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Le salarié qui reproche à son ancien employeur d’avoir persisté à utiliser son nom et son statut sur les plaquettes commerciales de l’entreprise, postérieurement à son licenciement, la rectification étant intervenue plus de six mois après la rupture effective de son contrat de travail, ne peut être indemnisé s’il ne caractérise ni l’existence ni l’étendue du préjudice qui en est résulté pour lui.
6 juillet 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/02515
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 8
ARRET DU 06 JUILLET 2023
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02515 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDKZO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F18/06738
APPELANT
Monsieur [K] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Jocelyne SKORNICKI LASSERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0671
INTIMÉE
S.C.A. ODDO BHF SCA
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente, rédactrice
Madame Nicolette GUILLAUME, présidente
Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 1er octobre 1982, M. [K] [V] a été engagé en qualité d’attaché clientèle par contrat à durée indéterminée, par la société Fauchier Magnan, devenue en 1994 la société NFMDA, aux droits de laquelle se présente aujourd’hui la société Oddo BHF, établissement financier dont l’activité tend au développement d’une expertise des marchés financiers afin de proposer des produits d’investissement performants à ses clients.
Cette activité est réglementée et soumise aux règles imposées par l’Autorité de Régulation des Marchés Financiers Français (L’ARMFF), autrefois dénommée la Commission des Opérations de Bourses.
La relation de travail avec M. [V] était régie par la convention collective nationale des Marchés Financiers.
Le 29 mars 2018, le salarié était convoqué à un entretien préalable, dispensé d’activité, mais rémunéré et le 25 avril suivant, il était licencié pour faute et dispensé de l’exécution de son préavis.
A ce stade, il occupait le poste de ‘Conseiller en investissement’ au sein de l’équipe ‘Gestion Conseillée’ et percevait un salaire mensuel de 7 442 euros brut outre des primes de 13ème mois et de résultats.
Contestant le bien fondé de son la rupture de son contrat de travail, et estimant que son employeur restait lui devoir diverses sommes, M. [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 11 septembre 2018 pour faire valoir ses droits.
Par jugement du 12 février 2021, notifié aux parties le 18 février 2021, cette juridiction a:
– dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Oddo Bhf a verser à M. [V] :
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
– 6 719,79 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné au défendeur de mettre à disposition du demandeur les documents sociaux quérables conformes, le bulletin de paye et certificat de travail, en ce y compris l’attestation Pôle Emploi correspondante, cette décision étant exécutoire à titre provisoire conformément à l’article R1454-28 du code du travail,
– débouté M. [K] [V] du surplus de ses demandes,
– débouté la société Oddo Bhf de ses demandes et la condamne aux entiers dépens.
Par déclaration du 8 mars 2021, M. [V] a interjeté appel.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 20 mars 2023, M. [V] demande à la cour :
– de confirmer la décision du conseil de prud’hommes
– en ce qu’il a condamné la société Oddo à lui verser les sommes de :
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral avec intérêt au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement
– 6 719,79 euros à titre d’indemnité légale de licenciement avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation
– 1 500 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile,
– en ce qu’il a débouté la société Oddo de ses demandes et l’a condamnée aux entiers dépens,
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, – d’ infirmer le jugement en ce qu’il déboute M. [V] du surplus de ses demandes,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
– de rejeter des débats la pièce adverse n°9 constituée par le procès-verbal de constat d’huissier des 12 et 25 octobre 2018 ,
– de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– de condamner la société Oddo Bhf à lui payer 212 740 euros au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,
– de débouter la société Oddo de toutes ses demandes fin et conclusions,
– d’assortir la condamnation du taux d’intérêt légal à partir de la date de saisine du conseil de prud’hommes,
– de condamner la société Oddo Bhf à payer à M. [K] [V] la somme de 4 500 euros au titre du l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 21 mars 2023, la société Oddo Bhf demande au contraire à la cour :
– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– jugé que le licenciement de M. [K] [V] était fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– débouté M. [K] [V] du surplus de ses demandes,
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– condamné la société Oddo Bhf à verser à M. [K] [V]
– 5 000 euros à titre de dommages-et-intérêts pour préjudice moral,
– 6719,79 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté la société Oddo Bhf de ses demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Oddo Bhf aux entiers dépens,
Et, statuant à nouveau :
– débouter M. [V] de l’ensemble de ses fins, demandes et conclusions;
A titre reconventionnel,
– d’ordonner la restitution par M. [V] à la Société de la somme de 6 041,09 euros réglée le 7 juin 2021,
– de condamner M. [V] à lui verser 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner M. [V] aux entiers dépens de la présente instance.
– de dire que ceux d’appel seront recouvrés par Maître Audrey Hinoux, société Lexaoue Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 mars 2023 et l’ affaire a été appelée à l’audience du 6 avril 2023 pour y être examinée.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.
MOTIFS
I- sur la demande de rejet de la pièce N° 9.
La pièce dont il est demandé le rejet est un procès verbal d’huissier établi les 12 et 15 octobre 2018, portant retranscription d’écoutes téléphoniques et dont M. [V] soutient qu’il a été établi sans respect des textes applicables ni de ses droits.
De l’article 11 de l’ordonnance N° 2016-827 du 23 juin 2016 relative aux marchés financiers, portant transposition de la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014, modifiant l’article L. 533-10 -I-5°et II-6 du Code Monétaire et Financier dans sa rédaction applicable à l’espèce, il résulte que les sociétés de gestion de portefeuille et les prestataires de services d’investissement autres que les société de gestion de portefeuille conservent un enregistrement de tout service qu’ils fournissent et de toute transaction qu’ils effectuent permettant à l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’exercer ses missions de surveillance et de contrôler le respect par les sociétés et/ou les prestataires de toutes leurs obligations professionnelles, à l’égard de leurs clients ou clients potentiels.
Sur cette base le règlement général AMF impose en ses articles 321-70 et suivants en vigueur au 3 janvier 2018, et dont se réclame la société Oddo BSF, aux acteurs du marché financier, de conserver les enregistrements des écoutes téléphoniques, au moins six mois dans la limite de cinq ans.
S’agissant de l’existence des enregistrements et de leur durée de conservation, ces dispositions étaient jusqu’au 3 janvier 2018 codifiées sous l’article 313-52 du règlement général de l’AMF.
Pour soutenir sa demande de rejet de la pièce N° 9, M. [V] relève en premier lieu que la durée de conservation des enregistrements des conversations téléphoniques litigieuses dépasse les six mois autorisés, l’huissier ayant dressé procès verbal de la retranscription des écoutes les 12 et 15 octobre 2018, soit plus de huit mois après les conversations téléphoniques en cause, le constat de l’officier ministériel faisant lui même référence aux dispositions de l’article 5 de la convention de compte-titres signée entre le client et la société Oddo le 7 mai 2014 aux termes desquelles ‘le client consent expressément à ce que notamment lorsqu’il choisit de passser un ordre par téléphone ses conversations téléphoniques avec Oddo fassent l’ojet d’un enregistrement et d’un archivage pendant une durée de 6 mois en application de l’art.313-52 du réglement général de l’AMF ce qu’il autorise expressément’.
Cependant, outre que le salarié se prévaut ainsi des dispositions d’une convention régissant les rapports entre la société Oddo et son client et à laquelle il n’était pas partie, l’article 321-70 précité permet une conservation des données dans la limite de cinq ans.
De plus, l’article 5 1.e du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) autorise la conservation des données à caractère personnel ‘pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées’ et l’article 17 ainsi que le considérant 65 de ce même règlement précisent que le droit à l’effacement des données peut être obtenu lorsque les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, la conservation ultérieure des données étant licite lorsqu’elle est nécessaire à la constatation, à l’exercice ou à la défense de droits en justice.
Or depuis le 6 août 2018, et la réception de la lettre recommandée adressée à l’employeur par le conseil du salarié, la société Oddo BHF avait été informée que l’intéressé envisageait une action judiciaire de nature à remettre en cause le licenciement dont il avait fait l’objet le 25 avril 2018 et dont l’un des motifs était la réalisation d’une opération financière dans le cadre d’une prestation de conseil sans respect des règles fondamentales de la profession de prudence et de diligence, la conservation de l’enregistrement litigieux à des fins probatoire étant justifiée et rien ne permettant de caractériser une durée de conservation excédant celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles les données ont été traitées, alors que le temps de la prescription de l’action prud’homale n’était pas écoulé, l’huissier ayant d’ailleurs été requis dès après la réception de la lettre précitée le 6 août précédent (pièce N° 40 de l’employeur).
En deuxième lieu, M. [V] estime que la procédure de demande d’écoute mise en place au sein de la société Oddo BHS n’a pas été respectée dès lors que le service dit de ‘la compliance’ en la personne de M. [U], n’a été consulté et n’a donné son accord, que sur les enregistrements des de conversations survenues du 18 janvier au 31 janvier 2018 alors que la retranscription par l’huissier intègre des enregistrements concernant des échanges tenus jusqu’au 7 février suivant.
Il souligne en outre que le délai de cinq minutes mis par la personne consultée pour répondre positivement à la demande d’écoute ne permet pas de considérer qu’une étude sur la légitimité de la demande a été effectivement menée.
Cependant, la réalité de la consultation et de l’accord du service ad hoc n’est pas contestée, s’agissant des enregistrements des conversations tenues sur la période du 18 janvier au 31 janvier 2018, la procédure à laquelle M. [V] renvoie devant être considérée comme ayant été respectée, alors qu’aucun délai minimum d’examen de la requête n’est imposé et que la preuve d’absence d’étude sur la légitimité de la demande ne résulte pas du seul constat du caractère presque immédiat de la réponse donnée.
Si les conversations tenues au delà du 31 janvier 2018 pour lesquelles aucune autorisation préalable n’est produite ne peuvent être retenues, cette circonstance ne justifie pas l’exclusion de l’ensemble des données du constat dressé les 12 et 15 octobre 2018, seules les transcriptions des échanges du 7 février, écoutées et conservées en dehors de la procédure précitée devant être écartées des débats.
Enfin, M. [V] relève que la retranscription par l’huissier de ses conversations est intervenue plus de huit mois après qu’elles ont été tenues et n’a pas été faite contradictoirement, soulignant également qu’il n’a reçu aucune convocation pour les écouter à l’issue de l’autorisation donnée par le service ‘compliance’ pour le faire.
Cependant, il n’apporte pas la démonstration qu’une convocation devait lui être adressée sous une forme spécifique alors que des échanges de courriers électroniques du 8 février 2018 produits en pièce N° 8 par la société Oddo, et ayant pour objet ‘ demande d’écoute de bandes urgente’, il résulte en revanche qu’il était informé à 13h36 de ce que les bandes de ses conversations avec un client donné faisaient l’objet d’une demande d’autorisation d’écoute pour laquelle il recevait en copie l’accord à 13h41, lui même indiquant à 14h44 qu’il voulait participer à l’écoute pour laquelle il était informé qu’elle ne pouvait intervenir qu’à partir de 15h30.
De plus, aucun élément ne permet de remettre en cause les affirmations contenues dans le courrier électronique du 28 février 2018, écrit par M. [U] peu après la réalisation de l’écoute et en tout cas, avant le déclenchement de la procédure de licenciement, selon lesquelles dans le cadre de la demande urgente d’écoute, bien que lui ayant proposé de l’accompagner puisqu’il avait manifesté la volonté d’y participer et malgré le rendez vous fixé pour ce faire à son bureau, l’intéressé ne s’y est pas présenté, l’écoute ayant eu lieu sans lui mais aussi sans qu’il ait protesté à ce sujet ni le jour même ni dans les jours qui suivirent.
Ce d’autant qu’il est admis que le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que, dans le cadre d’une enquête interne destinée à vérifier la véracité d’agissements, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies, dès lors que la décision que l’employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent être, comme M. [V] le fait dans le cadre du présent litige, ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement.
Pour la même raison, le fait que M. [V] n’ait pas assisté à la retranscription des bandes enregistrées opérée par l’huissier les 12 et 15 octobre 2018 ne peut il être considéré comme déterminant sur la valeur du constat établi et produit, le fait que cette restranscription ait été faite huit mois après les échanges téléphoniques et que le constat ait été signé plus de deux mois après ne pouvant davantage être retenu comme pouvant conduire à l’irrecevabilité de ce moyen de preuve.
La combinaison de ces éléments conduit la cour à exclure des débats les éléments du constat d’huissier établi les 12 et 15 octobre 2018, dans la limite des faits relatifs au 7 février 2018.
II- sur le bien fondé du licenciement.
De l’article L 1232-1 il résulte que le licenciement pour cause personnelle doit être motivé par une cause réelle et sérieuse et en vertu de l’article L. 1235-1 du Code du Travail le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur forme sa conviction aux vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d’instruction qu’il estime utile, le doute subsistant alors devant profiter au salarié.
Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement, n’incombe-t-elle pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
La société Oddo BHF ne conteste pas avoir considéré que les faits retenus à l’appui de la décision de rupture avaient un caractère fautif.
Cependant l’employeur n’a pas qualifié ces faits de faute grave et la lettre de licenciement dont les termes fixent les limites du litige annonce un licenciement pour cause réelle et sérieuse, informant de ce fait le salarié qu’il est dispensé de l’exécution de son préavis.
Ainsi les dispositions précitées doivent s’appliquer et non celles mettant à la seule charge de l’employeur le soin de prouver les faits fautifs.
Au premier chef, , la société Oddo BHF reproche à M [V] de s’être ‘affranchi du respect des règles fondamentales de la profession et exposé ainsi la société à des risques notamment financiers et prudentiels’.
Ce grief concerne une opération financière ‘SRD’ réalisée par M [V] fin janvier 2018, par l’intermédiaire d’un outil Ullink, sur des titres CGG, au bénéfice de son client, M [B], auquel il a donné une prestation de conseil bien que ce dernier n’ait pas signé de convention permettant de lui fournir un tel service.
M. [V] soutient en premier lieu que même sans une convention impliquant une prestation de conseil, le profil de ce client lui permettait d’utiliser la gestion directe ou la gestion conseillée.
Or, la mission de conseil exigeait en application de l’article 325-4 du réglement AMF, lui même issu de la directive MIFID 2 (Markets in Financial Instruments Directive) entrée en application en janvier 2018, la signature d’une convention de conseil ou lettre de mission, ce dont M [V] a eu connaissance dès lors qu’il ne conteste pas avoir bénéficié de l’information sur les nouvelles dispositions, organisée par son employeur les 17, 20 et 24 octobre 2017, telle qu’elle ressort de la page 19 du document émis à cette occasion.
De plus, M [B] avait opté pour une prestation en ‘gestion libre’ (autrement dénommée RTO pour réception transmission d’ordre), ce que démontre le document intitulé ‘évaluation profil Investisseur partie II-comptes’, signé par l’intéressé le 16 janvier 2018 et dans lequel il précise à l’article 5 vouloir ‘être autonome’ et mettre en place un service du type ‘gestion libre’.
Contrairement à ce que soutient M [V], ce choix excluait toute prestation de conseil dès lors que la rubrique ‘bénéficier d’un conseil d’expert-convention de conseil’ n’a pas été cochée par M.[B] lequel n’a fait référence à l’existence d’une ‘gestion conseillée’ que dans la partie I- de ce même document correspondant à la description des conditions dans lesquelles avaient été réalisées les transactions passées.
Or de la retranscription des conversations téléphoniques (pièce N° 9 de l’employeur), il résulte que M.[V] a fourni à M. [B] une prestation de conseil (cf notamment 24 janvier 2018 Pages 9 et 10), lui précisant par exemple ‘la vente à découvert le problème c’est que tu as du déport de 60%. Ça va te coûter 60% du prix. Non tu peux pas.
Non le seul truc que tu peux faire c’est acheter des droits pour souscrire (…) Tu peux pas faire mieux. Je pense que t’as fait le max. T’as tiré le max à court terme de ce que tu peux faire sur ce dossier. (…)’), les échanges qui précèdent ou qui suivent révélant que M. [V] répond à plusieurs questions de M [B] et l’oriente sur les choix à opérer, celui retranscrit page 7 du constat démontrant en outre que le salarié avait conscience de fournir un conseil sans y être habilité (‘ je suis pas trop habilité à te donner de conseil maintenant mais dans l’absolu, c’est plutôt le sens(…)’.
La société ODDO BHF reproche également au salarié d’avoir fourni une prestation de conseil dans le cadre d’un ‘Service à Règlement Différé ‘SRD’ sur des titres CGG pourtant exclus d’une telle opération.
Le document Euronext provenant de la Bourse de [Localité 3] précise que le SRD est un service de vente à découvert qui s’analyse en un mécanisme permettant aux investisseurs d’initier une position longue (acheteuse) ou courte (vendeuse) sur une liste de valeurs éligibles en ne s’acquittant que d’une partie de la valeur de la position, l’intermédiaire financier (en l’espèce la société OBBO BHF se chargeant de financer la position de l’investisseur jusqu’à la fin du mois (pièce N° 17 de l’employeur).
Ce même document spécifie que les valeurs cotées à la Bourse de [Localité 3] peuvent être éligibles soit au SRD , soit au SRD Long seulement selon deux groupes de critères, l’indication du groupe d’appartenance étant annoncée par les notices d’Euronex ou ETA et également publiées par les intermédiaires financiers qui le souhaitent.
Le fait que les titres CGG n’étaient éligibles qu’ au SRD long, résulte du document annuel de la société CGG et du document Euronext que l’employeur produit en pièce N° 37 dont le salarié ne prétend pas qu’il ne pouvait en avoir connaissance en sa qualité de conseiller en Investissement, doté d’une grande expérience.
Lors de la formation dispensée en octobre 2017, les salariés ont été informés du changement d’outil et de la nécessité du passage d’ordre sur le site Lutèce ‘afin d’appliquer les contrôles MIFID 2″ (p.19 de la pièce N° 16 de l’employeur).
Or la retranscription des échanges téléphoniques (page 12, quatrième écoute du 29 janvier 2018 ou page 16 troisième écoute du 30 janvier 2018 ), révèle qu’ayant des difficultés à passer l’opération par le biais d’un outil, le salarié explique passer l’ordre sur un autre outil, précisant à son client qu’il a ‘vendu 10 000 CGG à 3,22 sur Ullink’ ou qu’il faut qu’il ‘passe par un autre outil, (…) J’essaie par un autre outil’ ou encore qu’il ‘regarde s'[il peut] le faire par l’outil classique parce que je suis supposé passer par ce truc là(…) Je vais passer par Ullink (…)’. .
Il doit être ainsi constaté que M. [V] a contourné la difficulté à laquelle il se heurtait s’agissant d’une opération SRD sur des titres CGG non ouverts à ce type de transaction, en procédant par le biais de l’outil ULLINK dont il avait eu connaissance en octobre 2017 qu’il ne permettait pas les contrôles exigés par la législation issue de la directive MIFID 2 et qu’il ne devait plus être utilisé, seul l’outil LUTECE étant préconisé.
Le salarié soutient aussi qu’ayant consulté les services du contrôle interne sur la faisabilité de l’opération litigieuse, seul ce service doit être considéré comme responsable du non respect des dispositions légales applicables.
Cependant de son propre compte rendu de l’historique des événements tel qu’il l’adresse à M [W] le 9 février 2018, il ne résulte pas qu’il ait effectivement procédé à une telle consultation alors qu’il souligne dans ce document ne pas ‘avoir évoqué le problème de la non information aux services backs et front office de faire reporter les actions CGG’ , mention figurant dans la pièce N° 21 de l’employeur et ne figurant pas dans la même pièce communiquée sous le N° 13 par le salarié.
De plus, de ce même compte rendu dont il est l’auteur, il résulte qu’il n’a interrogé MM [R] et [J], que sur la date de livraison des titres CGG, ce qui ne permet pas de considérer qu’il a ainsi saisi le contrôle interne de la régularité de l’opération qu’il a projetée, ce que les retranscriptions des écoutes téléphoniques contribuent à confirmer.
Ainsi le premier grief retenu par l’employeur dans la lettre de licenciement doit-il être considéré comme établi.
Par ailleurs, la société reproche également au salarié d’avoir adopté un comportement irrespectueux vis à vis des clients.
La lettre de licenciement rappelle que si le salarié doit, depuis le 1er janvier 2018, conclure une convention de conseil avec ses clients, cela ne l’exonère pas de s’adresser à eux de manière bienveillante et ne justifie pas qu’il refuse de répondre à des clients historiques en les laissant démunis face aux aléas du marché, sans leur transmettre une copie de la convention à signer.
A l’appui de ce grief, la société verse aux débats des courriers électroniques du 13 février 2018 dont il résulte que l’une de ses clientes habituelles , puisqu’elle le tutoie et évoque sans être contestée une relation commerciale de plus de dix ans, s’est adressée à M. [V] à 14h51 pour déplorer le fait de se retrouver sans interlocuteur à raison de la nécessité de la signature préalable d’une convention qui ne lui a pas été adressée.
Le mécontentement de la cliente est établi par les observations que cette dernière formule auprès de Mme [P] le 13 février 2018 à 17h13, à laquelle M [V] avait transféré à 15h11, la réclamation relative à l’envoi d’une convention à signer.
Ces échanges démontrent l’absence de toute explication fournie à la cliente en cause, ce que stigmatise la lettre de licenciement qui ne fait pas grief au salarié, contrairement à ce qu’il soutient, de ne pas avoir donné de conseil sans avoir préalablement fait signer la convention prévue.
Ce comportement coïncide avec les éléments relevés par le supérieur hiérarchique de M. [V], M.[W], dont le mail d’alerte du 14 mars 2018, relativement à un comportement inapproprié du salarié, ne peut être considéré de ce fait comme, étant de pure circonstance.
Le deuxième grief est donc également établi.
Il n’en n’est pas de même s’agissant du troisième grief tenant au dénigrement et à la dévalorisation du travail des équipes avec lesquelles il collabore, dès lors que les seules déclarations de son supérieur hiérachique sur ce point ne sont pas circonstanciées et consiste en des affirmations générales non autrement étayées.
Pour autant, les deux premières fautes étant établies, le licenciement prononcé pour les sanctionner doit être considéré comme fondé sur cette cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris devant être confirmé de ce chef.
III- sur l’indemnité de licenciement.
Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié,
– soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédent le licenciement,
– soit le tiers des trois derniers mois.
Les primes exceptionnelles entrent dans l’assiette de calcul dès lors qu’elles sont contractuellement prévues si seul leur montant est variable et discrétionnaire.
La convention collective applicable prévoit que l’indemnité de licenciement est calculée sur la moyenne des appointements fixes bruts perçus par l’intéressé au cours des douze derniers mois.
L’indemnité de licenciement est égale à un demi-mois par année d’ancienneté. Elle est plafonnée à 12 mois’.
Le contrat de travail de M [V] stipule en son article 5 que :
‘La rémunération mensuelle brute (…) S’établira à 14 650 francs, soit un salaire annuel de 190 450 francs.
Le treizième mois sera versé au mois de décembre.
Une prime de fin d’année pourra être versée selon l’appréciation de votre hiérarchie et en fonction de vos performances’.
M [V] inclut dans le calcul de l’assiette une prime exceptionnelle lliée à l’activité versée le 30 novembre 2017, une prime liée à l’activité avec période de rattachement: 24 000 euros le 28 février 2018 et une prime liée au rachat des jours RTT avec période de rattachement: 1 657,71 euros.
S’agissant de la prime de rachat de RTT , elle ne constitue pas un appointement au sens de l’article 59-2 de la convention collective applicable et ci-dessus rappelé.
La prime liée à l’activité versée le 30 novembre 2017 est qualifiée d’exceptionnelle par le salarié lui même et les termes du contrat de travail confirment le caractère aléatoire dès lors qu’il fait référence à une simple possibilité de versement, lequel est donc discrétionnaire au même titre que le montant, aucun élément de fixité du versement d’une telle prime ne pouvant être tiré des montants versés successivement en novembre 2017 et en février 2018.
Il en est de même de la prime versée en février 2018, que M [V] ne caractérise pas d’exceptionnelle mais dont les éléments versés aux débats ne permettent pas de lui donner un caractère de fixité.
Le jugement doit donc être également infirmé sur ce point et M.[V] débouté de la demande formée de ce chef.
IV- sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Le salarié soutient qu’il a subi un préjudice du fait du comportement de la société, laquelle l’a menacé par courriers des 13 août et 8 octobre 2018 d’actions civiles et pénale en l’accusant de concurrence déloyale pour avoir détourné une partie de la clientèle à l’occasion de son embauche dans une entreprise concurrente.
Cependant, les lettres que le salarié produit aux débats ne peuvent être considérées comme constituant des menaces susceptibles d’engendrer un préjudice indemnisable, dès lors qu’elles s’analysent en des mises en demeure d’avoir à cesser tout comportement susceptible de s’analyser en une concurrence déloyale, la société n’excédant pas ses droits en formulant par voie recommandée de telles injonctions.
M [V] reproche également à son ancien employeur d’avoir persisté à utiliser son nom et son statut dès lors qu’il apparaît encore comme conseiller boursier sur les documents de la société postérieurement à son licenciement, la rectification n’étant intervenue que le 12 novembre 2018 soit plus de six mois après la rupture effective de son contrat de travail.
Cependant, l’intéressé ne caractérise ni l’existence ni l’étendue du préjudice qui en est résulté pour lui.
Quant au dénigrement qu’il attache aux termes du courrier adressé à la société Bourse Direct le 9 mai 2019 par un cabinet d’avocat se présentant comme conseil de la société Oddo BHF, il ne peut être retenu alors que s’il est fait allusion dans ce courrier au départ de M. [V] et à celui concomitant de plusieurs clients dans des conditions estimées comme étant contestables, le salarié dont il n’est pas prétendu qu’il serait devenu salarié de la société destinataire de la mise en demeure, n’est pas personnellement mis en cause comme commettant des actes déloyaux voire de nature à recevoir une qualification pénale.
Faute de faits constitutifs d’une faute et de préjudice moral établi pour la persistance de l’usage de son nom , la demande formée de ce chef doit être rejetée, le jugement devant être infirmé de ce chef.
IV- Sur les autres demandes,
L’infirmation du jugement valant titre de remboursement des sommes versées en exécution de cette décision, il n’y a pas lieu d’en ordonner la restitution.
Malgré l’issue du litige, il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel.
Le ministère d’avocat n’étant pas obligatoire en l’espèce, il n’y a pas lieu à application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, les demandes formées de ce chef devant être rejetées.
PAR CES MOTIFS
la Cour,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a:
– dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,
– rejeté les demandes afférentes,
INFIRME le jugement entrepris pour le surplus, et statuant à nouveau,
REJETTE l’ensemble des demandes formées par M. [V] contre la société Oddo BHF,
Y ajoutant,
LAISSE à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles engagés en première instance et en cause d’appel,
CONDAMNE M. [V] aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE