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14 septembre 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
21/03270
N° RG 21/03270 – N° Portalis DBV2-V-B7F-I3NR
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 23 Juillet 2021
APPELANTE :
S.A.S. ENTREPRISE GEORGES LANFRY
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN
INTIME :
Monsieur [C] [X]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Anne-France PETIT, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 09 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame ALVARADE, Présidente, rédactrice
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 09 juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 septembre 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 14 Septembre 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [C] [X] a été engagé par la Société anonyme (SA) Entreprise Georges Lanfry en qualité de charpentier compagnon professionnel suivant contrat du 7 janvier 2013, moyennant une rémunération brute mensuelle qui était de 1 895,87 euros.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des ouvriers du Bâtiment, région Haute-Normandie.
Le salarié a été placé en arrêt de travail à compter du 15 juin 2018.
Se prévalant de manquements de l’employeur à ses obligations et en particulier de conditions de travail dégradées, suivant requête du 1er octobre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, condamner l’employeur au paiement de rappel de salaire, d’indemnités et de dommages et intérêts.
Aux termes de deux visites de reprise des 21 mars et 4 avril 2019, le salarié a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail et le 19 août 2019, il a été licencié pour inaptitude physique médicalement constatée et impossibilité de reclassement.
Le salarié a actualisé ses demandes contestant son licenciement et sollicitant des indemnités, des dommages et intérêts au titre de la rupture du contrat de travail, outre un rappel de salaire.
Par jugement du 23 juillet 2021, le conseil de prud’hommes de Rouen, en sa formation de départage, a :
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat liant M. [C] [X] à la SAS Georges Lanfry avec effet au 19 août 2019,
– dit que cette résiliation entraîne les effets d’un licenciement nul,
– condamné la SAS Georges Lanfry à verser à M. [C] [X] les sommes suivantes :
4 434,60 euros brut d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 443,46 euros brut de congés payés y afférents,
435,61 euros de complément d’indemnité de licenciement,
13.303,80 euros d’indemnité de licenciement nul,
– dit que les créances de nature salariale porteront intérêt au taux légal à compter du 3 octobre 2018 et que les créances de nature indemnitaire portent intérêt au taux légal à compter du jugement,
– condamné la SAS Georges Lanfry à rembourser aux organismes intéressés les indemnités chômage versées à M. [C] [X] du jour de son licenciement jusqu’à la date du jugement, dans la limite de six mois d’indemnités chômage,
– ordonné à la SAS Georges Lanfry de remettre à M. [C] [X] l’attestation pôle emploi conforme à la présente décision, sous astreinte de 20 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la notification de la décision,
– condamné la SAS Georges Lanfry à verser à M. [C] [X] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du jugement pour ses dispositions qui n’en bénéficieraient pas de plein droit,
– rappelé qu’en vertu des dispositions de l’article R.1454-28 du code du travail, sont de droit exécutoires à titre provisoire, notamment :
1° Le jugement qui n’est susceptible d’appel que par suite d’une demande reconventionnelle,
2° Le jugement qui ordonne la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l’employeur est tenu de délivrer,
3° Le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, cette moyenne est mentionnée dans le jugement,
– fixé à 2 419,75 euros brut par mois la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [C] [X],
– condamné la SAS Georges Lanfry aux entiers dépens de l’instance, débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La société a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 mai 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions remises le 8 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Georges Lanfry demande à la cour de voir :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire pour ses dispositions qui n’en bénéficieraient pas de plein droit, rappelé qu’en vertu des dispositions de l’article R.1454-28 du code du travail, sont de droit exécutoires à titre provisoire, notamment :
1° Le jugement qui n’est susceptible d’appel que par suite d’une demande reconventionnelle,
2° Le jugement qui ordonne la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l’employeur est tenu de délivrer,
3° Le jugement qui ordonne le paiement de sommes au titre des rémunérations et indemnités mentionnées au 2° de l’article R. 1454-14, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, cette moyenne étant mentionnée dans le jugement,
– le confirmer pour le surplus
statuant à nouveau, y ajoutant,
– débouter M. [C] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– dire irrecevable la demande de M. [C] [X] de résiliation judiciaire de son contrat de travail,
– condamner M. [C] [X] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 25 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [C] [X] demande à la cour de :
– dire mal fondé l’appel de la société et l’en débouter,
– le recevoir en son appel incident et le dire bien fondé,
y faisant droit,
– infirmer le jugement rendu en ce qu’il a condamné la SAS Georges Lanfry à lui verser la somme de 4 434,60 euros brut d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 443,46 euros brut de congés payés y afférents, la somme de 435,61 euros de complément d’indemnité de licenciement, la somme de 13 303,80 euros d’indemnité de licenciement nul, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau sur ces chefs de jugement critiqués,
