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13 septembre 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
20/03816
AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/03816 – N° Portalis DBVX-V-B7E-NBUN
[M]
C/
Société CRITEL
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
du 10 Juillet 2020
RG : F18/03240
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2023
APPELANT :
[O] [M]
né le 08 Mai 1970 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
et ayant pour avocat plaidant Me Murielle MAHUSSIER de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Yannick ROJON, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société CRITEL
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Eric FILLIATRE de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 05 Juin 2023
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, présidente
– Nathalie ROCCI, conseiller
– Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 13 Septembre 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [O] [M] a été embauché par la société CRITEL, par contrat à durée indéterminée du 16 septembre 2002, en qualité d’opérateur de télésurveillance, statut employé niveau 3.1 coefficient 150 de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.
Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié occupait le poste d’opérateur de télésurveillance expérimenté (statut employé, niveau 3.3, coefficient 150), et percevait une rémunération brute mensuelle de 1 933,02 euros (salaire de base + prime d’ancienneté) pour 151,67 heures de travail annualisées sur l’année, outre une prime dc 13ème mois.
Par courrier du 23 mars 2018, la société CRITEL a convoqué M. [M] à un entretien préalable en vue d’une éventuelle mesure de licenciement, fixé au 3 avril 2018.
Par courrier du 20 avril 2018, la société CRITEL a notifié à M. [M] son licenciement et l’a dispensé d’exécuter son préavis.
Le 19 octobre 2018, M. [M] a saisi le conseil de prud’homme de LYON pour contester son licenciement et obtenir la condamnation de la société CRITEL au paiement de diverses sommes au titre du caractère abusif du licenciement et de la clause de non-concurrence.
Par jugement du 10 juillet 2020, le conseil de prud’hommes a débouté M. [M] de l’intégralité de ses demandes, a donné acte à la société CRITEL de ce qu’elle avait versé la contrepartie financière de la clause de non concurrence et a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Le 17 juillet 2020, M. [M] a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 31 décembre 2020, M. [M] demande à la cour de :
– infirmer le jugement du dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté la société CRITEL de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner la société CRITEL à lui verser, à titre principal, la somme de 40 000 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du caractère abusif du licenciement et subsidiairement, la somme de 25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi
– condamner la société CRITEL à verser la somme dc 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés dans le cadre de la première instance ;
– condamner la société CRITEL à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code dc procédure civile pour les frais exposés en appel ;
– condamner la société CRITEL aux entiers dépens de l’instance ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société CRITEL de sa demande au titre de l’artic1e 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 février 2021, la société CRITEL demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [M] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions, et en conséquence en ce qu’il a dit et jugé parfaitement fondé le licenciement et en ce qu’il lui a donné acte de ce qu’elle a versé la contrepartie financière de la clause contractuelle de non concurrence jusqu’à son terme ;
– débouter M. [M] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions à hauteur d’appel,
– infirmer le jugement le en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En conséquence, et statuant à nouveau,
– condamner M. [M] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, et sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
– condamner M. [M] aux entiers frais et dépens de première instance ;
En tout état de cause,
– condamner M. [M] à verser à la SA CRITEL la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile à hauteur d’appel ;
– condamner M. [M] aux entiers frais et dépens de la présente instance.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 avril 2023.
SUR CE,
Sur le dispositif de surveillance :
M. [M] fait valoir que la mesure de licenciement repose, pour deux griefs, sur les enregistrements réalisés à l’aide du dispositif de vidéo surveillance en place dans l’entreprise et dont la licéité n’est pas démontrée par la société CRITEL ; qu’en particulier, lorsqu’elle l’a déclaré auprès de la CNIL, elle n’a pas mentionné qu’elle entendait l’utiliser pour surveiller et sanctionner ses salariés ; que lorsqu’elle a informé les représentants du personnel, en 2011, elle a précisé que les caméras et micros n’ont pas été installés dans le but de surveiller les salariés mais de protéger le personnel et les bâtiments compte tenu de l’activité.
La société CRITEL fait valoir que :
en sa qualité d’entreprise de sécurité privée spécialisée dans le domaine de la télésurveillance à destination d’établissements bancaires, elle doit assurer la traçabilité et la conservation des actions de ses opérateurs et la télésurveillance de ses sites ;
l’enregistrement des conversations téléphoniques ne contrevient pas aux dispositions de l’article L1121-1 du code du travail
les instances représentatives ont été consultées et les salariés personnellement informés.
