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7 septembre 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/02892
N° RG 21/02892 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I2ST
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 07 SEPTEMBRE 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 18 Juin 2021
APPELANTE :
Madame [D] [H] épouse [C]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Gontrand CHERRIER de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Société ARIS
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Agathe LOEVENBRUCK de la SCP SAGON LOEVENBRUCK LESIEUR, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 31 Mai 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 31 Mai 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 07 Septembre 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 07 Septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société Aris (la société ou l’employeur) est spécialisée dans le secteur d’activité des travaux d’isolation. Elle emploie 300 salariés et applique la convention collective nationale de ETAM du bâtiment.
Mme [C] (la salariée) a été embauchée par la société dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée à compter du 7 juillet 2016 en qualité d’assistante comptable puis, à compter du 13 avril 2017, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée exerçait les fonctions d’assistante comptable.
A compter du 5 novembre 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail.
Par courrier recommandé en date du 2 mai 2019, la salariée a informé son employeur de son état de grossesse lui précisant que son congé maternité est prévu du 4 juillet au 24 octobre 2019.
Mme [C] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 15 mai 2019 par lettre du 29 avril précédent puis licenciée pour faute grave par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 20 mai 2019 motivée comme suit:
‘ Suivant courrier en date du 29 avril 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable le 15 mai 2019.
Par courrier du 9 mai 2019, reçu le 13 mai 2019, vous nous adressiez un certificat de votre psychiatre estimant que votre état de santé ne vous permettait pas de vous rendre sur votre lieu de travail pendant toute la durée de votre arrêt de travail.
Ainsi, vous ne vous êtes pas présentée lors de cet entretien.
Le 6 mars 2019, une réunion extraordinaire du CHSCT a constitué une commission d’enquête à la suite de dénonciation de faits susceptibles d’être constitutifs de harcèlement moral de votre part, cela résultant d’auditions réalisées dans le cadre d’une enquête CHSCT réalisée à la suite d’une réclamation de votre part.
Une enquête interne a été menée selon les modalités définies par la commission d’enquête, afin d’étudier les faits susceptibles d’être constitutifs d’un harcèlement de votre part sur Madame [F].
Un certain nombre de personnes appartenant ou rattachées aux services des intéressés a été entendu:
[Y] [B]: ouvrier
[N] [J]: comptable
[L] [V]: assistante RH
[R] [A]: assistante comptable
[P] [S]: technicienne paie
[Y] [X]: responsable régional
[T] [Z]: directeur administratif et financier
Le CHSCT à l’issue de cette enquête lors d’une réunion extraordinaire du 19 avril 2018, demandait à la direction de prendre expressément les mesures nécessaires pour préserver la santé physique et mentale des collaborateurs, et notamment de Madame [F] en grande souffrance sous les agissements répétés ayant conduit à une altération de son état de santé.
Les faits découverts lors de cette enquête et dont nous vous avons tenu informée sont les suivants :
1- Attitude irrespectueuse et harcelante:
– Les témoins entendus faisaient part d’une attitude méprisante de votre part sur votre collègue de travail [M] [F]:
*Appels téléphoniques plusieurs fois par jour pour lui demander des pointages avec insistance
*Surveillance de ses horaires de travail: avec appels téléphoniques pour savoir si elle était là, régulièrement les matins pour savoir si elle était bien là.
*Dénigrement et humiliations auprès des autres en disant qu’elle ne faisait pas ses heures, qu’elle ne faisait rien
*Ton irrespectueux au téléphone, pression pour avoir les pointages
*Attitude hystérique lorsque Madame [F] n’était pas là
* Insultes sur Madame [L] ‘ta gueule’ à 2 reprises
– Madame [F] a elle-même expliqué:
Depuis son arrivée dans l’entreprise, elle a subi de votre part une surveillance extrême tant de son travail, que de ses horaires de travail.
Ainsi, vous prétendiez qu’elle ne faisait pas ses heures et qu’elle ne respectait pas ses horaires de travail jusqu’à dénoncer des choses fausses.
Vous descendiez à son étage plusieurs fois par jour, et vous l’appeliez plusieurs fois par jour pour savoir où elle en était de son travail en la menaçant:
‘Ca ne va pas se passer comme ça, je vais voir avec Monsieur [T]’
Le 25 mai 2018, alors que son supérieur hiérarchique lui avait donné sa journée, vous êtes descendue dans son service, vous énervant et en disant:
‘Quand on n’est pas d’équerre, on ne prend pas sa journée’.
Ces attitudes récurrentes et harcelantes ont conduit Madame [F] dans un état de stress permanent avec des crises d’angoisse’
Ainsi les témoignages indiquent:
‘Elle avait des blocages respiratoires, nous sommes allés plusieurs fois aux urgences à ce sujet.’
‘ Je ne montais plus au 2ème étage pour dire bonjour’
‘On avait l’impression qu'[D] avait la main mise sur [M]’
‘ [M] expliquait être en dépression, qu’elle ne voulait plus venir au travail’
‘ Ca donnait l’impression qu'[D] était obsédée par les horaires d'[M]’
Ainsi, Madame [F] s’est isolée, ne venait plus à la cantine, a pris du poids et malgré une procréation médicalement assistée, n’a pu tomber enceinte malgré un traitement pendant plus d’un an.
2- Prise de position hiérarchique anormale
Aux termes de votre contrat de travail, vos fonctions sont Assistante Comptable.
Madame [F] quant à elle est Assistante Administrative.
Vous n’avez aucun lien hiérarchique avec Madame [F].
Madame [F] dépend de Monsieur [X] [Y] son supérieur hiérarchique.
Or, il apparaît que vous avez effectué un suivi extrêmement précis des erreurs d’un certain nombre de vos collègues de travail sur lesquels vous n’aviez aucun lien hiérarchique, et alors que cela ne ressort pas de vos fonctions, et que personne ne vous en a chargé. Ainsi, vous avez effectué un relevé extrêmement précis des erreurs de [S] [P], cela résulte même de votre témoignage du 4 mars 2019 où vous en faites part. Vous étiez obsédée par le travail des autres et par la surveillances des tâches accomplies, et en particulier de [S] [P] et [V] [L]. Ainsi, vous n’hésitiez pas à leur faire des remarques et critiques sur leur travail comme en témoigne Madame [F] mais aussi Madame [L] dans son audition du 27 mars 2019 et [S] [P] 28 janvier 2019 et 29 mars 2019. Ce qu’à nouveau, vous confirmez vous-même dans votre témoignage du 4 mars 2019:
‘Je lui ai reproché ses nombreuses erreurs’.
Cette attitude était encore plus prononcée sur Madame [F] car vous contrôliez son travail, vous contrôliez ses horaires, vous aviez un sentiment de supériorité en lui parlant sur un ton irrespectueux et en lui donnant des ordres. Vous-même témoignez agir comme sa responsable hiérarchique:
‘J’ai demandé à [M] [F] d’arriver à 8 heures au lieu de 7heures30, je devais justifier auprès de Constructys ses horaires et ses lieux de présence.’
Ainsi, vous adoptiez une position hiérarchique de supériorité sans aucune légitimité, n’hésitant pas à user de pressions en impliquant votre directeur et en proférant des menaces:
‘Ca ne va pas se passer comme ça. Je vais voir avec Monsieur [T]’
Ceci est d’ailleurs confirmé par votre témoignage du 11 avril 2019.
Vous n’hésitiez pas à donner des ordres ce qui ne ressort pas de vos attributions. ( Témoignage [M] [F] du 15 mars 2019, et [X] [Y] du 5 avril 2019).
3- Rupture de confidentialité et mensonges
* Certains salariés nous ont alerté sur le fait que vous n’hésitiez pas à ne pas respecter votre obligation contractuelle de confidentialité.
Votre contrat prévoit à ce titre une clause de confidentialité et devoir de réserve. Or, vous avez révélé le montant de primes de salariés que vous gériez comme en a témoigné Madame [P] le 28 janvier 2019.
* Vous avez souhaité révélé des faits et pour appuyer votre version, vous n’avez pas hésité à mentir lors d’une enquête, en prétendant qu’un fichier existerait contre vous alors qu’en réalité, ce fichier a été modifié par vos soins lors de votre dernier jour de travail avant votre arrêt le 2 novembre, et ce dans le but de confectionner une preuve contre votre collègue de travail et la faire sanctionner.
Les membres du CHSCT ont pu aller vérifier dans le disque dur C de [S] [P] ,et dans votre disque dur C. Ainsi, les membres du CHSCT ont constaté l’absence totale de fichier dans le disque dur C de [S] [P]. Or, s’il avait été ouvert et modifié récemment, les fichiers d’historique de la session de [S] [P] l’aurait fait apparaître.
En revanche, les membres du CHSCT n’ont pu que constater que ce fichier EXCEL ‘plannings 2018″ dont les propriétés indiquent que c’est bien le fichier recherché, créé par [S] [P] le 8 février 2018 et dont vous aviez fourni la capture d’écran, apparaissait comme ayant été modifié le 2 novembre 2018 par vos soins.
Ainsi, vous avez pu le modifier à votre guise, alors que vous indiquiez que celui-ci était inaccessible et ce, dans le but manifeste de l’utiliser comme preuve pour asseoir vos dénonciations.
C’est dans ces conditions qu’il a été constaté que vous avez menti et tronqué des preuves afin d’influencer et d’éventuellement conduire à des sanctions contre vos collègues de travail.
En résumé, votre attitude récurrente a conduit à mettre en danger la santé physique et mentale de Madame [F] mais également de toute l’équipe qui subissait ces pressions et surveillances incessantes.
Nous devons par respect de notre obligation de sécurité, mettre tout en oeuvre pour veiller à la santé de nos salariés.
En outre, vos obligations contractuelles n’ont pas été respectées dès lors que vous vous êtes octroyée des droits et une prise de position hiérarchique qui ne vous appartiennent pas, n’hésitant pas à violer votre obligation de confidentialité liée à votre poste sensible, et même à mentir.
L’ensemble de ces faits qui ont été révélés de façon claire à la suite de la confirmation par des auditions réalisées entre le 25 mars et le 15 avril, à la demande de la commission d’enquête du CHSCT du 6 mars, sont absolument inacceptables.
Ces agissements révèlent une exécution défaillante de votre contrat de travail et des règles élémentaires de travail en équipe.
En conséquence, au regard des manquements constatés et devant la gravité de ceux-ci, nous vous notifions par la présente, votre licenciement pour faute grave. (…)’
Invoquant l’existence d’un harcèlement moral, contestant la licéité et subsidiairement la légitimité de son licenciement et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail, Mme [C] a saisi le 1er octobre 2019 le conseil de prud’hommes du Havre.
Par jugement du 18 juin 2021, rendu en formation de départage, le conseil de prud’hommes du Havre a :
– débouté la salariée de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,
– dit nul le licenciement de la salariée,
– condamné la société Aris à verser à Mme [C] les sommes suivantes :
19 600 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
1 388,33 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
4 900 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 490 euros au titre des congés payés afférents,
100 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’effectuer un entretien professionnel tous les 2 ans,
– dit que les créances salariés produisent intérêts de retard au taux légal à compter du 2 octobre 2019 et les créances de nature indemnitaire à compter de la mise à disposition du jugement,
– débouté la salariée de ses demandes au titre de la majoration des heures RTT réglées sur son solde de tout compte, au titre du rappel de salaire en lien avec l’application du salaire brut de base et le coefficient F, au titre des repos compensateurs, au titre du manquement à l’obligation de sécurité de résultat, au titre du travail dissimulé, au titre de la modification du certificat de travail et de l’attestation Pôle Emploi,
– condamné la société aux dépens,
– condamné la société à verser à la salariée une indemnité de procédure de 1 500 euros,
– fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de la salariée à la somme de 2 065,85 euros,
– débouté les parties du surplus de leurs demandes.
Mme [C] a interjeté appel le 13 juillet 2021 à l’encontre de cette décision qui lui a été régulièrement notifiée.
La société a constitué avocat par voie électronique le 26 juillet 2021.
La salariée a constitué nouvel avocat le 25 janvier 2023.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 5 mai 2023, la salariée appelante, sollicite:
– la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société à lui verser :
19 600 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
1 388,33 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
4 900 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 490 euros au titre des congés payés afférents,
100 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’effectuer un entretien professionnel tous les 2 ans,
1 500 euros à titre d’indemnité de procédure,
– l’infirmation de la décision entreprise pour le surplus, demandant à la cour de statuer à nouveau et de :
– constater l’existence d’un harcèlement moral et d’une altération de ses conditions de travail et condamner la société à lui verser la somme de 29 600 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamner la société à lui verser un rappel de salaire eu égard à l’application du salaire brut conventionnel et le coefficient F attribué à hauteur de 4 176 euros outre 417,60 euros au titre des congés payés afférents,
– condamner la société à lui verser une indemnisation à hauteur de 400 euros à titre de compensation du non-respect de l’octroi de repos complémentaires pour dépassement du contingent annuel,
– condamner la société à lui verser la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat,
– condamner la société à lui verser la somme de 16 236 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
– ordonner la communication de l’arrêt à intervenir au Parquet,
– condamner la société à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société aux dépens.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 13 décembre 2021, la société intimée, appelante incidente, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part :
– la confirmation de la décision déférée en ce qu’elle a débouté la salariée de sa demande au titre du harcèlement moral, de ses demandes au titre de la majoration des heures RTT réglées sur son solde de tout compte, au titre du rappel de salaire en lien avec l’application du salaire brut de base et le coefficient F, au titre des repos compensateurs, au titre du manquement à l’obligation de sécurité de résultat, au titre du travail dissimulé, au titre de la modification du certificat de travail et de l’attestation Pôle Emploi,
– son infirmation pour le surplus, demandant à la cour de statuer à nouveau et de débouter la salariée de l’ensemble de ses prétentions, de la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture en date du 11 mai 2023 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 31 mai 2023.
Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la demande de rappel de salaire au titre du salaire conventionnel
La salariée, qui indique bénéficier d’un coefficient F, soutient avoir été rémunérée à hauteur de 2 042 euros pour 151,67 heures soit en deçà du salaire minimum conventionnel et sollicite pour la période comprise entre juillet 2016 et le 31 décembre 2017 un rappel à hauteur de salaire à hauteur de 4 146 euros.
L’employeur constate que la salariée ne justifie pas de ses prétentions tant sur son coefficient que sur les salaires versés. Il indique que la salariée n’a jamais signé d’avenant à son contrat de travail actant son passage du coefficient E à F, que ses bulletins de salaire sont entachés d’une erreur de rédaction, précisant que ceux-ci étaient établis à cette époque par sa mère, Mme [H].