– condamner la société lui verser les sommes de :
4 138,06 euros de complément d’indemnité de licenciement,
4 245,88 euros brut d’indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 424,59 euros brut de congés payés y afférents,
30.000 euros à titre de dommages et intérêts, étant précisé que l’indemnité minimale s’élève à 14.011,38 euros,
1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– confirmer le jugement pour le surplus, à savoir en ce qu’il a :
prononcé la résiliation judiciaire du contrat liant M. [C] [X] à la SAS Georges Lanfry avec effet au 19 août 2019,
dit que cette résiliation entraîne les effets d’un licenciement nul,
dit que les créances de nature salariale portent intérêt au taux légal à compter du 3 octobre 2018 et que les créances de nature indemnitaire portent intérêt au taux légal à compter du jugement,
condamné la SAS Georges Lanfry à rembourser aux organismes intéressés les indemnités chômage versées à M. [C] [X] du jour de son licenciement jusqu’à la date du jugement, dans la limite de six mois d’indemnités chômage,
ordonné la SAS Georges Lanfry de remettre à M. [C] [X] l’attestation pôle emploi conforme à la présente décision, sous astreinte de 20 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de 30 jours suivant la notification de la décision,
condamné la SAS Georges Lanfry aux entiers dépens de l’instance, le cas échéant, en cas d’infirmation de chefs de jugement non critiqués,
– à titre subsidiaire,
– dire que le licenciement est nul,
– à titre infiniment subsidiaire,
– dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
– en conséquence, faire droit aux demandes en découlant telles que reprises dans ses demandes d’infirmation du jugement et de confirmation (indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis y compris congés payés/préavis, dommages et intérêts, intérêts moratoires, remboursement pôle emploi, attestation pôle emploi, article 700 du code de procédure civile, dépens),
en tout état de cause,
– débouter la société du surplus de ses demandes ou demandes contraires,
– condamner la société à lui verser la somme de 1 440 euros TTC au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamner la société aux entiers dépens d’appel.
MOTIFS
1 – Sur la rupture du contrat de travail
La société oppose l’irrecevabilité de la demande de résiliation judiciaire sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile, pour défaut d’intérêt à agir, faisant valoir,
que contrairement à la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, pour laquelle l’appréciation du juge se limite aux faits connus lors de la rupture, en sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, le salarié s’expose à ce que les manquements soulevés aient disparu ou que le contrat ait été rompu au jour où le juge statue,
que le salarié avait déjà été licencié au jour où le juge a statué, de sorte que le contrat de travail ne pouvait faire l’objet d’une résiliation judiciaire,
que le premier juge a fait une mauvaise interprétation de la jurisprudence en considérant que si le salarié n’était plus au service de son employeur au jour où il statue, la résiliation judiciaire prenait effet au jour du licenciement,
qu’il a outrepassé ses pouvoirs en prononçant la résiliation judiciaire d’un contrat déjà rompu.
Le salarié répond que la demande de résiliation judiciaire ne peut se trouver sans objet au motif que le licenciement lui a par suite été notifié le 19 août 2019, ladite demande ayant été formée avant le licenciement,
que l’analyse juridique de l’employeur est erronée et qu’en tout état de cause, il n’est pas justifié que sa demande soit déclarée juridiquement irrecevable alors qu’il ne peut lui être dénié tout intérêt à agir.
Il est constant que, si l’employeur licencie le salarié postérieurement à sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, le juge doit d’abord examiner le bien fondé de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail si le salarié est resté au service de son employeur. Tel est le cas en l’espèce, alors que le contrat de travail se trouvait seulement suspendu pour maladie, de sorte que l’employeur n’est pas fondé à poursuivre l’irrecevabilité de la demande pour défaut d’intérêt à agir.
La cour est ainsi saisie d’une demande de résiliation judiciaire formée le 1er octobre 2018 et de la contestation d’un licenciement pour inaptitude notifié le 19 août 2019, soit postérieurement.
Il conviendra donc d’examiner en premier lieu la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.
2 – Sur la résiliation du contrat de travail
La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l’employeur si les manquements de ce dernier à ses obligations, contractuelles, tels qu’invoqués par le salarié, le justifient, le juge devant apprécier les manquements en cause au jour de sa décision, ceux-ci devant être d’une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles. Cette résiliation produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Si la résiliation judiciaire prend en principe effet au jour de son prononcé si le contrat n’a pas été rompu à cette date, elle rétroagit au jour du licenciement dans le cas où un tel licenciement est intervenu en cours de procédure.
Le salarié fait valoir qu’il a eu à subir une ambiance délétère au sein de la société, ainsi que plusieurs autres salariés, qui estimaient être mal traités et mal considérés, alors qu’il leur était confié des tâches multiples et variées, parfois au-delà de leur qualification, parfois en deçà de leur qualification,
que le comportement des responsables de l’entreprise a provoqué le départ de certains d’entre eux, les conduisant parfois à la dépression,
que pour sa part, il a été placé en arrêt de travail pour syndrome d’épuisement professionnel à compter du 15 juin 2018 jusqu’à son licenciement pour inaptitude.
Au soutien de sa demande de résiliation de son contrat de travail, il allègue les manquements ci-après, constitutifs selon lui de harcèlement moral :
– une modification unilatérale de son contrat de travail par l’attribution de tâches ne correspondant pas à sa qualification, et l’absence de formation aux nouvelles tâches confiées en violation des dispositions de l’article L. 6123-1 du code du travail faisant obligation à l’employeur d’assurer l’adaptation de ses salariés à leur poste de travail, expliquant qu’il avait été embauché en décembre 2012 en qualité de charpentier et qu’il s’est ensuite vu confier des tâches pour lesquelles il a dû se former seul (électricité, placo, plomberie…), qu’il remplissait chaque semaine une feuille d’heures détaillée qui était remise à l’employeur, que ne détenant pas de copie, l’employeur pour sa part s’étant abstenu de les communiquer en dépit de ses réclamations, il produit à titre de preuve les attestations établies par ses collègues :
M. [B], qui indique qu’il se voyait confier des tâches «humiliantes sans rapport avec le métier de charpentier » devant nettoyer «derrière les maçons », les « fientes d’animaux dans les bâtiments » ou encore « ramasser des pigeons et des rats sur les chantiers»;
M. [L], qui précise « la charpente ne représentait plus que 20 % de notre activité ; nous avons dû faire des chantiers dans d’autres domaines comme la maçonnerie, le placo, la plomberie, dont nous n’avions pas les compétences », « lorsque nous avons demandé à faire plus de charpente, [S] nous a répondu que nous n’étions plus un secteur charpente mais un secteur rénovation ».
– l’affectation d’un coefficient inférieur, alors qu’il a assumé la fonction de chef de chantier, indiquant qu’il était rémunéré en tant que chef d’équipe au coefficient 250, le chef d’équipe se situant au niveau 4, avec deux coefficients 250 (P1) et 270 (P2), qu’en application des dispositions de la convention collective (article 12-6) relatif à l’évolution de carrière, l’employeur doit examiner les possibilités d’accès en cours de carrière des salariés de niveau 4 à un poste relevant de la classification des ETAM du bâtiment, en tenant compte notamment de l’étendue des capacités techniques et/ou aptitudes à organiser et à encadrer une équipe de travail tels que défini par les fonctions concernées de la classification des ETAM, que le niveau 4 position 2, coefficient 270 étant le dernier niveau de la classification des ouvriers, il pouvait a minima prétendre à la classification des techniciens et agents de maîtrise au niveau E,
qu’en le maintenant au niveau 4, coefficient 250, l’employeur a méconnu son obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi du contrat de travail.
Il produit :
– son bulletin de salaire au titre du mois de juin 2020, mentionnant une classification ETAM, niveau E, pour un emploi de conducteur de travaux charpente auprès de son nouvel employeur,
– les attestations établies par ses collègues de travail déclarant, le concernant, qu’il gérait les réunions de chantier avec les différents partenaires, notamment les architectes, les entreprises, les clients’et toutes les difficultés et contraintes liées au chantier en remplacement des responsables, [J] [R] et [S] [O] (MM. [B], [L] et [F]),
– les courriers adressés par le biais de son conseil, alors qu’il était en arrêt maladie, les 27 juillet et 7 septembre 2018, évoquant cette situation et l’attestation de M. [L] qui indique avoir été témoin et parfois victime indirecte du conflit qu’il a subi depuis sa demande de promotion,
– divers articles de journaux locaux le présentant comme chef de chantier,
– l’arrêt de la cour d’appel Rouen rendu le 9 septembre 2021 concernant M. [B] mettant en évidence les conditions de travail au sein de la société Lanfry.
– des manquements à l’obligation de sécurité caractérisés par des humiliations, des brimades, des insultes, des conditions de travail détériorées et l’absence de réaction de l’employeur lorsqu’il a pu faire part de ses difficultés, expliquant qu’il était insulté et humilié par son supérieur, que d’autres salariés subissaient le même sort, qu’il était informé au dernier moment de déplacements ou appelé sur son téléphone les jours de repos, sans que l’employeur ne démontre avoir mis en ‘uvre des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation ou avoir mis en place une organisation et des moyens adaptés,
que l’inaction de l’employeur a provoqué le départ de plusieurs salariés, (M. [N], M. [I]…).
Il produit les témoignages de plusieurs salariés faisant état d’insultes des responsables et de pression morale, ainsi M. [B] cite des exemples de propos injurieux et insultes qu’ils entendaient régulièrement et indique que lui « aussi était victime des brimades fréquentes de M. [R]… », ce que confirment, M. [N], qui a quitté l’entreprise en raison de « l’ambiance délétère », M. [L] qui rapporte que M. [R] faisait des « blagues de mauvais goût, insultantes » des « blagues racistes » ou des « remarques abaissantes», M. [F] qui évoque des « blagues racistes, homophobes ou surnoms douteux », témoignant en outre de « l’isolement dans lequel [C] ([X]) a pu se trouver au sein du pôle charpente causé par la manipulation et les rumeurs répandus par M. [R] » et du fait qu’il « a été poussé à bout sur ses derniers chantiers : commandes de bois ou quincailleries non respectées, ce qui l’empêchait de travailler dans de bonnes conditions ainsi que le refus de demande de renfort sur les chantiers » et de la même manière, M. [E] qui précise avoir été témoin de ce qu’il «subissait une pression morale de M. [R].».
Quant aux humiliations subies, il reprend les déclarations de M. [B] qui indique qu’ils étaient la cible d’« humiliations continuelles » que « M. [R] envoyait [C] sur les chantiers pour nettoyer derrière les maçons ou pour nettoyer des fientes d’animaux dans les bâtiments ou des rats sur les chantiers » et de M.[L] qui précise : « nous avons eu le sentiment d’être punis et d’être considérés comme des larbins en venant ramasser et nettoyer ce que d’autres n’avaient pas envie de faire’.
– l’installation de dispositifs de géolocalisation dans les véhicules ou de vidéosurveillance dans l’entreprise, pour lesquels les salariés n’ont pas officiellement été informés et en l’absence de déclaration à la CNIL, alors que la géolocalisation était utilisée pour suivre et surveiller les déplacements des salariés et leur activité, accentuant ainsi la pression dont ils étaient déjà l’objet, et que bien l’employeur ait précisé que « le règlement intérieur était en cours de modification et sera soumis à approbation du CE et CHSCT », plusieurs années après, il ne justifie toujours pas que ces modifications ont abouti et ont été soumises pour approbation aux organes représentatifs et consultatifs.
Il produit les témoignages des salariés déjà cités, MM. [B], [E], [L], [I] et [F] qui attestent de ce que ces outils étaient utilisés à des fins de surveillance, M. [K] à titre d’exemple rapportant ainsi, que M. [R] « le consultait quotidiennement » « il nous a reproché plusieurs fois nos horaires de départ ou de retour …il consultait également les caméras de vidéo-surveillance. Cela provoquait du stress et de la pression au travail. Nous avions le sentiment d’être surveillés en permanence », et les procés-verbaux de réunion du comité d’établissement et des délégués du personnel des 29 janvier et 26 février 2016 démontrant qu’ils ont tenté, à plusieurs reprises, d’obtenir des réponses de l’employeur quant à l’utilisation de ce dispositif,
– l’absence de réaction de l’employeur, alors qu’il était informé de sa situation, à l’occasion de la visite périodique effectuée par le médecin du travail le 23 janvier 2017, au cours de laquelle il s’est confié sur la «difficulté à remonter l’information (beaucoup de niveaux hiérarchiques)» ; qu’il s’est également confié à son ancien directeur, ainsi que cela ressort du rapport médical du docteur [U] du 14 décembre 2018 retranscrivant ses propos ‘difficultés au travail débutant en avril 2017…supérieur très insultant, dès qu’on va le voir, c’est petit PD…on a rencontré le directeur qui m’a donné raison’, sans que des mesures ne soient prises, tout comme M. [I], qui avait subi des faits similaires, qui indique dans son attestation qu’« après de nombreuses plaintes à mon responsable, c’est toujours resté sans suite».
– des congés payés déclarés à la caisse des congés payés mais qui ont été travaillés, indiquant que l’employeur a contraint ses salariés en février 2017 à renoncer à des congés payés (9 jours ouvrables), alors qu’ils ont travaillé sur cette période, ainsi que cela résulte de l’attestation de paiement de congés payés pour 2016 et de son bulletin de salaire au titre de février 2017 qui ne mentionne pas la prise de congés, M. [L] en attestant pour ce qui le concerne.
– des manquements postérieurs à son arrêt de travail,
en ce qu’il lui était versé son complément de salaire au 15 septembre 2018, soit après 90 jours d’arrêt, par chèque du 8 janvier 2019, alors qu’il apparaissait que l’organisme de prévoyance PRO BTP restait dans l’attente du retour du dossier de demande d’indemnisation adressé dès le 10 octobre 2018 à l’employeur, que deux relances de son conseil s’en sont suivies les 7 et 30 novembre 2018, restées sans réponse, que l’organisme de prévoyance lui indiquait avoir réglé directement l’employeur, (courrier du 11 décembre 2018 portant versement des indemnités journalières du 13 septembre au 4 décembre 2018, courrier du 21 décembre 2018 pour la période du 5 au 18 décembre 2018, du 7 janvier 2019 pour la période du 19 au 31 décembre 2018 ),
en ce que son salaire au titre du mois de juin 2019 mentionne un « paiement par chèque le 7 juillet 2019 » de « 1 664,69 euros », sans pour autant avoir reçu ce règlement et, interpellant son employeur par courriel du 22 juillet 2019, ce dernier émettra un ordre de virement à son profit le même jour,
et en ce que son solde de tout compte mentionne un montant de 4 440,08 euros et un « paiement par chèque le 7 septembre 2019 » toutefois établi le 11 septembre 2019, soit près d’un mois après la fin de la relation de travail.
– la dégradation de son état de santé, au point d’avoir présenté un syndrome d’épuisement professionnel, produisant :
– le compte-rendu d’examen périodique établi par le médecin du travail le 23 janvier 2017, au cours duquel il s’est confié sur ses difficultés au travail, ce médecin notant l’évaluation du bien être professionnel à 5,5/10, relevant la pression et le manque de communication,
– les attestations rédigées par les salariés déjà cités, déclarant :
M. [L], qu’il lui a fait part être allé chez le médecin à plusieurs reprises en avril et en mai 2018 à cause du stress, qu’il existait dans l’entreprise des « problèmes d’organisation qui avaient des répercussions directes sur (leurs) conditions de travail »,
M. [N], que le « manque d’organisation plombait l’ambiance générale »,
– par des membres de sa famille, ses parents, Mme [G] et M. [A] [X], qu’il était mis à l’écart, qu’il allait travailler la boule au ventre, sa compagne, Mme [V] [Z], qu’il avait perdu toute motivation, était stressé et angoissé,
– les avis d’arrêt de travail à compter du 15 juin 2018 renouvelé jusqu’à son licenciement le 19 août 2019,
– le certificat médical du docteur [W], médecin du travail, du 30 novembre 2018 relevant : « les symptômes anxieux ne sont pas contrôlés par le traitement. On retouve un score HAD (Hospital Anxiety and Depression scale) à « 19/21 pour l’anxiété et 11/21 pour la dépression…Dans le contexte actuel, la reprise du travail serait un facteur aggravant »,
– les ordonnances délivrées par le docteur [U], médecin psychiatre, le 14 décembre 2018, adressant un compte-rendu au médecin du travail indiquant que son état de santé est exclusivement dû à ses conditions de travail au sein de la société Lanfry,
– le certificat médical établi par ce médecin le même jour, caractérisant ses troubles comme suit : « ruminations anxieuses, irritabilité, troubles du sommeil (endormissement + réveils nocturnes). Angoisse flottante et permanente » et concluant en ces termes : « troubles anxio-dépressifs en lien avec des soucis avec son travail. Prescription antidépresseur ».
– son courrier du 28 février 2019 indiquant : « je suis tout à fait d’accord avec la proposition d’inaptitude au poste car il ne sera jamais en mesure de retourner dans l’entreprise ».
– l’avis d’inaptitude du 21 mars 2019, indiquant : « Ne peut occuper son poste à compter de ce jour. Compte tenu de l’examen médical, je juge que le poste de travail de M. [X] [C] est a priori devenu incompatible avec son état de santé. J’estime nécessaire la réalisation d’un 2nd examen…afin notamment de réaliser l’étude de son poste et de ses conditions de travail dans l’établissement et d’échanger avec l’employeur sur les possibilités de maintien en emploi ».
– l’avis d’inaptitude du 4 avril 2019 concluant « l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste… « poste similaire dans un environnement de travail différent.».
En réplique, l’employeur fait valoir :
s’agissant de la modification unilatérale du contrat de travail, que le salarié ne verse aux débats aucune pièce qui permettrait de justifier ses allégations, lesquelles sont confuses alors que s’il explique qu’il réalisait des tâches qui n’entraient pas dans ses fonctions contractuelles, dans le cadre d’une autre instance prud’homale initiée par un autre salarié, M. [B], au profit duquel il a attesté, il affirme au contraire être charpentier et ne pas s’occuper de tâches pour lesquelles il n’est que simple bricoleur,
sur le fait qu’il exerçait en réalité les fonctions de chef de chantier, sans pour autant bénéficier de la classification et du salaire, qu’il lui été attribué des tâches éloignées de la charpente, sans formation préalable et qu’il lui aurait été imposé d’effectuer des tâches humiliantes, ces affirmations ne sont pas fondées,
qu’il pouvait arriver que les salariés aident à la mise en place d’un chantier,
que si le nom du salarié pouvait apparaître, c’était en qualité de chef d’équipe, ce qui ne lui permettaient pas d’avoir des prérogatives particulières autres qu’être le salarié référent pour un chantier, alors que le nom du responsable de chantier était également précisé (exemple du chantier de l’église du [3]),
que les attestations produites sont dépourvues de valeur probante, qu’ainsi M. [B] ne peut prétendre qu’il leur aurait été confié les basses besognes et en même temps la gestion du chantier et M. [L] relate son propre ressenti sur les chantiers sur lesquels il a travaillé,
que les articles de presse ne font pas état de l’intervention du salarié et les feuilles d’heures ne permettent pas de démontrer la nature de la prestation réalisée,
sur les humiliations et les insultes, le salarié procède par affirmation, ne communiquant que la seule attestation de sa compagne, dont les propos ne dénotent aucun comportement dégradant ou humiliant de la part de l’employeur,
sur la surveillance exercée par son supérieur à l’aide du système de géolocalisation dans les véhicules et de la vidéosurveillance, que les déclarations du salarié ne sont pas crédibles, alors qu’aucun responsable ne dispose d’un accès à la géolocalisation,
qu’aucun salarié ne peut se plaindre d’avoir été sanctionné sur la base de constatations liées à la géolocalisation,
que le salarié lui-même communique les comptes-rendus du comité d’établissement de 2016, aux termes desquels il ressort que l’inspection du travail a été consulté et que le règlement intérieur est en cours de modification et sera soumis à l’approbation du CE et du CHSCT concernant les ‘trackers et caméras’,
que le système mis en place à la demande de l’assurance n’est pas illégal, les données n’étant pas utilisées à d’autres fins que celle de pouvoir assurer la société et les salariés,
qu’il n’était pas tenu de déclarer ce dispositif à la CNIL, mais seulement de procéder à une inscription au registre des activités de traitement tenu par l’employeur, ce qui a été fait,
que le système de vidéosurveillance n’a jamais été utilisé pour faire pression sur les salariés qui sont au demeurant principalement sur des chantiers extérieurs,
sur le fait que ses collègues auraient fait en sorte de l’isoler et de le pousser à la démission, le salarié ne rapporte pas la preuve de la matérialité des prétendus actes de harcèlement moral qu’il dénonce,
qu’il convient d’émettre des réserves sur les attestations des membres de sa famille, en raison des liens les unissant, que, non présents sur le lieu de travail, ils ne peuvent avoir constaté personnellement des faits qui se seraient produits au temps et au lieu du travail, qu’elles sont en outre imprécises,
que pour le surplus des autres témoins, M. [E] ne fait plus partie de l’entreprise depuis octobre 2015, ayant quitté la société après la signature d’une rupture conventionnelle,
que n’étant plus en poste, il ne peut affirmer ‘en 2018 j’atteste que le problème persiste’, de sorte que son attestation devra être écartée, de la même manière que celle de M. [B], qui fait état d’un mal-être au travail à compter de 2017 et 2018, et a initié une procédure à l’encontre de son employeur, le salarié ayant du reste attesté en sa faveur,
M. [N] a quitté l’entreprise en 2014 et ne peut donc avoir assisté aux événements de 2017et 2018. Il ne mentionne aucun élément concernant le salarié, mais seulement des faits le concernant (brimades de M. [R], chef du département charpente),
M. [L] décrit également sa propre expérience au sein de la société et M. [I] n’atteste d’aucun élément concernant le salarié, prenant M. [R] pour cible, alors qu’il précise qu’il n’a jamais été son responsable,
que les salariés attestent les uns en faveur des autres dans les instances prud’homales qu’ils ont initiées, de sorte qu’il y a lieu de considérer leur témoignage avec prudence,
que le salarié ne l’a jamais alerté des pressions et brimades qu’il subissait et ne communique pas le moindre élément justifiant qu’il a fait part de ses difficultés,
sur le fait d’avoir travaillé en février 2017 alors que l’employeur l’avait déclaré en congés payés, le salarié ne rapporte pas la preuve du grief allégué,
sur le fait d’avoir travaillé sans le matériel et les matériaux nécessaires ou avec du matériel défectueux et dans de mauvaises conditions de sécurité, le salarié produit l’attestation de M. [L] qui fait état que d’un seul dysfonctionnement, alors que le matériel avait initialement été remplacé, aucune pièce justificative n’est produite, ni aucune date précisée concernant l’accident allégué et la prétendue faute de l’employeur,
qu’il n’est rapporté aucune preuve de conditions de travail humiliantes, alors que les communiqués de presse et journaux communiqués démontrent qu’il travaillait sur des chantiers valorisants, de sorte qu’il n’était nullement laissé de côté ou mis à l’écart,
sur le fait qu’il devait partir de l’entreprise pour se rendre sur les chantiers au contraire d’autres salariés qui pouvaient s’y rendre directement de leur domicile, il produit l’attestation de sa compagne qui indique ‘qu’il devait toujours passer par l’entreprise pour changer de camion ce qui n’était pas demandé à d’autres collègues qui avaient le droit de partir de leur domicile’, qu’aucun reproche ne peut être fait à l’employeur, alors qu’il était nécessaire d’emporter le matériel sur les chantiers,
sur le retard dans le versement du complément de salaire prévu par la convention collective et l’accord de prévoyance pendant l’arrêt maladie, il a effectué les démarches qu’il lui incombait et n’est pas responsable des délais de traitement de cet organisme,
sur son état de santé, il n’est pas démontré que les troubles anxiodépressifs dont souffre le salarié depuis décembre 2018 sont imputables au travail, le psychologue ne faisant que reprendre ses affirmations.
Il résulte du dossier que le salarié qui a été embauché en qualité de charpentier occupait de toutes autres fonctions, gérant des chantiers en l’absence de ses supérieurs hiérarchiques, ainsi qu’en attestent plusieurs salariés, dont les témoignages sont concordants, et qu’il n’y a pas lieu d’écarter au seul motif qu’ils sont en litige avec l’employeur, le salarié étant en outre identifié comme étant le chef de chantier par la presse locale, qu’il effectuait en outre des tâches ne correspondant pas à sa qualification, sans avoir suivi de formation, sans pour autant déceler de contradictions dans ses déclarations, alors qu’il est sous-tendu un manque d’organisation au sein de l’entreprise au détriment des salariés, contraints de prendre en charge la gestion des chantiers, mais réalisant également les basses besognes,
que le manquement à l’obligation de sécurité est établi dès lors qu’il est justifié d’une dégradation des conditions de travail du salarié, victime d’humiliations quotidiennes, employé par exemple au nettoyage des chantiers, d’insultes et en proie à une pression morale exercée par ses supérieurs, notamment par M. [R], sans que l’employeur ne réagisse, alors qu’il est manifeste à la lecture des rapports médicaux établis lors de la visite périodique et du rapport du docteur [U], médecin psychiatre, qu’il en avait connaissance, d’autres salariés, qui ont subi les mêmes faits, dont M. [I], ayant également tenté en vain d’alerter leur hiérarchie,
que quand bien même la plupart des salariés ont quitté l’entreprise, par leurs témoignages, ils dénoncent des comportements similaires et persistants de leurs supérieurs hiérarchiques, et en particulier de M. [R], ce qui rend crédibles les accusations portées par le salarié, dont l’état de santé s’en est trouvé dégradé à compter de 2018 ainsi que cela ressort des pièces et conclusions médicales, M. [E] constatant que les mêmes difficultés existent encore dans l’entreprise,
que le fait que certains salarisés soient en litige avec l’employeur n’est pas de nature à leur dénier toute force probante,
que si l’on excepte les témoignages des parents du salarié et de sa compagne, ceux subsistants établissent suffisamment une mise à l’écart,
que l’employeur ne peut venir contester avoir exercé une surveillance illégale de ses salariés, après avoir reconnu devant le premier juge avoir mis en place des outils de géolocalisation et de vidéosurveillance, sans en avoir effectué la déclaration à la CNIL et sans avoir donné d’explications quant aux conditions d’utilisation de ces systèmes, alors qu’il ne justifie pas avoir informé ses salariés, ni consulté le comité social et économique préalablement à la mise en place de ces dispositifs,
que les griefs tenant aux congés payés mais non pris, au retard dans le paiement des indemités journalières, alors qu’il apparaît que l’employeur a tardé à retourner le dossier à l’organisme de prévoyance et à lui régler les fonds reçus, au retard dans le paiement des salaires pendant l’arrêt maladie sont également caractérisés au regard des pièces versées au dossier.
Sur les allégations d’une situation de harcèlement moral,
Il sera rappelé qu’en application des dispositions de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel,
qu’aux termes des dispositions précitées et de l’article L.1154-1 du code du travail, en sa rédaction applicable à la cause, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement,
que l’article L.1154-1 du code du travail présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié au titre d’une situation de harcèlement moral soient des faits établis puisqu’il n’est pas offert à l’employeur de les contester mais seulement de démontrer qu’ils étaient justifiés,
que l’article L.1152-4 du code du travail énonce par ailleurs que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral,
que manque à son obligation de sécurité, l’employeur qui, tenu d’en assurer l’effectivité, s’abstient de mettre en oeuvre les mesures nécessaires aux fins de prévenir de tels agissements et les faire cesser.
Le salarié a exposé avoir subi des humiliations, des brimades, des vexations de la part de ses responsables, en particulier de M. [R], qu’il était régulièrement insulté, qu’il lui était confié des tâches ne correspondant pas à son niveau de qualification, telles que le nettoyage des chantiers et faisait l’objet de surveillance au moyen de la géolocalisation et de la vidéosurveillance, tout comme certains autres de ses collègues, au point que sa santé s’en est trouvée altérée, pour avoir présenté un trouble anxiodépressif et été placé en arrêt maladie à compter du 15 juin 2018 jusqu’à son licenciement pour inaptitude.
Les pièces produites par le salarié permettent d’établir l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Comme précisé ci-dessus, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, ce en quoi il échoue, se contentant de remettre en cause les propos du salarié et de dénier toute force probante aux attestations versées aux débats.
Les manquements de l’employeur sont donc établis et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et emporter la résilation du contrat de travail dont les effets remonteront à la date du licenciement, soit au 19 août 2019, le jugement étant confirmé sur ce point.
3 – Sur les effets de la résiliation du contrat de travail
3 – 1 Sur la demande de nullité du licenciement
L’article L.1152-3 du code du travail dispose ‘toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.’
La résiliation du contrat de travail produira en conséquence les effets d’un licenciement nul, le jugement étant confirmé de ce chef.
3 – 2 Sur les conséquences financières de la nullité du licenciement
3 – 2 – 1 Sur l’indemnité compensatrice de préavis
En application des dispositions de la convention collective et des articles L 1234-1 et suivants du code du travail, et compte tenu des circonstances de l’espèce, le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire soit 4 245,88 euros, outre une somme de 424,59 euros au titre des congés payés y afférents, sur la base d’un salaire moyen de 2 122,94 euros dont les modalités de calcul ne sont pas utilement combattues par l’employeur. Il conviendra d’infirmer le jugement quant au montant alloué.
3 – 2 – 2 Sur l’indemnité de licenciement
– Sur le complément d’indemnité de licenciement
En application de l’article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte huit mois d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.
Le salarié comptait six ans et sept mois d’ancienneté au 19 août 2019. Il lui est donc dû sur la base du salaire moyen des trois derniers mois, plus favorable (2 335,23 euros) une somme de 3 841,47 euros, soit un complément d’indemnité de 296,59 euros, après dédution de la somme réglée par l’employeur à hauteur de 3 544,88 euros.
– Sur l’indemnité spéciale de licenciement
Le salarié revendique l’application des règles prévues en matière d’accident du travail ou de maladie professionnelle, faisant valoir qu’il n’est pas douteux que son inaptitude a une origine professionnelle, ce que l’employeur ne pouvait ignorer alors que le conseil de prud’hommes avait déjà été saisi d’une demande de résiliation judiciaire, que la lecture des différentes pièces confirme que l’inaptitude est exclusivement liée à ses conditions de travail, lesquelles l’ont rendu inapte à tout poste au sein de l’entreprise exclusivement, peu important qu’il ait bénéficié d’un arrêt de travail pour maladie ou que le statut protecteur lui ait, ou non, été reconnu, alors qu’il appartient à la juridiction de vérifier l’origine professionnelle de l’inaptitude et d’en tirer les conséquences sur le doublement de l’indemnité de licenciement.
Aux termes de l’article L.1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d’un montant égal à celui de l’indemnité compensatrice de préavis prévue à l’article L. 1234-5 ainsi qu’à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L. 1234-9.
Il résulte de ce texte que la rupture du contrat de travail d’un salarié déclaré par le médecin du travail inapte à son emploi en conséquence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ouvre droit pour le salarié non reclassé dans l’entreprise, que cette rupture prenne la forme d’un licenciement, prononcé en raison de l’impossibilité démontrée du reclassement du salarié ou en raison de son refus du poste de reclassement proposé, ou d’une résiliation judiciaire, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité prévue à l’article L. 122-9 du code du travail.
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, l’application des dispositions de l’article L. 1226-10 du code du travail n’étant pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance-maladie du lien de causalité entre l’accident et l’inaptitude.
Par ailleurs, si le juge ne peut substituer son appréciation à celle du médecin du travail quant à l’aptitude du salarié, il lui appartient au contraire d’apprécier si l’inaptitude a, au moins partiellement, une origine professionnelle, peu important la mention portée à cet égard par le médecin du travail.
En l’espèce, aux termes de l’avis du 4 avril 2019, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste de travail, retenant qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste et préconisant un reclassement dans un poste similaire dans un environnement de travail différent.
Si un tel constat peut laisser présumer qu’il existe un lien, au moins partiel, entre l’état de santé du salarié et ses conditions de travail, ce seul élément est en revanche inopérant pour établir un lien de causalité entre son inaptitude et l’existence d’une maladie professionnelle, la cour observant du reste qu’il est pas invoqué un accident du travail ou une maladie professionnelle et qu’il n’est pas non plus démontré que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
Il s’en suit que le salarié ne peut prétendre au bénéfice des dispositions spécifiques de l’article L.1226-14 précité, le jugement étant confirmé sur ce point.
3 – 2 – 3 Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul
L’article L 1235-3-1 dans sa rédaction applicable à la cause, dispose : ‘L’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :
(…)
2° des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;
(…)’
Ainsi que justement souligné par le premier juge, l’article L.1235-3-1 ne prévoit pas de barème d’indemnisation, au contraire de l’article L.1235-3, lequel est inapplicable en l’espèce, de sorte que les développements du salarié relativement à son inconventionnalité sont inopérants.
En raison de l’âge du salarié au moment de son licenciement, comme étant né en 1985, de son ancienneté dans l’entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer une somme de 17.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
4 – Sur les intérêts
Les sommes allouées à titre d’indemnité de licenciement sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.
Les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jugement entrepris sur les sommes confirmées et du présent arrêt sur le surplus.
5 – Sur l’application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné le remboursement par l’employeur aux organismes concernés des indemnités chômage payées au salarié du jour du licenciement au jour de la décision dans la limite de six mois.
6 – Sur les frais du procès
En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société sera condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 1 500 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud’homale,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qui concerne les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, du complément d’indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement nul,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne la SAS Entreprise Georges Lanfry à payer à M. [C] [X] les sommes de :
296,59 euros à titre de complément d’indemnité de licenciement,
4 245,88 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,outre la somme de 424,59 euros au titre des congés payés y afférents,
17 000 euros à titre de dommages et intérêts,
Y ajoutant,
Condamne la SAS Entreprise Georges Lanfry aux dépens de la procédure d’appel,
Condamne la SAS Entreprise Georges Lanfry à payer à M. [C] [X] une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.
La greffière La présidente