***
Aux termes de l’article L2312-38 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2018, le comité social et économique [‘] est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en ‘uvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés.
La société CRITEL justifie avoir déclaré, le 28 novembre 2011, auprès de la CNIL le dispositif de « télésurveillance des sites bancaires ou similaires sécurité et protection des personnes et de l’établissement ».
Auparavant, le 21 février 2011, lors de la réunion des délégués du personnel, aux questions « Que filment les caméras sur l’ensemble des sites de CRITEL ‘ par qui les images sont-elles visibles ‘ des micros sont-ils installés ‘ », elle avait répondu, s’agissant des centres de télésurveillance « Notre activité de télésurveillance nous oblige à respecter les normes définies par l’APSAD, nos centres de télésurveillance doivent impérativement être sous surveillance. Les caméras sont disposées selon les préconisations de l’APSAD. Elles filment en permanence et les images sont visibles sur les moniteurs présents dans le centre. Ces caméras, ainsi que les micros d’écoute peuvent être activées à distance par un autre centre (chaque centre est télé surveillé par un autre centre) dans le cadre des opérations de levée de doute en cas d’incident’Les caméras et les micros n’ont pas été installés dans le but de surveiller les salariés mais bien de protéger le personnel et les bâtiments compte tenu de notre activité ».
Le procès-verbal de réunion des délégués du personnel a été transmis le 28 février 2011, par mail, au personnel et notamment à M. [M].
La société [M] justifie avoir informé le CHSCT et le comité d’entreprise, de l’ajout de nouvelles caméras et de la modification des emplacements dans la salle technique, la salle d’exploitation et les zones de circulation de [Localité 8]-[Localité 6] (procès-verbal du 4 avril 2016.)
Le compte rendu de la réunion du comité d’entreprise a été transmis à M. [M] par mail du 29 avril 2016.
Le salarié avait donc connaissance du dispositif de surveillance et de ce qu’il était filmé en permanence.
C’est lors d’une levée de doute que la société CRITEL dit avoir constaté que M. [M] utilisait son téléphone portable et déjeunait à son poste de travail. Le procédé de télésurveillance a donc été utilisé conformément aux informations données aux représentants du personnel
Le procédé de télésurveillance n’ayant pas été mis en ‘uvre de manière déloyale ni à l’insu du salarié, il n’y a pas lieu d’écarter la pièce n°65.
Sur le licenciement :
M. [M] soulève la prescription des faits reprochés, s’agissant des vidéos qui se seraient trouvées sur son ordinateur professionnel, au motif qu’ils remonteraient au 1er semestre 2015. Il fait remarquer que la matérialité des faits n’est pas établie et qu’aucune sanction ne lui a été notifiée en son temps.
Il ajoute qu’au cours de la relation de travail, aucun reproche à propos de son comportement vis-à-vis des femmes ne lui a été fait.
M. [M] conteste avoir reconnu gérer un volume restreint d’appel entrant et soutient qu’au contraire, il a enregistré un nombre d’appels supérieur à celui de ses collègues, se plaçant, en 2017, au 2ème rang sur 27 salariés et en 9ème position sur 23 salariés pour la période du 1er janvier au 23 avril 2018. Il souligne qu’aucun objectif d’appel entrant ne lui était fixé et qu’il avait aussi pour mission de gérer les alarmes ce qui l’amenait à assurer des appels sortants.
Il soutient que l’employeur ne démontre pas avoir affiché le règlement intérieur modifié faisant interdiction d’utiliser le téléphone portable et conteste avoir fait un usage abusif de son téléphone portable, arguant qu’il était en pause et que l’employeur tolérait l’usage du téléphone portable. Il affirme qu’il était courant que les salariés mangent à leur poste de travail.
Il dément avoir adopté un comportement inadapté ou agressif envers ses interlocuteurs lors de la gestion de l’alarme de la SMC de [Localité 11] et fait observer que la société CRITEL ne produit pas de plainte du client.
Il conteste avoir quitté le bureau de son responsable hiérarchique lors de l’entretien du 21 février 2018, relatif à la prime de bilan.
La société CRITEL réplique que M. [M] a reconnu la matérialité des faits reprochés.
Elle soutient que les faits reprochés ne sont pas prescrits en arguant qu’ils se sont produits le 21 février 2018 ou postérieurement.
Elle affirme ensuite que M. [M] a reconnu s’être adonné à une exécution volontairement défectueuse de son contrat de travail, refusant de se soumettre aux directives de sa hiérarchie ; que cela est établi par l’attestation du conseiller du salarié, par des mails provenant de M. [H], responsable de M. [M], par les relevés d’appel téléphoniques entrants pour chaque journée.
Elle ajoute que M. [M] a pris cette initiative de manière obstinée, dans l’attente de sa mutation effective sur un autre site.
Elle expose que la gestion des alarmes et les appels sortants pour une levée de doute ne sont qu’une part résiduelle de l’activité des salariés.
Elle ajoute :
que les attestations qu’elle verse aux débats corroborent ses affirmations quant au comportement inadapté de M. [M] ;
que la vidéosurveillance du site de [Localité 6] établit que le 26 février 2018, alors qu’il était de service, M. [M] mangeait et utilisait son téléphone portable, alors que cela est interdit par le règlement intérieur dont le salarié avait connaissance comme en attestent ses collègues ;
que les restrictions contenues dans le règlement intérieur sont licites ;
que, pour le 10 mars 2018, il est reproché à M. [M] ses propos inappropriés et son agressivité à l’égard du collaborateur de l’agence bancaire de [Localité 11] et de son responsable, M. [B]
que les opérateurs, compte tenu de la nature de leur mission, se doivent de conserver calme et maîtrise de soi en toutes circonstances ;
que M. [M] a reconnu, lors de son entretien préalable puis par courrier du 28/04/2018, être parti, le 21 février 2018, du bureau de M. [H] sans y être invité
qu’il avait déjà fait l’objet d’un avertissement pour un comportement analogue en 2017.
***
Aux termes de l’article L1235-2, alinéa 2 du code du travail, dans sa version applicable depuis l’entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2018, la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l’employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement.
Les reproches tenant au comportement de M. [M] à l’égard des femmes, ses commentaires graveleux ou encore de conservation, sur son ordinateur personnel, de vidéos issues de la télésurveillance de sites clients de l’entreprise ne figurent pas dans la lettre de licenciement ; en conséquence, il n’y a pas lieu de s’interroger sur leur prescription.
La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d’objectivité. Elle doit être existante et exacte. La cause sérieuse concerne une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.
La lettre de licenciement doit énoncer des motifs précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n’est pas nécessaire.
Le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige doit être apprécié au vu des éléments fournis par les parties, étant précisé que, si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce.
La lettre de licenciement contient 4 griefs :
Sur le grief relatif à la prise d’appel
Le grief est ainsi formulé :
« 1. Lors de votre vacation du 21 février 2018, vous n’avez pris que 5 appels entrants entre 14 heures et 19 heures, alors que vos collègues en ont pris 34 en moyenne.
Puis les jours suivants, cette tendance s’est confirmée avec les chiffres suivants :
– Le 26 février 2018, entre 14 heures et 19 heures, vous n’avez pris que 9 appels contre 31 en moyenne pour les autres opérateurs en poste
– Le 27 février 2018, entre 14 heures et 18 h52, vous n’avez pris qu’un seul appel contre 46 en moyenne pour vos collègues
– le 2 mars 2018, entre 15 heures et 18 heures 52, vous n’avez pris qu’un seul appel contre 19 en moyenne par vos collègues ;
– Le 20 mars 2018, entre 14 heures et 20h25, vous n’avez pris qu’un seul appel contre 19 en moyenne pour vos collègues
– Le 21 mars 2018, entre 14 et 18 heures, vous n’avez pris que 5 appels entrants contre 29 en moyenne pour vos collègues.
Ce même jour, votre responsable vous a fait une remarque sur votre gestion des appels entrants car il avait constaté que votre volume de prise d’appels est bien inférieur à vos collègues. Vous lui avez confirmé prendre moins d’appels et que vous ne feriez aucun effort jusqu’à votre prise de poste sur le centre de [Localité 5] prévue fin août 2018.
Votre responsable vous a alors rappelé que la gestion des appels entrants est une des tâches que vous deviez exécuter dans le cadre de votre mission.
Mais dès le lendemain, le 22 mars 2018, vous n’avez pris qu’un seul appel entrant entre 15h30 et 18h37, alors que les 3 autres opérateurs en poste en prenaient 23 en moyenne.
Vous n’avez donc pas pris en compte la remarque de votre responsable et avez confirmé à Monsieur [R] que vous aviez volontairement décidé de ne pas obtempérer à la demande de votre chef de centre car vous pensiez que l’encadrement n’est pas honnête avec vous.
Votre comportement est inacceptable.
Vous avez reconnu les faits et les chiffres présentés mais avez justifié votre comportement par un manque de reconnaissance de votre encadrement. En effet, en 2017, vous avez pris selon vous, plus d’appels entrants que la moyenne de vos collègues et vous n’avez pas été félicité par votre hiérarchie. Vous avez alors décidé délibérément de ne plus répondre aux appels entrants en présence du personnel d’encadrement du centre. »
La société CRITEL verse aux débats les relevés de prise d’appel pour les seules 7 journées litigieuses au cours desquelles elle reproche à M. [M] de n’avoir pas pris un nombre suffisant d’appels.
Ces relevés établissent le nombre d’appels pris par M. [M] et par ses collègues pour chacune des journées retenues. Les chiffres sont exacts quant au nombre d’appels pris par M. [M].
En revanche, la société CRITEL retient une moyenne qu’elle calcule à partir de certains des opérateurs intervenant au même moment ; des opérateurs intervenant sur la même plage horaire ne sont pas intégrés dans le calcul de cette moyenne et ont pris un nombre d’appel égal ou inférieur au chiffre de M. [M] : par exemple, pour la journée du 20 mars 2018 : un appel pris par M. [I] (comme M. [M]), le 21 mars 5 appels pris par M. [M] tandis que M. [D] et Mme [V] en ont pris 3, MM. [S] et [A] en ayant pris 1 chacun.
La durée des plages horaires n’est pas la même d’un jour à l’autre (de 3 heures à 6h30) et le nombre de salariés prenant les appels varie de 8 à 12. Le nombre d’appels pris par salarié s’inscrit dans une large fourchette de sorte que retenir une moyenne calculée à partir de certains opérateurs n’est pas pertinent, le cas de M. [M] n’étant pas isolé.
Aucune comparaison n’est possible avec le nombre d’appels pris habituellement par M. [M] ou ses collègues puisque les relevés d’appels ne sont pas versés aux débats pour d’autres journées de travail ou plages horaires que celles évoquées dans la lettre de licenciement.
La société CRITEL verse aux débats le relevé des appels téléphoniques entrants par salarié pour la période du 1er janvier au 23/04/2018 M. [M] totalise 2 730 appels alors que le total des appels pris par chaque salarié s’inscrit dans une fourchette allant de 1 170 à 3 678, ce qui place M. [M] dans une ligne médiane.
Il s’en déduit que le grief n’est pas établi.
Sur les faits du 26 février 2018
Le grief est ainsi formulé :
« 2. Vous étiez en poste le 26 février 2018 à 19h24 et lors d’une levée de doute vidéo effectuée par le CT de [Localité 9] suite à la réception d’une alarme concernant le centre de [Localité 6], nous avons pu constater que vous utilisiez votre téléphone portable et que vous preniez votre repas à votre poste de travail alors que vous n’étiez pas en pause et que vous aviez des alarmes à traiter. Vous avez confirmé lors de l’entretien avoir envoyé un message de votre portable et prendre votre repas car il n’y avait pas d’alarme à l’écran. Vous reconnaissez ne pas avoir respecté les clauses du règlement intérieur en utilisant votre téléphone portable en poste. »
Le règlement intérieur, modifié suite à la réunion du comité d’entreprise du 26 septembre 2016, mentionne, s’agissant de l’utilisation du téléphone portable dans les centres de télésurveillance, qu’elle n’est pas autorisée ; que « tous les téléphones portables personnels devront être déposés dans les casiers en mode silence au moment de la prise de poste » ; qu’il « sera permis de les consulter lors d’une pause déjeuner ou de toute autre pause détente » ; que « cette restriction permettra d’éviter les nuisances pour les autres salariés et d’empêcher toutes distraction pendant le traitement des alarmes » ; que « toute utilisation d’un portable téléphonique personnel ou d’un outil connecté par le personnel en cours de traitement d’alarmes pourra être sanctionnée ».
Le procès-verbal de réunion du comité d’entreprise contenant le libellé de la clause du règlement intérieur a été adressé aux salariés de l’entreprise par mail du 2 décembre 2016 de sorte que M. [M] en a eu connaissance.
Par ailleurs, il ressort des attestations de M. [L], [I] et de Mme [V] que le règlement intérieur est affiché et que ces salariés connaissent les règles d’utilisation du portable.
Si M. [M] ne conteste pas avoir utilisé son téléphone pour envoyer un SMS et avoir pris un repas à son poste de travail, la société CRITEL ne démontre pas qu’une alarme était en cours de traitement.
Le grief n’est pas établi.
Sur les faits du 10 mars 2018
Le grief est ainsi formulé :
« 3. le 10 mars 2018 à 12h12 un de vos collègues de travail reçoit une alarme « hold-up téléphone » sur le site de la société marseillaise de crédit [Localité 11]. Il effectue une levée de doute audio et vidéo qui ne monte aucun élément inquiétant. Néanmoins, la connexion audio et vidéo est maintenue entre CRITEL et l’agence et nous avons rapidement la confirmation par un collaborateur de l’agence de la présence d’un client menaçant.
A 12h27, vous prenez l’appel entrant de Monsieur [B], responsable sécurité de l’agence SMC, qui vous demande de contacter les forces de l’ordre, vous rappelez l’agence à 12h37 pour les informer de l’intervention de la police. Votre interlocutrice très choquée par ce qui se passe dans l’agence est en pleurs, c’est un de ses collègues qui reprend le téléphone et vous fait part de son interrogation sur le temps d’intervention des forces de l’ordre compte-tenu de l’urgence de la situation. Suite à sa remarque, vous vous emportez et vous lui répondez : « vous allez me parler sur un autre ton », alors que le collaborateur de l’agence essayait juste de vous exprimer calmement l’angoisse de sa collègue face à cette incivilité.
Vos propos sont irrespectueux et inacceptables.
De plus, à 12h39, vous avez appelé le responsable sécurité pour lui exprimer sur un ton agressif votre mécontentement envers la remarque de son collègue. Vous lui tenez les propos suivants :
« il faudrait que votre collègue me parle sur un autre ton’ il m’a envoyé balader et m’a raccroché au nez’ il aurait fait son boulot et appeler le 17, les forces de l’ordre seraient déjà sur place’ j’aimerais éviter de me faire engueuler par un Monsieur comme ça’ »
Votre comportement envers un client est inadmissible.
Nous vous rappelons qu’aucun débordement n’est permis dans notre métier et que nous sommes à la disposition de nos clients.
Vous avez reconnu que votre réaction agressive envers le collaborateur de l’agence n’était pas appropriée à la situation mais vous vous êtes justifié en expliquant que vous aviez l’impression qu’il vous accusait de ne pas avoir fait votre travail. Vous reconnaissez également que vous n’auriez pas dû tenir de tels propos au responsable sécurité. ».
Il ressort de l’écoute de la conversation téléphonique entre M. [M] et une salariée de l’agence bancaire de [Localité 11] que cette dernière est effectivement en pleurs et inquiète suite au comportement d’un client de l’agence, lequel se trouve alors dans le sas, et que M. [M] la rassure en lui indiquant que les forces de l’ordre ont été appelées et vont arriver. Ensuite, l’un de ses collègues reprend le téléphone et reproche sur un ton vif à M. [M] de ne pas comprendre l’urgence de la situation, ce à quoi ce dernier répond en lui demandant de lui parler sur un autre ton.
L’enregistrement s’interrompt ensuite au milieu d’une phrase de M. [M].
Une deuxième communication a lieu, deux minutes plus tard, sur initiative de M. [M], avec M. [B] : M. [M] débute la conversation sur un ton vif, se plaignant du comportement de son précédent interlocuteur dont il dit qu’il a coupé la conversation téléphonique brutalement. Après deux minutes, M. [M] adopte un ton adapté afin d’informer M. [B] de la situation à l’agence de [Localité 11] et ce dernier le remercie en fin de conversation.
Il est établi que M. [M] a parlé sur un ton inadapté, pendant deux minutes, puis qu’il s’est repris.
Sur l’entretien du 21 février 2018 avec M. [H]
Le grief est ainsi formulé :
« Enfin, le 21 février 2018, vous avez eu un échange avec votre responsable qui souhaitait vous annoncer le montant de votre prime de bilan et vous donner quelques explications sur son calcul.
Mais, alors que votre chef de centre énonçait les points négatifs relevés sur l’année 2017 nécessitant une amélioration sur 2018, point qui justifiaient le montant attribué, vous vous êtes levé et lui avez dit : « faites ce qu’il vous plaira, je mets fin à l’entretien, c’est inadmissible » et avez quitté son bureau.
Ce comportement irrespectueux envers votre responsable est inacceptable.
Vous avez reconnu les faits mais indiqué que vous aviez demandé à mettre fin à l’entretien.
N’ayant pas eu de réponse de votre responsable, vous avez alors pris l’initiative de quitter son bureau.
De plus, lors de l’entretien, Monsieur [R] vous a rappelé que ce n’était pas un fait isolé puisqu’en mars 2017, vous aviez déjà eu un avertissement pour un manque de respect et insubordination envers votre chef de centre.
Vous aviez d’ailleurs pris l’engagement d’améliorer votre comportement et de faire le nécessaire pour qu’une telle situation ne se reproduise plus.
Nous ne pouvons, dans l’intérêt de notre entreprise, poursuivre nos relations contractuelles dans ces conditions.
En conséquence, et après examen de votre dossier personnel, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. »
L’attestation de M. [H] est insuffisante à établir que M. [M] a quitté le bureau de M. [H] après lui avoir été irrespectueux.
L’insubordination n’est pas établie.
Il se déduit de ce qui précède que le licenciement de M. [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé en ce sens.
Sur les demandes indemnitaires :
M. [M] demande que le barème des indemnités prud’homales soit écarté au motif qu’il a été fixé en violation de l’article 24 de la charte sociale européenne. A titre subsidiaire, il estime que le barème doit être écarté car le droit d’ester en justice est une liberté fondamentale.
Il fait valoir qu’il a été profondément affecté par son licenciement, survenu alors qu’il venait d’obtenir sa mutation, de faire l’acquisition d’une maison à [Localité 7] en contractant un important prêt ; qu’il est père de sept enfants cet que son épouse ne travaille pas.
La société CRITEL réplique que l’article 24 de la charte sociale européenne est dépourvu d’effet direct et que le barème d’indemnités est compatible avec l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.
Elle ajoute que M. [M] a retrouvé un emploi.
***
Les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490, FP-B+R).
Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu’elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Il en résulte que M. [M] n’est pas fondé à demander que le barème de l’article 1235-3 du code du travail soit écarté, barème en vertu duquel il peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 13 mois de salaire, en fonction du préjudice qu’il a subi.
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [M] âgé de 48 ans lors de la rupture, de son ancienneté de près de 16 années, de ce qu’il justifie avoir été inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi en date du 27 août 2018 , avoir trouvé un emploi à durée déterminée en 2019 puis un emploi à durée indéterminée à compter du mois d’août 2020, la cour estime que le préjudice résultant de la rupture doit être fixé à la somme de 25 000 euros, sur la base d’un salaire mensuel moyen brut de 2 090,80 euros.
Sur les autres demandes :
Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 1235-4 du même code qui l’imposent et sont donc dans le débat, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de trois mois d’indemnités
La société CRITEL qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il est équitable de condamner la société CRITEL à payer à M. [M] au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance, la somme de 1 500 euros. Le jugement sera infirmé en ce sens.
Il est équitable de condamner la société CRITEL à payer à M. [M], au titre des frais non compris dans les dépens, la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition, contradictoirement :
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau,
Condamne la S.A. CRITEL à payer à M. [M] la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne à la S.A. CRITEL de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de trois mois d’indemnités ;
Condamne la S.A. CRITEL aux dépens de première instance ;
Condamne la S.A CRITEL à payer à M. [M] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance
Y ajoutant,
Condamne la S.A. CRITEL aux dépens d’appel ;
Condamne la S.A. CRITEL à payer à M. [M], au titre des frais non compris dans les dépens, la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE