera transmise, pour information, au ministre de l’intérieur et des outre-mer, au préfet de la Côte-d’Or et au bureau d’aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Dijon.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2023

Le magistrat désigné,

L. BLa greffière,

L. Lelong

La République mande et ordonne au préfet du Doubs, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

Le greffier  


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