Enfin, l’employeur conteste le montant du salaire brut effectivement perçu par la salariée indiquant que dès octobre 2016 soit 3 mois après son embauche elle été augmentée par Mme [H] et percevait 2 057 euros, que de nouveau 3 mois après, à compter de janvier 2017, elle a perçu 2071,40 euros puis, à compter de janvier 2018, 2 450 euros.
Sur ce ;
Le contrat de travail de la salariée conclu le 7 juillet 2016 mentionne qu’elle est embauchée en qualité d’assistante comptable échelon E pour un salaire brut mensuel de 2 042 euros.
Il n’est pas justifié de l’existence d’un avenant modifiant la classification de la salariée.
L’ensemble des bulletins de salaire de l’appelante mentionne un échelon F étant observé que ceux relatifs à la période comprise entre juillet et octobre 2016 font état d’un salaire mensuel brut de 2042 euros.
La simple mention sur le bulletin de paie d’un coefficient qui a valeur informative et non contractuelle est insuffisante à elle seule à caractériser une volonté claire et non équivoque de l’employeur de surclasser le salarié dès lors que la rémunération correspondante n’est pas versée.
La qualification professionnelle d’un salarié se détermine selon les fonctions réellement et concrètement exercées.
Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.
En l’espèce, la salariée ne produisant pas d’éléments tendant à établir qu’elle relevait de la classification F, il y a lieu de la débouter de sa demande de rappel de salaire.
Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.
2/ Sur la demande au titre du non-respect de l’octroi de repos complémentaires
La salariée soutient avoir dépassé le contingent d’heures supplémentaires de 265 heures prévues par la convention collective pour l’année 2017 en ce qu’elle indique avoir effectué 7 heures supplémentaires hors contingent. Elle indique que la société n’a organisé aucune contrepartie en repos pour ces heures et revendique en conséquence le versement d’une indemnité à titre de compensation à hauteur de 400 euros.
L’employeur indique que la convention collective fixe en son article 4.1.2 à 265 heures par an le contingent d’heures supplémentaires, précisant que ce contingent est augmenté de 35 heures par an pour les salariés dont l’horaire n’est pas annualisé.
Il soutient qu’en 2017, la salariée a effectué 247 heures supplémentaires, de sorte qu’elle n’a pas dépassé le contingent fixé.
En outre, à supposer retenu le nombre de 272 heures supplémentaires effectuées par la salariée, il considère que le contingent pouvait être porté à 300 heures puisque la salariée n’était pas annualisée.
Sur ce ;
L’article 4.1.2 de la convention collective des ETAM du bâtiment, dont l’application n’est pas contestée par les parties dispose que la durée légale du travail des ETAM du bâtiment est de 35 heures par semaine.
Les entreprises peuvent utiliser pendant l’année civile un contingent d’heures supplémentaires, dans la limite de 265 heures par salarié.
Ce contingent est augmenté de 35 heures par an et par salarié pour les salariés dont l’horaire n’est pas annualisé.
Les heures supplémentaires sont majorées conformément aux dispositions légales, réglementaires et conventionnelles en vigueur.
En l’espèce, la salariée qui soutient avoir effectué 272 heures supplémentaires en 2017 ne justifie pas de ses calculs, ne verse pas aux débats d’éléments tendant à étayer ses allégations.
La cour constate qu’elle ne forme aucune demande au titre des heures supplémentaires et qu’il ressort de la lecture de ses bulletins de paie qu’elle a effectué, sur l’année 2017, 247 heures supplémentaires, de sorte qu’elle n’a pas dépassé le contingent annuel fixé par la convention collective.
Par confirmation du jugement entrepris, la salariée doit être déboutée de sa demande.
3/ Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation d’organiser un entretien professionnel tous les 2 ans
La salariée, qui rappelle les dispositions de l’article L 6315-1 alinéa 1 du code du travail, indique qu’elle n’a pas bénéficié d’entretien professionnel, ce dont il résulte qu’elle a été victime d’un préjudice qui doit être indemnisé par l’employeur par le versement de la somme de 1 000 euros.
L’employeur constate que la salariée produit elle-même des justificatifs de l’ensemble des formations suivies depuis son embauche soit 63 heures de formation entre le 5 octobre 2017 et le 19 juin 2018, ce dont il s’évince que malgré l’absence d’entretien elle pouvait faire part de ses besoins de formation.
En outre, il indique qu’un entretien devait être organisé en janvier 2019 mais qu’il ne s’est pas tenu en raison de l’arrêt de travail de travail de la salariée.
Enfin, il rappelle qu’il n’existe pas de préjudice de principe et que la salariée ne justifie d’aucun préjudice.
Sur ce ;
En application des dispositions légales, il appartient à l’employeur d’organiser un entretien professionnel a minima tous les deux ans.
Il n’est pas contesté que la salariée n’a pas bénéficié d’entretien professionnel dans les deux années suivant son embauche.
Toutefois l’absence d’organisation d’un entretien professionnel, telle que mise en évidence en l’espèce, ne cause pas nécessairement un préjudice au salarié. Il appartient à celui-ci, lorsqu’il en demande réparation, d’en démontrer la réalité comme l’ampleur .
Il y a de relever à cet égard que l’appelante ne justifie d’aucun préjudice effectif résultant de l’absence d’entretien professionnel.
Mme [C], défaillante dans l’administration de la preuve qui lui incombe, sera déboutée de la demande indemnitaire qu’elle forme au titre du manquement de l’employeur à son obligation d’organisation d’un entretien professionnel.
Il convient, par conséquent, d’infirmer le jugement entrepris sur ce point.
4/ Sur la demande au titre du manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité constitué par la tolérance du travail pendant les congés
La salariée soutient avoir régulièrement travaillé pendant ses congés, que ce soit au cours de ses arrêts de travail pour maladie ou à l’occasion de ses congés payés. Elle verse aux débats des échanges de textos.
Elle considère que l’employeur a commis une faute contractuelle en ayant toléré le travail à domicile pendant ses congés, qu’il a manqué à son obligation de sécurité, qu’il lui a causé un préjudice qui doit être indemnisé par l’octroi de 8 000 euros de dommages et intérêts.
L’employeur conclut au débouté de la demande. Il considère que les éléments produits par l’appelante sont insuffisants pour démontrer qu’elle a travaillé à domicile pendant ses congés. Il indique qu’il n’y a pas eu de prestation de travail effectuée à sa demande.
Sur ce ;
Il résulte de l’article L. 4121-1 du code du travail que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, lesquelles comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
En cas de litige, il incombe à l’employeur de justifier avoir pris des mesures suffisantes pour s’acquitter de son obligation et s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2, il peut s’en déduire une absence de manquement à son obligation.
Au soutien de ses allégations, la salariée verse aux débats un tableau EXCEL portant mention de ses présences/absences au sein de la société ainsi que des échanges de textos avec M. [T] sur des périodes au cours desquelles elle était en congé.
Il ressort de la lecture de ces messages que l’employeur a parfois sollicité la salariée au cours de ses périodes de congé afin qu’elle effectue des tâches professionnelles.
L’employeur ne peut légitimement soutenir qu’il n’avait pas conscience du fait que la salariée continuait à travailler en ce que le 7 novembre 2018 il lui adresse le message suivant: ‘OK merci pour votre implication. Mais par contre je répète ‘officiellement’ maintenant vous arrêtez de travailler chez vous vous prenez de la distance avec ARIS ( je suis votre seul contact) et vous vous reposez’.
Les échanges de textos entre la salariée et M. [T] attestent d’un réel travail à domicile effectué par la salariée au cours de ses périodes de congé.
Il s’évince de ces éléments que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne permettant pas à la salariée de bénéficier d’un repos total, le droit à la santé et au repos étant un droit à valeur constitutionnelle.
En conséquence, par infirmation du jugement entrepris, il sera accordé à la salariée une indemnité à hauteur de 2 000 euros.
5/ Sur la demande au titre du travail dissimulé
En application de l’article L8221-5 du code du travail est réputé travail dissimulé le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L1221-10 du code du travail relatif à la déclaration préalable à l’embauche ou à l’article L3243-2 du code du travail relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail.
Ainsi, la dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce, s’il a été précédemment jugé que la salariée a fourni une prestation de travail pendant certaines périodes de ses congés, la cour relève qu’à plusieurs reprises l’employeur lui a demandé de cesser de travailler.
Le fait que l’employeur ait sommé la salariée de restituer le matériel et les documents de l’entreprise ne permet pas d’établir qu’a contrario elle aurait été contrainte de travailler. L’échange très ponctuel et limité de SMS avec la salariée au cours de ses périodes de congés est insuffisant à caractériser une intention de dissimulation telle que nécessité par l’infraction de travail dissimulé.
Faute pour la salariée de justifier d’éléments permettant de caractériser l’élément intentionnel de l’infraction, elle doit être déboutée de sa demande de ce chef.
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
6/ Sur le harcèlement moral et l’altération des conditions de travail
Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.
L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
La deuxième partie de ce texte présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu’il n’est pas offert à l’employeur de les contester mais seulement de démontrer qu’ils étaient justifiés.
Dès lors qu’ils peuvent être mis en rapport avec une dégradation des conditions de travail, les certificats médicaux produits par la salariée figurent au nombre des éléments à prendre en considération pour apprécier l’existence d’une situation de harcèlement laquelle doit être appréciée globalement au regard de l’ensemble des éléments susceptibles de la caractériser.
Mme [C] soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de deux de ses collègues, Mmes [P] et [L].
Elle indique que celles-ci portaient des accusations infondées à son encontre, qu’elles effectuaient des plaisanteries cruelles et grivoises à son égard, notamment en lien avec son traitement de procréation médicalement assistée, qu’elles ont proféré des accusations diffamatoires notamment en lien avec la falsification des bulletins de salaire.
Elle reproche à Mme [P] d’avoir élaboré un tableau Excel visant à noter l’intégralité de ses absences, de ses arrivées tardives, de ses départs anticipés.
Elle indique avoir signalé à plusieurs reprises à sa hiérarchie ces comportements, avoir déposé une main courante auprès de la gendarmerie le 31 octobre 2018.
La salariée affirme que son employeur, conscient de la situation, n’a pris aucune mesure pour y remédier.
Elle justifie de la dégradation de son état de santé par la production de certificats médicaux faisant état de l’existence d’un syndrome dépressif.
Elle expose que devant l’inertie de l’employeur elle a, par courrier du 9 janvier 2019, saisit l’inspection du travail ; que cette dernière a demandé à la société de se prononcer quant aux moyens mis en oeuvre pour la protéger ; qu’ainsi l’employeur a mandaté le CHSCT qui a diligenté une enquête.
Au soutien de ses allégations, la salariée verse aux débats :
– la copie de la déclaration de main courante effectuée le 31 octobre 2018,
– le courrier adressé à MM. [E] et [T] le 5 novembre 2018 les remerciant de l’avoir reçue en entretien pour évoquer les médisances de deux de ses collègues Mme [P] et [L], reprenant les propos de M. [T] qui lui a indiqué de ‘serrer les dents’, ‘d’attendre son entretien annuel’, qui évoque les plaisanteries grivoises et cruelles dont elle est victime ainsi que les dénonciations calomnieuses,
– le courrier en réponse de la société du 27 novembre 2018 qui reconnaît avoir été informée de l’existence de médisances de la part de ses deux collègues, de l’existence d’un tableau Excel, qui reconnaît l’existence d’une légère erreur de sa part sur une imputation de tickets restaurants qui a été interprétée de manière erronée par Mmes [P] et [L], qui indique qu’une rencontre avec ces dernières a eu lieu, qui lui demande de restituer son matériel afin de se reposer pendant ses congés, qui met en place un ‘plan en 3 phases’ pour remédier aux difficultés rencontrées,
– des échanges de textos avec M. [T] aux fins d’établir qu’il lui demande de ‘prendre du recul sur la situation’,
– des éléments médicaux faisant état de la dégradation de son état de santé, ses arrêts de travail et notamment un certificat médical initial d’arrêt de travail pour accident du travail du 1er novembre 2018 mentionnant ‘harcèlement au travail avec état d’épuisement, idées négatives et suicidaires, suivi psychologique en cours..’,
– une déclaration d’accident du travail effectuée par ses soins le 9 janvier 2019,
– un courrier en date du 9 janvier 2019 adressé à son employeur aux termes duquel elle lui annonce son état de grossesse, revient sur les faits reprochés, indique que le tableau Excel a subitement disparu suite à la convocation de Mme [P] par M. [T],
– le courrier de l’employeur du 29 janvier 2019 l’informant de la saisine du CHSCT,
– la copie de son audition écrite (20 pages) communiquée au CHSCT lors de l’enquête diligentée,
– les comptes-rendus des enquêtes diligentées par le CHSCT,
– la copie du tableau Excel incriminé,
– la copie de l’enquête diligentée par la caisse primaire d’assurance maladie à la suite de sa déclaration d’accident du travail,
– des attestations aux fins d’établir la réalité de ses compétences professionnelles,
– la copie de courriers adressés à son employeur,
– la copie des courriers adressés à la CNIL concernant la tenue d’un fichier illégal ainsi que la réponse de celle-ci,
– le procès-verbal de constat d’huissier du 2 juin 2020 retranscrivant des conversations téléphoniques en date des 1er novembre 2018 et 3 mai 2019 entre la salariée et le SAMU d’une part et la mère de la salariée et le SAMU d’autre part,
– le procès-verbal de constat d’huissier du 11 mai 2020 relatif à l’exploitation d’une clé USB contenant le tableau Excel et indiquant que le fichier comporte comme auteur ‘[S] [P]’,
– des tableaux élaborés par ses soins reprenant point par point les éléments du dossier.
Ces éléments établissent ainsi suffisamment des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l’employeur se doit d’établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
En réponse, l’employeur indique avoir immédiatement réagi lorsqu’il a été informé des difficultés relationnelles existant entre la salariée et ses collègues et constate que dès novembre 2018, Mme [C] l’a remercié pour son écoute.
Il observe que si l’appelante a été placée en arrêt de travail à compter du 5 novembre 2018, elle n’a jamais été déclarée inapte contrairement à ses allégations et conteste les affirmations de celle-ci consistant à soutenir qu’il aurait ‘monté un dossier de licenciement de toutes pièces’ pour éviter une procédure de licenciement pour inaptitude.
Il conteste la valeur probante des attestations établies par la mère de la salariée, Mme [H], au regard de son passif avec la société, de son attitude de victimisation.
La société soutient avoir pris en temps utile les mesures adaptées, considère que la salariée s’inscrit dans une spirale de victimisation prétendant qu’elle était épiée et espionnée à la demande de M. [E] sans l’établir.
Concernant le tableau Excel incriminé l’employeur soutient qu’aucun élément ne démontre que son existence aurait été portée à sa connaissance avant octobre 2018. Il indique que la CPAM a refusé le 11 avril 2019 de prendre en charge l’accident déclaré par la salariée au titre de la législation sur les risques professionnels au motif que la salariée ne travaillait pas le 1er novembre 2018 et observe qu’à la suite de ce courrier, la salariée a, le 13 mai 2019, formé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle qui n’a pas été reconnue selon décision de la caisse du 6 mars 2020.
En dernier lieu, l’employeur précise que Mme [C] a déposé plainte à l’encontre de Mmes [P], [F] et [L] pour harcèlement moral et que cette plainte a été classée sans suite le 20 octobre 2021 pour infraction insuffisamment caractérisée.
Au soutien de ses allégations, la société verse aux débats les éléments relatifs à l’enquête diligentée par le CHSCT et notamment les auditions de salariés.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que les pièces produites par l’employeur sont insuffisantes à contester utilement les pièces versées aux débats par la salariée faisant état de la dégradation de ses conditions de travail en raison de comportements inadaptés de ses collègues.
Il résulte en effet des pièces communiquées par l’appelante que dès octobre 2018 elle signale à son employeur l’existence de fortes tensions avec deux collègues et la découverte d’un tableau Excel recensant ses temps de présence, d’absence, de travail.
Si un doute apparaît exister concernant l’auteur de ce tableau, le constat d’huissier produit par la salariée établi que Mme [P] a procédé à des modifications sur celui-ci.
En tout état de cause, l’employeur ne justifie pas des mesures prises relatives à ce tableau alors qu’il est établi qu’il en a eu connaissance en octobre 2018.
Si la société justifie avoir reçu les protagonistes en novembre 2018, il ne ressort pas des éléments produits que ces mesures aient été suffisantes, l’employeur indiquant par voie de textos à la salariée le 9 novembre 2018 qu’il est nécessaire qu’elle ‘prenne de la distance avec Aris’.
La cour constate que l’enquête interne confiée au CHSCT n’a été mise en oeuvre qu’à la suite de l’intervention de l’inspection du travail auprès de la société en janvier 2019.
Si cette enquête a conclu à l’absence de harcèlement moral à l’encontre de la salariée mais à la mise en cause de Mme [C] comme auteur de harcèlement moral, la cour constate d’une part que le fait que la salariée puisse être mise en cause par une de ses collègues ne s’oppose pas à ce qu’elle même puisse être victime et, d’autre part, que les propos de la salariée concernant les difficultés relationnelles avec ses collègues sont constants, circonstanciés et réitérés.
Au regard de ces éléments, par infirmation du jugement entrepris, il est désormais jugé que la salariée a été victime de harcèlement moral.
Il sera fait droit à sa demande indemnitaire à hauteur de la somme mentionnée au présent dispositif.
7/ Sur le licenciement
La salariée conteste la matérialité des faits reprochés.
Elle remet en cause les conclusions de l’enquête diligentée par le CHSCT soutenant que de nombreux mensonges ont été retenus par ce dernier.
Concernant le tableau Excel dont il est fait état, elle conteste formellement en être l’auteur, verse aux débats un procès verbal d’huissier aux fins d’établir que ce document a été créé par Mme [P] aux fins de surveiller ses temps de présence le 8 février 2018 alors qu’elle était absente, qu’il a été porté à sa connaissance en octobre 2018, qu’elle en a signalé l’existence à son employeur à cette date. Elle remet en cause la pertinence des démarches effectuées par le CHSCT afin d’en identifier l’auteur et conteste tout mensonge à ce sujet.
La salariée réfute les allégations de Mme [F] ainsi que la nature des propos qui lui sont prêtés.
Elle indique que son contrat de travail mentionnait qu’elle pourrait être appelée à seconder la directrice pour la gestion du personnel administratif et considère qu’aucun élément ne permet d’établir qu’elle a pris une position anormale à l’égard de l’équipe.
La salariée conteste également les griefs retenus au titre de la rupture de confidentialité.
Elle considère que l’employeur a élaboré une procédure de licenciement de ‘toutes pièces’, rappelle qu’elle était en état de grossesse au jour de son congédiement, de sorte que le licenciement prononcé est entaché de nullité.
L’employeur précise que la salariée l’a informé de son état de grossesse le 9 janvier 2019 mais qu’il n’a été destinataire du certificat médical de grossesse que le 2 mai 2019, que le congé était prévu du 4 juillet au 24 octobre 2019, de sorte que le licenciement pour faute grave a été prononcé sans lien avec son état de grossesse; qu’il n’y a pas lieu à application des dispositions de l’article L 1225-4 du code du travail qui ne concernent que la période du congé maternité et non la période le précédant.
L’employeur soutient le licenciement pour faute grave justifié au regard des faits reprochés à la salariée qui sont établis par l’enquête diligentée par le CHSCT.
Sur ce ;
La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d’autres griefs que ceux qu’elle énonce.
La faute grave s’entend d’une faute d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.
L’article L 1225-4 du code du travail dispose qu’aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.
Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
En l’espèce, la société produit le compte rendu de l’enquête réalisée par le CHSCT concernant le comportement inadapté de la salariée à l’encontre de certaines de ses collègues et plus particulièrement de Mme [F], enquête réalisée dans la continuité de celle diligentée à la suite de la plainte de la salariée.
Il ressort de cette enquête, des auditions réalisées que Mme [C] a fait preuve d’un réel acharnement à l’encontre de Mme [F] se matérialisant par des appels incessants, un contrôle excessif de son temps de travail, des pressions régulières, l’usage d’un ton inadapté et un positionnement hiérarchique anormal.
Mme [F] expose qu’elle était beaucoup surveillée, que l’appelante demandait aux autres ce qu’elle faisait, qu’elle devait lui rendre des comptes quant à ses horaires, qu’elle était ‘fliquée’, qu’elle subissait une telle pression qu’elle s’était progressivement isolée. Elle indique que Mme [C], dès qu’elle n’avait pas ce qu’elle voulait, la menaçait d’aller voir ses supérieurs, qu’elle se ‘prenait pour sa chef’, lui faisait des réflexions inadaptées, remettait sans cesse son travail en question. Elle relate qu’à une reprise elle l’a vue s’énerver, taper du poing sur la table, se taper la tête avec la main.
Mme [F] indique qu’elle faisait des crises d’angoisse, qu’elle avait ‘la boule au ventre’.
Il résulte des auditions réalisées qu’un certain nombre de collègues a constaté l’utilisation par l’appelante d’un ton discourtois envers Mme [F]. Ainsi, Mme [G] indique lors de son audition que Mme [C] ‘parlait mal’ aux gens et qu’elle avait également été victime à titre personnel de ce ton déplacé.
Mme [K] relate une altercation avec Mme [C] qui a quitté le bureau en furie pour aller voire M. [T] en hurlant et pleurant et l’avoir entendu dire une fois à Mme [F] ‘ta gueule’.
Mme [N] évoque l’existence de nombreux appels passés à Mme [F], l’insistance de Mme [C] à son égard, la colère de cette dernière concernant la différence des horaires de Mme [F] par rapport aux autres collègues.
Mme [L] indique que Mme [F] s’est progressivement isolée, qu’elle ne descendait plus manger, qu’elle restait enfermée dans son bureau, qu’elle ne venait la voir que lorsque Mme [C] était absente. Elle confirme que cette dernière tenait des propos négatifs aux autres collègues concernant Mme [F] au sujet de ses horaires, de la qualité de son travail et indique l’avoir entendue à plusieurs reprises mal parler à Mme [F].
Mme [R], assistante comptable confirme ce témoignage.
M. [Y] évoque l’existence d’un sentiment de supériorité de la salariée à l’égard de Mme [F].
M. [T] confirme qu’à plusieurs reprises Mme [C], qui n’était pas le manager de Mme [F], se plaignait que cette dernière ne faisait pas ses heures de travail. Il indique avoir demandé à la salariée de ne plus se mêler de cela.
Le CHSCT, lors de la réunion extraordinaire du 19 avril 2019, a conclu qu’au vu des éléments d’information portés à sa connaissance, il était impossible que Mme [C] puisse continuer à exercer ses fonctions au sein de l’entreprise, que son attitude était très anxiogène à l’endroit de Mme [F] mais aussi pour l’ensemble de l’équipe et a demandé à la direction de prendre les mesures nécessaires pour préserver la santé physique et mentale des collaborateurs et notamment de Mme [F] en grand souffrance, dont l’état de santé était altéré.
Ces conclusions ne sont pas utilement remises en cause par la salariée.
Le fait que Mme [C] ait pu elle-même être victime d’agissements inadaptés de la part de certaines de ses collègues ne peut justifier son comportement à l’encontre de certains collègues et notamment de Mme [F].
En conséquence, sans qu’il y ait lieu de s’attacher aux autres griefs invoqués dans la lettre de notification de la rupture, au regard de la gravité des faits reprochés à la salariée dans sa relation avec Mme [F], la cour juge désormais que son licenciement pour faute grave est justifié, son maintien dans l’entreprise étant impossible.
Le jugement entrepris est infirmé de ce chef.
La salariée doit par conséquent être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime ainsi que de ses prétentions relatives aux indemnités de rupture.
8/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions conservera la charge de ses frais irrépétibles et de ses dépens pour l’ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 18 juin 2021 en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes au titre du rappel de salaire conventionnel, du non-respect de l’octroi de repos complémentaire pour dépassement du contingent annuel, du travail dissimulé ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:
Dit que Mme [D] [C] a été victime de harcèlement moral ;
Juge légitime le licenciement pour faute grave de Mme [D] [C] ;
Condamne la société Aris à verser à Mme [D] [C] les sommes suivantes :
2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du manquement à l’obligation de sécurité,
3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Déboute Mme [D] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation d’organiser un entretien professionnel ;
Déboute Mme [D] [C] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement illicite, d’indemnité de préavis et congés payés, d’indemnité de licenciement ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure ;
Rejette toute autre demande ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente