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17 août 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
20/02664
MHD/LD
ARRET N° 482
N° RG 20/02664
N° Portalis DBV5-V-B7E-GD34
[U]
C/
ASSOCIATION GESTION ECOLE AGRICULTURE LES ETABLIERES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 17 AOÛT 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 septembre 2020 rendu par le Conseil de Prud’hommes de LA ROCHE-SUR-YON
APPELANT :
Monsieur [L] [U]
né le 20 Juillet 1984 à [Localité 5] (62)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plaidant Me Pascaline MELINON membre de KMBM Avocats, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
ASSOCIATION GESTION ECOLE AGRICULTURE
LES ETABLIERES
N° SIRET : 786 446 914
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
Et ayant pour avocat plaidant Me Mélanie GRELLIER-DRAPEAU, substituée par Me Kévin HUET, tous deux de la Société d’Avocats FIDAL, avocats au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Mai 2023, en audience publique, devant :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseillère
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, que l’arrêt serait rendu le 13 juillet 2023. A cette date le délibéré a été prorogé au 17 août 2023.
– Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente en remplacement de Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, légitimement empêché et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par contrat de mission intérimaire se déroulant du 4 août au 5 septembre 2017 et qui s’est poursuivi en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 26 janvier 2018, l’association des Etablières – connue également sous la dénomination Agropolis, qui notamment gère des résidences accueillant sur le département de la Vendée une trentaine de mineurs non accompagnés – a engagé Monsieur [L] [U] d’abord pour effectuer une mission d’animateur puis pour occuper le poste de veilleur de nuit.
Le 24 juillet 2018, le salarié a reçu en main propre une convocation pour un entretien fixé au 17 août 2018 assortie d’une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat.
Par courrier recommandé du 23 août 2018 dont il a accusé réception le 25 août 2018, son employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave.
Par lettre recommandée envoyée le 26 août 2019 et réceptionnée par le greffe le 28 août 2019, Monsieur [U] a saisi le conseil de prud’hommes de La Roche-Sur-Yon aux fins de contester son licenciement et d’obtenir les indemnités subséquentes outre diverses sommes.
Par jugement du 21 septembre 2020, le conseil de prud’hommes a :
– dit que la saisine de Monsieur [U] est prescrite,
– déclaré la demande de Monsieur [U] irrecevable,
– débouté Monsieur [U] de sa demande formée en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté l’association l’école des Etablières de sa demande reconventionnelle formée en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Monsieur [U] aux dépens.
Par déclaration en date du 14 novembre 2020, enregistrée le 20 novembre suivant, Monsieur [U] a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt avant dire droit du 8 décembre 2022, la cour d’appel de Poitiers a :
– confirmé le jugement prononcé le 21 septembre 2020 par le conseil de prud’hommes de La Roche-Sur-Yon en ce qu’il a déclaré prescrite l’action engagée par Monsieur [U] afférente à la rupture de son contrat de travail et a débouté les parties de leur demande respective formée en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– infirmé pour le surplus,
– rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action engagée par Monsieur [U] du chef de l’exécution de son contrat de travail,
– déclaré recevable l’action engagée par Monsieur [U] du chef de l’exécution de son contrat de travail,
– ordonné le renvoi de l’affaire à la mise en état afin que les parties concluent au fond sur les demandes éventuelles présentées par Monsieur [U] au titre de l’exécution de son contrat de travail selon le calendrier de procédure suivant :
conclusions de l’appelant : 18 janvier 2023,
conclusions responsives de l’intimée : 21 février 2023,
réponses éventuelles : 7 mars 2023,
– sursis à statuer sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
***
L’ordonnance de clôture est intervenue le 24 avril 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions du 18 janvier 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Monsieur [L] [U] demande à la cour de :
– déclarer qu’il est recevable et bien fondé en ses demandes,
– déclarer que le dispositif de vidéo-surveillance mis en place par l’association Ecole les Etablières le filmant sur son poste de travail 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 est illicite,
– déclarer que les preuves obtenues au moyen du dispositif de vidéo-surveillance mis en place par l’association Ecole les Etablières le filmant sur son poste de travail 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sont irrecevables,
– déclarer que l’association Ecole les Etablières n’a pas exécuté le contrat de bonne foi en dissimulant pendant toute l’exécution du contrat de travail les droits acquis au titre de son repos compensateur,
– déclarer que l’association Ecole les Etablières n’a pas exécuté le contrat de bonne foi en refusant de l’informer de son temps de pause durant le planning,
– déclarer que ‘l’association Ecole les Etablières, que la mise à pied conservatoire est disproportionnée eu égard aux faits subséquemment reprochés et que le motif de la mise à pied conservatoire n’est pas en lien avec une faute prétendument commise par lui'(sic),
– annuler la mise à pied conservatoire et condamner l’association Ecole les Etablières à lui verser la somme au titre de rappel de salaire correspondant à cette période d’un montant de 1504,30 € et les congés payés y afférent,
– déclarer que l’association Ecole les Etablières a manqué à son obligation générale de sécurité en s’abstenant de prendre toutes les mesures de protections nécessaires lorsque le risque d’agression par les résidents MNA a été identifié et que les agressions se sont matérialisées,
– déclarer que l’association Ecole les Etablières a manqué à son obligation particulière de sécurité en s’abstenant de lui fournir en sa qualité de travailleur isolé une ‘protection travailleur isolé’ (PTI),
– condamner l’association Ecole les Etablières à lui verser les sommes suivantes :
° 15 000 € au titre du manquement à l’obligation de sécurité caractérisée par l’exposition aux risques d’agressions et des agressions répétées sur le lieu de travail,
° 15 000 € sur le motif discriminatoire du licenciement caractérisé par la sanction d’avoir effectué une ‘prière musulmane’,
° 5 000 € au titre du système de vidéo-surveillance illicite 24h/24h et 7 jours sur 7 filmant en permanence sur son lieu de travail,
° 2 000 € au titre de l’absence de planning,
° 2 000 € au titre de l’inexécution du contrat de bonne foi par l’employeur en sus des conditions vexatoires dans lesquelles s’est déroulée la mise à pied conservatoire,
– condamner l’association Ecole les Etablières au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par conclusions du 21 février 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, l’Association Gestion Ecole agriculture les Etablières demande à la cour de :
* sur le manquement à l’obligation de sécurité,
– à titre principal,
– juger qu’aucun manquement de sa part ne saurait être caractérisé,
– juger que Monsieur [U] ne rapporte nullement la preuve du prétendu préjudice qu’il dit avoir subi,
– débouter Monsieur [U] de sa demande de dommages intérêts à hauteur de la somme de 15 000 €,
* à titre subsidiaire,
– si la Cour venait à considérer qu’elle avait manqué à son obligation de sécurité et que Monsieur [U] avait personnellement subi un préjudice, elle ne pourrait que ramener ses demandes indemnitaires à de plus justes proportions,
* sur le motif discriminatoire du licenciement,
– à titre principal,
– juger prescrite la demande de Monsieur [U] comme se rattachant nécessairement à la rupture de son contrat de travail et le débouter de sa demande de dommages intérêts à hauteur de la somme de 15 000 €,
– à titre subsidiaire,
– juger irrecevable la demande de Monsieur [U], la cour ayant déjà statué sur l’absence de discrimination et le débouter de sa demande de dommages intérêts à hauteur de la somme de 15 000 €,
– à titre infiniment subsidiaire,
– juger qu’aucune discrimination n’est caractérisée et débouter Monsieur [U] de sa demande de dommages intérêts à hauteur de la somme de 15 000 €,
* Sur les images de vidéo-surveillance,
– à titre principal,
– juger que le poste de travail de Monsieur [U] n’était pas irrégulièrement filmé, ni qu’il faisait l’objet d’une surveillance permanente, et le débouter de sa demande de dommages intérêts à ce titre,
– à titre subsidiaire,
– juger que Monsieur [U] n’allègue aucun préjudice distinct de celui relatif à la rupture de son contrat de travail et le débouter de sa demande de dommages intérêts à ce titre,
* sur l’absence de jours de repos sur les plannings,
– juger qu’aucun manquement ne lui est imputable, et débouter Monsieur [U] de sa demande de dommages intérêts à ce titre,
* sur la mise à pied à titre conservatoire,
– juger qu’elle n’a pas exécuté de mauvaise foi le contrat de travail, ni qu’elle a mis à pied Monsieur [U] dans des conditions vexatoires et débouter Monsieur [U] de sa demande de dommages intérêts à ce titre,
* sur l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter Monsieur [U] de sa demande de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouter Monsieur [U] de l’intégralité de ses demandes,
– reconventionnellement, condamner Monsieur [U] à lui régler la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI
I – Sur le temps du travail :
A – Sur le repos compensateur :
En application des articles :
* L3122-2 du code du travail :
‘Tout travail effectué au cours d’une période d’au moins neuf heures consécutives comprenant l’intervalle entre minuit et 5 heures est considéré comme du travail de nuit. La période de travail de nuit commence au plus tôt à 21 heures et s’achève au plus tard à 7 heures’.
* L3122-8 dudit code :
‘le travailleur de nuit bénéficie de contreparties au titre des périodes de travail de nuit pendant lesquelles il est employé, sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale’.
* D 3171-11 dudit code :
‘à défaut de précision conventionnelle contraire, les salariés sont informés du nombre d’heures de repos compensateur de remplacement et de contrepartie obligatoire en repos portés à leur crédit par un document annexé au bulletin de paie. Dès que ce nombre atteint sept heures, ce document comporte une mention notifiant l’ouverture du droit à repos et l’obligation de le prendre dans un délai maximum de deux mois après son ouverture’.
Il en résulte :
– qu’il appartient à l’employeur d’informer le salarié de son droit acquis. (Cass. soc. 29 mars 2017, n°16-13.845),
– que le salarié qui n’a pas été mis en mesure, du fait de l’employeur, de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l’indemnisation du préjudice subi, lequel est constitué non seulement par le salaire qu’aurait perçu le salarié s’il avait travaillé mais aussi par l’indemnité de congés payés correspondante.
***
En s’appuyant sur l’article 5.8.1.2 de la convention collective de l’animation n°IDCC 1518 intitulé ‘contreparties’ que pour chaque heure de nuit effectuée, le salarié bénéficie d’un repos compensateur à hauteur de 12,5 %, Monsieur [U] soutient en substance :
– qu’embauché en tant que veilleur de nuit le 1er février 2018, il avait effectué 13 nuits dès le mois de février 2018,
– que l’employeur aurait dû l’informer dès le mois de mars 2018 du contingent d’heures acquis au titre du repos compensateur alors qu’il lui a sciemment dissimulé les droits acquis de ce chef,
– qu’il n’a jamais pu bénéficier de repos compensateur en dépit de ses multiples demandes,
– que sa hiérarchie lui a imposé d’attendre le mois de juillet 2018 pour faire sa demande de congés de prise de repos compensateur,
– qu’en tout état de cause, il n’a pu bénéficier que d’une semaine de repos environ pendant la durée de son contrat,
– que l’indemnité au titre des 82,11 heures de repos compensateur acquises lui a été versée une semaine après son licenciement.
Afin d’étayer ses prétentions, il verse :
– l’email des Etablières et les plannings en pièce 3 de son dossier,
– sa demande de bénéficier de son repos compensateur présentée le 19 juin 2018 en pièce 4 de son dossier,
– la réponse du service RH des Etablières et le décompte des heures au titre du repos compensateur en pièce 5 de son dossier,
– l’email de sa hiérarchie en pièce 11ter de son dossier,
– le solde de tout compte du 29 août 2018 en pièce 6 de son dossier.
En réponse, l’employeur objecte pour l’essentiel :
– que Monsieur [L] [U], engagé en qualité de veilleur de nuit, était contractuellement soumis à une durée mensuelle de travail de 151,67 heures de travail avec la modulation suivante : ‘ les horaires de travail …feront l’objet d’une modulation du temps de travail telle que prévue à l’article 13 de l’accord
d’entreprise du 11 mars 1999. Ces horaires seront fixés dans un programme indicatif de modulation qui lui (Monsieur [U]) sera remis au début de chaque nouvelle période’,
– qu’en tant qu’employeur, il n’a jamais nié l’existence de ces repos compensateurs puisqu’ils figurent sur les courriels qu’il a adressés au salarié lorsque celui-ci lui a demandé un compte-rendu de ses droits à congés, sur les décomptes mensuels réalisés et signés par le salarié ;
– que ce dernier a d’ailleurs, sur le mois de mars 2018, pris des jours de repos compensateurs,
– qu’il lui a seulement demandé (ainsi qu’à l’autre veilleur de nuit), d’attendre le mois de juillet 2018 pour prendre ces repos, puisqu’au démarrage du dispositif, il n’y avait pas d’autres veilleurs de nuit,
– que toutefois, il n’en reste pas moins qu’il a bénéficié de ces repos au cours du mois de mars 2018 et que la convention collective n’imposait nullement un délai dans lequel ces jours de repos compensateurs devaient être pris ;
– que sur les 7 mois durant lesquels le salarié a été à son service, il a sollicité des jours de congés aux motifs suivants : ‘des vacances à l’étranger’, pour aller ‘en République Tchèque afin de visiter [son] frère’ et a pris d’ailleurs 10 jours de congés payés en 5 mois,
– que dès lors, il ne peut nullement affirmer avoir été empêché de prendre ces jours de repos, et encore moins affirmer que cela aurait eu des impacts sur son état de santé.
Afin d’étayer ses prétentions, il verse aux débats :
– les courriels de Monsieur [L] [U] en date des 12 et 13 avril 2018 en pièces 12 et 13 de son dossier,
– les demandes de congés payés formées par le salarié en pièce 16 de son dossier,
– le courriel de Madame [N] [B] du 20 juin 2018 en pièce 15 de son dossier.
***
Cela étant, en dépit des explications nourries de l’employeur sur les congés pris par le salarié, il ne répond pas aux reproches que lui fait ce dernier sur son défaut d’information dès le mois de mars 2018 au moyen d’une annexe jointe à chacun de ses bulletins de salaire du récapitulatif de ses jours de repos compensateur acquis.
Même si l’employeur n’a jamais informé spontanément le salarié du nombre de jours de repos acquis chaque mois en annexant à chacun des bulletins de salaire qu’il lui délivrait un récapitulatif, il n’en demeure pas moins que celui – ci a toujours été informé – comme le démontrent les mails versés au dossier par l’employeur – du nombre de jours de repos compensateur acquis.
Il en résulte donc que le salarié ne peut pas reprocher à l’employeur d’avoir voulu sciemment lui cacher ces éléments même s’il n’a pas respecté les dispositions légales.
Toutefois, le solde de tout compte que Monsieur [U] produit établit qu’il n’a pas pris les 82,11 heures de repos compensateur qu’il avait acquis.
Et l’employeur se garde bien d’expliquer pour quelle raison le salarié n’a pas pu poser ces jours là.
En conséquence, le manquement de l’employeur à ses obligations est établi.
B – Sur les temps de pause :
En application des articles :
* 3121-16 du code du travail : ‘dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de vingt minutes consécutives’
* 5.8.1.4. de la convention collective Nationale de l’Animation du 28 juillet 1988 intitulé : ‘Temps de pause’ : ‘Aucun temps de travail nocturne ne peut atteindre 5 heures sans que le salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée de 20 minutes. Ce temps de pause est considéré comme du temps de travail effectif’.
***
En l’espèce, Monsieur [U] soutient en substance :
– qu’aucune pause n’est précisée sur ses plannings alors que ses heures de travail, par nuit travaillée, dépassent largement la durée quotidienne de travail ouvrant droit à un temps de pause minimal de 24 minutes,
– que l’employeur ne peut donc se prévaloir de faits commis durant un temps de pause auquel il avait droit en qualité de salarié et dont il l’a délibérément privé afin de le pousser à l’épuisement.
L’association les Etablières reste silencieuse sur ce chef.
***
Cela étant, aucun des plannings ne mentionne les temps de pause.
L’employeur n’établit pas par ailleurs que le salarié a été en mesure durant chaque tranche de son temps de travail nocturne de 5 heures de prendre une pause de 20 minutes consécutives.
En conséquence, ce manquement est établi.
***
Monsieur [U] établit le préjudice en résultant pour lui par la production du certificat médical pré-cité qu’il verse au débat et qui démontre son état de fatigue trouvant notamment sa source dans ses conditions de travail.
En conséquence, il convient de condamner l’employeur à lui verser une somme de 1 000 €.
Le jugement attaqué doit donc être infirmé de ce chef.
II – Sur l’obligation de sécurité de l’employeur :
L’article L. 4121-1 du code du travail prévoit que :
‘L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
– des actions de prévention des risques professionnels ;
– des actions d’information et de formation ;
– la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ;
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes’.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité. (Cass. soc., 28 févr. 2006, n° 05-41.555).
Pour ce faire, il est donc tenu d’évaluer les risques de violence, d’identifier, d’analyser et de classer les risques afin que soient définies les actions de prévention les plus appropriées.
Son défaut d’implication dans la prévention des risques de violence et d’incivilités auxquels est exposé le salarié caractérise un manquement à l’obligation de sécurité. (Cass. soc., 15 déc. 2016, n° 15-20.987).
L’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur s’étend aux agressions dont le salarié est victime y compris de la part des tiers à l’entreprise (Cass, soc, 22 septembre 2016, n° 15-14.005).
***
En l’espèce, Monsieur [U] soutient en substance :
– que le refus de l’employeur de maintenir la présence d’agents de sécurité privée alors qu’il était parfaitement informé du risque qu’il faisait courir à ses salariés compte tenu de la violence et de l’agressivité du public qu’il accueillait contrevient à l’obligation de sécurité pesant sur lui,
– que de surcroît, il n’a jamais répondu à ses sollicitations de lui fournir une ‘protection de travailleur isolé’ (PTI) alors que les conditions d’exercice de travail étaient dangereuses,
– qu’en dépit de l’agression physique dont l’autre veilleur de nuit avait été victime, aucune prévention des risques n’a été prise,
– que par son inertie, l’employeur a manqué à l’obligation de sécurité.
A l’appui de ses allégations, il produit aux débats :
– en pièce 8, les rapports d’incident qu’il a établis,
– en pièce 9, le rapport d’incidents de Monsieur [S] (veilleur 2),
– en pièce 10, le rapport d’agression de Monsieur [S] (veilleur 2),
– en pièce 11, l’attestation de Monsieur [S] (veilleur 2),
– en pièce 11bis, l’email qu’il a adressé à sa hiérarchie le 18 juin 2018,
– en pièce 11ter, l’email de la hiérarchie,
– en pièce 12, les articles de presse,
– en pièce 12bis, les attestations d’anciens membre du personnel,
– en pièce 13, un article de presse,
– en pièce 14, l’email du 19 juin 2018.
En réponse, l’employeur objecte pour l’essentiel :
– que l’appelant doit être débouté de sa demande dans la mesure où il ne démontre aucun manquement de l’association ou un quelconque préjudice,
– qu’il décrit ses conditions de travail comme particulièrement insoutenables mais n’apporte que très peu d’éléments de preuve au soutien de ses affirmations,
– qu’il semble vouloir salir la réputation de son ancien employeur en produisant un article de journal relatif à un incident qui s’est produit après son départ,
– que le défenseur des droits n’a pas cherché plus loin lorsque la société lui a donné des informations supplémentaires et que si les conditions au sein de l’établissement étaient celles décrites par Monsieur [U] des sanctions auraient été prises à l’encontre de l’association, ce qui n’a pas été le cas,
– que le salarié mélange les notions qu’il utilise et semble vouloir imposer à l’association des obligations auxquelles elle n’était nullement tenue,
– qu’en effet, ce n’est que lorsque le salarié est qualifié de travailleur isolé qu’il incombe alors à l’employeur de mettre en place une PTI,
– que Monsieur [U] n’était pas un travailleur isolé puisque Monsieur [P] était en charge du dispositif de vidéosurveillance et que Monsieur [U] pouvait le joindre à tout moment par téléphone.
***
Cela étant, les pièces versées par l’appelant démontrent les conditions de travail dans lesquelles il évoluait, à savoir :
– le climat de grande violence et de tension régnant le soir et la nuit dans l’établissement,
– la consommation de substances illicites et d’alcool par le public accueilli à l’origine de nombreux débordements,
– les heurts éclatant très facilement,
– le sous-effectif chronique dans lequel se déroulaient ses temps de travail dans la mesure où il intervenait seul sur site pour assurer la surveillance de 30 mineurs chaque soir ; le second veilleur de nuit n’intervenant pas de concert avec lui.
Ainsi, les nombreux rapports d’incidents versés aux débats par Monsieur [U] qui tous visaient des tapages nocturnes, des bagarres dont certaines pouvaient entraîner l’intervention des forces de l’ordre, des agressions et des dégradations – qui ne sont pas contestés par l’employeur – confirment tous ces éléments et établissent que l’employeur était parfaitement informé de la situation.
De même, dans l’attestation qu’il a rédigée au profit de l’appelant, Monsieur [S], veilleur de nuit intervenant avec Monsieur [U] :
– relate de façon très précise et circonstanciée, leurs conditions d’intervention, à savoir de soir et de nuit auprès de 30 mineurs non accompagnés,
– explique que les incidents ont connu leur apogée durant la période du Ramadan qui a donné lieu à de nombreux heurts au self au moment de la distribution des repas,
– mentionne très clairement à plusieurs reprises que la direction ignorait leurs rapports d’incident, ne réagissait pas face aux actions violentes des personnes accueillies, générées par l’absorption de drogues et d’alcool,
– note même ‘nos conditions de travail étaient abominables. Tout d’abord, l’insécurité permanente, y était quotidienne et ce, en dépit de mes alertes et celles de mon collègue de nuit, sont restées ignorées de la direction,’ (sic)
– évoque un incident particulièrement violent au terme duquel il s’est fait prendre à partie par 7 ou 8 mineurs, coller au mur avec l’éducatrice qui était présente alors sur les lieux avec lui, que lui ou sa collègue ont appelé en vain leur supérieur hiérarchique pour l’informer de la situation dans laquelle ils se trouvaient, que celui-ci ne s’est pas déplacé pour évaluer la dangerosité de la situation.
Les autres témoignages produits confirment également le climat pour le moins difficile régnant dans l’établissement.
Ils décrivent tous, par ailleurs, le professionnalisme de Monsieur [U] et ses qualités humaines et professionnelles démontrant par là que les difficultés rencontrées ne trouvaient pas leur source dans le mauvais travail effectué par celui – ci mais dans les conditions de travail régnant au sein de la structure pour l’ensemble des salariés.
Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité est caractérisé par la connaissance qu’il avait des difficultés rencontrées par les mineurs accueillis au sein de la structure et par son inertie à mettre en place une réflexion sur l’amélioration des conditions de travail des salariés et une organisation du travail de manière à améliorer lesdites conditions de travail alors que de surcroît, l’appelant, intervenait seul chaque nuit pour surveiller une trentaine de mineurs composant un public particulièrement sensible.
Ainsi, l’association est dans l’impossibilité de démontrer qu’elle a évalué les risques de violence, et de façon plus générale a identifié, analysé et classé tous les risques auxquels les salariés étaient exposés.
Elle est tout autant dans l’impossibilité d’établir qu’elle a élaboré et mis en place un document unique d’évaluation des risques professionnels obligatoire alors que même pour une association, ce document est obligatoire.
Soutenir pour elle que le défenseur des droits n’a pas donné suite au signalement qui lui avait été fait par la CIMADE est inopérant pour la dédouaner de tout reproche, pour établir que les conditions de travail étaient sereines et pour démontrer qu’elle a pris toutes les mesures adéquates pour protéger ses salariés.
De même, prétendre que l’appelant n’était pas un travailleur isolé dans la mesure où il pouvait joindre à tout moment son supérieur hiérarchique et que de ce fait il n’avait pas besoin d’un PTI est inopérant dans la mesure où elle ne démontre même pas qu’elle a engagé une réflexion sur ce point, a répondu au salarié pour justifier de sa position et a évalué au plus juste le dispositif de sécurité.
Enfin, reprocher au salarié de verser des articles de journaux relatant un incident qui s’est produit dans la structure quelques mois après son départ est inopérant dans la mesure où ces articles ne font qu’illustrer par un nouvel incident toutes les attestations produites au débat.
Ainsi, l’ensemble de ces manquements a contribué à dégrader partiellement l’état de santé de Monsieur [U], tel que décrit dans le certificat médical du 18 septembre 2018 qu’il verse aux débats en pièce 17 de son dossier qui mentionne : ‘ ..asthénie et troubles du sommeil évoluant depuis quelques semaines réactionnels à des difficultés à la fois personnelles et professionnelles. Le patient a nécessité un arrêt de travail du 9 au 21 juillet 2018 par précaution et éviter la prise de risque professionnel au vu de son travail nocturne et de responsabilité de surveillance de personnes mineures..’
Il convient donc de fixer à la somme de 15 000 € le montant des dommages intérêts devant être accordé à Monsieur [U] au titre des manquements répétés et continus de l’employeur à son obligation de sécurité et des conséquences qui en ont découlé sur son état de santé.
L’association doit être condamnée à payer ce montant à Monsieur [U].
III – Sur la discrimination :
Dans la motivation de son arrêt dire droit du 8 décembre 2022, la cour d’appel a :
1 – rappelé les principes juridiques gouvernant la discrimination de la façon suivante :
Selon l’article L.1132-1 du code du travail dans sa version applicable ‘Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de … ses convictions religieuses,…’.
Selon l’article L.1134-1 du code du travail : ‘Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’
Il appartient ainsi au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement et il incombe à l’employeur qui conteste le caractère discriminatoire d’établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
2 – les a appliqués à l’espèce de la façon suivante :
‘En l’espèce, Monsieur [U] soutient que le Conseil qui a jugé ” qu’il n’y a pas de lien avec la discrimination” et qui a dit que son action
était prescrite, n’a pas étudié ses demandes, telles qu’énoncées dans l’acte de saisine, à savoir qu’il contestait avoir été licencié pour avoir effectué une prière musulmane, qu’il sollicitait la nullité de son licenciement qui ne pouvait être obtenue que dans certains cas, notamment la discrimination, qu’il demandait 40 000 € de dommages et intérêts, ce quantum étant repris dans ses conclusions au titre du préjudice résultant de la discrimination religieuse et que ses écritures initiales et récapitulatives contenaient une section sur la discrimination.
Il fait valoir que l’employeur n’apporte pas la preuve que c’était une prière musulmane qu’il avait fait et qu’en tout état de cause, si cela avait été une autre prière, son employeur n’aurait rien dit.
Pour étayer ses propos, il s’appuie sur la lettre de licenciement qui lui a été notifiée et qui est ainsi rédigée :
” – Le 26 juin 2018, à 1h06 du matin vous avez effectué votre prière musulmane.
– Le 26 juin 2018 à 2h23 vous dormiez sur votre poste de travail.
– Le 1er juillet 2018 à 2h33 du matin, vous avez effectué votre prière musulmane.
– Le 1er juillet 2018 à 3h24 du matin vous dormiez sur votre poste de travail, et nous avons pu constater qu’une personne rentrait dans la résidence sans aucun contrôle de votre part. Ceci constitue un manquement grave à la sécurité.
– Le 1er juillet 2018 à 4h01 du matin, vous étiez encore en train de dormir sur votre pose de travail.
– Le 2 juillet 2018, à 4h51 du matin à 6h32 du matin, vous avez dormi sur votre poste de travail. Un mineur non accompagné se trouvait d’ailleurs dans le hall d’entrée à 4h57, sans aucune réaction de votre part.
(‘) à aucun moment vous n’avez informé la Direction de votre pratique religieuse de la nécessité de l’exercer sur votre lieu de travail durant vos heures de travail, au mépris des règles sécurité. Si vous nous aviez informé, nous aurions pu organiser la continuité de service en termes de sécurité par rapport à la surveillance des Mineurs non Accompagnés .”
Cependant, ce seul élément ne peut venir à lui seul étayer l’éventuelle existence d’une discrimination.
En effet, aux termes du courrier de licenciement, l’employeur :
– ne reproche pas au salarié de faire une prière musulmane mais lui fait grief d’avoir quitté son poste de travail à cette fin, puis de s’y être endormi pendant près de 3 heures permettant ainsi à un mineur non accompagné d’être dans le hall d’entrée de la résidence sans qu’il n’intervienne,
– lui spécifie que s’il l’avait informé de la nécessité pour lui de prier la nuit, il aurait pu organiser la continuité de service en termes de sécurité.
La teneur de cet élément ne laisse pas présumer l’existence d’une discrimination.
En effet, d’une part à aucun moment, soit directement soit implicitement, l’employeur ne reproche pas au salarié d’avoir fait ses prières.
D’autre part, il lui précise même que s’il l’avait avisé de la nécessité pour lui de faire une prière la nuit, il aurait organisé le service en conséquence.
Aucun autre élément n’est produit pour laisser supposer l’existence d’une discrimination religieuse.’
***
A l’heure actuelle, Monsieur [U] ne soumet pas au juge de nouveaux éléments de fait susceptibles de caractériser une discrimination religieuse dans la mesure où il reprend les mêmes faits que ceux qu’il avait développés lors de l’audience du 4 octobre 2022.
Enfin, les manquements à l’obligation de sécurité et aux repos compensateur qu’en tout état de cause il rappelle dans le paragraphe dans lequel il invoque la discrimination ne sont pas révélateurs d’une discrimination à son égard dans la mesure où il n’a jamais contesté tout au long de ses conclusions que l’autre veilleur de nuit était soumis aux mêmes difficultés que lui dans l’exécution de son contrat de travail et que de façon générale, les conditions de travail étaient les mêmes pour tous les intervenants comme l’établissent les attestations qu’il produit.
En conséquence, il convient de le débouter de sa demande en dommages intérêts formée de ce chef.
IV – Sur l’obtention illégale des preuves :
L’article L. 1121-1 du code du travail rappelle que toute restriction apportée aux libertés fondamentales par l’employeur doit respecter les deux principes que sont la nécessité de justifier d’une telle restriction et du caractère proportionné des moyens mis en oeuvre pour atteindre l’objectif recherché.
Il s’agit de concilier le droit au respect de la vie privée qui perdure même sur le lieu de travail avec le droit de l’employeur d’assurer la protection des biens et des personnes.
Qu’il s’agisse du contrôle d’accès à l’entreprise, d’un contrôle par autocommutateurs, par vidéosurveillance, des obligations incombent à l’employeur lorsqu’il décide de mettre en place un dispositif permettant un traitement automatique d’informations nominatives.
Sauf contrôle inhérent au suivi de leurs tâches ou de leur mission, les salariés doivent être informés préalablement à l’installation dans l’entreprise d’un dispositif de contrôle ou de surveillance par quelque moyen que ce soit (badges, autocommutateur, caméra vidéo ou autres), à défaut de quoi, aucune faute du salarié ne saurait être prouvée par ce biais.
La CNIL a estimé que ‘le placement sous surveillance continue des postes de travail des salariés n’est possible que s’il est justifié par une situation particulière ou un risque particulier auxquels sont exposées les personnes objets de la surveillance’ (Délib. CNIL n° 2014-307, 17 juill. 2017).
De même, ne sont pas proportionnés des dispositifs de surveillance filmant des salariés de façon permanente, y compris dans des lieux où aucune marchandise n’était stockée (Délib. CNIL n° 2009-201, 16 avr. 2009), visant un salarié déterminé ou un groupe de salariés (Délib. CNIL n° 2010-112, 22 avr. 2010), installant autant de caméras que de salariés et filmant les écrans de leurs d’ordinateurs et enregistrant leurs conversations (Décis. CNIL n° 2011- 036, 16 déc. 2011).
Les preuves obtenues par un procédé technologique de surveillance ne sont valables que si ce dispositif est proportionné au but poursuivi et si le système de contrôle mis en place satisfait aux exigences du règlement général de protection des données (RGPD).
***
En l’espèce, Monsieur [U] soutient en substance :
– qu’il a fait l’objet d’une surveillance continue de son poste de travail comme le montrent les images de la caméra,
– qu’il a subi un préjudice moral que l’employeur se doit de réparer par le versemment de la somme de 5 000 €.
En réponse, l’employeur objecte pour l’essentiel :
– que ce n’est pas le poste de travail du salarié qui était filmé mais l’entrée/sortie de la résidence,
– que le salarié l’a lui-même reconnu dans ses écritures,
– qu’en tout état de cause, le salarié n’a pas pu faire l’objet d’une surveillance continue dans la mesure où son poste de travail ne se limite pas au poste de l’accueil et où de ce fait, il devait effectuer régulièrement des rondes dans toute la résidence,
– qu’il avait été proposé de surcroît à Monsieur [U] de venir visionner les images qui ensuite ont été expédiées à son avocat lequel n’a pas jugé utile de retirer le recommandé qui lui avait été adressé,
– qu’ainsi, Monsieur [U] a été mis en mesure de prendre connaissance des images de vidéosurveillance et aucun grief ne saurait être retenu à l’encontre de l’association de ce chef,
– qu’enfin, il se borne à affirmer sans l’établir qu’il a subi un préjudice.
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Cela étant, les images de vidéosurveillance que l’employeur verse au débat établissent que la plupart du temps, le bureau d’accueil et le salarié qui y était en poste n’étaient pas filmés et que seules quelques images montrent un agent installé au bureau sans qu’il ne puisse être identifié
Même si les chances pour le salarié travaillant au bureau d’accueil d’être filmé sont réduites dans la mesure où le système de vidéosurveillance a été installé pour sécuriser les lieux et surveiller les entrées et les sorties dans la résidence, il n’en demeure pas moins que comme malgré tout ce filmage n’est pas à exclure totalement, l’employeur aurait dû en informer au préalable le salarié et recueillir son consentement.
Or il ne l’a pas fait.
Ceci constitue un manquement de sa part.
Cependant, Monsieur [U] ne rapporte pas la preuve du préjudice qui en résulte pour lui, d’autant qu’il a, à plusieurs reprises, rappelé dans ses conclusions que les entrées et les sorties du bâtiment avaient dû être sécurisées par l’association par l’installation de caméras de vidéosurveillance.
En conséquence, il doit être débouté de ses demandes de dommages intérêts formées de ce chef.
VII – Sur la mise à pied conservatoire :
A – Sur la requalification de la mise à pied conservatoire :
Il convient de relever que Monsieur [U] – qui sollicite dans la motivation de ses écritures la requalification de la mise à pied conservatoire dont il a fait l’objet en mise à pied disciplinaire – ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions.
En conséquence, la cour – qui n’est tenue que de répondre aux prétentions figurant dans le dispositif des conclusions – n’est saisie d’aucune demande de ce chef.
B – Sur l’annulation de la mise à pied conservatoire :
Il existe deux types de mises à pied :
– la mise à pied disciplinaire qui constitue une sanction infligée par l’employeur au salarié à la suite de la faute qu’il a commise,
– la mise à pied conservatoire qui ne constitue qu’une phase de la procédure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement et qui est justifiée par la faute grave ou lourde commise par le salarié qui a présenté un comportement tel qu’il ne permet pas son maintien dans ses fonctions.
Il s’agit donc dans cette dernière hypothèse d’une mesure d’attente et non d’une sanction (Cass. soc., 22 févr. 2006, n° 04-43.037).
De ce fait, l’employeur doit engager la procédure de licenciement immédiatement ou doit justifier le délai qu’il prend pour ce faire.
A défaut, un délai excessif entre la notification de la mesure et la convocation à l’entretien préalable fait basculer la mise à pied de conservatoire à disciplinaire en l’absence de motif justifiant ce délai (Cass. soc., 15 mai 2019, n° 18-11.669).
Cependant, par exception, après avoir prononcé la mise à pied conservatoire du salarié, l’employeur peut différer la convocation de ce dernier à l’entretien préalable dès lors qu’il doit mener à bien des investigations sur les faits reprochés et déterminer la nécessité ou pas d’engager une procédure disciplinaire (Cass. soc., 13 sept. 2012, n° 11-16.434 ; Cass. soc., 20 mai 2015, n° 14-11.767).
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En l’espèce, Monsieur [U] soutient en substance :
– que le motif de sa mise à l’écart donné par son employeur – à savoir non sa prétendue faute mais sa sécurité et celle des résidents exprimé de la façon suivante : ‘concernant vos multiples périodes de sommeil vos explications ne sont pas de nature à justifier cette faute professionnelle’, ‘cette mesure a été prise pour préserver votre sécurité’ – est totalement fallacieux puisqu’il a été arrêté en raison de son épuisement,
– que l’employeur a abusé de son droit à recourir à une mise à pied conservatoire et doit la requalifier en mise à pied disciplinaire,
– que son employeur a eu recours pour remplir son obligation générale de sécurité à sa mise à l’écart, pendant trois semaines, et dans des conditions vexatoires, en le privant de tout moyen de subsistance, dès lors que cette période n’aura pas été rémunérée,
– que cette disproportion conduit à la question de l’intention de nuire de l’employeur.
En réponse, l’employeur objecte pour l’essentiel :
– que concomitamment, il a notifié au salarié le 24 juillet 2018 par le même courrier sa convocation à un entretien préalable et sa mise à pied conservatoire,
– que la motivation du courrier était parfaitement compréhensible,
– qu’il s’endormait à son poste de travail et par conséquent n’était plus en mesure de surveiller efficacement les jeunes,
– que Monsieur [U] ne l’a jamais informé d’un quelconque problème de sommeil,
– qu’il s’agit d’un prétexte pour tenter de justifier ses fautes,
– que le salarié ne rapporte pas la preuve que la mise à pied conservatoire était abusive et est intervenue dans des conditions vexatoires alors que la preuve lui en incombe.
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Cela étant, il convient de relever que le salarié s’est vu notifier sa mise à pied conservatoire dans ces termes : ‘compte tenu de la gravité de la faute qui vous est reprochée, votre maintien dans l’entreprise pendant la durée de la procédure est impossible et nous prononçons votre mise à pied à titre conservatoire et à effet immédiat à compter de la remise en mains propres de ce courrier.’ dans le courrier de convocation à l’entretien préalable à une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement que l’employeur lui a remis en main propre le 24 juillet 2018.
En conséquence, aucun délai excessif ne sépare les deux notifications qui sont intervenues le même jour et par le même courrier.
Aucun reproche ne peut donc être fait de ce chef à l’employeur.
Par ailleurs, il ne peut pas lui être reproché les 3 semaines séparant le prononcé de la mise à pied de la tenue de l’entretien préalable dès lors que seul est pris en compte le délai séparant la mise à pied de l’envoi de la convocation à l’entretien préalable pour évaluer le caractère excessif du délai.
Enfin, le fait que l’employeur ait dans la lettre de licenciement indiqué au salarié que :
‘ Concernant vos multiples périodes de sommeil, vos explications ne sont pas de nature à justifier cette faute professionnelle.(…) Ces constats nous ont amenés à vous signifier une mesure immédiate de mise à pied conservatoire dans l’attente de la fin de la procédure dès votre reprise d’arrêt maladie, le 24 Juillet 2018 à 22h00.
Cette mesure a été prise pour préserver votre sécurité, celle de 1’ensemble des Mineurs non Accompagnés accueillis dans la Résidence, ainsi que par rapport à nos obligations conventionnelles avec le Conseil Départemental, tuteur légal de ces jeunes Mineurs non Accompagnés’ n’est pas contradictoire avec le caractère conservatoire de la mise à pied reposant sur la gravité de la faute visée dans le courrier du 24 juillet 2018 car la justification de la mesure litigieuse dans la lettre de licenciement se borne uniquement à préciser et caractériser la gravité de la faute commise ayant conduit au prononcé de la mise à pied litigieuse.
Aucun reproche ne peut donc être fait de ce chef à l’employeur qui de surcroît, en licenciant le salarié pour faute grave pouvait prononcer une mise à pied conservatoire.
En conséquence, il convient de débouter Monsieur [U] de toutes ses demandes présentées de ce chef relatives à l’annulation de la mesure et au paiement d’un rappel de salaire.
VIII – Sur l’inexécution fautive du contrat de travail :
En application des dispositions des articles :
* L 1222-1 du code du travail : ‘Le contrat de travail est exécuté de bonne foi’.
* – 9 du code de procédure civile : ‘Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.’
Il en résulte qu’il appartient au salarié qui prétend que l’employeur a exécuté de façon déloyale le contrat de travail d’établir l’existence d’un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et d’un lien de causalité entre le préjudice et la faute.
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En l’espèce, Monsieur [U] soutient en substance :
– que son employeur n’a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail en sus des conditions vexatoires dans lesquelles s’est déroulée la mise à pied conservatoire,
– que ceci lui a causé un préjudice supplémentaire que l’employeur se doit de réparer par le versement d’une somme de 2 000 €.
Cela étant, il convient de rappeler :
– que Monsieur [U] d’une part a été débouté de ses demandes relatives à la discrimination dont il aurait fait l’objet, à sa mise à pied conservatoire et au système de vidéosurveillance mis en place par l’employeur,
– qu’il s’est vu accorder des dommages intérêts au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à hauteur de 15 000 € et du défaut de temps de pause à hauteur de 1 000 €.
Présentement, il n’établit pas subir dans le cadre d’une inexécution fautive du contrat de travail – du chef du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et du défaut du temps de pause – un préjudice particulier indépendant de celui qui a été réparé par les dommages intérêts pré-cités.
En revanche, il justifie par la production du certificat médical sus évoqué du préjudice résultant pour lui du manquement de l’employeur quant au repos compensateur.
En conséquence, il convient de condamner l’association à lui verser une somme de 1000 € à ce titre.
IX – Sur les dépens et les frais du procès :
Les dépens doivent être supportés par l’association Gestion Ecole Agriculture Les Etablières.
***
Il n’est pas inéquitable de condamner l’employeur à payer au salarié la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles tout en le déboutant de sa propre demande formée en application des mêmes dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Vu l’arrêt avant dire droit du 8 décembre 2022 prononcé par la cour d’appel de Poitiers,
Condamne l’Association Gestion Ecole Agriculture les Etablières à payer à Monsieur [U] les sommes de :
– 15 000 € à titre de dommages intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
– 1 000 € à titre de dommages intérêts pour les temps de pause,
– 1 000 € à titre de dommages intérêts pour l’inexécution fautive du contrat de travail,
Déboute Monsieur [U] de l’intégralité de ses demandes relatives à des dommages intérêts pour discrimination religieuse et pour la mise en place d’un système de vidéosurveillance le filmant,
Déboute Monsieur [U] de l’intégralité de ses demandes relatives à l’annulation de la mise à pied conservatoire et au paiement d’un rappel de salaire à ce titre,
Y ajoutant,
Condamne l’Association Gestion Ecole Agriculture les Etablières aux dépens,
Condamne l’Association Gestion Ecole Agriculture les Etablières à payer à Monsieur [U] la somme de 2000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Déboute l’Association Gestion Ecole Agriculture les Etablières de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,